. Plusieurs jours à affronter des conditions détestables. Voilà qui résumait assez bien le parcours de Thorek dans le Grand Nord jusqu’ici.
Suivant les recommandations du nordien Thrynn, le nain avait décidé d’aller s’équiper à Kastalinn de diverses babioles dont il ne pensait même pas se servir. Après tout en tant que nain, Thorek avait l’habitude des températures froides et des environnements peu hospitaliers. Mais il avait aussi et surtout l’habitude des sous-sols et des montagnes. Ainsi, après avoir traversé les montagnes de Kanaan sans trop d’encombres (si on passait outre les rabclaws et autres skarniens), Thorek s’était retrouvé bien en peine devant les grandes plaines boisées du Grand Nord. Certes, il y avait quelques monts et vallées qui crevassaient les lieux, mais on était bien loin des Baldors. Les falaises étaient escarpées, les roches mousseuses ou gelée, la faune hostile et affamée… Et aucun tunnel ou souterrain connu ne couraient sous ces contrées, du moins d’après les connaissances du cartographe.
Autant dire que le nain avait bien vite apprécié les épaisseurs supplémentaires de vêtements de son paquetage et les rations qui résistaient un peu mieux au gel.
A nouveau, on pourrait se dire que l’été et ses températures devraient rendre les lieux plus agréables. Ce fut tout le contraire. En ces régions, la saison estivale transformait les étendues gelées en étendues boueuses, quand elles ne changeaient même pas du tout puisqu’il faisait trop froid de toute manière. Pire, les jours duraient plus que de raison. Ce qui forçait le nain troglodyte à s’aventurer les yeux mi-clos à cause de la lumière de l’astre qui se réfléchissait sur la neige et la terre humide un peu partout. Les environs étaient ainsi sans cesse baigné dans une lueur orangée chatoyante. Le phénomène était tel que l’explorateur avait parfois l’impression de marcher pendant plusieurs heures sur du bronze craquant, c’était dire !
Après une tentative peu concluante de creuser avec sa pioche à même la terre gelée – savait-on jamais peut-être qu’un tunnel miraculeux pouvait apparaître – Thorek dû admettre qu’il avait probablement eu les yeux plus gros que le ventre. Ce dernier était presque vide d’ailleurs. Et ce n’était pas sa dernière idée « lumineuse » de passer sa frustration sur le sol qui allait arranger cet état de fait.
Toujours frustré, le nain jeta un regard aux alentours. Du moins, il tenta d’en jeter un à travers les quelques épaisseurs de laine qui protégeaient sa barbe et son front du gel. Des sapins, de la neige, quelques roches grisâtres apparentes, un ruisseau en contrebas de la colline – c’est en manquant de tomber dedans que le nain avait compris que c’en était un – rien de bien fameux. Et ce n’était pas le vent aussi constant que cinglant venant du Nord qui l’aidait trouver quelque chose d’intéressant.
Après avoir frappé plusieurs fois ses bras pour en enlever le givre et se les réchauffer, Thorek entama un demi-tour de dépit. Il retenterait peut-être une autre fois avec plus d’équipements et quelques directions au moins. Mais ce fut justement en pleine rotation que son regard accrocha quelque chose : une colonne noire et grise dans le lointain, derrière la canopée la plus proche, au nord-ouest. Et il n’y avait pas de fumée sans feu.
Hagard, le nain braqua son regard sur ce signe providentiel de civilisation et s’aperçut qu’il y en avait d’autres, plus petites qui voletaient dans le ciel crépusculaire. Une ville ? Les doigts engourdis du nain virent chercher le bout de papier froissé et raturé que les kastalinnois appelaient une « carte » pour en avoir le cœur net. Les distances représentées étaient hasardeuses et les indications plus esthétiques qu’utiles, mais le cartographe chauvin fit marcher ses méninges encore en état pour réaliser qu’il s’agissait peut-être de Fimbulvetr.
