Incipit Comedia Dantis Alagherii

Ce voyage en mer aura finalement été plutôt calme, hormis cette attaque de Kelpis ayant bien secoué le navire, faisant au moins le bonheur de Griffure qui avait fait un excellent festin des poissons géants équidés. Pourtant je fus plus qu’heureuse lorsque mes pieds touchèrent de nouveaux la terre ferme, bien que ce fût une étendue de sable fin qui nous accueillit, bordée d'une barrière végétale à l'air impénétrable. Je fis rapidement descendre mon poney qui fut tout aussi content de pouvoir se dégourdir les jambes, galopant autour de moi joyeusement. Saigo nous avait quitté aussitôt que nous avions débarqué (et ce n’était pas pour me déplaire, l'esquivait toute la journée devenait fort pesant.) et ce fût à mes quatre compagnons restant que je m'exclamais :

« Un bout de terre flottant au milieu de la mer, j'imaginais ça beaucoup plus petits et beaucoup moins … déserté, il n'y a personne ici. »

En effet, en voyageant vers l'île de Wysteria, j'avais espéré trouver des réponses à mes questions sur l'origine de ma Brume, l'étrange magie qui se dégageait de moi lorsque je jouais d’un instrument de musique et qui avait fait naître Lune, mon amie brumeuse. Mais si l'endroit était finalement inhabité, je ne risquais pas d'avoir beaucoup de réponses…

Flocon finit son petit exercice et vint marcher à côté de moi, mes chaussures dans une main, je fis le tour de la zone, autant pour me réhabituer au non tangage de la terre que pour espérer sentir l'odeur d’un humanoïde quelconque. Mais l’iode semblait prendre un malin plaisir à brouiller mon odorat et je ne sentis rien d’autre que le sel présent dans l’air. Ma tenue, un chemisier saumoné aux manches bouffantes comme je les appréciais, cintré à la taille d’un corsé blanc brodé de fils roses et turquoises et dont ma jupe ouverte sur le devant et divisée en trois partie laissait voire un pantalon pratique, n’altérerait en rien mes mouvements lors de l’exploration qui nous attendait dans ce nouvel environnement.

Ne voulant pas aller trop loin sans mes compagnons, je fis demi-tour pour les rejoindre attendant avec impatience que tout le monde soient prêts, me demandant si la ville étant sensé se trouver sur l’île existait vraiment et par où aller pour espérer la trouver. Lune s’était allongé de tout son long dans le sable, profitant également de ne plus subir le caprice des vagues, elle appréciait peu le bâtiment flottant et me l’avait bien fait savoir durant tout le voyage. Parfait, alors profitons encore quelques minutes du calme paisible nous entourant. Il me tardait également de manger un plat dont la seule composition n’était pas du poisson.

« Vous pensez qu’elle est par où la ville ? Je me demande bien ce qu’on peut trouver à manger ici … »

Mes mots dépassèrent mes pensées et je brisais finalement le calme ponctué par le rythme des vagues tentant de mordre le sable inlassablement. Ce comportement de l’eau eu raison de mon attention et d’un pas curieux, je m’avançais jusqu’aux limites que la mer n’arrivait pas à dépasser. Avant notre départ, je n’avais pas pu observer ce phénomène, qui n’avait pas lieu dans le port, les constructions humaines faisant barrière à l’océan.

Mais ici, il était bien présent et s’étendait aussi loin que mes yeux pouvaient voir la plage. Du bout d’un orteil, je dépassais la limite me séparant de l’eau, elle était fraîche et ne mordait pas du tout alors je m’avançais franchement et enfonçais mes pieds dans le sable mouillé, non sans tenter en vain de retenir un éclat de rire lorsque les vagues me chatouillaient les chevilles. Lune m’avait rejointe aussi curieuse que moi par ce nouveau jeu et comme une enfant, je lançais émerveiller me retournant vers le petit groupe resté sur la plage.

