Assis face à un maigre feu de camp, le minotaure contemplait la place centrale de Kastalinn en cette fin de journée. La vie avait rapidement reprit son cours comme si de rien n'était. Les étals du marché avaient été rapidement remis sur pieds. Les bâtiments endommagés pour la plupart réparés - à l'exception de la haute bâtisse désaffectée dont il avait provoqué l'effondrement.

Doebroksh grinça des dents. Le calme était revenu et les Kastalinnois vaquaient à leurs occupations comme s'il ne s'était rien passé. Ces humains étaient bien étrange. Et enclins au pardon.

Le volatile géant lâché dans les rues par le vieil enchanteur avait pourtant semé le chaos à cet endroit même moins d'un mois auparavant. Et Kastalinn n'avait pas été la seule cité touchée d'après les rumeurs rapidement répandues à travers tout le pays.

"Une expérience loufoque"

"Elles n’ont rien de dangereux"

Repenser aux déclarations de Tungstène concernant les aberrations qu'il avait engendré fit serrer les poings au rôdeur. Une mère et son enfant, passant près de lui, se détournèrent prudemment en remarquant la nervosité du mastodonte installé contre un mur.

L'animal effréné qu'il avait aidé les Kastalinnois à abattre était plus terrifié encore qu'eux.  Retrouvant son sang-froid suite à la bataille, le chasseur avait réalisé l'ampleur de la folie dans laquelle il s'était embarqué. La poule géante était autant que les citoyens une victime de l'enchanteur, si ce n'est plus. Et c'est à eux qu'avait incombé la tâche de se débarrasser d'elle. De réaliser le sale travail. Alors que Tungstène se terrait seule Magnésie savait où.

Le chasseur n'avait tiré nulle satisfaction à participer à la mise à mort de cet animal. Les citadins l'avaient chaleureusement remercié et désormais une partie de la population le regardait d'un œil meilleur. Certes. Mais cela ne changeait rien à ce qu'il s'était déroulé...

Expirant lentement, Doebroksh s'efforça de chasser ces sombres pensées de son esprit. L'enchanteur était connus pour ses multiples interventions à travers le pays, généralement bénéfiques. Ses efforts pour contenir la bête en Perracie en étaient un flagrant exemple, bien que son influence sur le maître des lieux s'amenuise comme l'avait prouvé l'offensive des vermines du dessous.

Le vieil homme s'affaiblissait. C'était indéniable. Nul ne vivait éternellement.

Mais quel qu’aient été ses exploits et quelque soit son âge… un jour il faudrait que lui aussi il réponde de ses actes.

S'enroulant la queue autour des genoux sur lesquels il avait les coudes croisés, il perdit son regard dans les flammes, l'esprit agité par ces sombres pensées.

Doebroksh remarqua l'approche hésitante du jeune étranger. Il tourna la tête en sa direction sans pour autant décoller son menton posé contre ses poignets croisés.

- Euh... Bonjour? Mon nom est Zayn et je... je voulais m'excuser pour la dernière fois ... Commença-t-il d'un air penaud. Enfin vous savez quand je... enfin bref pardon et merci d'avoir été là !

Le trappeur cligna des yeux a deux reprises sans bouger. Puis réalisa ce dont il voulait parler : après avoir lui été jeté à travers une baraque, il avait involontairement empêché ce fragile individu de subir le même sort. Individu qui avait activement prit part à la défense des Kastalinnois et dont plusieurs attributs avaient interpellés le rôdeur une fois dissipé l'élan du combat.

Il esquissa un très léger sourire. Être trop expressif mettait parfois les non-hybrides mal à l'aise, s'étonnant de voir son faciès bovin retrousser les babines et sembler plus farouche…

- Salutation, répondit-il de sa voix granuleuse en levant finalement la tête.

Élevant le bras, Doebroksh se redressa sans toutefois se lever, arrivant malgré tout presque à la hauteur de son interlocuteur. Il haussa sa main à trois doigts à hauteur de ses cornes, paume tournée vers Zayn, en un salut courant parmi les tribus minotaures. Puis avec un soupir il abaissa le bras en invitant de l'autre main le soldat à s'asseoir pour partager son feu.

- Zayn, répéta-t-il en l'étudiant du regard. Appelle moi Doe'.

