L’arlequin, oscillant entre moquerie et jubilation, laissa finalement éclater la vérité cachée au sujet de cet endroit mystique. Ainsi donc, le bassin de La Zarre ne possédait plus ses antiques vertus de régénération de l’âme. Les forces magiques le traversant s’étaient éteintes depuis bien longtemps, à l’image de la gloire révolue de ce temple en ruine. La résurrection de Yuli dépendait d’une équation comprenant les pouvoirs du seigneur des tempêtes et ceux dudit bassin, mais si l’un d’eux venait à faillir… Alors c’est tout le rituel qui était compromis, laissant l’esprit de la muse dériver dans les obscurs méandres des limbes. Et pour cause : à peine le kraken avait-il été vaincu que le corps de la jeune abyssale redevint une enveloppe charnelle, vierge de toute étincelle de vie.
C’est alors que Styx se mit en action, proposant un pacte à l’esprit de Yuli. Afin de combler la vacance de pouvoir laissé par le bassin de La Zarre, relique ancestrale aux pouvoirs dévorés par les affres du temps, l’asura lui offrit l’appui de celle qu’il servait dévotement, lui assurant qu’elle pourrait, non sans endurer d’atroces souffrances et au mépris de son sa vie passée, accomplir le rituel. Grâce à ses pouvoirs, Dame Fortune serait l’élément providentiel, le chaînon manquant se substituant au bassin de La Zarre afin de permettre à Yuli de résoudre l’équation de sa résurrection et de sauver son âme en perdition.
Tentant désespérément de s’extirper un temps soit peu de l’emprise grandissante du seigneur des tempêtes, Yuli, dans une complainte déchirante, accepta finalement l’offre lui étant faite. Plusieurs piliers de sang jaillirent du bassin corrompu de La Zarre tandis qu’une étrange brume nécrotique envahit la salle, passant au travers de la vestale, immunisée à ses effets.
Par un rituel, aussi impressionnant que douloureux, la jeune abyssale assimila alors le Sang Noir, l’essence primordiale de Dame Fortune. Ce dernier, inondant à présent son corps, constituerait un contrepoids au contrôle que son maître tentaculaire exerçait sur elle afin d’équilibrer la balance des puissances divines irradiants dorénavant son corps.
Soudain, le seigneur des tempêtes, surgissant sous la forme d’innombrables appendices acérés, tenta d’interrompre le rituel à l’œuvre dans le monde des vivants… Mais la magie de la Dame était la plus forte en ces lieux… et son fidèle valet s’empressa de désintégrer le moindre de ses assauts tentaculaires avec une facilité déconcertante.
Cependant, les vibrations émises par un conflit brutal mené sur un autre plan d’existence atteignirent l’esprit de la vestale. De l’autre côté du voile, à travers l’immatériel, elle pouvait ressentir un autre type de combat. Styx devait très probablement combattre sur deux fronts à la fois. Et bien que le duel semblait tourner à son avantage dans le temple, ce n’était certainement pas le cas dans le royaume du seigneur des abysses… Là où la conscience de Yuli était retenue prisonnière.
… Tandis qu’elle observait cette joute divine, ponctuée de rires malsains et arrosés d’effusions de sang, Hevoria ne trouvait pas les mots pour exprimer ce qu’elle ressentait. Était-ce de la déception ? De la tristesse ? De la colère ? Une désillusion ? Non, c’était plutôt une acceptation de ce qu’elle pressentait depuis le début de cette histoire : la mort de son amie ne pouvait être inversée si facilement.
Malgré tout, elle avait voulu y croire, ne serait-ce qu’un instant, afin de donner une chance à cette solution miraculeuse de se réaliser. Même si les probabilités qu’elle revienne du monde des morts étaient minces, elle se devait de la tenter.
Mais la dure réalité finie toujours par émerger. Nécromignon, son feu compagnon abyssal, était apparu avec une solution toute faîte, une solution parfaite… Mais cela n’existait pas. La vestale savait que tout ceci était bien trop simple pour être sans conséquence. Elle y avait déjà songé, sur la plage… Mais cette pensée eut son ultime confirmation lorsqu’elle sonda le bassin de La Zarre. Certes, le pouvoir du Kraken irradiait les profondeurs, cependant, le cercle runique lui… était déjà vidée de tout pouvoir. Hevoria compris alors que cette résurrection souffrirait tôt ou tard d’une avarie et que cette aventure était probablement la dernière qu’elle pourrait faire aux côtés de la Yuli qu’elle connaissait.
