Visiblement interessée par le sujet original que je lui proposais, Shaoni prit le temps de boire une gorgée de sa chopine avant de répondre :

" C’est tout aussi louable de se battre pour ceux qui en ont besoin. Je peux comprendre tout cela, après tout chaque personne est différente, peu importe sa race. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est difficile de décrire une race quand chaque individu la composant est unique, mais cela n’empêchera jamais certaines personnes de juger par ce qu’ils croient savoir de la race en générale sans tenir compte de l’individu. Personnellement, ce n’est pas parce que je tiens à mon peuple, que je juge les autres par rapport à ce que je sais sur leur propre peuple. Après tout, je sais connais assez bien les djollfulins pour savoir que chacun de nous est différents. Toutefois dire que nous sommes dùralassiens, c’est presque pareil que se définir sous une race si on le regarde différemment. Je ne suis pas assez vieille pour avoir beaucoup de souvenirs de lorsque nous vivions encore sur nos anciennes terres, mais j’ai entendu beaucoup d’histoire. Y compris sur les dùralassiens. Auparavant, aucun djollfulins n’avait traverser la banquise pour venir à Dùralas à ma connaissance. On m’a dit qu’avant que nous arrivions ici, qu’il y avait seulement de vague histoire sur des barbares sans culture approprier qui vivaient plus loin encore que la grande étendue glaciale. Tout est subjectif. Mais je comprends le sens de ces paroles. Nous sommes tous des êtres vivants douée de conscience, n’est-ce pas ? "

En effet, elle avait raison et modifiait légèrement ma perception des choses. Jusqu'alors, je n'avais pas pensé aux djöll'fulins, les humanoïdes à l'apparence de démon venus de bien plus loin au nord que le Grand Nord, dans une région dévastée par un cataclysme aux origines inconnues. Il allait sans dire que je me battais autant pour eux que pour tous les autres dùralassiens, mais comme le soulignait ma compagne de la soirée, ils n'étaient pas dùralassiens. Au final, tout venait d'un problème de termes. Quand je disais dùralassiens, je voulais bien sûr dire "toutes les créatures pensantes innocentes", djöll'fulin inclus. Shaoni reprit néanmoins, d'un air plus soucieux:

« Pourtant, parfois, j’ai des doutes en notre intelligence, après tout, en ce monde le mal est bien souvent mieux récompensé que le bien, malheureusement. »

Là aussi, elle touchait un vrai point. La Justice et le Bien n'avait pas la côte ces derniers temps, comme le démontrait très justement la perte de popularité d'Egide depuis quelques années. Le problème n'était pas le manque de travail, bien au contraire, mais plutôt le manque d'effectifs. De moins en moins de gens trouvaient la motivation de prendre les armes pour s'élever contre les forces du mal, pourtant j'étais persuadé - et c'était là la base même de mon projet - que l'envie demeurait en beaucoup plus de personnes qu'on ne le pense. Et que parfois, il ne suffisait que d'une étincelle pour réveiller la flamme de la détermination chez nos jeunes générations. J'espérais faire d'Egide l'étincelle de la détermination des générations futures. Je souhaitais en faire le brasier qui chassait les ténèbres, nourri par l'ardente pugnacité de tous ses membres. Je lui répondis, ayant pris le temps de tirer une longue latte sur ma pipe pendant qu'elle parlait:

"Tout juste, ma chère. Les djöll'fulins ne sont pas originellement dùralassiens, même si la question de leur appartenance à ses terres à l'heure actuelle peut être débattue vu le nombre d'année passées depuis votre migration. Quoi qu'il en soit, que vous vous sentiez dùralassiens ou non, vous faites partie de notre monde, et cela me suffit pour vous défendre. Un innocent, qu'il soit djöll'fulin ou dùralassien de souche, fera toujours partie de mes protégés."

