Kidd allait être en retour en haute mer après son départ de BaldorHeim, où il avait été pour affaires diplomatiques et réévaluation de ses choix de vie, puis avait suivi sa rapide visite d'Endorial, la cité forestière de Sylfaën, pour faire connaissance avec de grands orfèvres dans la sculpture sur bois et plus particulièrement celle d'instruments de musique.
La technologie était devenue un passe-temps plus qu'une philosophie. Kidd avait abandonné cette pratique de transformation et de bricolage. Le fait d'être technophile était plus complexe que cela et la personne qu'on nommait "Edward Kidd" ou plus communément "Le Kidd" s'était appropriée plusieurs rôles au sein de l'équipage du Kalevala, à savoir celui d'"ingénieur" après celui de "navigateur" et pour finir celui de "second".
De nombreux pirates auraient aimé être à sa place pour bénéficier d'un tel prestige, mais tout ceci s'était fait selon un concours de circonstances. De plus, rien de tout ceci ne l'intéressait réellement, car seule la liberté importait et Kidd espérait que cette hiérarchie ne fasse pas défaut à ses désirs. Sinon, autant pourrir dans les caveaux désastreux des vampires de Spelunca et s'exhiber comme un paon à la cour de l'orgueil d'un autre prétendu seigneur vampire. Château Rouge ? Quel manque de goût pour dénommer une ruine encastrée dans les sombres grottes du massif montagneux thériantro-vampirique.
Non, très peu pour Kidd et tous ces changements étaient l'occasion de faire le point avec le maître des mers et océans, un titre obtenu parce que la cupidité de l'orc était plus forte que celle des autres pirates à une époque cruciale sur le plan politique. L'ambition déguisée derrière l'appât du gain avait transformé le Kalevala en figure de proue de la piraterie lui offrant le soutien de nombreux équipages. Néanmoins, Kidd lui respecta une décision celle de s'être émancipé des griffes de la Congrégation de l'Ombre, un ramassis de traîne-savates énorgueillis par un passé révolu et quelques escarmouches bien menées, des adorateurs du chaos pour leur propre ascension. En quoi étaient-ils différents du monde politique continental ?


Le matelot d'eau douce semblait un peu décontenancé par l'altercation ou plutôt par la personne qui l'avait hélé. Il regarda l'individu de bas en haut en ouvrant la bouche comme un poisson rouge et détailla le jeune garçon ou du moins celui qu'il avait pris pour un jeune garçon : de hautes bottes sombres montantes avec des sangles et des motifs travaillés, attrapant les genoux d'un pantalon plus sombre encore aux reflets marrons qui lui tenait sa taille rectiligne sans forme au niveau d'un large ceinturon de plusieurs bandes de cuir où s'encastraient bourses, petites boîtes, couteaux et un large étui d'un raffinement elfique où le jeunot cachait son instrument à vent.
Il portait une légère chemise en lin, légèrement bouffante sur les bras, rentrée dans une ceinture et ouverte en v sur la poitrine. Si le Kidd avait eu une poitrine, on lui aurait découvert un décolleté plongeant. Ce haut était protégé par un large manteau en cuir renforcé et pourtant plutôt fin sur les hanches, les épaules et la nuque. Le vêtement se déposait sur son corps d'une manière droite comme si aucun froissement ne pouvait le perturber.
Enfin, un bandeau avec des motifs de fumée tenait la frange et les cheveux mi-longs aux reflets cuivrés du pirate mettant alors son visage rayonnant et pâle en avant. Curieusement, ses traits étaient fins et doux ou plutôt féminins ; le jeunot avait pourtant la vingtaine, mais on ne lui reconnaissait pas ou plus une sculpture de jeune homme. Tout son visage était détendu comme s'il avait longtemps adopté une expression grave. Néanmoins, son portrait n'était pas marqué par ces vieilles habitudes.
L'employé du port baissa rapidement les yeux, trop embarrassé par cette noblesse, bien que son interlocuteur ne soit pas issu d'une certaine lignée, il contrastait beaucoup trop avec sa propre personne dans ses fripes.



Kidd claqua la langue d'agacement et lui affubla un regard assassin que le matelot ne vit pas puisqu'il se refusait à regarder son visage.




