Le décor majestueux avait attiré l’attention de l’Abyssal, toujours en quête de découverte. Il visitait ce monde dont il ignorait alors l’existence, à l’arrière d’une charrette se dirigeant vers Baldorheim. L’argent que lui offraient les artisans pour ses rondins ne lui suffisait plus, il avait entendu parler de l’arène et s’était tout naturellement dirigé vers celle-ci, sachant pertinemment qu’il y aurait de l’or là ou il y aurait des paris. Il n’était pas bête, ses dessins étaient tout tracés. Il lui fallait amasser beaucoup d’or, et par tout les moyens. Il n’en restait pas moins un étranger largué dans les pâtures, au beau milieu de l’océan de l’inconnu. L’abyssal, d’ordinaire terre à mer, s’était accoutumé à la rigidité du sol et à son manque d’animosité. La nature aurait lui paraître bien trop calme comparé aux mers agités, mais rien de cela ne lui avait traversé l’esprit. La nature semblait respirer la vie, mieux encore, il lui semblait que cette faune et cette flore était plus envoutante encore que celle qu’il connaissait en haute mer. Il ne s’y connaissait absolument pas en herboristerie, ni même à la chasse, mais ce qu’il voyait n’avait rien de comparable avec ce qu’il connaissait. Il se laissa alors transporter par les courants et les nuages, voyageant avec une petite carriole s’apprêtant à faire escale dans un petit village forestier.

La bourgade, plutôt qu’un village, ne possédait quasiment aucune maison de commerçant. L’on pouvait y voir de chaque côté une allée de maisonnettes de ferme mariées à de larges granges. Au bout de l’allée, une auberge, assez rustique, proposait son hospitalité aux premiers venues pour remplir leur caisse si vide depuis plusieurs mois. Il faut dire que peu de personne ne traversait la forêt ces derniers temps, les animaux semblait agités et les voyageurs s’en trouvaient effrayés. Morgan n’en avait pas eu vent jusqu’alors, il découvrait peu à peu ce nouveau continent et n’avait encore aucune idée de ce que ce monde-ci pouvait lui réserver.

La carriole s’arrêta alors à l’entrée de l’auberge et laissa le jeune Abyssal au milieu de nulle part, livré à lui-même au beau milieu de cette nature qui lui était étrangère. Pourtant, cela ne semblait pas lui faire peur pour autant, le sourire qu’il affichait dégageait une certaine confiance en soi. Ce n’était rien, se disait-il. Il allait pouvoir poursuivre par lui-même son aventure et traverser cette forêt. Avant de partir sur ce chemin menant, selon les conseils des voyageurs, à Baldorheim, le jeune invocateur repassa dans sa tête ce qu’il avait pu écouter durant sa sieste. Un pirate aguerris ne dort que d’une oreille, tenez-le pour dit ! Il avait apprit que la forêt était agités et que les animaux pouvait attaquer sans raison. Nombre de voyageur changeait leur itinéraire pour pouvoir rouler et avancer sûrement. Il n’avait pas l’intention d’aider ces pauvres gens contraint par la nature, mais il ne ferait pas de détour pour parvenir à sa destination, quitte à croiser le fer avec la faune environnante. Il ne pensait pas devoir se battre, mais savait très bien manier son arbalète. Malgré sa démarche un tantinet incertaine, sa lucidité d’esprit lui permettait d’avoir régulièrement en temps d’avance sur sa proie. Cette faculté lui avait valu le surnom de « Poisson Chanceux » à bord de l’équipage du Kraken. Mais elle était bien loin … l’histoire u Kraken…

Le sentier terreux entouré d’une haie d’honneur de paquète, quelques frênes par ci par-là. Le vent donnait vie au parterre de pelouse autour de l’abyssal. Ce dernier se cachait se tant à autre sous le feuillage de Chêne ornant le sentier. Et durant plusieurs minutes, il marcha sans dire mot, contemplant tout ce qui se présentait à lui. Beaucoup trop dispersés pour pouvoir se contenter d’un détail, son regard ne cessait de se déplacer et de déposer sur ce qui l’entourait et son chemin s’en retrouva bien ralenti. Toutefois, malgré cette inattention, le jeune sang-mêlé ne perdait pas de vue son itinéraire. Son sens de l’orientation n’était pourtant pas extravagant, mais sa chance lui permettait également d’arrivé à bon port à chacun de ses voyages, malgré l’agglomérat de problème qu’il forme à chacun de ses passages. Pouvait-on seulement parler de problème ? Il ne voyait pas la chose ainsi. Pour lui, il ne s’agissait que de rencontre et d’échange divers.

Du haut de la colline, l’on pouvait contempler le lac Fresha dans toute sa splendeur. Une immensité d’eau contenue entre les monts enneigés. Deux immenses tours, chacune à la couleur de son peuple, se confrontant perpétuellement depuis les rives opposées. Quelques bosquets et forêt naine entourant cette source aquatique. Le soleil rendait le tableau bien plus chaleureux encore, mais le vent frais et les courants changeant rappelaient toutefois la présence de l’hiver dans les parages. L’invocateur avait revêtit sa large veste capé et l’avait soigneusement fermé, lui évitant le ressentit du vent sur sa peau fragile. Et dire qu’il n’était pas encore arrivé au bout de ses peines, il était loin de s’imaginer que la température pouvait encore descendre plus bas dans les hauteurs des Baldors.

Toujours perdu dans ses pensées, le demi-abyssal continua de longer la rive, suivant le sentier qui semblait entrer dans un bosquet de chêne survivant aux fraîcheurs de la saison. Une saison à boisson …

Malgré les conseils des voyageurs s’étant arrêtés à l’auberge, le jeune Abyssal continuait de se balader à l’orée des bois, baigné par l’insouciance. Il ne savait rien de ce monde si ce n’est le peu d’histoire qu’il avait pu entendre dans les tavernes ou il passait. Trop peu d’information pour vraiment s’inquiéter de son environnement selon le navigateur. Il avait déjà affronté bien des obstacles en hautes mers, plus rien ne lui faisait peur, enfin c’est ce qu’il pensait à l’heure actuelle. Il n’était pas au bout de ses surprises et de ses découvertes. Le marin commença à chantonner un air qui lui rappelait des souvenirs, ceux du navire sur lequel il était autrefois navigateur. Bercé par l’air, un peu rustre et fougueux, rappelant les chansons pirates que l’on chante à Ishtar.

Aux Grés des vents
Et sous la pluie
Soleil levant
Coucher d’minuit

Par tout les temps
Il faut du Rhum
Sur terre, en mer
Il faut qu’on s’accommode

Whey ! Hey ! Pirates des mers
C’est l’retour des conquérants
Nos lames, nos dents sont acérées
On vous attend sur l’océan

Le navire est amarré
On va fêter toute la soirée
L’a-alcool coulera à flot
On a ramené quelques tonneaux

Chantonner cet air lui avait rappelé quelques souvenirs certes, mais cela lui rappelait surtout qu’il y avait également une taverne à Baldorheim. Il le savait car il avait pu l’entendre de la bouche du tavernier de la digue du fût. Ce Guéguen avait le chic de donner à ces clients ce qu’ils désiraient ! L’invocateur avait pensé qu’en se dirigeant vers une plus grande cité, il parviendrait à gagner un peu plus d’argent. Pourtant rien n’était sûr, il avançait poussé par un sentiment d’optimisme insondable. Il continuait ainsi sa route sur ce chemin qui le guiderait très certainement à ses désirs. Le temps étant en sa faveur, les rayons du soleil réchauffaient l’atmosphère. Ceci dit, il s’abritait tout de même de temps à autre, sachant que cette lumière agressive pouvait le marquer au fer rouge s’il ne prenait pas garde. Le petit bois qui longeait la berge du lac continuait ainsi, bordé de l’autre côté par les monts enneigés, jusqu’au pied des Baldors, ou se cachait la cité de Baldorheim. Rien ne semblait le perturber, laissant cette inconnue le suivre sans y prêter attention. Il n’était pas sûr de savoir ce qu’elle lui voulait, mais cette dernière semblait rester à distance, l’épiant au loin.