Je pris une petite pause dans mon dialogue pour boire une gorgée de bière, dont la ligne de flotaison arrivait tout doucement à la moitié de la chope. Après un nettoyage express de ma bouche du revers de ma manche, je repris:

"Et concernant votre dernier propos, je ne peux qu'espérer que vous avez tort. Si je suis né avec ce désir de Justice, sans que rien ne semble m'y prédisposer, je ne peux pas croire que je sois le seul. Il suffit juste d'une étincelle pour faire s'embraser les désirs justiciers de nos jeunes générations. Et comme pour moi, Egide sera cette étincelle."

J'avais probablement, sans le remarquer, des flammes dans les yeux au moment où je lui présentai ma façon de pensée. Remarquant que ma pipe était finie, je commençait à la vider et à la nettoyer de mes doigts griffus tout en poursuivant avec une question adressée à Shaoni:

"Je vous avoue que je suis né à peu près en même temps que les premiers djöll'fulins qui ont atteint Dùralas. De ce fait, je sais peu de chose de votre peuple car la méfiance générale envers les votre a été tenace et n'a même jamais vraiment disparue. Peu de gens se sont intéressés à vous, trop occupé à vous craindre. Mais moi, qui vient d'une compagnie de mercenaire complètement mixte, je n'ai jamais vraiment ressenti les choses ainsi. Votre culture m'a l'air intéressante vu de loin, où pensez-vous que je puisse trouver des informations?"

Ma demande venait d'une réelle curiosité sur ce peuple mystérieux, dont venait Shaoni et Jûken'Maw. Néanmoins, j'avais bien une idée derrière la tête. Je voulais en apprendre plus sur eux pour peut-être forger des alliances intéressantes une fois Egide fondée. Car depuis le début un credo avait dicté mes actions et mes projets concernant Egide: l'union fait la force.

Elle sourit à nouveau en écoutant Grabuge parler de ses « protégés », comme elle avait déjà pu le constater, il avait vraiment à cœur de protéger les gens. C’étaient rares les personnes comme lui, mais ces personnes étaient les bienvenues dans un monde assez dangereux tel qu’il était déjà.

« Et concernant votre dernier propos, je ne peux qu'espérer que vous avez tort. Si je suis né avec ce désir de Justice, sans que rien ne semble m'y prédisposer, je ne peux pas croire que je sois le seul. Il suffit juste d'une étincelle pour faire s'embraser les désirs justiciers de nos jeunes générations. Et comme pour moi, Egide sera cette étincelle. »

Shaoni acquiesça aux paroles du justicier. Elle pensait que même si peu de gens était prêt à consacrer leur vie pour aider les autres, beaucoup voulait faire le bien autour d’eux. Enfin, elle l’espérait.

« Je crois aussi que si quelqu’un montre la voie, ceux qui hésitent seraient susceptible de ce montré au grand jour et incitera aussi d’autres personnes qui n’avaient pas envisager cette voie à suivre votre voie. »

Elle prit une autre gorgée de sa boisson alors que Grabuge commença à parler d’un autre sujet et lui posa une question.

« Je vous avoue que je suis né à peu près en même temps que les premiers djöll'fulins qui ont atteint Dùralas. De ce fait, je sais peu de chose de votre peuple car la méfiance générale envers les votre a été tenace et n'a même jamais vraiment disparue. Peu de gens se sont intéressés à vous, trop occupé à vous craindre. Mais moi, qui vient d'une compagnie de mercenaire complètement mixte, je n'ai jamais vraiment ressenti les choses ainsi. Votre culture m'a l'air intéressante vu de loin, où pensez-vous que je puisse trouver des informations ? »

La djollfuline était toujours heureuse de pouvoir informer les gens sur son peuple et leur culture. Elle en était fière après tout.