Il inspira quelques bouffées d'air, triant les odeurs parvenant à ses naseaux. Cendres des flammes, terre humide sur le côté, poussière de l'allée principale, viandes et légumes sur les étals, transpiration des humains… mais pas de cet individu. Étonnamment, Zayn émanait un bouquet qui rappelait au chasseur celui… des batraciens. Ou du moins de quelque créature aquatique s'en rapprochant. Il fronça légèrement les sourcils avant de reprendre en s'efforçant de masquer sa curiosité :

- Tu n'es pas de cette région n'est-ce pas ? Je ne crois pas avoir déjà croisé quelqu'un comme toi.

L'imposant mastodonte portait un regard sur le frêle abyssal au cœur léger ; sa voix était plutôt lourde mais ça n'avait pas l'air de déranger le jeune soldat qui ignorant beaucoup des peuples de la surface, ne savait pas qu'il était plutôt rare de rencontrer un hybride-minotaure.
Son invitation laissa Zayn songeur, mais il prit place au coin du feu, il s'avère toujours étonnant pour lui de regarder ces braises incandescentes se former dans l'air... à travers le miroir de ses yeux on y voyait quelques unes d'elles s'échapper, le spectacle demeurait toujours envoûtant.

Doe' avait-il dit, un nom simple à retenir, plaçant ses mains à proximité du feu, il sentait une nouvelle fois cette sensation de chaleur qui n'éprouvait jamais sous les profondeurs de l'océan, c'était étrange, il laissa échapper un sourire avant que son interlocuteur lui fasse la remarque qu'il ne voyait pas beaucoup de personne de la race des abyssales dans les parages.

-"Héhé non en effet ... je suis pas du tout du Nord... moi mon domaine c'est plutôt le grand et vaste océan!" finit-il avec une pointe d'amertume dans la gorge, et les oreilles tombantes.
"Mais je n'imaginais pas le monde de la surface aussi peuplé... votre peuple est d'originaire du Nord? Les Miliciens d'ici ne vous ressemblent pas vraiment... sans vous offensez..."
"Oh j'y pense.... on m'a offert ceci ... des biscuits du nord apparemment... malheureusement c'est pas vraiment ma tasse de thé comme ils disent... vous en voulez?"

Il se détendait un moment, la route allait être longue et visiblement Hippocampe n'était pas en joie d'aller faire des kilomètres sur les routes aujourd'hui, tant pis ils devront s'arrêter plus souvent, Zayn ne force jamais sa monture et la laisse souvent choisir le temps du voyage et des escales.
-"Vous vous êtes plutôt bien battu, vous avez une force que je n'ai pas... ahaha. Franchement des rats, des poules, décidément la surface est .... étrange..." dit-il sur un air rêvassant

"Finalement je me demande si je suis fait pour cette mission" conclu t-il dans ses pensées.
Il soupira, et puis avala un mélange d'algues et de crustacés.

Les mots prononcés par Zayn firent tiquer le rôdeur qui mit un instant à réaliser leur signification.

"mon domaine c'est plutôt le grand et vaste océan!"
"le monde de la surface"

Il imbriqua enfin le puzzle comme le soldat lui proposait des biscuits. Cherchant ses mots, il en prit distraitement un que, toutefois, il ne porta pas à sa bouche.

- De sous l'eau ? Murmura-t-il sans écouter les compliments de l'abyssal sur ses prouesses.

Se penchant vers le virtuose qui s'interrompit dans son repas en le voyant faire, Doebroksh huma l'étranger à plein poumon. Son anneau nasal vint rebondir à une dizaine de centimètres de la tête de Zayn...

- De sous l'eau ?! Répéta-t-il ébahi.

Les yeux ronds comme des soucoupes, le minotaure dévisagea son interlocuteur sans retenue.

- Tu viens de sous l'eau ? De l'océan de l'autre côté du désert ?

Jamais il n'avait put voir la mer de Van Hallen de ses propres yeux. Une fois seulement il lui avait été donné de visiter l'océan glacé au nord et la banquise stérile à perte de vue, mais celle-ci n'avait de toute évidence rien à voir avec là d'où venait Zayn.

Non seulement il se trouvait face à quelqu'un ayant déjà vécu au bords de l'Océan, mais visiblement aussi en-dessous de celui-ci ! Ce qui impliquait qu'il était capable, d'une façon ou d'une autre, de survivre sous l'eau, ce que lui confirmait son odeur atypique !