C’est seulement au bout d’une vingtaine de minute que la jeune femme qui s’était gardé de se dévoiler au grand jour jusqu’à maintenant, sortit de ses bois et vint à la rencontre du Demi-Abyssal. Il s’était retourné lentement au son de ses pas et semblait entendre une légère voix fluette qu’il ne parvint pas à comprendre sur le moment. Tout deux gardèrent d’abord leur distance, s’analysant l’un l’autre sans dire mot. La jeune femme semblait sur ses gardes, très probablement l’effet du tricorne sur lequel son regard s’était posé un instant. L’invocateur, quand à lui, ne semblait pas surpris de son apparition. La jeune femme qui s’était présenté sous le nom d’Ehawee, avait les traits d’une jeune demoiselle tout juste adulte, des courbes si fine et minois qui en ferait tomber plus d’un marin d’eau douce. Il nota tout de même que la demoiselle avait gardée ses mains prêtes à l’emploi. Son carquois qui dépassait de son dos n’alerta cependant pas Morgan. Le sien était à sa ceinture et bien voyant et son arbalète ficelé dans dos. La voix de l’espionne lui sembla hésitante et il préféra la laisser en position du force afin de lui laisser cette confiance. La pointe de ses oreilles lui rappela les siennes, même si cette Ehawee ne semblait porter de bronchites comme lui, dans cette apparence longiligne il revoyait les traits de son frère il y a longtemps. Il eu un sourire niait en y repensant et se ressaisi rapidement, se rappelant qu’elle toujours une main sur son arc.

Morgan Barreta – Hola ! Une minute j’te prie ! On s’est pas encore présenté ! J’m’appelle Morgan. Il se retint de préciser Capitaine Morgan, pour une fois, tout simplement pour ne pas effrayer plus encore la jeune femme. Il prit cependant un temps avant d’assimiler ce qu’elle lui demandait, passant sa main dans sa barbichette. La faune ? Pas stable ? Ça me dit quelque chose.

Oui, quelqu’un avait dit quelque chose dans le genre un peu plus tôt, mais le demi-abyssal, tête en l’air, n’y avait pas prêté beaucoup attention. Jusqu’à maintenant, il n’avait rien rencontré de suspect, c’est qu’il ne fallait pas s’affoler, pensa-t-il. Il posa ses mains sur ses hanches, sûr de lui, adoptant une posture un peu plus relâché et reprit pour lui rapporter ce qu’il avait pu entendre un peu plus tôt.

Morgan Barreta – Il m’semble qu’l’auberge d’à côté se plaint d’un truc du genre. Ils disaient, si j’me souviens bien, qu’les animaux étaient agités. Z’êtes là pour voir ça ?

La démarche de la jeune femme mettait en avant un certain manque de confiance soi. Ses paroles étaient hésitantes, sa posture plutôt défensive, son regard soutenu. Même ses mèches ébène semblaient être en désaccord avec elle. Elle dissimulait son apparence sous une large cape sombre, certainement pour se protéger des autres d’une certaine manière. Il y avait des gens, sur ce continent, qui étaient biens étranges aux yeux du sang-mêlé. Lui que rien ne semblait le terrifier, était bien loin de se rendre compte de la différence entre son monde et celui-ci. Peut-être qu’il s’agissait d’une chasseuse ou un truc qui s’y rapproche pensa alors Morgan. La jeune femme maîtrisait l’arc et adoptait une apparence plutôt lambda et peu remarqué. Par-dessus tout, elle semblait en alerte, qui plus est dans la zone qu’avaient décrite les voyageurs un peu plus tôt. Même s’il paraissait étrangement bête et sur de lui, Morgan avait l’œil pour relever tout les détails qui passaient sous son regard. C’est ainsi qu’il avait apprit à devenir pirate, afin de toujours avoir une longueur d’avance sur le déroulement des choses. Garder l’initiative. Ici, il ne se méfiait pas de la jeune femme car, selon lui, elle ne représentait pas un danger puisqu’inoffensive à ses yeux. Il était loin d’imaginer que la réalité était tout autre, mais après tout, il arrivait sur un continent qu’il découvrait sur l’instant. Le navigateur ne chercha pas à se rapprocher d’Ehawee, il n’avait pas encore gagné sa confiance …

Ehawee - Effectivement, répondit l'elfe qui hésitait encore dans ses dires, je...je poursuis un objectif, et cette agitation est peut-être une piste.

La jeune femme était restée sur ses gardes, préférant garder sa mission pour elle. Le demi-Abyssal ne chercha pas à en savoir plus sur cette affaire, cela ne le concernait pas se disait-il. S’il s’avérait qu’il y ait bien des créatures dangereuses dans les environs, il le découvrirait par lui-même, c’est la conclusion à laquelle il était venu un peu plus tôt avant de prendre la décision de passer par les bois pour rejoindre Baldroheim. Les avertissements des voyageurs n’avaient pas sembles le perturber outre mesure, il n’avait pas les mêmes inquiétudes lorsqu’il était en mer. Pourtant, la jeune femme affichait tout de même cet air inquiet, certainement en lien avec sa mission quant à la faune de la région. Le navigateur retira son tricorne afin de paraître un peu moins sérieux et détendre l’atmosphère. Il savait quelle pouvait très bien le mettre en joue rapidement et décocher sa flèche sans crier gare, il avait eu les yeux rivés sur son arc durant quelques instants avant de poursuivre son écoute.

Ehawee - Ainsi, vous y avez appris des choses, dans cette auberge ? enquêta-t-elle.

Morgan Barreta – Boa pas grand-chose ! Juste qu’le chemin est délaissé des voyageurs et des marchands en tout genre. Les routes ne sont pas sûres qu’ils disent. Il la fixa un instant, devinant ses fines courbes bien trop fragiles pour se confronter à des créatures sauvages. Mais vous n’feriez pas mieux d’vous inquiéter pour vous ? Si les routes sont dangereuses, vous risquez vous-même d’vous mettre en danger, nan ?

Il est vrai que la notion de danger était plutôt à remettre en question ici, puisque Morgan n’avait encore jamais été confronté à la faune du continent, il ne savait pas vraiment ce qu’il y avait de plus terrifiant ici bas. La dangerosité n’était pas la même et l’inconnu était indéfinissable. S’il ne prenait pas la peine de s’inquiéter pour lui-même, c’est tout bonnement parce qu’il avait une assurance à toutes épreuves, ou bien était-il inconscient fini. Toujours est-il qu’il n’avait pas changé ses plans en ce qui concernait son itinéraire. Au bout du chemin sur lequel ils se trouvaient, l’orée des bois se terminait et le chemin se poursuivait vers le Nord, longeant les montagnes toujours plus au Nord. Créature ou pas, rien ne le ferait changer de route. Et puis, s’il mettait un terme aux agissements des animaux en furie, peut-être qu’il percevrait une petite récompense de la part des locaux, c’est en quelque sorte l’idée qui lui était passé par la tête un peu pus tôt. Mais si cette femme était déjà là pour ces raisons, cela ne servait plus à rien de se prendre la tête pour si peu se disait-il. C’est bien dommage. Il aurait pu se faire une petite santé avant d’arriver dans la cité de l’Est. Toutefois, il eu une idée et décida d’en apprendre davantage sur cette mission que la jeune femme entreprenait seule, malgré sa légèreté d’apparence.

Morgan Barreta – J’imagine qu’si z’êtes équipé de ça, c’est qu’vous savez vous en servir, non ? Le marin pointa du doigt l’arc que portait la jeune Ehawee. Je n’sais pas si j’vous s’rais utile, mais j’peux bien vous apporter mon aide.

Le tout maintenant, serait de pouvoir aider cette jeune demoiselle des forêts et trouver une auberge avant que le soleil ne se couche. La journée ne faisait que commencer et il avait tout le temps devant lui pour apporter son aide dans sa mission, quelle qu’elle soit. Il n’avait pas d’impératif à respecter pour arrivé dans la grande cité minière du continent, il avait par conséquent le temps de flâner par monts et par vaux quand il le souhaitait. Son voyage pouvait bien être rallongé, il n’en prendrait pas moins de plaisir à en découvrir de nouvelles parcelles de terre inconnues. Il continuerait ainsi son exploration personnelle de ce nouveau continent.