« Vous pouvez poser vos questions à des djollfulins tel que moi ou visitez notre village. Le mieux est de visiter notre village. Vous serez le bienvenu tant que vous ne venez pas avec des intentions néfastes. Et je pense que ce serait un plaisir d’accueillir entre nos murs un justicier tel que vous, alors vous pouvez sûrement passer quand vous serez dans la région. »

La jeune guerrière cornue bu quelques gorgées et répondit à ma question, avec un engouement presque palpable, comme si cela ravivait de bons souvenirs:

" Vous pouvez poser vos questions à des djollfulins tel que moi ou visitez notre village. Le mieux est de visiter notre village. Vous serez le bienvenu tant que vous ne venez pas avec des intentions néfastes. Et je pense que ce serait un plaisir d’accueillir entre nos murs un justicier tel que vous, alors vous pouvez sûrement passer quand vous serez dans la région. "

J'acquiesçai à ses mots, mais ne pu m'empêcher de lui demander:

" Son emplacement est peut-être évident pour vous, mais moi je ne suis jamais allé en territoire djöll'fulin. Où se situe le village dont vous parlez "

Il était plus facile de se diriger dans un endroit quand on connaissait sa location, ça allait de soit. Je rangeai ma pipe que je venais tout juste de vider et me racla un peu la gorge pour faire passer le goût du tabac fort. Il n'y avait pas à dire, ce tabac nordien était on ne peut plus irritant, mais il avait aussi un sacré goût en bouche, je ne regrettais pas d'avoir trouvé un producteur indépendant lors d'une de mes escales il y a plusieurs mois.
Je pris une nouvelle gorgée, me gargarisai le plus discrètement possible et avalai le liquide enfumé, nettoyant ma gorge par la même occasion.

Une fois ce petit rituel effectué, je m'étirai un peu, faisant craquer mes vieilles articulations, avant de reprendre la parole, pour poser une ultime question, qui allait estimer le degré de confiance que je pourrais avoir envers cette probable future mercenaire:

" Dites moi, chère Shaoni. Si un jour pour obéir aux ordres et à la loi, vous seriez forcé de faire quelque chose d'injuste, que feriez-vous? Je vais prendre une situation précise pour illustrer mon propos. Vous m'avez dit être de la Garde Zéphyr, alors imaginez vous en pleine traque d'un dangereux criminel. Ces actes innommables sont avérés, mais il a une importance politique et vous avez donc pour ordre de le capturer vivant, malgré les atrocités qu'il a commise. Vous parvenez finalement, après un certain effort, à le retrouver, mais là vous apercevez que quelqu'un vous a devancé. Un de vos collègues est arrivé avant vous, et vous le voyez abattre votre cible de sang froid. Que faites-vous? Quelle est votre réaction? Allez-vous le dénoncer? Le couvrir? L'ignorer? A vous de répondre. "

Shaoni avait oublié le fait évident que tout le monde ne savait pas où se trouvait leur village. Heureusement d’ailleurs, il ne fallait pas que soudainement plein d’étranger vienne fouiner dans les alentours et vienne troubler la paix de son village. Toutefois, depuis qu’elle avait rencontré Grabuge, rien ne lui indiquait qu’elle ne pouvait pas avoir confiance en lui pour ça, au contraire.

« Notre village se trouve aux abords des sombres montagnes de Kanaan, près du Vulkar. »

Elle lui dit cela sachant, ou espérant beaucoup plutôt, qu’il ne fera pas mauvaise impression auprès des autres djollfulins. Ce serait mauvais si on apprenait qu’elle avait dit où trouver le village à des bandits par exemple, la faute lui reviendrait et elle s’en voudrait plus que n’importe qui d’autre qui pourrait lui en vouloir dans le village.
Elle put voir Grabuge s’étirer légèrement avant de lui poser une question qui la fit légèrement grimacer.