- Peux tu m'en dire davantage ? Se réfréna-t-il comme il put en réalisant qu'il devait sembler bien envahissant.

Se réasseyant, il dévorait Zayn du regard en s'efforçant de ne pas trépigner de curiosité comme un  jeune taurillon. Il ne remarquait néanmoins pas que sa queue ondulait dans son dos…

L'hybride semblait très interloqué aux dires du jeune abyssal, à en juger par ces étonnements répétitifs, sa curiosité le rapprocha très près du soldat, un peu trop près même...
Il prit un peu de la distance avant de répondre à l'air ébahi du minotaure :
"Ahem ... je suis un abyssal donc oui sous l'eau, j'ignore toutefois à quoi ressemble le désert... mais apparemment le climat est très différent d'ici"

Zayn se mit à regarder le ciel, oui d'ici le ciel est très différent, quel étrangeté allait-il vivre encore? Quel climat allait-il affronter? Le monde de la surface semblait être très hétérogène, changeant aux grès des saisons, des lieux, en venant dans le Nord, Zayn s'était rapidement aperçu les différences culturels et ethniques par rapport au Sud.

L'imposant Doe avait toujours cet air d'émerveillement dans le regard, le jeune soldat ne pensait pas susciter l'intérêt à ce point.
Peux tu m'en dire davantage ?
Il hésita... à parler des siens... la dernière fois sa matriarche avait confirmé par l'intermédiaire de l'eau que sa nouvelle rencontre était pure, mais ici avec la glace qui recouvre l'eau, le jeune abyssal se retrouve sans appui, et il n'allait pas mettre son peuple en danger, quant bien même l'individu semble être amical.

-"L'océan est vaste ... très vaste ... et c'est très différent d'ici ou même de là-bas, le mieux c'est que tu le découvres par toi-même, je pourrais t'en parler des heures mais le mieux est de le vivre... rien que de sentir le flux de l'eau, et la faune et la flore marine sont exceptionnelles! (il était en appui sur ses avant-bras, fermant les yeux pour se remémorer sa terre natale (ou océan natale pour être plus précis), et soudain un détail lui vint à l'esprit) euh... par contre sais-tu respirer sous l'eau?"

- Respirer sous l'eau ? Répéta Doebroksh en reculant.

Il se frotta le menton. Il paraissait évident que d'une façon où d'une autre Zayn en était capable. L'examinant à nouveau, il ne discerna pas de traces de branchies comme les poissons. Ni sur ses joues ni sur son cou. Peut-être sur ses côtes, sous ses vêtements… mais alors comment faisait-il lui pour respirer sur la terre-ferme ?

- Je serais ravi de découvrir l'environnement et les sensations que tu évoques. Mais je ne peux pas respirer ainsi. Et la nage n'est pas vraiment le point fort des minotaures…

De nouvelles questions se bousculaient dans ses pensées au fur et à mesure que l'abyssal lui répondait. Il avait toutefois noté le recul de son interlocuteur, signe évident qu'il était quelque peu envahissant… Mieux valait ne pas aller trop vite ou il n'aurait jamais ses réponses.

Du coin de l'œil, le rôdeur remarqua que leur échange ne passait pas inaperçu au coin de la place centrale de la ville. Les vendeurs à l'étal les plus proches comme leurs clients leurs coulaient des regards en coin et  laissaient traîner leurs oreilles. De plus, les passants semblaient ralentir leur marche en approchant, intrigués par cette discussion singulière entre les deux étrangers ayant défendu leur cité. Doebroksh était habitué à cette attention qui leur était portée : sa nature comme sa carrure se faisaient vite remarquer. Il ne pouvait qu’espérer qu'il en soit de même pour Zayn. Cela dit, s'il n'avait pas déclaré être d'une race sous-marine, le minotaure aurait continuer à le prendre pour un genre d'elfe…

- D'autres créatures intelligentes que les… abyssaux… hésita-t-il en reprenant le nom que Zayn c'était attribué et reportant son attention sur le soldat, vivent-ils sous les océans ? Et quelle est leur profondeur réelle ? Plus qu'un lac j'imagine.

