Le minotaure marchait à grand pas sur le chemin, pour une fois peu chargé. De chaque côté de la route s'élevaient des champs de céréale, assez avancés pour la saison. Au loin de fins serpents de fumée s'élevaient à travers le ciel. Quelques minutes plus tard ils pouvaient distinguer le village nordien.

Stupéfait, il cligna des yeux en découvrant les bâtiments.

- Regarde ! Leurs maisons sont sous l'herbe ! s'écria la fée en le dépassant.

Effectivement, les demeures ne semblaient pas particulièrement grandes et, au lieu de chaume ou de tuiles, elles étaient recouvertes d'herbe et les toits se prolongeaient jusqu'au sol. Doebroksh n'était encore jamais venu ici et dans aucun autre village il n'avait vu pareilles structures. Et, sommes toute, l'idée n'était pas si mauvaise : l'humus devait tenir lieu d'isolant naturel lors les chutes de neige et blizzards.

Un petit cri le tira de ses réflexions : deux enfants venaient de sortir du près et le scrutaient avec surprise. Avant que l'hybride n'ai le temps de prononcer un seul mot, tout deux déguerpirent sur la route en criant au monstre. Le minotaure se renfrogna mais ne dit rien, se contentant de reprendre sa progression.

Lorsqu'ils arrivèrent au bord du village, quelques minutes après les gosses, plusieurs adultes se rassemblaient précipitamment, haches et boucliers au poing. S'efforçant de ne pas grimacer, l'hybride se présenta à eux comme les combattants semblaient soulagés de le découvrir. Sans baisser leur garde pour autant.

- Hwo, déclara le minotaure en levant la main en signe de salut. Je suis Doebroksh de la tribu des Moj'Hauks. J'ai pu parler à...
- Doe ?

L'hybride cligna des yeux en entendant son diminutif. Et en reconnaissant une voix familière. Également confus, les guerriers se tournèrent vers l'intéressé qui se frayait un chemin à travers la dizaine de nordiens.

- Doe ! s'écria l'humain en donnant son bouclier à un barbare à la barbe noire et hirsute qui le prit sans protester. Tu aurais dû me dire que tu passerais !
- Jumson, l'identifia le minotaure avec soulagement en faisant un pas pour venir à sa rencontre.

Lorsque le nordique blond lui tendit le bras, c'est avec plaisir Doebroksh lui broya les doigts. Toutefois il garda contenance malgré ses phalanges douloureuses.

- Allez me chercher les petiots qui nous ont dit qu'une bestiole assoiffée de sang approchait ! s'écria-t-il. Qu'ils sachent que ce minotaure est notre ami et que je lui dois la vie !
- Jumson, répéta l'hybride un peu mal à l'aise. Ce n'est pas la peine de...
- Ce tas de fourrure est un milicien et il a volé à notre secours, poursuivit-il quand même. Seul il s'est enfilé une guivre des neiges ! Et...
- Jumson... insista-t-il. Si tu nous faisais plutôt faire le tour des lieux...

Avec un rictus, il finit par acquiescer, les autres se détendant enfin. De toute évidence, s'ils avaient été près à luter contre un minotaure pour défendre leur village, ils étaient plus que soulager de ne pas avoir à l'affronter.

- Quand tu as dit que tu passerais voir mon village natal, je ne penserais pas que se serait aussi tôt !
- Pourquoi attendre, répondit-il simplement en haussant les épaules.
- J'adore vos maisons ! s'écria Nyssa comme ils marchaient dans l'avenue principale et allait voleter à la fenêtre de l'une d'elles.
- Vos rez-de-chaussé sont en-dessous du sol, nota l'hybride après un rapide coup d’œil. Vous n'avez pas de problèmes d’inondations ?
- Nan, les anciens du clan ont bâtit les premières demeures sur l'une des collines, bien que la plaine et les champs soient plutôt plats. Puis en-dessous c'est de la pierre, contrairement autour.
- Je vois. Bien pensé.