« Dites moi, chère Shaoni. Si un jour pour obéir aux ordres et à la loi, vous seriez forcé de faire quelque chose d'injuste, que feriez-vous? Je vais prendre une situation précise pour illustrer mon propos. Vous m'avez dit être de la Garde Zéphyr, alors imaginez vous en pleine traque d'un dangereux criminel. Ces actes innommables sont avérés, mais il a une importance politique et vous avez donc pour ordre de le capturer vivant, malgré les atrocités qu'il a commise. Vous parvenez finalement, après un certain effort, à le retrouver, mais là vous apercevez que quelqu'un vous a devancé. Un de vos collègues est arrivé avant vous, et vous le voyez abattre votre cible de sang froid. Que faites-vous? Quelle est votre réaction? Allez-vous le dénoncer? Le couvrir? L'ignorer? A vous de répondre. »

Une question comme celle-ci la fit réfléchir. Comment agirait-elle dans ce cas ? Cela ne lui était encore jamais arrivé, mais quelque chose comme cela pouvait très bien se produire un jour. C’est donc après un petit temps de réflexion qu’elle partagea sa réponse.

« Ce serait une situation compliquée. Mais je pense que si l’un de mes collègues est prêt à tuer volontairement et que c’est contraire aux ordres, le laisser faire que ce soit en le couvrant ou en l’ignorant, ce serait accepté qu’on puisse désobéir sans conséquence. Et s’il n’y a pas de conséquences, certains pourrait penser qu’ils peuvent le faire aussi. Cela pourrait, par exemple, inciter des personnes à se venger contre un suspect qui aurait commis des atrocités et dont on aurait demandé les captures. Mais dans cette situation, le suspect pourrait aussi bien être quelqu’un accuser à tort. Si je m’étais contenté de le couvrir, même s’il n’y avait eu aucune preuve contre mon collègue, il y aurait toujours eu des rumeurs, et cela pourrait inciter d’autre personne. Ainsi, on ne peut pas tolérer un meurtre qui est contraire au ordre et qui n’est pas justifier par la légitime défense, même si dans votre exemple, il est vraiment coupable. Cependant, je proposerais une réduction de peine à mes supérieurs pour mon collègue. »

Sans surprise, ma future camarade réfléchit un moment avant de répondre à l'une des fameuses questions d'entretien pour rejoindre Egide. Car ce genre de question n'était pas anodine, et permettait de juger une personne et de savoir quelles seraient ses réactions dans le futur. Elles étaient déjà utilisées par le passé, dans l'ancienne Egide, par le capitaine Boldyn et ses lieutenants. Finalement, après quelques secondes de silence, Shaoni décida de se lancer, et je l'écoutai attentivement en sirotant ma chope:

" Ce serait une situation compliquée. Mais je pense que si l’un de mes collègues est prêt à tuer volontairement et que c’est contraire aux ordres, le laisser faire que ce soit en le couvrant ou en l’ignorant, ce serait accepté qu’on puisse désobéir sans conséquence. Et s’il n’y a pas de conséquences, certains pourrait penser qu’ils peuvent le faire aussi. Cela pourrait, par exemple, inciter des personnes à se venger contre un suspect qui aurait commis des atrocités et dont on aurait demandé les captures. Mais dans cette situation, le suspect pourrait aussi bien être quelqu’un accuser à tort. Si je m’étais contenté de le couvrir, même s’il n’y avait eu aucune preuve contre mon collègue, il y aurait toujours eu des rumeurs, et cela pourrait inciter d’autre personne. Ainsi, on ne peut pas tolérer un meurtre qui est contraire au ordre et qui n’est pas justifier par la légitime défense, même si dans votre exemple, il est vraiment coupable. Cependant, je proposerais une réduction de peine à mes supérieurs pour mon collègue. "

J'acquiesçai presque solennellement et lui fit un léger sourire. De ce que j'avais pu cerner d'elle par cette réponse, l'objectif principal de Shaoni au sein d'Egide serait donc l'ordre et la cohésion. Ce qui semblait lui importer, c'était que les ordres soient respectés et que le commandement garde tout son pouvoir, afin d'être plus efficaces. Cela passait par la punition quand il y avait désobéissance, même si la désobéissance était justifiée. C'était une qualité et un défaut, qu'un bon chef se devait de bien savoir utiliser. Je gardais donc ça dans un coin de ma tête, et lui posai une nouvelle question, afin de préciser mon jugement. Toutefois, je gardais une certaine résèrve: cet entretien n'étaient que des mots. Il fallait que nous combattions plusieurs fois côte à côte avant que j'ai un avis définitif et précis sur elle. Désormais, la discussion prenait les airs d'un interrogatoire, et je lui demandai donc en la perçant du regard:

" Intéressant, ma chère, intéressant. Vous privilégiez donc la cohésion et l'ordre à la Justice. Ne vous en faites pas, je ne m'attends pas à ce que tous mes mercenaires mettent la Justice aussi haut que moi dans leur considérations personnelles. Cela m'a permis d'en apprendre un peu plus sur vous, mais je vais essayer de préciser mon jugement en posant une nouvelle question. Je pose le contexte: cela fait plusieurs années que vous êtes dans Egide, et vous êtes tout à fait acquis à la cause des justes. Un jour, cependant, un contrat nous est envoyé, nous demandant de traquer un criminel récidiviste qui est parvenu à s'échapper de ses geôles. Je décide donc d'accepter, et nous nous dirigeons tous deux vers le criminel. Nous le traquons, et finissons par le trouver. Et à ce moment là, ce n'est pas un collègue mais moi qui décide d'en finir avec notre cible. Je vous ordonne de l'abattre, malgré que le contrat stipule de seulement le capturer. Vous sentez qu'il y a une raison, mais je ne vous explique pas laquelle. Je précise aussi, si vous refusez, que je peux très bien m'en charger moi-même. Que faites-vous? "

Je souris à nouveau, content de trouver les questions justes pour pouvoir me faire une idée de Shaoni, et m'assis un peu mieux dans mon siège avant de finir ma chope, terminant par un petit rot discret sur le côté afin d'évacuer les gaz.

Elle écouta Grabuge continuer avec une autre question. Une question encore plus difficile que la précédente si c’était possible, mais la réponse à cette question lui vint naturellement. Une réponse qu’elle ne tarda pas à dire au Justicier, en soupirant.

« Je n’aime pas tuer, mais je sais que c’est parfois nécessaire. Dans cette situation, mes actions dépendent d’une seule chose. Est-ce que j’ai suffisamment confiance en vous ou non ? Évidemment, je n’obéirais pas à un ordre de ce type d’un inconnu, surtout sans explication. Toutefois, si je suis resté si longtemps dans Edige comme vous l’avez dit dans cette situation, c’est que j’ai appris à vous faire confiance je pense, sinon je ne pense pas que je resterai pas très longtemps dans Egide. Et tant que je vous ferais confiance, je pense que oui, je serais prête à le faire. »

Cette confiance viendrait sûrement avec le temps, du moins tant que Grabuge ne donne pas à Shaoni une raison de mettre en doute cette confiance. Mais de ce qu’elle avait pu voir de Grabuge, celui-ci se montrait digne de confiance. Pour l’instant du moins.
La djollfuline prit une autre gorgée de son verre, le finissant ainsi, machinalement, alors qu’elle réfléchissait à la réponse qu'elle avait donnée. Si elle se lançait vraiment dans cette aventure, pour aider Grabuge, elle espérait qu'Edige resterait fidèle à ses idéaux, mais aussi de ne pas tomber dans l’extrême. Le premier des bandits venus ne méritait pas forcément la mort. La mort pouvait peut-être être un recourt, elle pouvait dissuader les gens de se lancer dans le banditisme, mais tout le monde ne méritait pas de mourir.

Là encore, Shaoni sembla surprise de la question, mais répondis néanmoins relativement vite:

"Je n’aime pas tuer, mais je sais que c’est parfois nécessaire. Dans cette situation, mes actions dépendent d’une seule chose. Est-ce que j’ai suffisamment confiance en vous ou non ? Évidemment, je n’obéirais pas à un ordre de ce type d’un inconnu, surtout sans explication. Toutefois, si je suis resté si longtemps dans Edige comme vous l’avez dit dans cette situation, c’est que j’ai appris à vous faire confiance je pense, sinon je ne pense pas que je resterai pas très longtemps dans Egide. Et tant que je vous ferais confiance, je pense que oui, je serais prête à le faire."