« Vous devriez essayer, la mer ne mord pas du tout en fait ! C’est plutôt amusant. »

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L’elfe noir ne mit pas longtemps à me rejoindre, semblant tout aussi admiratif que moi devant l’étendue d’eau grignotant inlassablement le sable doré. Je crus même apercevoir un sourire sous son écharpe éternellement remonté sur son nez, ce qui changeait de son sérieux habituel. Avec de l’entraînement, on pouvait deviner les traits du visage de quelqu’un simplement en regardant ses yeux, une capacité que je développais à force de côtoyer Azriel. Penser au vampire me fis penser au cirque, bien que n’étant pas partie depuis très longtemps ; la traversée avait duré deux jours tout au plus ; je me demandais, comme à chacun de mes voyages, comment se déroulait la vie sous le grand chapiteau. Je n’avais pas de Mi messager pouvant voyager afin de me tenir au courant. Mon regard se posa alors sur Lune, notre lien ne nous permettait pas de nous éloigner de plus de dix mètres l’une de l’autre, alors de l’autre côté de la mer …

La louve était d’ailleurs trop occupée à sauter dans l’eau pour prendre part à mes réflexions, je remarquais alors que la Brume avait une drôle de réaction au contact de la mer, s’étendant à la surface sans vraiment fusionner avec. Mes réflexions furent cependant interrompues par un raz-de-marée provoqué par la petite Aleynia, heureusement que j’avais pensé à poser mon étui à violon sur le sable, bien au sec, car l’eau m’éclaboussa jusqu’aux épaules. La petite fille pataugea autour de Lune qui semblait prendre joyeusement part au jeu. Fait étonnant, ça ne lui arrivait jamais d’ordinaire.

J’ignorais pourquoi l’eau pouvait mordre et la question ne me semblait plus vraiment importante. Mon rire avait cependant été communicatif, car j’en entendais des échos sur la berge, on pourrait toujours partir à la recherche de la ville plus tard après tout.

« Attraper un poisson ? » La gamine semblait amusée par mon ignorance de la mer et pêcher dans un si grand espace m’interloquais. Allons-nous tomber sur un des gros poissons qui nous avaient attaqué ? J’eus un mouvement de recul en me rendant compte que ma vue et mon odorat ne parvenaient pas à percer le liquide opaque dans lequel devait évoluer de nombreuses espèces de créatures.

Mais mes yeux brillèrent à la vue des petits poissons qui nageaient tout autour de nous lorsque Aleynia me prit par la main et me montra du doigt la surface translucide dans des « regarde là y’en a pleins ! » enjoués.

« C’est incroyable, y’en a partout ! » Répondis-je en accord avec elle, non sans m’exclamais de quelques éclats de rire.

Mon amie brumeuse plongeait déjà à leurs poursuites quant à moi, je m’enfonçais timidement dans l’eau qui m’arrivait désormais au-dessus des genoux, tenant mes jupes afin d’éviter qu’elles ne soient trop mouillées. Un petit regard en arrière m’indiqua que nous nous étions légèrement éloigné du sol sec et qu’Arthur s’était assis aux côtés de Greil, couvant du regard sa jeune sœur.

Le courant était plutôt fort et capricieux à cette distance et l’émerveillement passé, c’est la crainte qui prit place dans mon esprit. Ne sachant pas nager, la mer n’aurait aucun mal à m’emporter si je venais à tomber dans l’eau et le goût du sel ne m’attirait pas plus que ça. Abandonnant ma contemplation de la faune en dessous de l’eau, je commençais lentement à rebrousser chemin, ayant tout à coup très hâte de retourner sur le sable chaud malgré quelques protestations de la petite fille qui s’amusait vraiment beaucoup.

