Corbeau et Mowgl'ia avait franchi la barrière végétale qui protégeait la frontière de l'institut de magie, et cela faisait maintenant prés d'une heure qu'ils arpentaient paisiblement la forêt. Saisissant l'occasion d'aller faire un truc ensemble sans leurs plus ou moins camarades d'entrainements et de cours, la jeune orc et le garçon avaient saisi l'occasion de rendre service au Père Tungsténe qui cherchait des volontaires pour partir en quête d'éléments de fabrication de potion. Quand les deux amis avaient compris qu'ils s'agissaient en fait de chasse, et d'une occasion d'aller se promener en forêt, ils n'avaient pas hésité une seconde, bravant les regards étonnés de leurs compagnons d'études qui préféraient certainement se colleter avec des livres poussiéreux qu'avec la nature sauvage.

-Ça ne ressemble vraiment pas du tout aux montagnes ou j'ai appris à chasser... Ni à ton désert je suppose ?

Autour des deux chasseurs, les arbres étaient si haut qu'on en voyait pas la cime, et les frondaisons si épaisses que le sous bois à leur niveau était perpétuellement plongé dans la pénombre. Il y régnait une odeur d'humus, ainsi qu'une fraicheur et une humidité tout à fait agréable.

-Enfin, on cherche une sorte de cerf, alors je suppose qu'en forêt ou en plein désert ça revient au même. On entend une riviére par la, je propose qu'on la rejoigne et qu'on suive les berges jusqu'a ce qu'on trouve des traces d'un endroit ou les kyrin vont boire.

-Bizarre qu'on ait pas encore croisé un type de la garde Zéphyr. L'autre jour j'étais au château Maekor, il y en a un qui a surgi littéralement sous mon nez, c'était comme il avait toujours fait parti du décor et qu'il avait décidé d'apparaitre pour me parler. J'ai l'impression que nouveau camouflage en forét les elfes sont plutôt fort. Moi j'ai encore un peu de mal. Je trouve qu'il y a trop de choses, pas assez de visibilité par rapport aux montagnes...

Attendant Mowgl'ia avant de se remettre en marche, Corbeau passe quelques secondes à écouter la futaie, tentant de faire le tri dans les cris, piaillements, bruissements, des centaines d'espéces qui vivent à tous les niveaux de la sylve locale... Mais il y en a tellement. Aprés avoir passé tant de temps avec Popa a identifier instantanément chaque cri d'animal des montagnes noires, c'en est presque rageant de se retrouver ici comme un touristye.

-Et puis il y a vraiment trop de bruits je trouve, trop de bestioles, trop de feuilles et de branches, je suis complétement perdu. Dans les montagnes, a part les bulettes, il n'y avait rien que je ne pouvais pas entendre ou voir arrivé, la j'ai l'impression d'étre aveugle.

Longeant la berge mi herbeuse mi sableuse, mettant parfois les pieds dans l'eau pour contourner un obstacle à terre, les deux chasseurs entreprennent de suivre et de remonter le flot au courant léger, s’arrêtant à chaque fois que des traces dans les buissons ou le sable indiquent un endroit propice ou les animaux s'abreuvent, et y examinant soigneusement les empreintes laissés à la recherche du sabot fendue du kirin.

-Celui la est trop gros, plutôt un cerf, continuons...

-Je ne sais pas trop, je pense qu'on risque de passer la journée dehors jusqu'au soir. Dans l'idéal il faudrait qu'on trouve un endroit ou ils viennent boire, et ensuite on s'y planque jusqu'au crépuscule, c'est la qu'ils viendront. Bon, évidemment si on trouve des traces fraiches on pourra les suivre et ce sera surement plus rapide, mais de ce que j'ai lu, les kirins sont sacrément rapides et agiles, alors je pense qu'on aura plus de chance à l'affut qu'à la course.

Devant l'air mi dépitée mi dubitatif de l'orc, Corbeau se dit qu'il a peut être gaffé, il a de son coté l'habitude des longues journées le ventre vide a courir après un gibier rare et coriace avec la certitude que si on l’attrape on aura rien d'autre que des cailloux à mettre dans la gamelle, mais c'est sur que dans le contexte des cours de la guilde de magie, Mowgl'ia n'avait peut être pas forcément prévu de consacrer autant de temps à la traque.

-Cela dit on peut faire une pause si tu veux ? Je suis passé en cuisine avant de partir, et quand j'ai expliqué que je partais chercher des ingrédients pour maitre Tungsténe, les cuistots sont devenus super sympa et j'ai pu prendre tout ce que je voulais. J'ai des pains à la viande, des fruits, de la bière... On s’arrête la ?

Et de la main Corbeau désigne une petite plage de sable et de caillou nichée dans un creux de la rivière, et qu'une trouée dans le feuillage loin au dessus, éclaire pour le moment d'un joli rayon de soleil.