J'acquiesçai alors qu'elle parlait, ingérant les informations et les gardant dans un coin de ma tête pour plus tard, quand le projet aura officiellement abouti et que cette guerrière cornue deviendra sous ma responsabilité. Je lui répondis à nouveau, l'air satisfait:

"Je vois. Vous savez rester cohérent dans vos idées, c'est une qualité pour vos camarades mais une faiblesse vis à vis de vos ennemis. Cela vous rend prévisible. Néanmoins, je suis ravi de cet échange. J'en viens presque à espérer plus qu'avant que mon projet aboutisse rapidement, mais la voie de la sagesse me dit de ne pas me précipiter. Il est vrai que c'est cocasse en y réfléchissant, mais vous êtes en train de passer un entretien pour rentrer dans une compagnie qui n'existe même pas encore. Finalisons donc cet entretien, en vous posant une ultime question, une question qui achevait tous les entretiens d'Egide à l'époque: combien de personnes avez-vous tuées? Et pourquoi?"

Le gobelin termina sur une dernière question tandis que Shaoni restait attentive à ses paroles. Alors qu’auparavant, les questions de Grabuge lui demandaient une certaine réflexion, cette dernière la poussait simplement à se rappeler quelques souvenirs, récents en grande partie. Sauf pour la première fois où elle a dû tuer quelqu’un. C’était il y a plus de vingt ans, lors d’une des rare fois ou elle était autorisée à quitter la sécurité des murs de leur village. Ce fut la dernière fois ou elle réussit à convaincre son père de l’emmener avec lui lors de l’un de ses transports de marchandises dans l’une des villes les plus proche.

Shaoni se rappelait encore sa propre inquiétude et celle de son père lorsque les bandits ont attaqué. Au final, tous les djollfulins s’en sont sorti et Shaoni tua pour la première fois alors qu’elle se défendait avec seulement un couteau et tout ce qu’elle avait appris avec son clan. Un bandit avait échappé à la vigilance de son père. Ce que ce bandit ne savait pas, c’est qu’elle faisait partit d’un clan connu pour ses compétences martiales, elle put donc le surprendre et le poignarder avant qu’il ne s’en rende compte. Elle avait pu voir la vie quitter son visage, elle en était triste, mais elle ne l’avait pas regretté. Son grand-oncle lui avait toujours dit que tuer pouvait être mal, mais parfois, on n’avait pas le choix.

Aujourd’hui avec une compréhension plus profonde du monde, elle comprenait bien mieux ce qu’il lui avait pu lui dire quand elle était encore une enfant, y compris sur la mort et le Kashbarùk. Avant d’aller plus loin dans ses réflexions, elle revint sur le sujet actuel. Shaoni devait encore répondre à Grabuge après tout.

« J’ai été en sécurité derrière les murs de mon village pendant plus de trente ans, alors j’ai tué trois seulement personnes, mais aussi de nombreux skarniens lors de leur tentative d’invasion. Je ne suis pas pressée d’augmenter ce nombre, mais je savais qu’en partant voyager cela arriverais, surtout depuis que j’ai rejoint la Garde Zéphyr. Pour avoir tué les skarniens je pense que la raison est évidente, je ne pouvais pas les laisser ravager Dùralas. J’ai aussi tué pour la première fois, il y a longtemps, pour me défendre contre un bandit et deux autres fois plus récemment lorsque j’ai vu des hors-la-loi s’en prendre à d’autres voyageurs dans le désert. Ces criminels n’essayaient pas seulement de les voler, mais de les kidnapper aussi. »