L’exercice s’avéra plus difficile qu’il n’en avait l’air, les vagues ne semblaient pas vouloir me laisser avancer et je poussais un soupir de soulagement lorsque j’arrivais à la hauteur d’Hellébore, j’en profitais également pour reprendre mon souffle. Lune s’était fondue dans la Brume, se mouvant au-dessus de l’eau en un éclair pour réapparaître devant moi, un tour qu’elle avait appris toute seule en puisant dans mes réserves de magies. Lui flattant le dessus de la tête, ma main fut rapidement enveloppée de Brume fraîche.

« Bien joué, lui dis-je par la pensée, tu contrôles de mieux en mieux tes déplacements. »
Elle acquiesça par le même mode de communication, cet échange fut bref et silencieux et mes yeux étaient fichés dans les siens.

« On est quand même beaucoup mieux ici, » dis-je finalement à haute-voix, heureuse d’avoir simplement mes pieds dans l’eau, me redressant en fixant désormais le mur végétal qui s’étendait par-delà le sable.

Au même moment, je remarquais qu’une silhouette sombrement vêtue s’était approchée de notre groupe lorsqu’elle héla Greil en lui faisant un signe de la main. C’était une jeune femme aux cheveux de feu, dont les goûts vestimentaires contrastaient fortement avec ma tenue colorée. Le vent soufflait dans mon dos, droit vers elle. Mon odorat ne m’était donc encore une fois d’aucune utilité mais, elle ne semblait absolument pas hostile. Ma curiosité sans limite me poussait à approchait, mais je préférais attendre les présentations, lançant un regard à Hellébore, curieuse de savoir ce qu’il en pensait. Quant à Aleynia, elle était venue me rejoindre, me proposant un nouveau jeu marin que je refusais poliment, peu désireuse de retenter l’expérience. Ce n’est qu’au bout d’un certain temps que je me décidais à approcher de la nouvelle venue.

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Mes pieds encore mouillés s’enfoncèrent dans le sable à chacun de mes pas, Aleynia retourna rapidement à côté de son frère, retrouvant sa bouille timide face à une nouvelle tête, me tirant un sourire amusé. La rouquine tout de noir vêtu avait l’air légèrement plus jeune que moi, elle se présenta rapidement et mon visage s’illumina lorsqu’elle évoqua d’où elle venait.

« Moi aussi, je viens des Baldors ! Enfin, pas tout as fait, en réalité, je viens d’un petit village entre les montagnes et la forêt de sapins, mais ça fait longtemps que je n’y suis pas retourné … » J’avais dit cette phrase d’une traite et repris ma respiration accompagnée d’une révérence théâtrale. « Je m’appelle Holy, du Cirque de l’Éclipse. Enchantée de faire ta connaissance, Uma. » Je terminais ma phrase en me redressant avec un large sourire sur les lèvres. Avant de reprendre tout en montrant le navire de Greil, se trouvant plus loin dans la mer, puis la barque à moitié sur le sable fin :

« On vient de mettre pied à terre, et nous allions nous mettre en route vers la ville de Gillaëd, histoire de manger un vrai repas … Sauf que cette île à l’air vraiment grande et qu’on a aucune idée de la direction à prendre. »

Mon ton enjoué naturel et mon amour de la nourriture ne pouvaient pas passer inaperçus, la discussion allait bon train, mais une drôle de mélodie chatouilla mes oreilles sensibles. Je n’y prêtais d’abord aucune attention, mais elle semblait s’intensifier au point que je ne pouvais plus la laisser de côté. Les sourcils froncés, le regard résolument fixé vers l’origine du bruit. (il ne faisait aucun doute que sous ma forme canine, j’aurais les oreilles dressait et la posture d’un pointer.).

Une musique triste et envoûtante, bien différente de mon style et pourtant, je n’eus aucun mal à m’y identifier tant elle était prenante.

« Vous entendez ça ? » Demandais-je d’une voix mi-intrigué, mi-inquiète à l’ensemble du groupe sans pour autant lâcher la direction des yeux.