-Une fois mon père m'a dit "Il y a deux choses qu'il faut toujours faire si tu en as le temps et l'occasion, manger et dormir, parce que tu ne sais jamais quand tu vas devoir te priver de nourriture ou de sommeil" Il arrivait à s'endormir presque sur commande et à se réveiller instantanément au moindre bruit...

Rejoignant la plage, Corbeau descend sur le sable, déposant ses affaires au sol avant de se laisser tomber juste à coté et d'inviter Mowgl'ia à faire de même, puis ouvrant le sac pour en sortir avec précaution les victuailles embarqués en cuisine, qu'il disperse devant lui avant d'inviter l'orc à se servir pendant qu'il commence par s’octroyer une rasade de bigre, une production locale que les cuistots prennent hélas soin de diluer pour éviter les rixes entre étudiants alcoolisés.

-Et puis, il faut bien bien vider le sac pour pouvoir ramener le produit de la chasse non ? Et j'en profiterais rien pour me tremper un peu les pieds dans la foulée. Je crois que mes bottes neuves sont un peu trop serrées... On a qu'a dire qu'on repart dés que le soleil tourne ? Ça nous fait une pause de vingt minutes, les Kirin attendront bien un peu...

-Je pense qu'on peut parler d'un... Concours de circonstances... J'ai l'impression qu'on s'est tous les deux retrouvés à... Disons une croisée des chemins au même moment. Quand mon père est mort, j'ai été recueilli par un type, un Djolfulinn. Tu vois ? Une peau rouge, des cornes, ils vivent dans les sombres montagnes au Nord, bref, il m'a appris à forger et pas mal de trucs, mais pas encore assez pour me sentir chez moi la bas. Alors quand il est mort aussi, je ne me voyais pas vraiment rester et jouer au seul humain du village alors qu'il suffisait de descendre des montagnes pour voir le monde...

Pour Lana, c'est un peu pareil. Tu t'y connais en géant ? En fait il y a plusieurs tribus qui ne s'apprécient pas forcément et qui sont répartis à l'Est et au Nord. Lana est une Agrothoa, mais sa mère était une Johtun qui avait atterri dans la tribu on ne sait pas trop comment. Les Johtun sont plus malin, plus complexe, plus secrets que les autres géants, ils sont craints, respectés, du coup c'est vite devenue une sorte de favorite, mais évidemment, les autres géantes ne l'aimaient pas. Et pour Lana c'était pareil. Tant que sa mère était la, tout le monde la traitait bien et la félicitait pour tout. Et puis un jour sa mère est partie, et sans sa protection c'est vite devenue le vilain petit canard de la tribu...

Corbeau hésite un moment à développer un peu plus les traditions complexes des Agrothoa, plus particuliérement au sujet de la place des femmes et de la façon dont Lana peut considérer les femelles qu'elle croise sur sa route, et puis il décide de garder ça pour une prochaine fois...

-Alors quand je suis venu lui dire que j'allais surement partir, elle a pas réfléchi longtemps avant de décider de me suivre. Au final, on avait pas assez d'attaches la haut pour nous retenir bien longtemps.

Et toi ? Comment tu t'es retrouvé à faire la route avec Mash'ru ?

-Des rêves ? Des tas oui. Regarde autour de nous, de mon coté il y a encore un an c'est tout juste si je comprenais vraiment qu'il y avait quelque chose autour des montagnes de Kanaan, et la, en quelques mois de marche avec Lana, j'ai passé mon temps découvrir à chaque pas des choses que je n'avais jamais imaginé, et je n'ai même pas traversé un quart du continent Duralassien. Alors des rêves j'en ai beaucoup, mais je crois qu'ils changent a chaque fois que je fais une nouvelle découverte...

J'aimerais, j'aimerais... J'aimerais parcourir tout Duralas, tout voir d'un bout à l'autre du continent, des glaciers du nord jusqu'a l'ile mystérieuse de Wysteria. J'aimerais retrouver les traces de mon père, voir d’où il venait, comprendre peut être pourquoi il est parti. J'aimerais comprendre ce que l'on nomme la magie, rencontrer un dragon, trouver des compagnons de route, une famille, j'aimerais devenir riche, connu...

Héhé, il y a vraiment beaucoup de choses en fait, je crois qu'il va falloir que je fasse des choix par ordre de priorité, mais je pense que ça viendra comme ça viendra, il suffit de suivre le vent et tout arrive tout seul...

Tiens regarde !

Corbeau se lève brusquement pour écarter soudain un buisson tout proche, avant d'indiquer une empreinte dissimulée dessous et que sa position couché sur le sable lui a permis d'apercevoir.

-Ce serait pas une empreinte de Kirin ça ?

Prenant soin d'effacer les traces laissés sur la berge maintenant qu'ils se savent entrés sur le territoire d'un ou de plusieurs Kirin, Corbeau entreprend ensuite d'analyser les traces. Se remémorant les innombrables moments ou, avec son pére, il s'est comme aujourd'hui penché sur des traces diffuses entre deux pierres, pour essayer d'y lire les informations indispensables à la chasse.