Au moins, le matelot n'avait pas osé mentir ou raconter quelques bêtises pour se débarrasser du membre d'équipage du Kalevala, mais Kidd l'avait entendu détaller dans son dos, peut-être pour se plonger dans la mangeoire d'une écurie et se changer les idées. Un vrai marin d'eau douce et même d'eau croupie.
Aucune importance pour ce curieux individu que l'on désignait comme "second du Kalevala" puisque le navire de Charlotte Roseline était en vue et avec lui les projets du Kidd à savoir un petit séjour à Wystéria et le retour dans les quartiers de l'Ombre des Côtes pour discuter avec ce cher capitaine de la suite de l'aventure pour Kidd.
Le second de l'Ombre des Côtes remarqua qu'on s'affairait sur le bâtiment, notamment une fois que la vigie, qui semblait plutôt de petite taille, avait aperçu la cible de l'équipage. Celle-ci soupira en imaginant les ronds de jambes inutiles auxquelles elle devrait faire face une fois à bord. Au moins, ses qualités de musique pourraient lui porter secours.



La capitaine rousse se présenta avec sa fille et accueillit avec un certain intérêt le "gratin" de l'équipage du Kalevala. Kidd se sentit un peu mal à l'aise, mais ne laissa rien paraître, enfouissant ses sentiments sans intérêt en son for intérieur comme ça avait toujours été le cas depuis de très nombreuses décennies. Une longue vie et pourtant une apparence très jeune ; le lot des vampires infectés à l'adolescence. Or Kidd était... Pas vraiment comme les autres vampires et sa nature était soigneusement cachée par quelques prodiges psychologiques et physiques ; si on souhaite rétracter ses rapières servant de canines, il faut de la volonté et beaucoup, non, énormément d'essais et d'entraînement pour y parvenir. C'était le cas pour Kidd.


À entendre sa douce voix mélodieuse et féminine, on se doutait que le jeunot aimât chanter et envouter par la voix. Mais aucun ne se serait douté qu'il s'adonnerait bientôt à sa première prestation officielle et professionnelle, si on pouvait le dire ainsi. Kidd n'avait pas l'intention de récupérer quelques pièces lors de la soirée à venir, mais on s'attendrait de sa part à une performance digne d'un véritable musicien.


Kidd ne souhaitait pas qu'il y ait un traitement particulier à son égard parce que sa position au sein de l'armada du Kalevala était, malheureusement, à un niveau élevé. On pouvait voir une jeune personne, ou plutôt un jeune garçon sorti d'un lieu de culte quelconque. Tant mieux, pour l'instant et tant que son intégrité ne serait pas sûre, ce serait ainsi qu'on devrait voir "Edward Kidd", l'ancien technophile et ingénieur de l'équipage du Kalevala. La vérité serait pour plus tard.

Kidd avait suivi la capitaine du Ruby sans broncher en la laissant lui faire la visite de ses quartiers qui l'accueilleraient le temps de leur périple. Une certaine gêne s'était installée depuis son arrivée sur le bâtiment de la Capitaine Roseline et ça ne s'était pas amélioré alors que son équipage lui offrait des honneurs qu'on réservait à des nobliaux et que leur chef lui offrait une suite trop riche à son goût. Mais comment refuser sans provoquer d'incident diplomatique ?


Pour donner plus d'effet à ses paroles, le jeunot aurait pu tourner les talons et s'en aller où ses pas auraient pu le mener, que ce soit sur le pont ou dans les cales, qu'importe. Mais agir de telle sorte aurait été un trop grand affront à la Charlotte et, malgré tout, ce n'était nullement dans les intentions du Kidd de se mettre à dos le Ruby, surtout que des conversations très intéressantes auraient pu être menées avec la Capitaine et sa fille.


Depuis son départ de son foyer terrestre, Kidd n'avait jamais dormi dans un espace personnel que ce soit sur terre, dans une auberge, ou sur les flots. Même avec sa position au sein de l'Ombre des Côtes, l'ancien navigateur s'était toujours trouvé une couche avec l'équipage ou dans un endroit qui, apparemment, ne convenait pas à un niveau hiérarchique comme le sien. Or Kidd ne l'avait pas choisie cette position.