Mais ma curiosité fut la plus forte, sans attendre une quelconque réponse, je me dirigeais vers l’orée épaisse d’une jungle terrifiante. L’odeur du danger était partout présente et ce fut dans une posture défensive que je me dirigeais vers un lac peu accueillant, me débatant avec la végétation luxuriante. La luminosité était plutôt sombre sous la canopée humide et l’eau semblait quelques peu vaseuse.

Il s’agissait en réalité d’un chant, un chant triste, le genre de chant qui fendait un cœur en deux. Une dame était assise sur un rocher moussu, belle et envoûtante. Ne m’ayant pas encore remarqué, une idée surgit dans mon esprit que Lune ne tarda pas à réfuter. Je la fis taire par la pensée, sachant qu’il s’agissait peut-être d’une grosse erreur, mais je sortis tout de même mon violon blanc de son étui le plus silencieusement possible, et rejoins la chanteuse dans son histoire. Un sourire se dessina sur son visage sans qu’elle changeât quoique ce soit à la chanson, accompagnée désormais par une mélodie mélancolique, ayant complètement oublié où je me trouvais.

Pourtant, mon amie ne semblait pas tranquille à mes côtés, les oreilles en arrière, elle observait la scène attendant le moment où ça dégénérerait. Il ne me semblait pourtant pas que la dame soit hostile. Si on était observateur, on pouvait discerner une carte posée sur ses genoux, une clef de sol y était dessinée et elle luisait faiblement.  

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Plus rien d’autre n’avait d’importance que la mélodie qui se jouait en cet instant. Le chant de la sirène envoûtant était ce qu’il y avait de plus précieux au monde, rien d’autre ne comptait, seule cette chanson mélancolique pouvait nourrir le monde qu’était le mien. Comment pourrait-il en être autrement ? Mon esprit ne voulait répondre à cette question tant la réponse était évidente : il ne pourrait jamais en être autrement. Pourquoi suis-je ici ? Je ne sais plus, mais qu’importe après tout, être seulement là est largement suffisant, pourquoi se torturer les méninges avec des questions aussi futiles ?

Et puis le monde tremble et s’écroule, je perds pied, mais es-ce seulement moi ? Je ne crois pas … La mélodie s’arrête et le silence tombe, comme la fin tragique d’une mélopée qui l’est tout autant. Mon regard papillonne, mais que fais-je ici ? Le monde que je pensais être le mien n’existe plus et mon esprit revient dans mon corps si violemment que j’en ai le tournis. L’odeur du sang ? L’odeur du sang envahit mes narines et me donne la nausée. Mes yeux encore embrumés se posent sur le corps sans vie de la sirène.

Des larmes incontrôlables et silencieuses coulent alors le long de mes joues et tendit qu’un cri résonne, je me retourne en observant la scène au ralenti, un lion immense bondit sur la jeune femme qui nous accompagne et d’un coup de coutelas rapide lui tranche la gorge, l’animal s’écroule à ses pieds dans un râle d’agonie déchirant.

S’en était trop pour moi, mes jambes tremblantes se dérobèrent sous mon poids et tandis que la chanson hypnotique de la sirène me hantait encore, je ramenais mes genoux vers moi pour y cacher mon visage, tentant d’amoindrir l’odeur de la mort et du sang dont j’étais particulièrement sensible. Vivre la mort en vrai fut encore plus terrifiant qu’on pourrait l’imaginer, je ne voulais regarder nulle part dans la crainte de voir une nouvelle fois le corps sans vie de la sirène. Le dernier sentiment qu’elle avait pu ressentir avant de perdre son dernier souffle fut la peur et ce fut celui-ci qui m’envahissait à présent, s’ancrant en moi sans que je puisse rien n’y faire.

Une voix résonna, à la fois proche et lointaine, mais mes pensées divagantes m’empêchèrent d’en saisir le sens.