Durant un instant, la jeune femme sembla se concentrer sur la question, prit de court. Il est vrai que l’abyssal c’était montré très spontané auprès d’elle, alors qu’ils ne se connaissaient à peine. Sans compter que sa démarche, sa façon de parler ou même son habit devait certainement laisser penser qu’il faisait cela pour une tout autre raison. En ça, ce n’était pas totalement faux puisque Morgan envisageait d’aider le petit bout d’femme pour y gagner une petite part quand à sa mission de protection de la faune. Un pirate ne perd jamais l’Nord, surtout quand il est question d’argent quelque part. Cela dit, il ne pensait pas réclamer sérieusement une récompense puisque cette Ehawee avait été missionnée pour cette mission, ce qui en faisait la principale intéressée à récompenser. Le navigateur n’avait jamais qu’un seul objectif à respecter, peut importe les détours et le temps pour l’atteindre, il savait déjà ce qu’il devait faire au final. Et c’était le moment parfait pour en apprendre plus sur ce territoire pensa-t-il. Il avait débarqué ici sans connaître quoique ce soit du continent, que ce soit au niveau politique, au niveau territorial ou sur la populace qui y vit. La seule chose qu’il pouvait prétendre connaître sur le bout des doigts sur cette terre, c’est les heures d’ouverture et de fermeture des tavernes d’Ishtar, ce qui n’était pas spécialement glorieux …

Ehawee – Pourquoi pas, je ne sais pas quels dangers m'attendent, après tout..., la jeune femme marqua un temps avant de reprendre là où s’était arrêté le pirate des mers. Vous parliez de cet arc...Oui, c'est le cas, dit-elle d’un air assuré. Cette justesse dans sa voix me laissa penser qu’elle devait être plutôt habile dans le maniement de l’arc, elle n’avait pas semblé à Morgan très confiante en elle, de part sa façon de parler et ses courts bégaiement. Elle poursuivit ainsi, cherchant à en savoir plus en retour de notre pirate au tricorne. Alors, pourquoi tenez-vous à m'aider ? Vous suivez bien un but, vous aussi ?

Morgan Barreta – Ouep ! J’m’en vais pour Badlo … Badoma … Baldoram ? Le pirate se pinça la barbichette, frustré de ne pas trouvé ce qu’il cherchait puis, il abrégea sèchement. J’vais à la cité de l’Est, paraît qu’je pourrai trouver les meilleurs forgerons du continent là-bas. Il réfléchit un instant, réalisant qu’il ne répondait pas totalement à la question que la jeune femme lui avait posée et reprit son air nonchalant. Les voyageurs qu’j’ai croisés un peu plus tôt m’ont dit d’faire attention par ici, qu’les animaux étaient étonnement agités. C’est également le chemin le plus court pour aller à Baldormann.

Il continua de chercher la prononciation véritable de la ville où il espérait se rendre, mais sa terminaison lui échappait encore. Mais en gros, il s’agissait bien de la vérité, avec quelques zones d’ombres par ci par là. S’il n’y avait rien à empocher, il aurait quand même le temps d’en apprendre plus sur l’archère qui se tenait maintenant à ses côtés, lui emboitant le pas. Elle manquait certes de confiance en soit, mais elle n’était pas aussi prudente que je l’aurai imaginé. Il faut dire que Morgan ne côtoie pas que les chopes à la taverne, les femmes aussi sont un de ses passe-temps préféré. Avoir l’art et la manière de parler aux femmes, enfin aux femmes du Sud, ce n’est pas rien non plus. Mais en réalité, son bagou lui laissait simplement un peu plus de temps avant que ne tombe le masque … On ne trompe pas une femme éternellement …

Le marin, toujours attentif à son interlocuteur, remarqua le doux minois qui se présentait à lui se détendre quelque peu, laissant entrevoir un charmant sourire. Bien que Morgan et cette jeune femme ne se soient rencontrés qu’il n’y a quelques instants, il avait eu l’impression que ce sourire était naturel et maladroit. Non pas que ce dernier fusse déplacé, mais plutôt que celui-ci avait perdu de son intensité d’antan. Comme si autre chose la préoccupait depuis quelques temps et envahissait son cœur. Le pirate avait toujours cette capacité d’analyse qui lui permettait d’avoir un coup d’avance, c’est d’ailleurs ce qui lui avait valu son surnom de « Poisson chanceux » à bord du Kraken. Savoir lire l’expression du visage, dissocier les différentes voix d’une personne, les habitudes et réflexes qui font d’une personne ce qu’elle est. Il allait sans dire que le navigateur avait des capacités et des qualités impressionnantes. Encore fallait-il qu’il puisse s’en servir à bonne escient. Mais cette capacité d’analyse l’effrayait tout autant qu’il l’admirait autrefois. Savoir que l’on est impuissant, même avec un coup d’avance, que malgré tout les efforts et les moyens mis en œuvre pour atteindre un objectif, il n’est d’échec plus cuisant que celui dont la vie d’un proche s’éteint à jamais. Cette horrible sensation lorsqu’il a débarqué sur cette île et qu’il s’est retrouvé lui-même piégé, cette sensation lorsque le Kraken avait été mis à mal contre la terreur des mers, cette même sensation qui l’avait paralysé à Ishtar lorsqu’il se souvint de sa séparation avec l’équipage de Haul lors de la bataille des sept mers. Comme quoi, nous avons chacun nos secrets et le cultiver fait de nous des êtres mystérieux.

Alors que Morgan continuait encore à chercher l’orthographe et la prononciation exacte de la cité où il était censé se rendre, Ehawee parvint à lui glisser la bonne réponse au milieu de sa concentration. Euréka ! L’abyssal releva les yeux et la regarda avec des yeux ronds. Elle avait su résoudre le mystère de cette ville et il répéta machinalement le nom de la cité avec la bonne prononciation cette fois-ci. Il valait mieux pour lui qu’il imprime le nom Baldorheim quelque part dans sa tête s’il voulait plus d’information à l’avenir quand à sa destination. Il en était conscient, la route est encore longue avant d’y parvenir.

Ehawee – Vous souhaitez donc devenir forgeron ? Quel bien étrange question se dit l’abyssal. Tout les gens voyageant vers Baldorheim sont-ils destinés à devenir forgeron ? Où bien peut-être êtes-vous un guerrier en quête d’artisan ? D’ailleurs, par rapport à votre question précédente, j’imagine que vous aussi, vous savez vous défendre …

Tant de question pour finir sur une phrase en suspend comme celle-ci, la jeune femme n’avait probablement pas encore confiance en Morgan. Mais d’un autre côté, il n’avait pas fait grand-chose hormis retirer sa coiffe. L’apparence ne devait sans doute cacher aucunement la profession du marin et à aucun moment il n’avait cherché vraiment à le cacher. Un pirate reste un pirate, où qu’il soit. Pour le sang-mêlé, la franchise était naturel, caché les choses et mentir, pas vraiment et cela se lisait parfois sur son visage quand il le faisait. Il se contenta tout simplement de répondre à ses questions et satisfaire sa curiosité apparente.

Morgan Barreta – Z’avez d’vinez on dirait ! Bah ! J’m’en vais chercher un artisan et si les rumeurs sont justes, j'devrais trouver les meilleurs dans leur domaine à Baldorheim. Mais s’n’est pas vraiment pour m’dégoter une nouvelle arbalète à accrocher à ma ceinture. C’est plus pour des renseignements que j’m’y rends. Morgan marqua un temps avant de répondre à la dernière question d’Ehawee, dévoilant un peu plus sont arbalète à la jeune femme, pendant à son ceinturon. Et en s’qui m’concerne, je n’suis pas mauvais tireur. J’me défends plutôt bien avec une arbalète.

Tout deux étaient doués d’un certain maniement de l’archerie, fait qui n’était pas très courant dans le Sud. Ce serait peut-être une occasion d’en apprendre un peu plus en la matière. Il se savait encore bien loin de maîtriser parfaitement son arme, peut-être que cette Ehawee en savait davantage que lui dans ce domaine, ce qui ne l’étonnerai pas au vu de sa corpulence. Elle avait les traits d’une archère, les yeux rivés sur un point, son buste légèrement relevé et son inspiration. Autant de détail que pourrait relever un archer à un autre. Si elle relevait ses manches, il y trouverait certainement les mêmes éraflures le long de son avant-bras et probablement les mêmes marques aux doigts que lorsqu’il se servait d’un arc, autrefois. Avant de se servir d’une arbalète, Morgan chassait à l’arc sur son île, mais il est plus efficace de se servir d’une arbalète lorsqu’on est en mer, quitte à perdre un peu de temps pour charger l’arme d’un carreau. L’effort n’état pas le même, mais la justesse et la précision demeurait identique, c’est pourquoi la transition de l’avait pas affecté outre mesure, aussi à l’aise avec l’un qu’avec l’autre. Peut-être qu’un peu d’exercice leur serait bénéfique, tant bien de la personne que de la maîtrise. C’est en regardant quelqu’un en pleine exercice que l’on apprend à le cerner. Un peu de sérieux et de concentration dans un bain de détente, c’est une bonne idée.