-Les traces sont plutôt fortement enfoncées, profondes et espacées, et le Kirin a frappé la branche qui est brisée juste la. ça doit vouloir dire qu'il ne s'est pas arrêté pour boire mais qu'il courait dans cette direction, probablement après avoir franchi la rivière. S'il venait boire régulièrement ici il y aurait beaucoup de traces de piétinement. On va devoir continuer par la.  

D'un geste il passe la main sur la tige brisée pour toucher du pouce la sève qui en a coulé.

-Elle est plutôt fraiche, le kirin n'a pas du passer il y a bien longtemps. Enfin, en théorie, mais comme je ne connais pas du tout cette plante, si ça se trouve je me goure complétement.

Corbeau ricane, et se redresse en haussant les épaules avant de désigner la forêt ou ont du disparaitre les traces. Avançant de quelques pas pour désigner une série de traces dans la mousse, ou de petits sabots ont laissés des creux.

-En avant, c'est par la !

En quelques pas Corbeau retourne dans la futaie, avant d’interrompre son mouvement pour se retourner vers la demoiselle.

-Et toi ? A quoi tu rêves ?

-Meilleure qu'hier et moins bonne que demain. C'est déjà un sacré programme en soi, et un but qui peut tout à fait se suffire à soi même.

Écartant avec soin les buissons qui les entourent, examinant la mousse, le pied des arbres, les feuilles tombées au sol, Corbeau finit par trouver la trace prévue par Mowgl'ia. La, sur une racine, une tache encore humide ou traine quelques brins d'herbes mâchouillées. Le crachas d'un Kirin gourmand et friand de petites douceurs forestières ! De la main Corbeau le désigne à Mowgl'ia, puis traçant une ligne imaginaire entre l'orc et l'herbe à ses pieds, et sa propre position à coté du crachat, les deux chasseurs n'ont plus qu'a la prolonger vers la forêt pour avoir une direction approximative dans laquelle poursuivre l'animal.

-Après la mort de mon père, j'ai été recueilli par des Djollfulin. C'est un peuple venu d'un continent disparu, au Nord du Nord de Duralas. Ils ont une philosophie de vie très particulières, ils estiment que le but de chaque être est de s'approcher chaque jour de la perfection dans la vie qu'il a choisi, mais quand on creuse un peu, on s'aperçoit que l'important n'est pas tant d'atteindre réellement cet objectif impossible que d’essayer sincèrement de l'atteindre. Pour eux, le chemin est plus important que la destination.

-Je ne suis pas sur que je puisse dire "mon village" en parlant de la bas. Les Djollfulin sont pas des gens très ouverts avec les étrangers, probablement parce qu'ils se sentent eux même complétement étrangers à Duralas et entourés d'ennemis. Quand j'ai débarqué chez eux après la mort de mon père, je pense que la plupart m'aurait laissé mourir de faim sans hésiter. J'ai toujours pensé que celui qui m'avait recueilli l'avait surtout fait parce que ça lui permettait d'emmerder les anciens en hébergeant un môme humain. Au final j'ai pas eu le droit de passer la porte du village avant quoi... Cinq ans chez eux ? Mais bon, dans l'ensemble c'était nettement mieux que mourir de faim et de froid dans les montagnes.

Quelques pas entre les arbres, toujours attentif à l'environnement forestier, cherchant de nouvelles traces, des mouvements, des crottes ou des plantes boulottés par le kirin qu'ils traquent, avant de revenir soudain à l'idée qui lui a traversé la tête pendant qu'il écoutait le récit de Mowgl'ia, balancée comme lui au beau milieu d'un peuple et d'une culture nouvelle et bizarre et obligée de s'adapter pour survivre.

-C'est amusant quand même, on a un passif vachement proche non ? On a tout les deux vécus au milieu de gens qui n'étaient pas du tout de notre espèce. Je me demande si on est nombreux comme ça à la guilde de magie, c'est peut être un prérequis secret ?

-Avec quelques uns. Mais surtout pour m'apercevoir que nous n'avions pas vraiment assez de points communs pour devenir autre chose que des camarades de classe qui se détestent cordialement. Dans d'autres domaines j'aurais été prêt à parier que l'apprentissage finirait par niveler ce genre de détails, mais j'ai l'impression que l'étude de la magie est un peu différent. Enfin, peut être pas chez les Daemociens cela dit. Mais du coté Kratien ? Quand ta philosophie de vie postule que tu apprends pour n'avoir besoin de personne, quel intérêt de se faire des camarades ?

Curieux d'ailleurs que l'existence de cette partie de la guilde de magie. Surtout maintenant que Corbeau a lu quelques bouquins d'histoire sur Duralas et le père Tungstène. Est ce que la philosophie Kratienne n'est pas précisément une façon de produire de nouveaux comtes de Moch Hollow ?

-En tout cas je ne suis pas certain d'avoir envie de me faire trop de contacts ici. Mais bon, on ne sait jamais. Si ça se trouve je vais vite changer d'avis, mais j'en doute un peu quand même.