A nouveau Doe examinait le jeune abyssal, lui rengainait son écharpe qu'il le recouvrait, il faisait vraiment froid. D'ailleurs la brume du minotaure était bien plus épaisse et volumineuse que la sienne.
Sa carrure semblait idéale pour les différents reliefs, Zayn lui comptait sur son compagnon à quatre pattes pour le porter.
Mais c'est vrai qu'en le regardant, Zayn eu un sourire, il devait couler comme une pierre...

-Je pourrais t'apprendre tu sais... mais à vrai dire, si tu es quelqu'un de bien, peut-être que ... navré je peux t'en parler, ne m'en veux pas mais je protège les miens avant tout...

En vérité, le peuple de Zayn ne passe pas son temps à nager en vivant à l'intérieur des gardiens de l'uchronie, ces grands cétacés qui voyagent au grès des courants marins. Pour apprendre à nager, ce serait l'idéal, mais rare sont ceux qui ont le privilège de les rencontrer.
Et puis avec cette foule curieuse, jamais Zayn ne commettrait l'erreur ne serait-ce que de mentionner leur existence, sait-on jamais, en tant que soldat, il reste la première ligne de défense des siens.

-Tu as vu les affiches sur les panneaux? Il parait que la ville sous-marine organise des festivités, tu trouveras surement de quoi respirer sous l'eau parmi les marchands du coin. J'espère qu'il en ont à ta taille. (Zayn mordit sa langue pour éviter de glousser)

On les regardaient, avec parfois un peu trop d'insistance, Zayn préféra se taire en attendant qu'ils passent, agacé il souleva ses jambes et les passa de l'autre côté, de dos la foule curieuse devait vraiment être proche s'ils voulaient les entendre, alors désormais les passants les toisa du regard de loin, les soldats quant à eux veillaient à remettre tout en place depuis l'attaque, tout en saluant l'effort des deux individus assez atypique dans la région.

Zayn soupira... il fit des va-et-vient de mouvements d'épaules, décidément la tentative de tir à l'arc lui reste dans sa musculature.

-Bien sûr... je dirais même que certaines sont bien plus intelligentes que les abyssaux... ahaha.... tu serais étonné des profondeurs, je connais un endroit que mon peuple nomme la grande faille, jamais personne n'en a vu le fond.... mon peuple y a croisait un véritable monstre.... heureusement l'un de nos chefs maintenant l'a vaincu...

Zayn se remémora la scène, mais la chassa vite de son esprit.

-Je pense reprendre ma route, près de l'eau je pourrais plus facilement.... si tu serais toléré parmi les miens.... si on se recroise je serais ravi de te montrer le vaste océan... et peut-être pourras-tu m'aider à visiter la surface?

- Je comprends, répondit simplement le minotaure comme Zayn s'abstenait d'en dire plus sur ses fonds marins d'origine.

Lui-même aurait été réfractaire à l'idée d'en dire trop sur sa tribu à un inconnu. C'était un choix qu'il respectait. Aussi n'insista-t-il pas. Néanmoins, lorsque l'abyssal évoqua les appareil permettant de respirer sous l'eau cela piqua sa curiosité.

- Voila qui m'intéresse. Je vais me renseigner à ce sujet. Cela peut toujours être utile. Quand à la taille…

Posant une grosse main sur le mufle de son museau, il caressa l'anneau doré entre ses narines.

- Il y aura sûrement des ajustement à faire, s'amusa-t-il.

Ce n'est qu'alors qu'il remarqua l’embarras qu'éprouvait son interlocuteur vis-à-vis des passants. De plus en plus nombreux étaient les Kastalinnois à s'attarder près d'eux pour tendre l'oreille. Citadins comme miliciens. Zayn trépignait sur son banc improvisé.

Les oreilles du minotaure se redressèrent sur son crâne à la mention d'une créature des profondeurs qu'un supérieur de l'abyssal aurait défait. Intrigué, il s'apprêtait à lui poser une question de plus, mais lui  lui indiqua qu'il souhaitait prendre congé.

- Je serais honoré de découvrir l'environnement marin en ta compagnie, répondit-il en se levant en même temps que l'abyssal. Ou de te montrer mon  bout de pays.

Tendant sa main à trois doigts, il serra solennellement celle de Zayn, facilement deux fois plus petite.

- Que Magnésie et les Esprits veillent sur ton périple en surface.