«
Faute de mieux », grommela le nain dans sa barbe avant de se remettre en route.
Maintenant, il fallait espérer ne pas tomber sur des hauteurs de neiges trop importantes. Il en avait franchement marre de pelleter.
***
Ce qui devait être la ville de Fimbulvetr vint donc s’offrir aux yeux du nain. Une série de maisons longues, trapues et teintées des couleurs sombres des pins qui les constituaient, étaient confinés dans un long rempart circulaire au bord d’un mont de taille respectable pour la région. Finalement, se dit le nain, il semblerait être tombé sur une véritable place-forte. Et, bonne nouvelle, cette dernière était ouverte au commerce au vu des quelques caravanes qui passaient par la porte principale.
Se disant qu’avec de la chance il arriverait à parler aux locaux sans se prendre une truc contondant dans le front, Thorek entama une marche toujours aussi complexe en ces terres pour atteindre la grande porte.
***
Quelques minutes plus tard, un des gardes en faction, qui scrutait précautionneusement la file des arrivants avant de les autoriser un par un à entrer d’un salut de la main bref, s’arrêta aussi sec en voyant le suivant : une sorte de boule de vêtements de laine enneigée dont sortait un paquetage et une pioche définitivement peu commune. Devant cette chose à peine plus grande que son nombril, le garde du clan Boendr se demanda s’il n’avait pas affaire à un enfant bien étrange. Il ne ressemblait pas à grand-chose en tout cas.
«
Dites, c’est Fimbulvetr ici ? » lança la petite chose et, au vu du ton employé, on était bien loin du gamin perdu. Le garde vint lentement placer sa main libre sur la hache qui pendait à sa ceinture, l’autre étant solidement ancré sur son bouclier rond.
«
Un nain ? Si loin de ses hautes montagnes ? Pas commun ça » – ricana le nordien avec un signe de tête vers ses camarades. – «
Já, ici c’est Fimbulvetr, demeure du clan Boendr. —
Ah, fort bien, s’exclama le nain.
Maintenant, si… —
Tu ne rentres pas, nain », le coupa sèchement le garde.
Deux autres nordiens d’une taille tout aussi massive venaient de s’ajouter aux côtés du premier. Et leurs allures patibulaires ne donnaient pas plus envie que cela de jouer au fanfaron. Le nain en revanche n’y prêta pas grande attention et posa son paquetage au sol pour farfouiller dedans.
«
Je crois que tu n’as pas compris, continua le garde.
Les temps sont difficiles pour le clan. Donc en tant qu’étranger, seul les marchands acceptés par le clan sont autorisés au sein de la cité. Alors déguerpis le nain. On n’a pas besoin de colporteur ici ! —
Thorek, fit subitement le nain.
—
Quoi ? —
S’appelle Thorek ‘le nain’. Thorek du clan Drogund. —
Eh bien ton clan est bien loin d’ici car je n’en ai jamais entendu parler. Maintenant… ! »
Le garde ne put même pas finir sa phrase, car l’amoncellement de tissus en laine venait de lui tendre ce qui ressemblait à une carte.
«
Vous pourriez m’confirmer l’emplacement d’votre cité sur cette carte ? C’t’un beau bordel cette région et je voulais m’assurer de n’pas me planter. »
Après moultes clignement d’yeux, le premier garde finit par jeter un coup d’œil au bout de papier et fronça les sourcils avant de tourner la carte d’un quart de tour.
«
Et tu viens d’où… Thorek ? demanda alors un second garde, un archer.
—
D’là-bas. »
Les trois gardes suivirent le doigt ganté qui venait d’apparaitre de la masse de laine et remontèrent jusqu’au montagnes de Kanaan à l’Est qui venaient accrocher le ciel de leurs dents déchiquetés. Leurs regards revirent ensuite sur le nain.