Morgan Barreta – Envi d’se mesurer à moi ? Dit-il sur le ton de l’humour, accompagnant ces mots d’un sourire satisfait. J’pense qu’on d’vrait pas avoir d’mal à s’trouver une cible ou deux sur ce sentier.

Le sourire amusé que lui retourna la jeune femme lui parut enthousiaste et animé d’un certain plaisir ou désir. Il ne savait pas vraiment ce que cela signifiait, mais il imaginait que tout bon archer aimait étendre ses compétences en archerie devant les autres, fier de ses acquis. Du moins, c’est ainsi que cela se passait sur le navire du Kraken et dans les rues d’Ishtar. La fierté était quelque chose d’assez important pour un pirate, lui prouver son infériorité était, non pas un affront, mais une absence de compétence venant de ce dernier. Mais Morgan se fichait pas mal de cette fierté, il agissait à son bon plaisir, souvent sur un coup de tête. D’une certaine manière, à ses yeux, cela ressemblait plus à un duel d’archer entre l’arbalète et l’arc. Familier avec les deux, le marin avait tout de même une préférence pour le premier, pouvant monter à une arme par main, ce qui n’était pas le cas de l’arc. Il savait l’arc plus rapide et précis, mais l’arbalète parfaitement maîtrisé pouvait s’avérer bien plus mortel malgré sa lenteur de recharge. Parfois, lorsqu’il rêvait de lui et de ses comptes de piraterie, il se voyait avec une arbalète à chaque main, légèrement plus petite que la moyenne, brandissant ses deux joujoux sur la proue de son navire.

Ehawee - OH OU-...Oui, pourquoi pas, vint couper la jeune femme, faisant redescendre sur Dùralas le jeune pirate plein de rêves.

Le duo se mit alors à chercher de quoi remplir le rôle de cible autour d’eux. Ne connaissant pas vraiment les environs, il se fia à Ehawee pour dénicher un petit coin tranquille où tirer leurs flèches et carreaux. Cette dernière quitta le sentier, s’engouffrant petit à petit dans les bois proche du lac, entre Frêne, bouleau et Hêtre. Un arbre fruitier aurait été parfait pour ce genre d’exercice, les fruits remplissant parfaitement le rôle de cible. C’est d’ailleurs ainsi qu’il s’était entraîné plus jeune, dans son village natal. La petite demoiselle échappa presque au regard du marin et continuait de s’engouffrer dans les bois avant de débouler dans une zone dégagée de la forêt. Un grand arbre surplombait le domaine, ce dernier pointé du doigt par la jeune femme.

Ehawee - Si ce grand arbre vous convient, alors à vous l'honneur, Morgan.

Morgan Barreta – C’est peut-être un peu près, nan ? L’abyssal chargea tout de même un carreau, pointa son arme sur le pauvre Hêtre à un peu moins d’une vingtaine de pas de lui et cloua sa pointe au milieu du tronc. Et tout en s’écartant, retirant son tricorne en guise de courtoisie, il continua. J’vous cède la place, même si je n’vous vois pas rater votre cible.

La distance n’était pas si éloignée en soi, l’absence de vent au milieu des bois facilitait grandement l’exercice, sans compter l’absence de vague faisant tanguer le navire. Sur la terre ferme, cela semblait plus simple encore d’atteindre une cible immobile, mais que serait un exercice sans un peu de difficulté ? Il commençait déjà à chercher une nouvelle cible, plus difficile d’accès, mais gardait à l’esprit qu’Ehawee s’apprêtait à tirer à son tour. Le sourire large, il appréciait l’instant présent. Il était loin le temps où il s’entrainait ainsi sur la côte…

La jeune femme prit place à l’endroit même où Morgan s’était positionné pour tirer son carreau puis, elle dégaina son arc et saisis une flèche de son carquois pour se mettre en joue. A la différence de l’arbalète, l’arc nécessitait une concentration accrue pour pouvoir profiter d’une précision hors pair. L’abyssal s’était déjà essayé à l’arc, mais s’était familiarisé avec une arbalète car selon lui, cette dernière est plus efficace. Mais tout est relatif et question de point de vue. Un arc à une portée, une puissance et une précision variable, mais en admettant qu’il s’agisse d’un tireur expert en arme, l’arc favorise la précision au détriment de la puissance. Au contraire, une arbalète à été pensé de manière à ce que la puissance rattrape le manque de précision de l’arme, mais de ce fait la portée reste fixe quoi qu’il arrive. Mais si j’ai appris une chose, c’est que même avec une arbalète, l’on peut apprendre à être plus précis encore, presque autant qu’avec un arc. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle le navigateur s’efforce à combattre avec l’arme qu’il tenait encore entre ses mains.

Ehawee banda son arc et laissa ses doigts glisser le long de la flèche jusqu’à l’empennage de celle-ci. Il était toujours impressionnant de regarder un archer armer son arc et tirer. Le bras tendu, ses deux doigts près à se retirer à tout moment, un œil fermé. Elle décocha … Le tronc du hêtre avait été épargné sur ce coup là, laissant la flèche se planter quelques mètres derrière lui dans le sol. L’archère, confuse, fuyait mon regard posé sur elle et poursuivit d’un ton neutre, sans cacher son empressement.

Ehawee - A vous de choisir une cible je crois.

Morgan Barreta – Ahahah ! Vous donnez un sens à l’expression tendue comme un arc ! Le sang mêlé pouffa de rire, sans penser à mal. Rien ne lui avait échappé et détendre l’atmosphère semblait être une bonne chose pour la jeune femme qui semblait encore tendu. Z’en faites pas, relâchez la pression, z’avez tout vot’ temps pour décocher !

L’archère lui avait semblée trembler légèrement en bout de bras avant de tirer, crispée comme l’était. Pour satisfaire son empressement, Morgan avait justement trouvé leur prochaine cible. Il fila d’abord vers l’hêtre pour récupérer son carreau et la ranger dans son carquois avant d’en saisir une nouvelle pour l’armer sur son arbalète. La mécanique de l’arme s’occupait de tenir l’arme et de la propulser, nul besoin d’utiliser ses muscles, il n’y avait qu’à viser et appuyer sur la détente. La mécanique de chargement avait même été révisée récemment pour faciliter cette dernière, utilisant un cran et une mécanique de roulement à bois associé à une manivelle. Certaine arbalète possédait même plusieurs fentes pour accueillir plusieurs carreaux à la fois, détail que Morgan souhaiterait approfondir avec les artisans sculpteur et fusionneur du nouveau continent.

Morgan Barreta – La prochaine cible sera les fruits de cet arbre, en contrebas. L’abyssal pointait du doigt le pommier qui se situait à un peu moins d’une dizaine de mètres plus loin que la dernière cible. L’on peut s’rapprocher un peu pour l’coup, vu que la cible est plus petite.

Il attendit que la jeune femme la rejoigne avant de lui laisser la place pour tirer. Elle avait une revanche à prendre et une maîtrise à prouver à l’abyssal, elle était donc toute désigner pour ouvrir le bal. Il se doutait qu’elle avait du potentiel à sa manière de porter son arme et à la vitesse à laquelle elle se mettait en joue. Sa personnalité semblait faire de l’ombre à ses compétences et le manque d’assurance de cette dernière ne lui avait pas échappé. Le pommier était plutôt dégagé, quelques branches venaient déranger la ligne de mir par moment, mais le choix des cibles ne manquait pas. Plusieurs pommes pendaient du feuillage par endroit, certaines commençaient à rougir, d’autres plus à l’ombre, arborait encore une peau verte légèrement brunis. Le ciel, toujours plus éclaircie, était maintenant vide de nuages et les rayons du soleil parvenaient sans difficulté aux deux archers qui pouvaient ressentir la chaleur de ces derniers. Les pommes touchées serviront de goûté pensa Morgan, commençant à ressentir le besoin de boire ou manger quelque chose.