Kidd croisa les bras et plongea son regard enjôleur dans celui de la Capitaine du Ruby. Un léger sourire narquois se dessina sur ses lèvres. Kidd n'avait aucune intention de faire plier la Charlotte sous son charme, de toute manière ses expériences avaient été trop peu nombreuses ces dernières années et elles s'étaient adressées à des esprits aussi faibles que celui d'un chien, alors il n'y avait aucune chance que son numéro de séduction prenne contre l'humaine que l'on disait maudite. Et puis, Kidd n'avait pas besoin de convaincre son hôte à quoi que ce soit ; si elle refusait ses habitudes, elle devrait s'attendre à voir le jeunot plier bagages.

La Charlotte tenta de refréner tant bien que mal son irritation suite aux paroles de son invité. Ce dernier lui avait dit, d'une manière un peu cachée, que ses efforts étaient inutiles et qu'il se moquait de ses décisions. Quel capitaine, qu'il soit un homme ou une femme, accepterait de telles remontrances d'un blanc-bec comme Edward Kidd, qu'il soit haut placé dans la hiérarchie de l'armada du Kalevala ou pas. La capitaine du Ruby le prit comme un affront et se débarrassa de cet énergumène d'un geste et de paroles agacés.


Kidd tourna les talons en les faisant claquer sur le sol, d'un ton presque impertinent, mais son sang chaud prenait un malin plaisir à nourrir l'animosité de ces échanges, non pas que ce "jeunot" souhaitait se mettre à dos la belle rouquine technophile, mais simplement parce qu'il n'y avait que de cette manière que la glace se briserait entre eux et qu'ils pourraient partir, peut-être, sur de saines bases et non pas un stupide rapport de force liée à une stupide répartition d'une stupide hiérarchie.


Au moins de cette manière, Charlotte saurait un peu mieux à qui elle avait affaire. Kidd ne refuserait pas une invitation à discuter plus amplement, à moins qu'on ne lui impose des bienséances dignes des "grands" de ces mêmes organisations que Kidd abhorrait.


Kidd fit claquer son talon sur le sol en bois de la cabine "royale" et rejoignit le pont sans se préoccuper des paroles ni des différends de la capitaine du Ruby. Leur relation s'arrêterait peut-être sur ces entrefaites, mais Kidd aurait la conscience tranquille et une raison de plus de s'expliquer avec ce cher grand capitaine des pirates. Ses principes n'entraient pas toujours en harmonie avec ceux de la faction pirate, mais au moins ses camarades partageaient ses désirs de liberté et d'anarchie, en quelque sorte. Tant qu'on ne lui imposait pas ce qui allait contre ses mœurs.
Le pont fila à toute vitesse sous les yeux acérés du vampire tandis qu'il recherchait la jeune fille de la Roseline régente. Sur le plan physique, elle avait le même âge que le jeunot et la même incrédulité, au premier abord en tout cas. Depuis que les traits du Kidd s'étaient adoucis et efféminés, à ne plus se donner un genre de gaillard, elle lui ressemblait un peu. En fait, elle lui ressemblait même un peu plus derrière le déguisement que continuait à porter Kidd entre la bruie de ses cheveux et son fond de teint. Mais l'heure n'était pas encore venue pour Kidd de se montrer sous son vrai jour ; la belle Hélène, rouquine, elle aussi, d'ailleurs, avait aperçu sa vraie nature, plus que tous les autres, mais elle avait réussi à installer un environnement de confiance où Kidd avait pu être à l'aise.


Kidd respira un bon coup et s'annonça la Lucie en répétant mot pour mot ce que sa mère lui avait demandé de transmettre. La fillette semblait croire à une blague, mais Kidd ne la lâcha pas des yeux un seul instant comme si son regard pénétrait le sien. Ce ne devait pas être une sensation agréable, mais la jeune fille avait plus de répondant que n'importe quel traîne-savate et ne se laisserait pas dérouter pas un faible pouvoir vampirique endormi. De toute manière, Kidd n'avait aucune intention de la mettre mal à l'aise et encore moins de lui chercher des noises. Son seul objectif en cet instant était de lui prouver que cette situation était plus que sérieuse et que le jeunot était à la disposition de l'équipage, même en tant que mousse.

Très différente de sa mère, Lucie Roseline semblait partager la gêne éprouvée à son arrivée sur le fait que tout le monde voulait traiter Kidd comme un grand seigneur de Stellaraë alors que son seul désir était de naviguer en compagnie d'un autre équipage en particulier celui du Ruby, composé de nombreuses femmes, comme le lui confirma la seconde en lui sommant de tenir en laisse ses pulsions. Le jeunot en apparence ne réagit pas ne se sentant pas du tout concerné par ces vices abjects. Certaines rumeurs couraient que les pirates prenaient plaisir à faire des femmes leur jouet sexuel, mais ces actes répugnants ne furent pas exercés dans l'entourage du Kidd jusqu'à présent. Nul doute, que les boules de ce dégénéré finiraient au fond des océans à servir de jeu pour les peuples des mondes sous-marins. Kidd aurait eu un grand ravissement à orchestrer pareille punition.


