“C’est pas le moment là …”

Il venait de boire la dernière gorgée de sa gourde faisant évaporer quelques gouttes sur l’une des rares pierres ocre du paysage, quand un premier murmure se fit entendre. Il avait désormais presque l’habitude mais les chuchotements monocordes qui lui tenait quotidiennement compagnie commençait à tourner autour d’un mot beaucoup trop pensé pour ne pas être entendu.

“Soif... SOIF!!!”

“Bast, Damnation que tu es! je n’ai pas besoin de toi pour me rendre compte que je crève de soif” s’insurgea le garçon à l’égard de sa voix intérieur.

A l’ombre du seul arbuste à des centaines de mètres à la ronde, Jasper commençait à désesperer de ne pas pouvoir retrouver de la civilisation. Quand bien même son maitre n’approuverait pas cette pensée, le garçon se complaisait beaucoup plus dans une solitude noyée dans le brouhaha de l’activité citadine que des grains de sable fouettant ses tibias chariés par le Sirocco.
Sentant sa gourde vide, il la tourna vers le bas pour n’y voir aucune goutte tomber sur le sol chaud et rocailleux qui chauffait ses semelles de cuir.
La colère lui montant brusquement à la tête, il décocha un violent crochet contre le rocher à côté de lui. Les yeux étant fermés, il se surprit à ne pas ressentir  une once de douleur dans les phalanges. En effet, lesdits doigts n’étaient plus les siens. Ils avaient pris les traits d’une patte de chat anthropomorphe. Son esprit se révulsa soudainement, constatant le conflit intérieur qui prenait place. La bête se manifestait dans sa colère et tous les traits sanguins qu’on pouvait lui prêter. Ainsi, quand il tenta de se calmer, c’est tout naturellement qu’une cinglante douleur lui torda le membre droit. Avec l’habitude quotidienne que ces incursions étaient devenus, Jasper se mit en tailleur par terre et se mit à méditer.
Son souffle se régularisa.
Ses battements de coeur reprirent leur rythme normal.
Ses griffes rétractiles rentrèrent lentement dans les extrémités de ses doigts lui arrachant un rictus endolori.
Jasper se mit à s’interesser à n’importe quelle information sensorielle qui l’entourait. Dans son obscurité spirituelle, il sentit quelques grains de sables lui caresser les genoux et les mains. Le vent chaud murmurait sa douce mélodie aux oreilles du rouquin. Le léger rafraichissement tenu par l’ombre de ce fier arbuste lui permettait de ne pas subir la chaleur écrasante qu’il pouvait sentir à quelques centimètres de son visage.
Son esprit allégé de toute colère parasitaire, Jasper se leva d’un mouvement précis et posa son sac par terre. Dans un mouvement libéré et clair, Le garçon commença une danse martiale symbolisant sa sérénité. Les yeux fermés, il se déplaçait dans le cercle d’ombre comme si des milliers d’attaques pleuvait sur lui au gré du vent. Son corps se fondait dans les multiples turbulences causé par la partielle protection du rocher devant lui.
Appréciant l’instant présent, il n’était plus que réaction au flux venteux du Sirocco d’Harena.

En partant de Stellaraë, Shaoni s’était bien préparer pour la traverser de ce désert. Habituer à la chaleur fournit par le Vulkar, la chaleur du désert de Harena ne la gênait pas tant que ça, mais se préparer pour voyager dans le désert était nécessair si elle ne comptait pas mourir de soif tout de suite. En traversant les plaines de sables, elle fut uniquement agacée par le sable qui s’infiltrait presque partout. Le sable ne quittait presque plus ses bottes, elle aurait aussi bien pu marcher pied nu.

Seul des dunes de sable l’entourait et quelques arbustes ici et là, qui arrivait à survivre dans cette zone aride. Ce fut seulement après avoir gravi la prochaine dune, qu’elle remarqua quelque chose qui se dénotait dans ce paysage monocorde. Elle pouvait voir, assez loin devant elle, la silhouette d’une personne. On aurait dit que cette dernière dansait au milieu du désert, mais en se rapprochant, la djollfuline constata que cette danse ressemblait fortement à des katas. Toutefois, ses katas étaient moins codifiés que ceux qu’elle connaissait, ou était-ce fait exprès ? Elle ne reconnaissait que quelque mouvement de ce style de combat, mais ce n’était pas étonnant, étant donné qu’elle ne connaissait que les styles de combat de son village. Des styles de combats qui se pratiquaient uniquement au-delà de la banquise avant qu’ils ne viennent sur les terres dùralasienne. Mais, les arts martiaux étant toujours des arts martiaux, elle pouvait voir les ressemblances entre les mouvements qu’elle connaissait et ceux que cette personne pratiquait.

