Le silence est juste froissé par cette légère brise crépusculaire qui endort les habitants Baldoriens.
Après les brumes, où commence le ciel : Ici, les grands froids règnent même au soleil avec des neiges éternelles. Le soir est venu, plus personne ne frissonne.

"C'est quoi ce froid de fou !?"

Personne ? Non, personne à part cette demie-biche à l'air complètement hagarde et surprise par la température négative qui s'est installée d'un coup. Moi, en somme.

"Jamais j'aurais cru que d'approcher le soleil rendait l'air si froid. C'est impossible ! Héééé, salut toi !"

Dérangé par le bruit, une bestiole en manteau vient de tourner ses yeux curieux vers moi. Si elle avait été doté d'un soupçon de méchanceté, elle se serait probablement moquée, mais c'est juste une brave bête nettement plus adaptée à ce genre de climat que moi.

Je farfouille dans ma besace et en sort une bonne poignée de céréales que je tend à ce petit animal-nuage. Méfiante de prime abord, cette bête se laisse finalement tenter à renifler, puis à goûter, avant de tout engloutir.

La ville est juste devant mot et me laisse face à un cruel dilemme : puis-je décemment dilapider ce qui me reste d'argent pour dormir au chaud ou dois-je continuer ma route de nuit afin de tromper le froid ambiant ? Non, cette dernière idée était totalement exclue, pas sans une bonne cape, et à cette heure aucun magasin n'était encore ouvert pour que je puisse y acheter quoi que ce soit. C'est alors que mon nouvel ami m'interpelle avec une idée toute singulière...

"Bêêê !"
"Vraiment ?"
"Bêê..."
"Merci, c'est vraiment gentil."

Je passe alors la petite porte de bois et suit mon copain sous son vétuste abris de bois. Là, il y a beaucoup d'autres animaux-nuages entassés les uns sur les autres. Ainsi, ils me semblent tous identiques, seul mon guide est suffisamment téméraire pour venir renifler dans ma main pour me réclamer d'une manière plus où moins subtile des céréales supplémentaires. Je lui caresse le museau et lui redonne une généreuse poignée. Ces bestioles ne semblent pas rassurées par ma venue et paraissent même être sur le point de s’effaroucher. Je tend alors mes mains, paumes vers le haut, afin qu'elles puissent sentir mon odeur et accessoirement, l'odeur des céréales. Étrangement, quand je m'agenouille pour prendre place auprès d'elles et que je me déleste de mes sacs, tous les animaux-nuages se calment instantanément et mon nouvel ami vient se blottir tout contre moi non sans réclamer une ultime poignée de céréales.

Dormir sous un toit n'est vraiment pas naturel pour moi même si celui-ci est seulement constitué de planches plus ou moins bien agencées et plus ou moins étanches. Une chance : il n'y a pas de murs et j'ai la sensation d'être tout de même à l'air libre. De là où je suis, je vois le petit chemin d'où je viens et où je repartirai certainement demain matin. J'apprécie la chaleur corporelle de ces herbivores et le fait de pouvoir malgré tout dormir à l'extérieur tout en restant à l’abri du vent est pour moi le comble du luxe. Va, bonne nuit tout l'monde !


C'est une sensation étrange qui me réveille. La sensation d'être observée par un prédateur. Ce qui est bizarre, c'est que je ne ressens pour autant aucun danger immédiat ce qui me laisse complètement dans le coton. Plus étrange encore : mes nouveaux amis, en alerte, n'ont cependant pas bougé non plus. Je tire sur mes yeux, le froid m'ayant tellement engourdi et fatigué la veille que j'ai vraiment de la peine à me lever de ce lit douillet d'animaux en manteaux.

Là, je vois quelqu'un de flou dans la brume matinale, accoudée au portants de la petite porte de bois. La silhouette me regarde moi directement, comme si elle savait que je ne faisais pas partie initialement du troupeau. Ce doit être un prédateur particulièrement habile pour m'avoir ainsi repéré... A moins que ce ne soit juste quelqu'un de balade pour qui la présence d'une demie-cervidée dans un troupeau d'animaux-nuages n'a pas échappé.

"Bonjour ?"

Oui, je ne suis pas bien réveillée et c'est comme ça que j'apostrophe mes prédateurs potentiels. Je relève une mèche verte de mon visage et la silhouette devient soudainement beaucoup plus nette.

"Je ... Shenzy. Je suis Shenzy. Je me suis simplement endormie au milieu des ..."

Des ... moutons ?

Je suis sur le point de dire à cette charmante étrangère que je n'ai vu aucun mouton depuis mon arrivée ici quand mes yeux se posent sur un de ces animaux-nuages. C'est ça un mouton ? C'est assez bof comme nom. Enfin qui suis-je pour juger ?