Après ce souhait solennel, il laissa l'abyssal s’éloigner. Il s'attarda un instant sur sa silhouette se frayant un chemin parmi les nordiques. Puis, revenant à son feu s'étant atténué au fil de leur discussion, il dispersa les braises d'un coup de sabot. Son estomac commençait à se manifester et il n'était pas question pour lui, chasseur, d'acheter de la viande après d'un commerce local. Se ressassant ce qu'il venait d'apprendre au cours de cette rencontre inattendue, il prit le chemin des portes de la villes. Parler avec l'abyssal avait totalement chassé ses sombres pensées à l'égard de Tungstène de son esprit.

Ellipse dans le temps pour les prochains messages si tout le monde est ok

Le marchand se présenta à l'avant de sa petite échoppe en entendant tinter le carillon de l'entrée.

- Bonjour bonjour, que puis...

Il s'immobilisa en croisant le regard froid de l'hybride toisant les poutrelle de l'établissement. De toute évidence, le petit individu n'était pas habitué à côtoyer pareil mastodonte dans sa boutique. Doebroksh avait d'ailleurs dû se tortiller pour pouvoir y entrer.

- Hé bien voici une visite inattendue, déclara le propriétaire en se redressant.
- Salutation.

Ses ailes sombres s'étirant imperceptiblement dans son dos alors qu'il bombait le torse, le stryge apothicaire semblait pourtant bien chétif en comparaison avec son interlocuteur. Lorgnant sur la tunique du minotaure et les multiples colifichets pendant à son cou, il remarqua un emblème familier.

- Vous ne seriez pas ce minotaure ayant récemment rejoint la milice à tout hasard ? Doborchk si ma mémoire est bonne.
- C'est bien moi, répondit-il en se détournant pour parcourir les étagères du regard.

Prenant garde à ne pas approcher des rayons, le minotaure turbulent était bluffé par la quantité de pots, bocaux transparents, boites aux étiquettes griffonnées et autre plantes séchées au milieu desquels il évoluait. Le stryge retint son souffle en le voyant tourner sur lui-même comme il étudiait ses produits, craignant de le voir emporter tout un mur d'un mouvement d'épaule maladroit.

- Peut-être... pourrais-je vous aider à trouver ce que vous cherchez ? hasarda-t-il en se dressant sur la pointe des pieds de derrière son comptoir. Vous savez j'ai...

Il s'interrompit en remarquant une menue silhouette traverser la pièce en volant, parcourant elle aussi l'étal avec de grands yeux curieux.

- Une fée, balbutia le stryge. Comme cela fait longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de voir un représentant du petit peuple !

Voletant jusqu'à lui, Nyssa lui fit un signe de la main en affichant un grand sourire.

- Bonjour ! Je suis Nyssa Folkor !
- Nyssa, répéta-t-il en se penchant pour l'étudier attentivement. C'est... un plaisir de faire votre connaissance.

Tournoyant, celle-ci reprit de l'altitude en battant vigoureusement de ses ailes semi-translucide, retournant étudier les rayons. L'apothicaire la suivit du regard, comme hypnotisé.

- Ahem.

L'apparition de la fée lui avait momentanément fait oublier la présence de l'énorme hybride dans la pièce. Se recomposant un sourire, le stryge resta face à Doebroksh qui capta son regard en direction de sa camarade d'aventure. Un regard intrigué. Mais pas seulement.

Avançant d'un pas, il se pencha et murmura à mi-voix au stryge :

- Je suis un peu à cours de monnaie, glissa-t-il sur le ton de la confidence. Combien vous m'en donneriez ?

Le stryge plissa des yeux, son regard allant de la fée batifolant plus loin au mastodonte penché au-dessus de lui. Calculateur, il inclina la tête de côté, se demandant si cet animal se payait sa tête ou bien était sérieux.

- Je dirais... quatre cent pièces d'or, tout au plus.
- Je vois, murmura Doebroksh en se frottant la barbe. Se serait assez en échange d'une potion d'insensibilité ?

Secouant la tête, l'apothicaire afficha une mine désolé.

- Je crains que non. Une telle potion vaut au moins mille deux-cents pièces d'or. Contre deux... deux de plus, déclara-t-il en désignant discrètement Nyssa du menton, je vous en échangerais une.
- Je vois, je vois, répéta Doebroksh d'un ton pensif sans cesser de ce frotter la barbe. Et contre mes cornes ?
- Contre vos... je vous demande pardon ? s'étrangla le stryge en fronçant les sourcils.