Kidd passa sous silence les meurtres sauvages perpétrés pendant que sa nature vampirique reprenait le dessus. Ces moments-là devaient être oubliés, mais Kidd n'avouait absolument aucun remord, surtout sachant les efforts considérables mis en place pour bien paraître dans ces sociétés. Contrairement à ses confrères et consœurs, la suprématie vampirique sonnait à ses oreilles comme l'une des pires aberrations ; même les stryges noirs ou les nagas, réputés pour être des individus difficiles en société, ne partageaient pas ce point de vue, exception faite pour les fanatiques. La cohabitation était possible selon Kidd comme le fait d'accepter sans crainte des femmes à bord de n'importe quel équipage.


Les ordres seraient les ordres et de toute manière, Charlotte avait été informée qu'en cas de besoin, ce qui servait de latrines serait astiqué comme dans un palace si on le demandait au Kidd. Alors qu'importait ce que pouvait dire la jeune fille de la Capitaine, le "nouveau mousse" mettrait cœur et âme à l'ouvrage. Néanmoins, Kidd éprouvait une profonde impatience pour faire connaissance avec l'équipage et notamment avec la jeune Roseline qui lui semblait bien plus abordable que n'importe quel loup des mers de ce navire. S'il lui était permis de pouvoir compter sur elle dans son cercle privé, c'était là une occasion à ne pas rater et à ne surtout pas saborder.

Kidd ne fit pas attendre Therys plus longtemps et adressa ses hommages à la jeune Lucie. Si ce qu'elle craignait se révélait exact, ce serait un sacré coup de canon porté par l'Ombre des Côtes envers les ennuis du Ruby, ce qui ne serait pas pour plaire à la capitaine. Kidd se moquait complètement des affaires politiques qu'elles soient sur le continent ou sur les flots ; seule la liberté était chère à son cœur et il n'y aurait absolument aucune hésitation à faire payer à ceux qui oseraient s'y opposer. Néanmoins, la situation pourrait s'avérer coquasse.




Therys s'attelait à sa tâche de charpentier, même s'il s'était interrompu en entendant quelqu'un parler et venir à lui. Il avait l'air un peu trop sur ses gardes pour un simple matelot, mais peut-être était-ce compréhensible envers les divers truands d'Ishtar qui embarquaient sur le premier bâtiment venu. Chacun avait un passé trouble et souhaitait le cacher aux autres. Peut-être même que quelques-uns s'étriperaient s'ils connaissaient les histoires de chacun : une vengeance familiale "oubliée", une affaire d'argent, simplement le plaisir d'ouvrir un autre de haut en bas. Bref, les raisons, certes idiotes, ne manquaient pas pour transformer une fragile paix en chaos démentiel.








Kidd récurait déjà les coins avec toute la délicatesse dont ses différents équipages avaient été habitués, en même temps ce devait l'un des rares pirates à être aussi sérieux dans les tâches ménagères et surtout à y prendre plaisir. Même si un certain plan germait dans son esprit, Kidd ne pouvait pas se permettre de renoncer à son code de l'honneur, bien qu'il puisse appartenir à une faction pointée du doigt comme hargneuse et perfide.



Kidd usa de son regard charmeur et coquin pour embrigader l'étalon des mers dans la direction désirée de son plan. Il y avait là une magnifique carte à jouer et l'abyssal aurait été idiot de ne pas profiter des tensions entre les deux équipages pour faire porter le chapeau au mousse du Kalevala, ou alors beaucoup trop méfiant au grand dam du Kidd. Raison pour laquelle la créature vampirique devait sortir le grand jeu tout en étant prudente ; Kidd ne savait pas trop comment réagir face à un abyssal ni comment il pourrait être affecté à ses pouvoirs.