Étirant mes muscles qui se mettent à craquer douloureusement, je me redresse sur mes sabots. Cette femme est jolie, une humaine, probablement. Enfin, une humaine avec un truc en plus, mais je ne sais pas encore bien de quoi il s'agit.

Toujours est-il qu'elle me propose à manger. Un esprit chagrin se serait empressé de dire qu'elle souhaite simplement m'engraisser pour m'ajouter au ragout de mouton, mais je suis suffisamment éveillée sur les coutumes des hommes à présent pour savoir qu'ils ne mangent pas de viande d'animaux parlants. Enfin pas tous. Enfin j’espère ...

Elle me propose alors cet étrange agglomérat de céréales que j'ai découvert il y a peu et que j'adore, du fromage et de la viande.... Et du grain ! Elle veut m'ajouter dans l’assiette, j'en étais sûre ! Pour la suite, c'est mon estomac qui fini par trancher.

"Merci beaucoup ! Je meurs de faim ! Je veux bien du pain mais je vais faire l'impasse sur le fromage et la chair, enfin le jambon."

Caressant un mouton alors que je m'approche de la femelle humaine, je me reprend tout à coup.

"Au fait, j'espère que cela ne faisait rien que je dorme ici cette nuit, je ne pense pas m'attarder, promis. En tout cas, je ne leur ai fait aucun mal évidement."

Comme pour confirmer mes dires, mon nouvel ami animal-nuage vient d'enfouir sa tête dans l'une de mes sacoches avant d'en ressortir, les joues pleines de céréales et l'air ravi. J'envie cette humaine, cela doit être gratifiant d'élever et de s'occuper de ces animaux.

J'attrape alors mes sacoches et entreprend de me les attacher sur le dos ce qui semble décevoir mon chapardeur qui se met sur les deux pattes arrières pour mettre son museau au niveau de mon arrière main. J'attrape aussi mon arc et mon bâton, ainsi que le mouton sautillant à mes côtés qui se met à s’agiter dans mes bras.

"Tiens, je te le rend. Merci de me l'avoir prêté !"

Un doute m'assaille tout à coup.

"Tu veux peut-être quelque chose en échange pour la nuit ou le pain ? Ou alors, tu veux un coup de main pour t'occuper des bêtes ?"

"Non, il n'y a pas d'herbivores en manteau par chez moi. Ils auraient trop chaud, je pense."

Du pain ! Enfin ! Quand je reviendrai à la maison, nul doute que j'en ramènerai la recette. La miche entre mes mains, je sens presque la salive me dégouliner des lèvres. Seulement, la femme accepte mon aide et je repousse à plus tard mon festin.

Je caresse l'une des bête qui passe à ma portée puis je prend les seaux chargés de grain. D'un œil critique, je remarquai que ces moutons étaient particulièrement bien traités et nourrit. Alors quand la jolie blonde a détourné le regard pour se porter sur la bergerie, j'enfourne une généreuse poignée en bouche. Qu'on ne vienne pas me dire que c'est du vol, le mouton a mangé mon petit-déjeuné en à peine une heure.

Le grain est farineux, un peu sec, mais riche. On sent que la personne qui l'a produit voulait rentabiliser le temps d'ingestion au détriment du goût. En même temps, je me doute bien que les humains ne mangent pas de grains pour s'assurer que les moutons mangent des repas savoureux.

Alors que je suis la femelle dans son sillon de mouton, l'un d'entre eux, plus pressé que les autres, me saute dessus pour essayer de mettre sa tête directement dans le seau. Écartant les bras pour ne pas le laisser faire, c'en est un autre qui, profitant de mon inattention, parvient à me voler du grain. Mais ...

Ni une, ni deux, je bondis au dessus des moutons pour parvenir jusqu'à la mangeoire. Sauter par dessus ces bestioles est assez amusant, je dois dire, on devrait en faire un jeu ! Avant que le grain ne se renverse par terre, je déverse le contenu de mes seaux dans une mangeoire avant qu'une pluie de laine encore accroché à leur propriétaire ne s'abatte sur moi.

"Bêêêê toi-même !"

Ais-je vraiment tirer la langue à un mouton ? Mon attention se reporte alors sur la fille. Il nous faut faire encore plusieurs allez-retour pour remplir toutes les mangeoires. Manifestement, elle a l'habitude et possède même une autorité naturelle, même envers moi.

"Holy, je voulais juste te demander, es-tu une simple humaine ? Et aussi, j'aimerais savoir s'il était possible de prélever un peu des poils de ces moutons pour les tresser et les tisser pour m'en faire une cape, pour survivre ici."