Il eut un bref mouvement de recul qui n'échappa au chasseur. Lentement celui-ci se redressa.

- Mes cornes, insista-t-il. Combien vaudraient-elles dans ton business ?
- Je... je ne comprends pas... que...

Lentement, se tourna vers la porte donnant sur la pièce voisine. Ce n'était que trois pas à effectuer, mais le minotaure s'avança, le piégeant derrière son comptoir.

- Potions et poisons liés à la sensibilité pour mille pièces d'or chacune, commença-t-il à énumérer d'une voix de plus en plus grave. Auxquelles les cornes de kératine de rhinocéros peuvent être troquées. Remplacées par celles de satyres ou de minotaures. Des effets décuplés.
- Qui... qui vous a raconté des sornettes par...
- Elixirs d'euphories à base de sabots de Centaures ou d'Ayanis, gronda-t-il en s'avançant. Potions de force décuplée. Remèdes contre l'impuissance et l'infertilité humaine. Essence de rajeunissement.
- Je... sortez de mon magasin ou j'appelle la Milice ! s'écria le Stryge en reculant dos contre une étagère, ses ailes renversant plusieurs flacons qui vinrent s'éclater au sol.
- Je suis la milice, grogna le minotaure en soulevant sa griffe de combat. Combien vends-tu ces décoction, apothicaire ?
- Je ne vends pas de...

Les lames du minotaure vint brusquement fendre l'air. Avec une giclée écarlate et quelques plumes, les pointes acérées vinrent lui percer une aile, le clouant au mobilier. Le propriétaire beugla de douleur en attrapant le poignet du minotaure à deux mains. En vain. Pivotant légèrement la main, il remua les lames dans la plaie, arrachant de nouveau hurlements au supplicié.

- Doe !

Tournant la tête vers la porte attenante, l'intéressé jeta un oeil à la fée revenant des autres pièces où elle c'était discrètement éclipsée. Sa mien était plus blafarde encore que d'habitude, bien que l'hybride n'eut pas crû cela possible.

- Tu as trouvé ?

Celle-ci hocha lentement la tête, la mâchoire crispée.

- Il en restait d...
- Des cornes de béliers ! paniqua le stryge en battant des bras . De béliers ! Se ne sont pas des cornes de faunes mais de bélier qu'elle a...
- Et les défenses qu'il y a d'alignées sur la table juste derrière ? l'interrompit-elle en venant pointer un miniscule index accusateur. Se sont celles de sangliers peut-être ? Et le sabot sous ta table de nuit ? Il est encore plus gros que ceux de Doebroksh !
- C'est... je...
- J'en ai assez entendu.

Libérant brusquement son prisonnier, le minotaure l'attrapa par la gorge et le tira de derrière son comptoir avant qu'il n'ai le temps de crier. Un coup d'épaule plus tard, la porte claquait, les curieux attirés par les cris de l'apothicaire reculant prudemment.

- Où... où m'emmenez vous ? s'écria-t-il. Ne... ne tuez pas ! Ce... ce n'est pas moi qui les...
- Je ne vais pas te tuer, grinça Doebroksh en le secouant. Quoique... si la Jarl m'y autorise ...


Moins d'une heure plus tard, Minotaure et fée patientaient à l'entrée du pavillon, attendant le retour de la seigneur de ces lieux. Le stryge était aux fers. Pour le moment. D'autres miliciens avaient confirmés l'origine hybride, orque voire fée dans les différents ingrédients que l'apothicaire gardait en réserve.

- Doe ? osa-t-elle après un trop long moment. Pourquoi... pourquoi l'as-tu poignardé avant que je te confirme qu'il avait...

L'hybride grogna en tournant la tête. Même si la réaction du stryge avait confirmé ses soupçons, lui l'avait en effet mutilé avant d'avoir la moindre preuve. Assise sur son épaule, la fée osa néanmoins insister :

- Et si sa n'avait pas été lui ? interrogea-t-elle d'une voix inquiète. Et si Eithur c'était trompé ?
- Il aurait entendu de mes nouvelles, évoqua sombrement Doebroksh. Il n'y a pas d'autre alchimiste à Kastalinn que ces deux là. Or les papiers de notre agresseur indiquaient Kastalinn. Comme lieu de livraison.