Arrivés à l'autre bout du village, talonnés par les enfants désormais plus curieux qu'effrayés, l'humain présenta rapidement leur mode de vie à son frère d'arme. Leurs cultures céréalières et légumineuses, élevages - la vue des bovins faisant grimacer le minotaure - armes et modestes méthodes de défense du petit clan nordique.

Le minotaure fut notamment surprit qu'ils n'exploitent pas l'énergie éolienne comme eux pour leurs quelques puits. D'autant plus considérant la qualité de leurs champs, les minotaures étant d'excellents agriculteurs mais ne parvenant pas à obtenir pareils légumes. Concernant les élevages de lapins en particuliers...

- Ils sont... petits, osa-t-il après un moment.
- Nous savons, déclara le Hafri en s'accoudant avec un soupir à la clôture de leur parc. Nous avons perdu notre mâle reproducteur il y a quelques années et son successeur n'est pas vraiment à la hauteur...

Réfléchissant, Doebroksh finit par lui proposer :

- Ma tribu - les Moj'Hauks - élève également des lapins d'Aran. Et de belle taille. Nous pourrions vous en vendre un ou procéder à une...

Jumson secoua la tête de négatif, attirant l'attention de plusieurs mammifère cornus.

- Les anciens du clan ne voudront jamais. Ils tiendront à ce qu'il ai été élevé ici ou directement capturé en pleine nature. Or pour chopper un spécimen adulte...
- Je peux le faire, déclara le minotaure avec une spontanéité qui surprit son interlocuteur.

Celui-ci le dévisagea un instant, cherchant à deviner s'il plaisantait ou était sérieux. Mais Doebroksh était tout à fait sérieux.

Tranquillement assis sur une butte, le minotaure observait en silence le travail du nordique. Borgür du clan Hafri. Encourageant un massif cheval de trait comme seul le Nord pouvait en produire, il labourait son champ ayant retrouvé un calme bienvenu.

- Alors on rêve ? déclara un nordique en approchant.

Doebroksh se tourna vers lui, constatant qu'il s'asseyait à même l'herbe tendre à ses côtés.

- Je pourrais pas travailler la terre à longueur de temps comme il le fait, déclara-t-il. Je finirais par devenir fou.

Le rôdeur retint un rictus. Jumson avait la trentaine, tout comme lui. Lorsque l'âge le rattraperait, il changerait certainement d'avis. A moins que le milicien ne devienne skalde ou ne tombe au combat...

- Chez les Ayanis, commença Doebroksh, on apprends tous à travailler aux champs durant l'adolescence.
- C'est pas pareil. Tu as vu comme vous êtes battis ? Vous n'avez probablement même pas besoin de chevaux !
- Non en effet. Nous travaillons nous-même la terre ou employons les lapins.
- Les lapins ? s'étonna l'humain. Tu te payes ma tête.
- Je suis très sérieux.
- Comment vous pouvez gérer ces bestioles ? Le mâle que tu nous as apporté, au moindre papillon il décamperait baguenauder ou bondirait en arrachant nos outils de pelletage !

Ce à quoi il haussa les épaules.

- Ce mâle vous ne pourrez pas le faire travailler, convint le minotaure. Ses descendants en revanche, sans souci. Apprenez leur à évoluer dans des couloirs. A tracter des pierres rattachées par des ficelles dès qu'ils le peuvent. Ils seront conditionnés. Quand vous leur enfilerez le harnais de traction ils seront plus dociles. Ils ne bondiront pas partout. Ah et séparez les du père reproducteur. Vous ne voulez pas qu'il leur enseigne ce qu'il sait.
- Pas bête, reconnut-il en se frottant le menton d'une mine songeuse. Il faudra que l'on essai ça.

Quelque instants passèrent où tout deux se contentèrent d'observer l'agriculteur s'occuper de son champ.

- T'sais, ton camarade court sur pattes il nous a tiré d'un sacré pétrin...
- J'imagine, répondit le minotaure pour qui la rencontre avec l'esprit de l'air avait été plutôt mouvementée.


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