Cette fois-ci plus qu'auparavant, Shaoni prit un vrai temps de réflexion. Peut-être réfléchissait-elle au nombre de personnes à qui elle avait ôtée la vie, ou à la réponse qui me conviendrait le mieux, même si je doutais de ses deux cas de figures. Je pensais plutôt qu'elle revivait des souvenirs, toujours douloureux, liés à son premier meurtre. Moi-même, si l'on me posait la question, serait bien incapable de dire le nombre de criminels que j'avais tué et si chacun était rangés dans un coin de ma tête, je mentirais si je disais que je me souvenais de tous. En revanche, la première personne que j'avais tué à l'âge de quinze ans, je m'en souvenais comme si c'était hier.
Nous coupant dans nos réflexions simultanées, Shaoni répondit finalement:

« J’ai été en sécurité derrière les murs de mon village pendant plus de trente ans, alors j’ai tué trois seulement personnes, mais aussi de nombreux skarniens lors de leur tentative d’invasion. Je ne suis pas pressée d’augmenter ce nombre, mais je savais qu’en partant voyager cela arriverais, surtout depuis que j’ai rejoint la Garde Zéphyr. Pour avoir tué les skarniens je pense que la raison est évidente, je ne pouvais pas les laisser ravager Dùralas. J’ai aussi tué pour la première fois, il y a longtemps, pour me défendre contre un bandit et deux autres fois plus récemment lorsque j’ai vu des hors-la-loi s’en prendre à d’autres voyageurs dans le désert. Ces criminels n’essayaient pas seulement de les voler, mais de les kidnapper aussi. »

J'acquiesçai toujours, écoutant avec attention une future recrue très prometteuse de la compagnie. En effet, je commençais à percevoir ses convictions, et elles étaient plutôt similaires au mienne. En revanche, nous avions visiblement une légère différence au niveau de la méthode. Néanmoins, j'étais curieux de voir ce que l'avenir réserverait à un duo tel que le notre. Qui sait, peut-être finirions-nous par déteindre les uns sur les autres mutuellement jusqu'à avoir finalement tous les deux une opinion modérée. Peu probable, le vieux gobelin que j'étais avait du mal à changer ses modes de pensées en claquant des doigts, et moins encore la conviction profonde qu'un bon criminel était un criminel mort.

Je finis par lui répondre à mon tour, jetant un ultime coup d'oeil à nos chopes vides tout en posant ma tête sur mes mains jointes:

"Vous m'avez l'air d'être une personne très intéressante, Shaoni Drajoll. Quand Egide sera fondée, je vous enverrais personnellement une missive. Ma compagnie a besoin de gens comme vous pour maintenir l'ordre dans ce monde où le crime est un choix de mode de vie facile. En tout cas, notre discussion a été très enrichissante ma chère. Et notre rencontre aussi, car vous m'avez sauvé après tout, alors que rien ne vous y poussait. Et pour ça, je ne vous oublierais pas le moment venu."

Je posai une de mes grosses pattes - grosses pour un gobelin, donc à l'épaisseur toute relative - sur l'épaule de mon interlocutrice et lui tapotai amicalement avant de lui sourire sincèrement. Si quelqu'un avait ses chances de rejoindre Egide, c'était bien cette étrange justicière cornue, issue visiblement de tout un clan de justiciers cornus si j'en jugeait par l'état d'esprit de mon collègue Jûken'Maw. Collègue que je n'avais pas vu depuis très longtemps d'ailleurs, il allait falloir règler ça un jour.
Je déposai le prix de deux boissons en pièce sur la table et me levai alors doucement, m'étirant en bâillant un peu. Le combat, et le calme qui avait suivi, m'avait un peu fatigué. Et pourtant, j'avais la route du retour à faire, et s'endormir à dos de griffon n'était pas vraiment conseillé. Cela me donna l'idée d'en toucher deux mots à la section Ingénierie des Kazhariens. Peut-être avaient-ils une solution à ce problème handicapant?

Je saluai Shaoni le dos tourné et lui lançai avec un ton bienveillant avant de quitter la taverne:

"Nous nous reverrons, justicière cornue!"