Bien que le ciel soit dégagé en cet instant, une légère brise s’était levée, sifflant entre les feuillages des arbres environnant. Alors que l’Abyssal contemplait le pommier sur lequel ils allaient tirer dans quelques instants, Ehawee s’était dirigée vers les buissons pour récupérer sa flèche avant de revenir auprès de lui, un air de confiance grandissant. Dans un premier temps, le navigateur jaugea la jeune archère, son visage s’était adoucie et dans son regard, plus une once d’hésitation, ce qui lui arracha un sourire agréable. Il avait la remarque facile, mais ceux-ci sonnaient plus comme un conseil ou un encouragement. Non pas qu’il le faisait exprès, mais qu’il s’agissait de son naturel. Elle n’avait pas prit à tort ses remarque et celui lui avait fait plaisir qu’elle se cramponne pour montrer l’étendue de ses talents. Dans un second temps, il se retira de la trajectoire et vint se positionner quelques pas derrières elle, guettant silencieusement la souplesse été la fermeté de l’individu dans sa préparation.

Lentement, elle vint retirer une nouvelle flèche de son carquois et la positionna délicatement le long de la corde. Une fois celle-ci en place, elle banda son arc progressivement, étendant tout son corps. La plume de la flèche était, pour ainsi dire, coller à sa joue, attendant le moment opportun pour la laisser filer. Elle prit d’abord un temps pour repérer et viser sa cible puis, elle se figea, immobile face au temps. Durant tout juste une seconde, tous ses muscles étaient tendus et rien ne semblait perturber sa concentration, pas même la brise qui s’était levée. Ses doigts se retirèrent sèchement de sa corde et la flèche fila droit dans le feuillage du pommier. Perplexe, j’étais resté bouche bé devant autant de maîtrise et de concentration. Rien, pas même le feuillage et le vent, n’avait réussi à défaire la précision de l’archère. Quelques mètres plus loin, derrière le pommier, la flèche d’Ehawee était plantée dans le sol, une pomme et quelques feuilles pour assaisonner la brochette.

Ehawee – Oh oh ! S’exclama-t-elle. Vous êtes de bon conseil apparemment !

Morgan Barreta – Impressionnant. Marmonna-t-il dans sa moustache.

Ce n’était pas un simple exercice d’archerie, atteindre une telle précision n’est pas donné à tout le monde. Il en résulte de nombre d’année d’apprentissage et d’expérience. L’on pouvait aussi rendre l’exercice plus difficile en s’éloignant de l’arbre fruitier, mais toucher une cible aussi petite du premier coup … L’abyssal ne cachait pas sa surprise, impressionné par cette habileté, mais voilà qu’à son tour, il avait la pression du conseillé. Il est vrai qu’il se débrouillait plutôt bien avec son arbalète, mais … du premier coup ? Il avait plutôt intérêt à réussi s’il ne voulait pas perdre la face, même s’il s’agissait que d’un petit exercice. Il en allait de sa fierté d’archer ! L’archère s’était retournée, affichant un large sourire satisfait, et se décala à son tour pour me laisser la place.

Ehawee – Cette cible est un très bon exercice, dit-elle alors, conclusion de son expérience, leur balancement n’est pas tout à fait régulier …

Morgan Barreta – Ouep, c’t une bonne transition pour passer d’l’ immobile au mouvement. Fit l’Abyssal pour se remettre dans le bain et reprendre ses esprits. D’autant plus qu’la cible est bien plus p’tite. Il s’avança alors jusqu’où Ehawee s’était positionnée et se saisit d’une flèche dans son carquois. Bon … c’t à mon tour on dirait …

C’est avec ce genre d’entraînement que l’Abyssal avait fait ses preuves sur son île, aux côtés de son frère, mais c’est également avec cette habileté qu’il s’était fait son petit nom dans la piraterie. Bien qu’il se soit passé du temps depuis qu’il avait quitté la mer, il espérait, dans un coin de sa tête, ne pas avoir trop perdu de cette habileté. Sous le regard attentif de a jeune femme, Morgan déposa la flèche dans la fente de son arbalète. Ses flèches étaient munies d’une légère encoche à l’arrière dont le mécanisme se servait pour armer l’arbalète. A l’aide de la petite manivelle en bois sur le côté, Morgan tendit la corde de son arme petit à petit jusqu’à ce que celle-ci se bloque automatiquement. La gâchette sous son arbalète était devenue plus résistante à l’appui de son doigt, signe que l’arme était enclenchée. Il ne lui restait plus qu’à viser sans se soucier du reste. Ainsi, il se mit de profil, le bras tendu vers l’avant, se servant de son poignet pour ajuster l’angle de tir. Il ferma d’abord son œil gauche et immobilisa son bras avant de d’imaginer la trajectoire que prendrait sa flèche. Comme l’avait si bien remarqué Ehawee, les pommes se balançaient de manière irrégulière, au rythme des courants d’air, difficile de prévoir un courant changeant. Mais il fallait parfois prendre le risque sans se soucier de ce genre de détail, ce serait paniquer sans raison apparente. Et d’un coup, son index se pressa sur la gâchette, relâchant la corde de sa pression et propulsant le carreau dans le feuillage du pommier. Un léger « Crack » se fit entendre et une branche tomba du pommier. L’abyssal, déconcerté par cet échec, porta sa main à son front.

Morgan Barreta – Mazette …

Pour une raison ou une autre, la flèche décochée n’avait pas touché de pomme et avait littéralement coupée une branche un peu frêle, laissant tomber son extrémité cassée au sol. Bien que l’exercice consistait à percer une pomme, le navigateur fut surpris de voir plusieurs pommes dans la branche tombée de l’arbre. Il n’avait pas su être à la hauteur de ses conseils, mais il aurait de quoi de sustenter quelque peu, le réconfort avant l’effort.

Morgan Barreta – Manqué ! Et l’carreau est cassé. Rumina le pirate à peine déçu en ramassant un bout du carreau près de la branche au sol. Me suis ramolli ‘vec le temps moi tiens !

Le sang mêlé ramassa ensuite la branche resté au sol et en décrocha une pomme qu’il envoya à l’archère avant qu’elle ne le rejoigne pour récupérer sa flèche. Celles-ci étaient intactes contrairement à celle qu’elle avait plantée, transpercée de part en part, mais le mérite lui revenait entièrement pour cette seule satisfaction. Satisfaction que ne pouvait prétendre le pirate actuellement. Pourtant, il n’en affichait pas la frustration, croquant à pleine dent une pomme qu’il venait de décrocher. Il manquait encore d’exercice, certes, mais ce manque pouvait facilement se combler. D’un air benêt, il rendit son sourire à la jeune femme, une main derrière la tête.

Le hasard … Les propos de la jeune femme avaient fait écho dans l’esprit du marin. Il ne partageait pas ce point de vue, car selon lui, rien n’est dû au hasard et tout est mû par une volonté qui nous est propre. Une volonté vacillante ne peut être sûre d’atteindre sa cible si elle n’est pas accompagnée d’une maîtrise parfaite de son arme. La volonté et la maîtrise sont deux qualités indispensables, selon Morgan, pour un archer, peu importe son style de combat. Alors que les éléments environnants tels que la brise se levant ou la pluie rentrent dans le cadre de la maîtrise de l’arme, celle d’avoir une confiance absolue en son tir rentre dans celui de la volonté. Sa vision de la maîtrise semblait étriquée aux premiers abords, mais elle paraissait bien plus précise lorsque l’on apprenait à connaître le bougre. Son échec était la preuve qu’il manquait d’exercice à ses yeux, mais rare sont les fois où l’Abyssal s’était servi de son arme fétiche autrement que pour la dissuasion depuis son arrivée sur le continent. De nature jovial, il y a avait peu de chance de le croiser en sein d’une mêlée générale, même le long de la côte d’Ishtar.

Ehawee – Vous m’avez l’air expérimenté, en tout cas. Dit-elle à l’attention de Morgan afin de le rassurer. Tandis qu’elle se saisissait de sa cible percée, le navigateur récupéra son carreaux et défit les liens autour de la pointe du carreau pour l’en extraire et la récupérer. Rien n’est à jeté, tout a son utilité pensa-t-il tout en restant concentré sur son travail. C’est quelqu’un qui pratique le maniement de l’arc depuis plus d’un siècle qui vous le dit … L’abyssal releva ses yeux ronds avant de les poser sur Ehawee, intrigué par ce qu’elle venait de dire, sans pour autant prendre la parole. Et pourtant, vous avez vu mon premier coup ? Il y a toujours à apprendre. Dit-elle d’un ton ironique.