Quelque peu éberlué, le charpentier hésita quelques secondes avant de remonter sur le pont pour prendre ses nouveaux ordres. Bien sûr, il serait accueilli par des protestations et on lui demanderait, poliment, ce qu'il osait trafiquer hors de son poste alors qu'on lui avait ordonné de s'occuper de la charpente la plus profonde de la coque. Avec un peu de chance, on se méfierait du Kidd, ce qui aiderait les détracteurs de la Charlotte à faire passer le futur mauvais coup sur les épaules du p'tiot de l'Ombre des Côtes. Si la technique ne prenait pas, alors Kidd serait peut-être soustrait à l'épreuve de la planche.

Therys revint plus tôt que prévu, mais il avait dû être arrêté par un gradé sur le chemin, l'empêchant d'aller plus loin dans sa mésaventure. Si on lui avait assuré que la Charlotte n'avait jamais demandé à le voir, l'abyssal éprouverait quelques griefs envers le jeunot pour l'avoir envoyé dans un piège potentiellement mortel ; Kidd ne doutait pas que la capitaine aurait eu aucun mal à envoyer l'homme poisson par le fond s'il avait osé venir la déranger. En revenant, Therys n'adressa aucun mot à l'invité de l'équipage du Kalevala, mais lui jeta des regards furtifs en coin, pensant que Kidd ne le remarquait pas, trop occupé à nettoyer les derniers recoins de la cale. Comme à son habitude, ça avait été une partie de plaisir et un jeu d'enfant de s'occuper du ménage et, bien entendu, en un temps record. Kidd brisa donc le silence et s'empêcha de s'empresser de jouer trop de cartes sur la table ; il avait pu observer le "travail" du menuisier et soit il n'était pas très bon, soit il avait encore beaucoup de travail à faire pour réparer la coque. Le plus étrange était que les besoins en réparation se situaient en un lieu très précis, cet endroit même où l'abyssal aimait passer le plus de temps.




Un plan germait dans la tête de l'humanoïde aquatique et Kidd voyait exactement les pièces s'avancer contre lui. Son petit amusement prenait une direction qui le mettait en très mauvaise posture et il devait absolument empêcher le dénommé Therys de songer à faire porter le chapeau au Kidd des usures non naturelles du fond de la cale, sinon le traître resterait tranquillement dans les couches de l'équipage et le vampire devrait rejoindre le navire amiral à la nage.



Les explications du Kidd interrompirent les pensées de l'abyssal qui tenta de comprendre le bourbier dans lequel il se trouvait. De toute évidence, Therys avait retrouvé Lucie et il semblerait qu'elle ait joué le jeu du Kidd. Le fait que la version presque alambiquée du jeunot rejoigne la vérité, par un joli coup du sort, inspira le doute dans la tête de l'abyssal qui ne comprenait pas vraiment ce qu'il se tramait. Il était peut-être en danger et il avait besoin d'un peu de temps de réflexion pour trouver une solution favorable à sa situation. Hélas, on demanda de toute urgence le rassemblement de l'équipage et les pensées de l'abyssal furent de nouveau pressées sans lui donner l'occasion de les mettre à son avantage.

La troupe de la Charlotte se mit en rang d'oignon de pirates, ce qui signifiait autant ordonnés que désordonnés, et chacun attendit patiemment, mais avec une pointe de trac, le pourquoi du comment surtout lorsque leur capitaine émergea de ses quartiers d'un pas pressé et fort peu enjoué. Kidd avait pris soin de se coller à Therys et lui avait passé une main aux fesses pour l'embarrasser et lui ôter toute stratégie de la tête.



Kidd sentit l'abyssal déglutir, mal à l'aise de la situation avec la Roseline et avec le Kidd ; il se sentait pris entre deux feux sans avoir la possibilité de réduire les étincelles. Le discours de la capitaine ne l'aida pas, mais à l'annonce de la deuxième chute, il sentit une opportunité se présenter à lui. Le jeunot rit jaune, mais ne se démonta pas pour autant et attrapa la taille de l'abyssal pour le faire avancer avec lui vers ce qui pourrait se présenter à eux comme le corps d'exécution. Les autres membres d'équipage s'éloignèrent, mais demeurèrent vigilants, ne comprenant pas vraiment l'attitude du jeunot. Puisqu'il n'était pas vindicatif ni trop hâtif, on le laissa mener sa barque -c'est-à-dire Therys- jusqu'à leur chère Capitaine. L'abyssal bégaya, mais Kidd lui siffla un menaçant « Silence ! » lui imposant de tenir sa langue, ses pouvoirs vampiriques l'aidant à obtenir cette courte obéissance.