Adossé à la roche, le Minotaure étudiait paisiblement le paysage, doigts croisés sur le ventre. Chose rare à Kastalinn, il avait retiré sa tunique, ne gardant que son pagne sans sa ceinture. De toute façon, là où ils se trouvaient, il y avait bien peu de chance pour que quiconque ne les découvre. Plus bas dans les plaine la route principale serpentant jusqu'au Poing de l'Hiver disparaissait dans les collines. Appréciant ce calme bienvenue entre les multiples tâches que ses différentes allégeance réclamaient, il croisa les doigts sur son ventre nu et profita de l'instant.

Voletant autour de ses vêtements et pièces d'armure, la fée elle en revanche s'ennuyait fermement.

- Il n'y a rien faire aujourd'hui, se lamenta-t-elle en se laissant brusquement tomber sur le genou de l'hybride.

Sans lui accorder un regard, il étudia un groupe de chevaux sauvage au loin. Ces animaux se faisaient de plus en plus rare, traqués par les nordiques pour en faire des montures. C'était une véritable chance de pouvoir en observer, aussi près de la ville qui plus est.

- Quand est-ce qu'on va dans les montagnes ?
- Bientôt, répondit-il distraitement.

Se laissant rouler sur le ventre, Nyssa dévala sa jambe velue avant de s'arrêter à cheval sur son sabot. Battant des ailes, elle se redressa, sa robe diaphane ondulant autour de son corps menu. Faisait-elle parti de son corps ? S'agissait-il d'une illusion ? Le rôdeur n'aurait su dire. Elle portait généralement le fin vêtement bien qu'il ne distingue nulle différence entre le tissu et sa peau. De plus, elle ne l'arborait pas lors de leur première rencontre.

Clignant des yeux, il chassa de son esprit ces pensées trop compliquées pour lui. Il était un rôdeur, pas un fichu magicien ou élémentaire. Il était vain d'espérer comprendre les dons que possédait la fée, bien qu'ils vivent ensemble depuis plusieurs mois.

- Pourquoi les villageois posent des légumes oranges partout ? Interrogea-t-elle. J'en ai même vu faire des dessins effrayant dessus avec leurs couteaux !
- Des citrouilles, expliqua le minotaure d'une voix distraite.

Parlant de citrouilles. Doebroksh songea alors qu'une époque sombre de l'année approchait. Il n'avait pas lieu tout les ans, mais un évènement récurent venait troubler la paix de leur pays à intervalles réguliers. La Convergence.

Songeant à celle-ci, sa mine se renfrogna. Il était seul sur la route l'an dernier lorsqu'elle eut lieu et n'y fut pas exposé. Il y a quelques années en revanche, en compagnie de ses camarades d'enfance, il avait assisté à des manifestations surnaturelles qu'il n'avait pu expliquer. Ni contre lesquelles lutter. Les deux autres minotaures, doués de liens avec le monde des esprits et de la nature dont lui ne bénéficiait pas, avait été en mesure de le protéger. De protéger toute leur tribu.

Levant sa patte couturée de cicatrices il songea que, si cette année la convergence se produisait à nouveau, il serait tout autant démuni que bien des années plus tôt. Il excellait dans le maniement des armes et le combat. Cependant, le tranchant d'une hache ou la pointe d'une lance se révélaient inutiles contre des esprits immatériels. Si des esprits maléfiques venaient à s'en prendre à Kastalinn ou sa tribu, il serait impuissant à les protéger. Il était un rôdeur. Pas un fichu magicien.

Détournant le regard, il chercha les chevaux sauvage. Mais ceux-ci avaient disparus.

Son après-midi de détente troublé par ces sombres pensées, il poussa un soupir. Il n'avait pas apprécié prendre les armes contre les skarniens. Ni contre les poules du vieux fou. Mais il l'avait fait, par nécessité autant que par devoir. Contre des esprits...

Son regard se posa sur la fée, debout sur son sabot, observant la plaine d'un air blasé. Nyssa. Il ignorait beaucoup de ses capacités. Mais elle soignait ses blessures avec autant de talent qu'un guérisseur et au combat projetait des lances de glace acérés qu'il avait déjà pu éprouver. Sa magie serait-elle efficace si la convergence venait à se produire ? Cette idée le troubla plus encore. Sa minuscule amie, plus apte à protéger une cité que lui-même, imposant minotaure craint de tous !