Le p’tit brin de femme continuait de se délecter de la pomme, se dirigeant au pied de l’arbre fruitier avant de s’y installer à son aise. Morgan, quant à lui, était encore resté sur ce qu’avait dit Ehawee un peu plus tôt à propos de son âge, continuant de la dévorer du regard sans pour autant comprendre la raison de son éternel jeunesse. Bien entendu, pour avoir côtoyé différentes races durant ses voyages maritimes, Morgan savait reconnaître la plupart d’entre elle ainsi que le tempérament général de ces derniers, mais la notion de vieillissement lui était totalement étrangère quand il s’agissait de faire la différence entre ces races. Selon lui, tous avait une espérance de vie plus ou moins semblable, mis à part dans les métiers à risque comme la piraterie. Alors entendre une centenaire sans aucune ride et d’une magnificence époustouflante au tir à l’arc lui sortir ce genre de banalité, il en restait bouche bé. Tellement absorbé par autant d’incohérence au pied de cet arbre fruitier, le sang mêlé finit par manger jusqu’au trognon de la pomme, ne laissant que la queue de celle-ci, avant de s’en servir une autre sur la branche cassée. L’archère, toujours songeuse, sortit de son silence pour entamer une anecdote personnelle en lien avec la maîtrise commune qu’avaient les deux tireurs d’élite.

Ehawee – Quand mon père m'enseignait cette discipline, il me disait toujours qu'un bon archer ne devait pas avoir peur de la mort. S'il la redoute en pointant son arme sur sa cible, alors la flèche sera déstabilisée, et il se fera avoir par son ennemi. Si au contraire il ne la redoute pas, sa posture sera inflexible face à l'adversité et il sera en mesure de l'abattre.

Morgan – Vot’ père était un bon enseignant dans s’cas. Dit-il simplement en fermant les yeux, se rappelant lui-même recevoir ce même enseignement au sein de la piraterie. On n’pointe pas une arme sur quelqu’un si on est pas prêt soi-même à la tuer. C’est s’qu’on appelle faire preuve de sang froid. Mais moins vous vous servirez d’cette qualité, plus vous apprécierez la valeur de la vie.

L’abyssal avait sortit ça comme s’il cherchait à transmettre quelque chose à la jeune vieille femme, mais pour un pirate, ce qu’on appelait valeur de la vie était bien différent de ce que pouvait s’imaginer Ehawee. Les enseignements sont les mêmes, mais leurs applications diffère en tout point. Morgan en avait bien conscience malgré tout, parlé de sang froid ainsi, alors que l’on avait soi même déjà donné la mort à plusieurs individus, ce n’est pas un bon enseignant qui pourrait dire ce genre de chose. Le commun des mortels se cache derrière une raison à chaque qu’ils ôtent une vie, même si ces raisons sont parfois justifiées : l’argent, l’amour, le chagrins, la protection, la rébellion. Tuer quelqu’un n’a rien de gratifiant, il faut vivre avec. Savoir qu’un père a enseigné le sang froid à sa propre fille, c’est que ce continent vis dangereusement. Animé par une certaine curiosité vis-à-vis de ce continent qui lui était encore plutôt inconnus, l’Abyssal s’apprêtait à rouer de question Ehawee sur tout ce qui lui passait par la tête, mais une légère douleur à la tête vint l’en dissuader, le rappelant à la réalité. Une sorte de grognement qui retentissait dans sa tête par à-coup, le grognement d’une bête enragée. Ce genre d’évènement lui était déjà arrivé plusieurs fois par le passé, sans qu’il ne puisse mettre le doigt sur une explication précise. Portant sa main à sa tempe, accompagnant sa gestuelle d’une brève grimace, Morgan, toujours debout, commença à balayer discrètement des yeux les alentours à la recherche de quelque chose pouvant bien faire ces grognements qu’il était le seul à pouvoir entendre, du moins à sa connaissance …

Morgan – En tout cas, vot’ Père d’vait être quelqu’un d’très terre à terre pour vous avoir enseigné ça. Un nouveau grognement vint interrompre sa réflexion, cherchant à dissimuler son mal être à Ehawee, sans succès …

La douleur semblait persister malgré le silence venu, la voie grave qui était parvenu à Morgan continuait de raisonner dans sa tête. Pourtant, il n’avait pas été le seul à ressentir cet étrange phénomène. Tout en faisant mine que tout allait bien, le pirate remarqua que l’attention d’Ehawee avait été subtilisé, son regard s’était figé pendant quelques minutes avant de reprendre vie. En un instant, elle était passé d’immobilité à organisation précipité sous les yeux ahuri du marin, ne parvenant pas à saisir le moins du monde ce qui se passait. Soit quelque chose lui échappait, soit elle s’était rappelée d’une urgence au dernier moment se disait-il. Il était loin du compte … Tout en préparant son étrange mixture, l’archère commença à questionner le marin avec insistance.

Ehawee – Tu les perçois également ? Tu es une sorte de druide pirate ? demanda-t-elle tout simplement, comme si le pirate reprenait une discutions bien tardive pour laquelle il se serait absenté un peu trop longtemps.

Morgan Barreta – Plait-il ?

Pendant ce temps là, celle-ci avait sorti une petite coupelle dans lequel commença à écraser en petit morceau quelques petites boules dorées  dont j’ignorais littéralement la provenance. Elle ajouta de l’eau dans le bol et versa la mixture aux miettes dorées dans une fiole, contenant elle aussi quelques choses d’étrange. En effet, à l’intérieur se trouvait une sorte de pétale de fleur toute fané. Après avoir rempli la fiole et l’avoir bien mélangée, elle se tourna de nouveau vers l’abyssal, qui était resté interdit depuis sa question. Un sourcil relevé, il continuait d’observé avec inquiétude la jeune fem ... vieille femme, se demandant ce qu’il avait pu percevoir pour attirer son attention. Ceci dit, il se serait bien passé de ce surnom étrange dont il n’arrivait pas à identifier l’origine.

Ehawee - Tu as dis que tu voulais m'aider, si c'est encore le cas, alors partageons-nous le contenu de cette potion. Elle plissa ses lèvres, soucieuse, avant d'ajouter sans qu’aucune hésitation ne se lise dans son regard. Nous nous évanouirons mais je peux boire en première pour te montrer que tu ne crains rien. Si tu viens, prends gardes, là où nous serons, ton propre esprit peut-être un danger.

Et sans attendre une quelconque réponse ou question sur le sujet, sur le pourquoi du comment et autre futilité à ses yeux visiblement, elle ingurgita la moitié du flacon d’un coup sec et tendit à Morgan la fiole d’une main sérieuse. Ce dernier, hésitant, la récupéra d’une main douteuse et ne la quitta plus des yeux et, durant quelques secondes, lorsqu’ils croisèrent leur regard, il devina qu’il y avait quelque chose de très important qui l’obligeait à être aussi sérieuse, quelque chose qui échappait encore au sang mêlé. Bien sûr qu’il désirait l’aidé, dans la limite du faisable, du temps à perdre il en avait et le goût de l’aventure était ancré dans ses veines, mais de là à  faire tant de … A peine une dizaine de secondes passé qu’Ehawee commença à s’effondrer avant que le marin n’intervienne pour la rattraper et lui éviter une mauvaise chute. Enfin, il l’allongea sur le sol et resta assis à côté d’elle, la fiole entre ses mains et son regard jonglant entre celle-ci et la jeune vieille femme qui se trouvait maintenant dans un sommeil profond. La situation légèrement dérangeant pour le pauvre pirate, celui-ci commença à se rassurer en parlant à voix haute, espérant que tout ceci n’était qu’une simple plaisanterie.

Morgan Barreta – Ya vraiment b’soin que j’boive c’truc là pour vous aider ? demanda-t-il tout en souriant jaune. C’pas trop dangereux d’faire un coma ?

Malheureusement, il n’eut aucune réponse en retour, ajoutant un certain poids à la situation actuelle. Il en fallait plus pour angoisser le navigateur, mais l’étrangeté et la rapidité des évènements ne lui avait pas laissé le temps de tout comprendre et l’avait laissé dans une certaine attente presque stressante. Toujours plus inquiet, il finit par prendre le pouls de sa camarade d’archerie et de compter les battements. Si tant est qu’il y en ait, ces derniers devaient être trop faibles que le marin ne les perçoit de manière régulière. Il se releva un instant, pris une grande inspiration, fit quelques pas en rond puis, s’assit en tailleur à côté du corps d’Ehawee et tenta en vins de réfléchir à une solution.

