J’avais suffisamment réussi à détourner l’attention des kelpis, pour que les trois combattants aient pu les achever dans des gerbes d’eau et de sangs. Tant est si bien que je ne pus distinguer avec certitude tous les détails du combat, le griffon se déplaçait avec aisance entre les immenses créatures avant de disparaitre lui aussi dans les flots. Lorsque la tempête se calma il partit repêcher l’elfe et l’humain avant de prendre un malin plaisir à ramener les deux cadavres poisseux sur le pont du navire, fier d’acquérir de tels trophées. Quant au stryge, il n’eut aucun mal à atterrir lui aussi sur le pont.

Une fois que tout le monde fut sorti de l’eau, Greil rapporta de la cale un tonnelet de rhum accompagné de verres. J’avais rangé mon instrument dans son étui qui retrouva sa place dans mon dos et Lune était revenue à côté de moi, elle aussi satisfaite de son travail.

« Ce serait dommage de ne pas fêter une telle victoire ! » Dis-je d’un ton enjoué tandis que le capitaine du navire commençait à servir.

Arthur revint également, tenant la main de sa petite sœur se remettant de ses émotions. Je pris alors deux verres avant d’en tendre un à Saigo, comptant bien enterrer la hache de guerre.

« Je ne sais pas pourquoi tu ne m’aimes pas, mais moi, j’ai rien contre toi et je voudrais te remercier d’avoir été là. On aurait eu beaucoup plus de mal à terrasser ces monstres marins sinon. »

Ma maladresse était évidente, mais le cœur y était, car s’il y avait bien quelque chose que je détestais, c’était bien de me faire des ennemis. Je tentais même un petit sourire de sympathie découvrant mes petites quenottes pointues.

La mer était redevenue calme et bien que le bateau avait été bien secoué, nous faisions toujours voile vers la mystérieuse île de Wysteria.

« Tu as raison. Je ne t'aime pas. Reste loin de moi et la suite du voyage se passera bien pour tout le monde. »

Mon sourire s’effaça, je ne pus que me sentir menacer en entendant le ton glacé dans sa voix et la gemme luisante, imprégné de magie qu’arborait le stryge au milieu du thorax, rendait le personnage que plus impressionnant. Je me rendis compte alors du danger qu’il pourrait représenter, j’avais pu sentir son aura lors du combat et ce qu’elle dégageait été bien plus effrayant que ce que j’aurais pu imaginais.

Il n’avait pourtant pas refusé mon verre dont le contenu disparut rapidement. Lune, répondant en écho à mon sentiment d’offense et d’insécurité, se mit à grogner, prête à bondir. La Brume s’affola autour d’elle, ses crocs immaculés se dévoilèrent et ses poils noirs comme le jais se hérissèrent. Je posais ma main d’un geste vif sur sa tête, lui lançant un regard désapprobateur qui la calma immédiatement. Cette démonstration eut au moins pour effet de me faire reprendre contenance et éclaircie mes idées, le hochement de tête approbateur qu’avait lancé Saigo au général pour lui signifier qu’il appréciait la boisson ne m’échappa pas et montrait bien que la seule personne qu’il n’appréciait pas ici, c’était moi, donc il ne serait pas un danger pour l’équipage. Je me demandais alors ce que j’avais bien pus faire pour justifier une telle aversion, mais l’homme ailé profita de mes réflexions pour tourner les talons, je fis un pas en avant, voulant lui poser la question, puis me rappelant son avertissement, me ravisais.

Le contrecoup des derniers événements commençait à se faire ressentir maintenant que le calme fut revenu sur le navire et la fatigue me guettait. Je posais enfin mon regard sur le verre de rhum, bien décidé à penser à autre chose et tout en me reposant sur le bastingage, je fis tournoyer d’un air distrait le liquide qui prenait différentes teintes ambrées lorsque la lumière le traversait. Gouter avec son flair est aussi important pour moi qu’avec mes papilles et l’odeur de l’alcool me fit d’abord pincer le nez, mais elle laissa rapidement place au reste des fragrances que pouvait offrir le breuvage. Sans plus de cérémonie, je bus une petite gorgée, le liquide brûlant dans ma gorge me fit le plus grand bien et le petit arôme boisé à la fin était exquis.

« Tu penses qu’on devrait lui parler de la liste ? » Me demanda Lune silencieusement.

Tout en sirotant la boisson, je tentais de me rappeler de quoi elle voulait parler. Voyant que je ne comprenais pas, elle imposa une image à mon esprit. Dame Cylicia avait donné une liste de noms, ou plutôt de pseudonymes à Azriel. Des stryges noirs recherché par la tour blanche d’après ce que j’avais compris.

« Je ne suis pas sûre qu’on était censé être au courant Lune, et puis les guegerres entre stryges ne sont pas nos affaires, de plus, on sait même pas s’il en fait partit, il n’y aurait rien de bon là-dedans. C’est pas toi d’habitude qui me dissuade de faire des choses idiotes ou irréfléchies ? » Je lui avais répondu par la pensée et je me rendis compte que j’avais terminé mon verre.

Elle se tut d’un air songeur avant de finalement acquiescer. Sachant que j’avais raison, elle ne rajouta rien, trop fière pour avouer qu’elle avait tort pour une fois et moi j’étais trop épuisée pour relever.

Nous continuâmes nos réflexions silencieuses quand finalement, je me redirigeais vers le tonneau afin de me resservir un verre, Greil était resté à coté et à mon arrivée, Arthur partit accompagné de sa petite sœur qui ne le quittait plus, encore sous le choc. Comment pouvait-on deviner qu’une Ombre la guettait en la voyant si adorable ? Mon verre de nouveau plein, je bus quelques gorgées avant d’annoncer à Greil :

« C’est probablement le meilleur rhum que je n’ai jamais goûté, félicitation ! »

Sans trop m’étendre sur la conversation, je repartis en direction des cales ou me reposer ne me ferais pas de mal. Sur le chemin, je croisais Hellébore, qui remontait probablement de la sienne, il avait été rejoint par Arthur et Aleyna. Je les saluais tous d’un signe de la main au passage.

Une fois enfin dans le silence reposant de la petite pièce où était rassemblé toutes mes affaires, je ne mis pas longtemps à m’endormir une fois que ma tête toucha l’oreiller.