Les mousses se regardèrent circonspects ne comprenant pas un broc de ce qui venait de sortir de la bouche de leur invité de marque. L'abyssal, quant à lui, demeurait presque sous l'emprise de son prédateur par le toucher, par les petits regards et sourires en coin et par le rappel d'un doux sobriquet qui cognait dans sa tête comme une preuve d'affection, mais surtout d'appartenance. Son don de télépathie le rendait moins sensible, mais le doute et la peur s'étaient trop insinués en lui pour lui offrir une protection efficace contre les pouvoirs vampiriques du jeunot. Kidd désirait seulement rendre le petit Therys moins loquace, car si la situation se prêtait à la parole de l'abyssal contre celle du navigateur du Kalevala, la Charlotte n'aurait aucun scrupule à les trucider tous les deux sans se prendre la tête.




Kidd se trouvait être plus que rigoureux sur l'entretien et le ménage, raison pour laquelle il ne supportait pas que quelqu'un d'autre que lui puisse s'occuper de ces tâches-là. Si on osait entreprendre un nettoyage et que le résultat n'était pas parfait (selon ses critères qui plus est), le responsable du massacre aurait été lui-même témoin d'un massacre porté sur sa propre-personne. Quelques incapables de l'Ombre des Côtes avaient disparu de cette cause et personne n'était assez suicidaire pour y faire écho ; on ignorait simplement la disparition comme si la victime n'avait jamais existé. Ainsi, le fait d'évoquer un mauvais entretien avait froissé le Kidd, même s'il avait lui-même abordé ce sujet, et lui avait fait lâcher la faible emprise psychique que le vampire avait sur l'abyssal. Mais c'était peut-être mieux ainsi ; Therys s'embourberait peut-être dans un semblant de défense et d'accusations.

Un soupçon de complaisance caressa Kidd alors que la matriarche du Ruby mit un terme au petit jeu enfantin auquel se livraient les deux accusés en inculpant l'abyssal sans preuve, mais avec une force de caractère qui imposa le respect. Thérys s'embourba, comme l'avait espéré et suspecté l'hôte de l'Ombre des Côtes, et trahit sa culpabilité sans laisser à quiconque le temps de dire « ahoy ». Le jeunot leva les yeux au ciel, presque déçu, et attendit la suite des événements se demanda ce que lui réservait la Charlotte, qui semblait au courant d'un de ses petits secrets.

Contre toute attente, la capitaine en avait "terminé" avec le visiteur de l'équipage principal de la faction pirate et se contenta de rompre les rangs et de sommer l'aide de l'ancien technophile pour les réparations, dans l'instant, et sa présence au dernier repas du condamné. Charlotte avait beau le trouver excentrique, le Kidd la trouvait insolite à sa manière, elle aussi. Les joueurs de Dùrapall - un sport bien moins répandu que le Dùraball car se jouant exclusivement à la paume - tiendrait le dicton suivant : « un partout, balle au centre ». Kidd haussa les épaules, intérieurement, adressa un regard complice avec la jeune fille de la matrone et suivit cette dernière là où Thérys avait fomenté son sabotage. Kidd préférait parler de "travail de sagouin", plutôt que de "sabotage", mettant alors fortement en doute la capacité de Thérys à vraiment pouvoir porter atteinte au fier bâtiment des "Mères maudites".

Là en bas, la Charlotte testa les compétences de son invité en lui demandant son avis sur l'état actuel de ladite coque, soi-disant abîmée par l'abyssal incapable et pas du tout fiable, pour ne pas dire "débile".



Plusieurs technophiles auraient pu douter de cette affirmation, car le respirateur de la Capitaine était d'une qualité fort modeste, contrairement à celui que portait le Kidd et qui avait été doté de nombreuses améliorations technophiliques. Le navigateur de l'Ombre des Côtes avait fait de même sur les respirateurs de plusieurs membres d'équipage du cercle privilégié du Kalevala. Ce dernier avait même une pièce unique. L'un des atouts de ses respirateurs portait sur la voix, supprimant les bruits parasites et la déformation, des caractéristiques qui pourraient être utiles pour une personne usant de la voix pour manipuler autrui. Une personne comme Kidd, bien que ses compétences en la matière ne soient pas des plus impressionnantes.