Morgan – D’abord, elle m’dit que j’crains rien en buvant cette substance douteuse, ensuite elle m’prévient que j’peu y risquer l’esprit … tout en m’parlant d’un endroit qu’avait l’air dangereux où elle s’rendait. Continuant de la regarder, interloquer. Pourtant, c’est pas comme si elle s’bougeait vraiment …

Le manque de réaction de sa partenaire d’entraînement n’avait l’air non plus de le perturber davantage, prenant l’évènement à la légère d’une certaine façon. C’est là que l’on se rendait compte du temps de réaction bien différent entre celui d’un homme et d’une femme. Là où Morgan continuait de réfléchir à comment arranger la situation ou à se l’expliquer tout simplement, un individu sain d’esprit serait parti chercher des secours à l’auberge la plus proche ou aurait cherché à la réanimer par tout les moyens. Le marin, quant à lui, gardait son calme et prit enfin l’initiative de lui demander comment elle allait.

Morgan Barreta – Ehawee ? Appela –t-il dans un premier temps. Tu m’entends ? Tout va bien ?

Ehawee – Morgan ?

GrrrGrrr - RGROUUUuuuuuuuhhh !!

Une nouvelle fois, la douleur vint le tirer de cette confusion, lui rappelant qu’il avait du souci à se faire pour lui avant les autres. Cette fois-ci, il avait particulièrement fait attention au crie qui venait de retentir, mais si l’entendre à nouveau ne l’avait pas empêché de se laisser surprendre. Le hurlement était plus bestial qu’il ne l’avait imaginé aux premiers abords, plus animale, pourtant quelque chose n’allait pas. Alors qu’il avait beau tendre l’oreille pour deviner la provenance, il avait la sensation d’entendre ce hurlement à l’intérieur de sa tête. Il n’arrivait pas à se l’expliquer lui-même, comme si il n’écoutait plus avec ses esgourdes, mais avec ses pensées, son esprit. Pourtant, il lui avait semblé avoir entendu la voix de la jeune femme juste avant le sinistre hurlement animal, de la même façon qu’il avait entendu ce dernier, dans sa tête.

Morgan Barreta – Ehawee ? C’est toi ? Il se releva et balaya la zone du regard à la recherche d’une forme quelconque pouvant représenter la voix de l’archère, probablement son âme ou son esprit, se dit-il. C’est étrange, j’ai comme l’impression de l’entendre près d’moi, mais son corps bouge pas d’un chouilla … Morgan commença à contempler la fiole dans sa main, relevant cette aura mystérieuse qui planait autour de ses effets. Il retira le bouchon du contenant et inspira les relents du contenu, cherchant à se rassurer n’importe comment. Au mieux, il y gagna un haut-le-cœur et davantage de doute quand à la demande d’Ehawee. Et les effets se dissipe en combien de temps ?

Il espérait avoir une quelconque réponse  pour le guider, mais il fallait avouer qu’il hésitait entre ramener la demoiselle à l’auberge pour se faire soigner ou bien la suivre dans cette étrange aventure parmi les âmes et les esprits, très certainement, et optionnellement s’essayer à la mort temporaire. Etait-il trop naïf ou pas assez fou pour comprendre ce qui se passait autour de lui ?

Dans l’attente d’une éventuelle réponse de la part de l’esprit d’Ehawee, le marin secoua le flacon dans ses mains, continuant d’observer d’un regard hésitant la substance qu’on lui avait demandée d’ingurgiter. Toujours aussi peu rassuré, il espérait que l’archère lui réponde et le rassure une fois de plus de sa voix douce et assurée. Jamais il n’avait vécu pareille expérience par de là l’horizon, ni rencontré d’être aussi téméraire que cette jeune fille, prête à se jeter dans un monde inconnu et difficilement imaginable puisque lié aux esprits et autres manifestations fantomatiques, du moins c’est ce qu’il avait compris de cette histoire. Après de longues minutes à patienter auprès du corps inerte de la jolie brune, il commença enfin à se décider et approcha le rebord du flacon, penchant délicatement ce dernier, avant de s’arrêter net à l’apparition de la voix d’Ehawee. Une nouvelle fois, sa voix lui parvint sans qu’il ne puisse localiser sa présence autour de lui, écoutant attentivement ce qu’elle avait à lui dire avant de prendre sa décision.

Tout avait l’air d’aller pour elle dans l’autre monde, elle avait parfaitement devinée l’hésitation du marin et l’avait rassurée du mieux qu’elle put afin qu’il la rejoigne sans plus attendre. Vidant d’une traite le flacon avant de s’allonger aux côtés de la jeune femme, Morgan attendit quelques secondes avant que la fatigue et le malaise ne s’empare de son corps. Une étrange sensation s’était emparée de son corps, entre mal être et euphorie, la concoction d’Ehawee semblait accroître la sensibilité à un stade où l’imaginaire devenait réalité. Lorsqu’il ouvrit les yeux, plus rien n’était pareil, incapable d’expliquer ce qu’il s’était passé. S’il avait voulu décrire le voyage entre les deux mondes, les termes « absorbé » et « chute libre » auraient représentés à quelques choses près ce qu’il avait ressenti à ce moment-là.

Le nouveau monde qui s’ouvrait à lui était bien étrange, à la fois sombre et haut en couleur, comme si l’obscurité donnait du relief à ce qui l’entourait et la lumière faisait disparaître tout ceci. Le ciel sombre était recouvert de vaguelettes blanches et de tâches multicolores, les arbres étaient décrépit et difformes dans des nuances proches des abysses, au loin et derrière une multitude d’arbre tous aussi étranges les uns que les autres, une immense tâche blanche recouvrait une partie de l’horizon, semblable à l’astre qui surplombait la sinistre forêt. Au vu de la disposition des lieux, Morgan devinait que les deux taches blanches aperçues aux alentours représentaient le lac Fresha, au bord duquel les deux archers avaient débutés leur expérience, et le soleil qui continuait manifestement son ascension malgré le changement de décor. A côté du marin, une ombre était allongée, tout aussi inerte qu’Ehawee un peu plus tôt, mais aucune trace de l’esprit d’Ehawee.

Tout en cherchant à se relever, l’Abyssal compris qu’il n’y avait pas que le décor qui avait changé, les mouvements du corps étaient bien plus compliqués, et parfois même douloureux sans qu’il ne puisse se l’expliquer. Il posa en premier lieu une main ferme sur le sol afin d’appuyer son redressement et découvris une douleur qu’il n’avait jamais ressentie à la main, comme s’il l’avait posée sur un millier d’aiguilles. Son corps semblait tanguer de gauche à droite tout en se relevant sur ses cannes, la stabilité de ce monde n’était pas la même et ce qu’il voyait rendait l’expérience encore plus perturbant. Un pas après l’autre, il commença à se diriger en avant, réapprenant à marcher tranquillement jusqu’à ce que la voix d’Ehawee lui parvienne à nouveau, plus proche et plus audible que dans le monde de Dùralas. D’étranges formes semblaient se déplacer au grès des vents … sans qu’il n’y ait réellement de vent pour les accompagner, un peu comme l’on pouvait voir des formes invisibles dans l’autre monde comme les vibrations ou ces espèces de monstres qui ne semblaient pas quitter Morgan du regard. Rien n’avait de sens ici, il l’avait bien compris. Avançant lentement, mais sûrement, Morgan restait à la fois surpris et enchanté devant tant d’étrangeté et de beauté. Les couleurs y étaient changeantes, les décors à la fois sombre et apaisante, même si le mot sinistre définissait le mieux cette forêt dans son état actuel. Mais le changement le plus dérangeant qu’il put constater depuis son arrivée ici, ce n’était pas le monde qui l’entourait, mais ce qui d’ordinaire se déroulait dans sa tête. Ses pensées semblaient confuses, vagues, brouillons, difficiles d’avoir un esprit rationnel et suivre un objectif. Il devait à la fois penser aux mouvements de son corps pour avancer et à Ehawee qu’il devait rejoindre par tous les moyens. Le pirate avait littéralement la sensation d’être un nouveau-né devant retrouver son chemin tout seul, laissé au milieu de nulle part. La seule chose dont il n’était pas encore conscient devait être le fait que son état mental transparaissait dans son environnement direct, pouvant même prendre forme. Garder la tête haute et un esprit positif à toute épreuve devaient être des qualités obligatoires pour voyager ainsi dans l’au-delà, l’insouciance dont faisait preuve Morgan lui évitait ici pas mal de soucis … du moins pour le moment …

Satisfait de son apprentissage rapide de la marche, Morgan chercha à prévenir Ehawee de son arrivée dans ce monde, mais aucun son ne sorti de sa bouche. Perplexe, il répéta l’opération sans qu’il ne se passe quoique ce soit. Au bout de quelques minutes, il abandonna l’idée d’émettre un son pour chercher l’archère et se mit en route le long du chemin, espérant la croiser avec un peu de chance. Les bruits semblaient étouffés ici, les craquements des branches sous ses pas ne donnaient au mieux que de léger vrombissements et claquer dans ses mains ne produisait aucun son. Difficile de comprendre ce qui se passait ici, mais le fait de découvrir tout ceci rendait son sourire à l’Abyssale, content de pouvoir explorer de nouvelles terres et un nouvel environnement tout à fait original.