Shaoni s’approcha jusqu’à pouvoir observer précisément les mouvements qu’il pratiquait. Elle se contenta de rester là à le regarder pratiquer, ce n’était pas tous les jours qu’elle pouvait voir quelque chose comme cela. Et elle pouvait dire que celui qui faisait ces mouvements était plutôt doué dans les arts martiaux. Lorsqu’il s’arrêta de lui-même, elle alla le saluer. La djollfuline ne comptait pas partir sans un mot après l’avoir regardé pratiquer, ce serait pour le moins grossier, en particulier dans un désert où l’on croise rarement quelqu’un d’autre. De plus, elle pourrait peut-être apprendre quelque chose sur les arts martiaux, qui sait. Alors elle se contenta de sourire en se allant se présenter convenablement.

« Enchanté, je m’appelle Shaoni, Shaoni Drajoll. Du clan Drashôn’Khùr. Je n’ai pu m’empêcher de remarquer votre talent dans les arts martiaux, au milieu de ce désert. »

Fluide.
Clair.
Apaisé.
Serein.

Tout ce qui caractérisait Jasper à ce moment précis était une quiétude sans pareille. Même son alter ego aux pensées instinctives s’était calmé malgré son besoin en eau décelable. Dans un rythme régulier et effréné, Jasper continua ses figures respectant les conseils de son maître  en s’oubliant à la force douce du vent.. Augmentant le rythme au fur et à mesure que sa proximité avec son autre moitié spirituelle s’étrécissait, il parvenait à s’abandonner à un torrent d’émotions élémentaires.
Elle partageait sans honte une multitude impressionnante de voix différentes en fonction de son humeur en perpétuelle changement. En proie à ses anges comme à ses démons, tout ne reposait plus que sur lui pour pousser plus loin cette errance spirituelle qui permettait pour la première fois un véritable dialogue entre deux parties d’un tout. C’est dans le mouvement qu’ils s’exprimèrent, l’un donnant à l’autre ce qu’il recevait. La frontière entre ces deux esprits s’amenuisait tel qu’ils ne formèrent qu’un seul et même être pendant quelques instants. Une seule chose permettait cette fragile coexistence : la confiance.

Réminiscence de son passé, Jasper se remémora les horreurs des premières heures de l’abandon de son corps au profit de son jumeau. Tel un tourbillon ravalant ses propres émotions, il retrouva ses esprits bien vite en manquant de se cogner à l’arbre juste  devant lui. Essayant de garder un minimum la face devant sa spectatrice qu’il venait de remarquer, il finit sa danse d’un salut humble de sa tête, surplombant ses mains joints au niveau de sa poitrine.
C’est sous une soif qui commençait à devenir intolérable qu’il se tourna vers cette curieuse dame rouge. Elle s’était approché en déclinant son identité dans une posture qui lui semblait familière. Pose semblable à ceux qui pratique un dérivé de la danse, elle avait des appuis qu’on devinait réactifs.


“Enchanté, je m’appelle Shaoni, Shaoni Drajoll. Du clan Drashôn’Khùr. Je n’ai pu m’empêcher de remarquer votre talent dans les arts martiaux, au milieu de ce désert.”

Ouvrant la bouche pour répondre à un salut respectueux, il se fit couper l’herbe sous le pied par un peau-verte qui ne manquait pas d’aplomb.

“Si je m'attendais à croiser des individus en plein désert, et sous cette chaleur... Je suis Garzvorgh, mais l'on m'appelle le "Kalevala". A qui ai-je l'honneur, garçon, et Djöllfuline du clan Drashôn’Khùr ?”

Une légère appréhension se déclara dans le coeur du garçon devant cette nouvelle disposition. Tournant la tête de gauche à droite pour se rassurer de l’absence total de détails troublants, Jasper tenta une réponse … en vain.
La sécheresse du désert avait séché sa gorge à tel point que ça le fit tousser.
Après quelques secondes d’éclaircissement du gosier, Jasper put enfin répondre au deux par :

“Bonjour, je m’appelle Jasper Rausal d’un village qui n’existe plus mais les gens m’appelle Jasp. Quelqu’un aurait de l’eau s’il vous plaît?”