Quoi qu'il puisse en être, à ces détracteurs, Kidd leur répondrait tout simplement qu'un équipage n'a pas besoin des équipements sous-marins les plus sophistiqués si le navire n'a qu'une infime probabilité de s'immerger, de quelque moyen que ce soit : récif, éperonnage, sabotage... Pourquoi Charlotte s'embêterait à fournir des respirateurs haut de gamme à toute sa clique s'il lui est possible de faire bien mieux en rendant son bâtiment aussi insubmersible que possible ? Les "grands" penseurs de Stellaraë tiendrait le dicton suivant : « vous avez quatre heures », une citation que Kidd ne comprenait pas cela dit, mais c'était sans importance.

Soudain, une secousse interrompit l'interrogatoire du jeunot et un tapage retentit sur le pont. Une attaque venait de toucher le Ruby ce qui ne satisfit pas la matriarche, bien qu'elle semblât s'y attendre. Sans crier gare, Charlotte fit claquer ses talons sur la cale et prit part au combat contre quelques créatures maritimes, en l'occurrence un kelpi et un couple de requin à l'allure monstrueuse rappelant quelques individus sauvages chez les abyssaux. Thérys ne devait pas être étranger à cette petite fête improvisée.

Kidd plongea dans l'eau, après s'être rendu compte que son style de combat avait particulièrement changé depuis ses dernières altercations musclées, notamment dans l'eau. Il lui faudrait être bien meilleur virtuose pour faire vibrer sa musique sous l'eau, mais il ne se découragea pas et s'empara quand même de sa flûte aussi brillante qu'un coquillage nacré. Après tout, s'il ne tentait rien, il n'arriverait à rien. La tâche s'avéra plus ardue que prévu lorsque le jeunot découvrit le conflit entre la nature de son instrument et le respirateur qui bloquait sa bouche. Il fit claquer sa langue de mécontentement et se maudit d'avoir été si peu éclairé. Il aurait eu meilleure place chez les comiques plutôt que chez les bardes et ménestrels.

Ne se laissant pas abattre, le musicien retira son respirateur le temps d'insuffler un premier souffle mélodieux dans le tuba de son instrument à vent. Il puisa dans ses pouvoirs vampiriques pour émettre quelques notes de fortune et espérer atteindre ses cibles, au moins par quelques vibrations, même faibles. Ce serait déjà une première tentative et advienne que pourra ! Malgré tout, le résultat de son "attaque", si on pouvait qualifier cette intervention de cette manière, semblait surtout avoir ramené quelques indésirables rappelant étrangement des citrouilles. Il y avait vraiment des espèces étranges dans ce monde...

Pour une attaque désastreusement expérimentale, Kidd s'en était pas trop mal sorti et avait senti que les ondes musicales mêlées à ses pouvoirs vampiriques avaient eu une emprise sur les créatures aquatiques qui avaient tenté d'aborder le Ruby, sans trop d'espoir. Cette attaque était fort étrange et cachait sûrement une raison plus que logique que les pirates devraient découvrir s'ils ne voulaient pas réitérer l'expérience. Un mauvais courant marin ? Une panique provoquée par les stupides skarniens des mers ? Un appel de conque ? Tout pouvait être possible, mais seuls certains scénarios n'avaient leur place dans cette curieuse intrusion. Néanmoins, ce serait sûrement à des individus mieux lotis dans leurs basques qu'on le leur confierait la résolution de ce casse-tête et les pirouettes du Kidd ne plaidaient pas en sa faveur pour le qualifier de "personne intelligente" ni de "personne pas trop bête".

Les curieux sons de son instrument à vent, étouffés par l'eau, mais alimentés par quelque capacité "magique", si l'on pouvait présenter les choses de cette manière, en ces instants tout du moins, s'étaient aussi glissés dans la gorge du nouveau virtuose, comme pour l'encourager à recommencer avec une attaque encore plus assourdissante pour ses adversaires. Si l'homme requin "à tout faire" de l'équipage de la matriarche avait royalement mis le kelpi hors d'état de nuire, le requin abyssal -la créature les ayant attaqué et non la "créature" pensante accompagnant la Capitaine Roseline, une précision primordiale pour ne pas être jeté·e avec un boulet au pied, un vrai boulet, pas Thérys, pour rejoindre les vingt mille lieues sous la mer maudite et sous la mère maudite aussi- avait choppé la jambe du jeunot cherchant à l'envoyer par le fond. Décidément, tout le monde pensait à la même chose concernant le malheureux sort de l'ancien technophile de l'Ombre des Côtes.