Ehawee – Morgan ? Ne t’en fait pas, je suis encore là, je t’attends.

La voix d’Ehawee lui parvint une fois de plus, toute proche, provenant apparemment d’un peu plus loin le long du chemin qu’avait emprunté le sang-mêlé. Sa démarche s’était faite plus naturelle avec le temps, avançant presque normalement. Jamais il n’aurait pensé que mettre un pied devant l’autre aurait pu être aussi compliqué, ceci dit, la fatigue n’avait pas l’air d’exister ici. Le temps et l’espace ne se déroulait pas de la même manière que dans leur monde, certes, mais il était à peu près sûr de s’être déplacé pendant une bonne vingtaine de minutes en donnant le maximum de son énergie pour avancer et contrôler les mouvements de son corps. Ce n’était plus l’instinct qui dictait ses déplacements, mais bien ses pensées, du moins c’est ce qu’il en avait conclu jusque là. Bientôt, il put enfin apercevoir la silhouette familière de la jeune archère, debout et immobile, les mains posées sur les hanches. Comme il l’avait supposé un peu plus tôt, une fois à ses côtés, il se rendit compte que l’apparence de cette dernière avait plus ou moins changée. Sa cape sombre s’éclairait par moment de teintes plus claires proches du bleu marine, tandis que son chemisier éblouissant rappelait la lueur de l’astre solaire. Sa peau si claire s’était légèrement assombris et ses pupilles glaciales s’étaient tout simplement évaporé comme si je n’avais devant moi qu’un esprit … A la réflexion, Morgan sourit de sa bêtise, essayant tant bien que mal de s’exprimer à travers quelques mimiques et gestuelles maladroites. Enfin, il tenta à nouveau de s’exprimer normalement, mais à part un léger grognement et quelques raclements de gorge désagréable, rien ne voulait sortir. Haussant les épaules avec un léger sourire en coin, il se tint prêt aux prochains ordres d’Ehawee tout en espérant qu’elle n’irait pas trop vite pour lui. Après tout, il n’était rien d’autre qu’un nouveau-né ici.

Félicitations, cher druide pirate, vous avez réussi ! Fit une voie douce et rassurante dans sa tête.

Restant quelques instants interdits, il pensa qu’il avait mal vu. Il n’avait pourtant pas eu l’impression que les lèvres de la jeune-vieille femme avaient bougées. Il avait jeté tout de même un rapide coup d’œil derrière sa compagnonne d’infortune avant de se recentrer sur elle. Son esprit lui jouait des tours. Il voulut alors lui répondre ce que pouvait bien être un druide, mais comme précédemment, il ne parvint pas à formuler sa demande, laissant le son de sa voie s’éteindre dans les abîmes de ce nouveau monde. Il n’en comprenait pas l’existence, ou ne le réalisait pas, mais pour lui, tout ceci n’avait surtout qu’un goût d’aventure dont il désirait s’étancher. Bougeant avec peine son corps, il balaya de la main les paroles de l’archère, attendant la suite, paraissant presque impertinent sur les bords. Insouciant ? Inconscient ? Il aimait découvrir et explorer, et même s’ils n’étaient pas en mer à voguer vers de nouveaux horizons, leur voyage à travers le royaume des ombres y ressemblait étrangement.

Ehawee - Nous voici dans l'univers des âmes et des esprits et de toutes entités éthérées. C'est le nôtre, détaché du corps, que nous incarnons. Morgan, cette fois-ci certain de ce qu’il avait vu plutôt, resta d’autant plus confus, écoutant Ehawee sans comprendre le sens de ses paroles. En vérité, nous ne percevons donc pas avec nos yeux, puisqu'ils font partie intégrante de notre enveloppe charnelle. Nous percevons avec notre âme. Et tout fonctionne comme cela ici. Tu n'as comme limite que ta propre énergie vitale, c'est autant une capacité extraordinaire qu'un danger certain, n'est-ce pas ? Le marin laissa s’écouler quelques secondes avant d’agiter la tête fébrilement comme pour acquiescer. Nous devons donc nous dépêcher, car nos âmes ne sauraient se retrouver libérées de leurs réceptacles tangibles indéfiniment.

Pinçant ses lèvres tout en essayant de s’exprimer, voilà ou en était resté le navigateur, cherchant un moyen de communiquer avec la demoiselle. Croisant son regard, il haussa un sourcil d’incompréhension tout en cherchant à élucider le mystère. Ehawee, quant à elle, elle le regardait d’un air inquiet, réalisant probablement qu’elle n’aurait jamais du l’emmener jusqu’ici. Même s’il paraissait ne rien comprendre, pour lui ce n’était qu’une aventure de plus, peu importe le risque et le danger, il fallait au moins ça pour en garder de bons souvenirs. Il sourit alors bêtement à cette idée et essaya de la rassurer sans moyen d’y parvenir, voyant sa démarche ignoré.

Ehawee - Ne t'en fais pas, non n'avons pas besoin de rester ici très longtemps... Nous avons juste besoin de repérer la source du problème…

Finalement, c’est elle qui se voulait rassurante auprès du marin, pensant qu’il serait apeuré par toutes ces nouveautés. Pivotant sans plus attendre vers notre prochaine destination, l’archère, reconvertit en guide spirituel, sembla ressentir quelque chose au loin, le long du sentier qui s’offrait à nous. Elle demanda au pirate si lui aussi parvenait à sentir cette présence qu’elle décrivit comme « corruptrice ». Il faillit répondre que non, qu’il ne ressentait rien, mais comme pour combler son ignorance, une onde de chaleur vint refroidir son corps … ou plutôt son âme. Une fraîcheur déstabilisante et mystérieuse semblait l’attirer au bout de se sentier, sa main se tendit peu à peu vers cette destination finale qui l’obsédait maintenant. La guide, insistant bien sur la prudence et la prévenance, lui demanda s’il était prêt à poursuivre leur chemin et satisfaire la raison de leur venu. Pour lui, la question ne se posait même pas. Il afficha un grand sourire, le pouce en l’air, preuve de sa détermination, ou de son inconscience, question de point de vue. Cela dit, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il ne serrait peut-être pas d’une grande utilité ici, d’abord du fait qu’il avait du mal à se mouvoir, encore que il semblait apprendre vite, puis parce qu’il ne savait ce qu’il devait pister, ni comment le faire. Puisqu’ils n’étaient pas sur le continent vraisemblablement, ils ne pouvaient se fier à leur habitude. Ils ne partaient pas simplement chasser le sanglier, il devait certainement y avoir quelques astuces à noter.

Toutefois, il se fia à l’instinct de la demoiselle, qui elle, savait ce qu’elle faisait, bien plus que Morgan. Et sans plus attendre, il commença à avancer le long du sentier luminescent en direction de ce qui avait attiré l’attention de sa partenaire de chasse. Un pas après l’autre, il continuait à apprendre à se mouvoir et sa démarche commençait à prendre une forme plus « naturel », le fonctionnement de son corps bien perturbé, il fallait qu’il reprenne ses marques rapidement s’il voulait lui servir à quelque chose durant ce périple. Sans même le comprendre, il parvenait à ressentir les émanations émotionnelles des âmes vivant dans ce monde, ces vagues de chaleurs ou de fraîcheurs s’intensifiant et s’adoucissant régulièrement, parfois déconcertant, parfois rassurant. Bien qu’il ne parvenait pas à mettre un mot sur ce qu’il ressentait, ce qu’il vivait en ces instants, il essayait d’en déduire un sens, une raison, sa curiosité et son sang pour seuls outils d’apprentissage et Ehawee pour le guider. Les idiots n’attrapent pas froid comme on dit.