«
Tu es en train de nous dire que tu n’as pas pris la route de Kastalinn ? Elle n’apparaît pas sur… ta carte. —
Y’en a une ? s’exclama subitement le nain dont les yeux finirent par poindre au travers des tas de laine.
Boga ! C'était donc ça ce gribouillis… Foutus amateurs... —
Donc tu viens de l’est ? Des montagnes ? A travers cette plaine ? —
Ouais pourquoi ? »
En cet instant, et connaissant la région à travers laquelle le nain était arrivée, les trois nordiens se demandèrent sincèrement si ce nain bizarre était sacrément dangereux ou complètement inconscient.
«
Et le yéti ? —
Un yé… ? Mais c’est une légende ça. Nan ? »
Et les trois gardes statuèrent, il était complètement inconscient. Et chanceux.
«
D'accord… Attends ça veut dire que tu as fait une "carte" de cette région-là ? Par ce temps ? —
Bah ouais, vous vouliez que j’fasse quoi ? Un croquis de l’énième ours que j’ai croisé ? —
Et les croix ? —
Les gisements de métaux. Et ce sont des runes. —
… Qu’est-ce que tu fais dans le Grand Nord déjà ? demanda alors le troisième garde d'une voix rocailleuse.
—
Je cherche des choses que d’autres ont perdus ou oubliés.
—
Comme quoi ? —
Par Grimnir ! lança un nain excédé.
J’vous en pose des questions ? Rendez-moi ma carte. »
Le garde qui tenait la carte ricana subtilement avant de replier le papier. Il échangea ensuite des regards en coin avec ses deux collègues.
«
Je pense qu’on va plutôt la garder. Il y a moyen de se faire un petit pécule avec ce genre de renseignements. Il y a toujours un forgeron intéressé… Cela étant, ça pourrait même te servir de moyen d’entrée dans la cité. —
Ma carte. »
La menace avait été à peine cachée. Et elle le fut encore moins quand la main du nain vint chercher la pioche sur son paquetage.
«
Ah ah ! ria soudainement le nordien.
Mais c’est qu’il a du mordant le nabot ! »
Et le papier fut tendu à un Thorek progressivement déboussolé par le sourire radieux du garde qui le tenait. Les deux autres se joignirent à l’hilarité de leur collègue et s’en retournèrent à leurs postes.
«
Les colporteurs et autres arnaqueurs sont prêt à tout pour rentrer à Fimbulvetr… Et ils le regrettent amèrement. Mais toi, tu as le mérite d’avoir un minimum d’amour pour ton art. Aussi… particulier soit-il. D'ailleurs, je ne blaguais pas en disant que cette carte pourrait te servir de moyen d'entrée. Ce genres d'informations est précieuse en temps de guerre.»
Thorek agrippa sèchement le papier en ronchonnant. Il avait horreur de se faire tourner en bourrique.
«
Merci pour la précision… »
Et le nain s’en alla, resserrant le manteau de laine un peu plus pour affronter à nouveau les éléments.
«
Hey, Thorek du clan Drogund ! —
Quoi encore ? grogna le nain par-dessus son épaule.
—
Y’a du travail pour les gaillards motivés ici. Si tu survis à notre belle région, penses-y ! Le clan Boendr sait récompenser ceux qui se montrent dignes de sa confiance. »
Et dans un murmure ronchonnant, Thorek acquiesça (ce qui donnait plus l'impression que sa capuche épaisse tremblait sèchement) et il s'en alla à petit pas.
Le nain se mit alors à réfléchir. Cette région était foutrement difficile à supporter plusieurs jours d'affilée et il ne trouverait pas de forteresse naine oubliée en l'espace d'une après-midi - aussi longue soit-elle ici bas.
Thorek s'arrêta alors, effectua un demi-tour qui fit crisser un peu de neige sous ses bottes rembourrées et abaissa son écharpe avant de parler d'une voix forte au garde non loin pour couvrir le vent :
«
Quoi comme travail ? »