Fort heureusement, le vrai bon requin abyssal -nul besoin de recommencer des explications complexes- vint à l'aide de l'hôte du Ruby et montra à l'ennemi des pirates qui pouvait véritablement prétendre au titre de "requin abyssal". Kidd laissa les deux squales roucouler, à leur manière dirons-nous, et jeta son regard sur les espèces de cnidaires orangés aux tentacules verts ornés d'un motif fort étrange sur la tête rappelant presque un sourire machiavélique. L'une de ces bestioles s'approcha trop près de ce qui semblait être le système de défense immergé du Ruby, ou alors d'une attaque bien placée de sa capitaine, et termina sa vie éphémère en ce drôle d'instant. Deux de ses copines (ou copains) se retrouvèrent très vite dans la mêlée donnant alors l'occasion au vampire de prendre ses marques avec son instrument et ses capacités raciales -et quelque peu damnées- pour retenter l'expérience musicale, toujours quelques brasses en dessous du niveau de la mer. L'expérience n'aurait pas été aussi folle ni amusante dans le cas contraire...

Cette première expérience musicale en combat réel avait été plus prometteuse que prévu ; Kidd s'était attendu à se ridiculiser en public et enrager les créatures abyssales plutôt que de les mettre au tapis, mais ses craintes -en espérant que ce soient vraiment des craintes- ne furent pas fondées et on acclama les deux loups des mers, Kerol et Kidd comme des héros, idiots, mais héros quand même. Au moins, on ne les appelait pas la folle équipe de "KK", ça aurait été un sobriquet à la fois élégant et non élégant, mais particulièrement salissant pour eux deux.

La Charlotte ramena l'équipage à la réalité de la navigation et s'entretint une nouvelle fois avec son hôte. Kidd aurait pu avoir quelques appréhensions, mais son état d'esprit n'avait toujours pas changer : la matriarche pouvait en disposer comme elle l'entendait. Ainsi, si la place de Kidd était dans une cellule à côté de Therys, le traître, l'ancien navigateur de l'Ombre des Côtes n'opposerait pas la moindre résistance.
Quoiqu'il puisse en être, Kidd ne s'était pas attendu à ce que la grande capitaine du Ruby ne lui attrape le bras avec le sien pour marcher un peu sur le pont comme l'auraient fait deux nobles en pleine promenade avec un soupçon de complot. Kidd n'était pas très à l'aise, son antipathie pour la noblesse y était aussi pour quelque chose. La grande Roseline lui partagea ses soupçons quant à la nature abyssale du prisonnier trouvant ainsi cet enchaînement particulièrement louche. Kidd ne pouvait que soutenir son hypothèse qui était sûrement très proche de la vérité.


Kidd retira doucement son bras de l'emprise de Charlotte et chercha rapidement des yeux la jeune Lucie au cas où elle lui adresserait un avertissement ou autre d'un regard ou d'un clin d'œil. Mais sa recherche fut de courte durée pour éviter de rendre la matriarche soupçonneuse à son égard et Kidd se mit en direction de la cale aux prisonniers.


L'hôte du Ruby attendit un instant un signe de son hôte, mais elle semblait l'inviter à mener la marche jusqu'au prisonnier poisseux. Kidd s'engagea alors en tête de file et n'eut presque pas de souci à rejoindre les cellules pour y trouver-là un spectacle funeste qui n'était pas à leur goût : Therys était mort par le fait de ses propres chaînes. L'incarcération lui avait été fatale.


Le virtuose se poussa un peu pour que la capitaine du Ruby ait une meilleure vision de la scène, non pas qu'elle devait particulièrement y tenir, mais elle avait sûrement besoin du plus d'informations possibles pour comprendre précisément ce qu'il s'était passé par ici. Kidd siffla l'une de ses observations entre ses dents de telle sorte que seule la matriarche ne l'entende. À vrai dire, seule elle pouvait même s'apercevoir que Kidd tentait une certaine communication.


Selon Kidd, et bien que son expertise envers la race des abyssaux ne soit pas la plus juste qui soit, Therys était mort avant la fin de la bataille sous-marine. Avait-il donné son dernier souffle avant ou après le début des problèmes, ça Kidd ne pouvait pas dire.