Oooooh oui… Il existait plusieurs moyens de ramener quelqu’un parmi les vivants. Mais ces rituels interdits étaient malheureusement loin d’être gratuits. Ils étaient scellés par le sang et les chaînes. La cultiste connaissait bien les conditions d’acquisition d’un grand pouvoir… Et connaissait tout autant, si ce n’est plus, les conséquences de leur tentative de rupture par le pactisant.
Désemparée et désabusée, Hevoria releva lentement la tête, avant d’apercevoir l’esprit de Yuli s’extirper avec difficulté d’un portail donnant sur l’Immatériel puis regagner son corps inanimé, enlacé dans les bras de Styx. Et alors que l’esprit de l’arlequin, en proie à une bataille épique et perdue d’avance sur le plan du seigneur des tempêtes, lui intimait par l’intermédiaire de sa forme physique de se hâter, la jeune abyssale, ancienne sorcière du banc, regarda la vestale droit dans les yeux… avant de lui déclamer l’un des discours d’adieu les plus poignants qui lui ait été donné d’entendre.
Hevoria... merci. Et adieu, je ne sais ce qui m'attend... Je ne sais ce qui est entré en moi, mais quoi qu'il en soit, c'est la dernière fois que vous apercevez mon être tel qu'il a été. Ce n'est ni bon, ni mauvais présage, seulement une transformation, et les transformations font tourner la Terre. Aujourd'hui, je ne souhaite qu'exprimer ma gratitude envers vous, pour tout ce que vous m'avez apportée, depuis le début... Oh je me souviens encore de cette forêt ! Vous m'avez effrayée, pour sur, mais jamais je n'ai cessé de vous aimer ! Vous êtes comme une grande sœur, et ceci ne pourra être altéré par les maléfices divins eux-mêmes ! Elle pleurait abondamment, réalisant ce à quoi elle disait réellement adieu. Tout ce monde, toute cette réalité, aussi dure soit-elle, la reverrait-elle un jour réellement ?
Hevoria, si vous souhaitez répondre, je crains que les Tentacules ne viennent la reprendre sous peu. J'ai gagné un peu de temps, mais son âme est à jamais liée à cet endroit... malheureusement… Si tragique…Bien… Répondit la vestale en se tournant vers la jeune fille.
Yuli je… Tes paroles me touchent, sincèrement, profondément. Écoute, tu n’as… Tu n’as pas à t’excuser pour ce que tu es en train d’accomplir. C’est ton choix, ta voie et si tu tiens à l’emprunter… Si tu désires arpenter ses troubles et tortueux dédales... alors nul ne peut t’en empêcher. Crois-moi… Je le comprends tout à fait. On tient tous à se raccrocher à quelque chose, surtout dans les moments d’incertitude, les temps les plus difficiles. À ta place… il est probable que moi aussi, je me serais laissé tenter. Sa gorge se noua tandis qu’elle observait les yeux saphir de l’abyssale au travers de son regard d’émeraude.
Tu sais… Je ne me peux m’empêcher de me sentir un peu responsable de tout ça… Si j’avais été là à temps, peut-être que tout ceci ne serait pas arrivé… Mais peut-être était-ce inévitable. Peut-être étais-ce ce qui était censé se passer… Je n’en sais rien. Veiller sur des… amis. Je n’ai jamais été doué pour ces choses-là. Je regrette de ne pas pouvoir plus te venir en aide. J’ai fait ce que j’ai pu, mais le destin est parfois… capricieux.
Je ne sais pas si nous nous reverrons de sitôt, ni même si tu te souviendras de moi. Mais je n’oublierais jamais ces moments passés ensembles. Yuli, ou que tu ailles... sache que ce n’est pas un adieu… C’est un au revoir… car il y aura un endroit ou nous retrouverons tous. Elle leva les yeux au ciel, pensive… puis s’approcha lentement de son amie avant de la saisir par les épaules et de l’étreindre chaleureusement dans ses bras.
Soit prudente surtout… et ne fait pas trop trop de bêtises hein ? Sinon… Une larme discrète perla sur son visage souriant...
sinon la vilaine et monstrueuse veuve noire que je suis reviendra… qu’elle essuya rapidement afin de dissimuler son profond chagrin ...
pour te faire peur à nouveau. C’est compris... petite sœur ? Aucun mot ne sortit de la bouche de la jeune abyssale, mais son visage ruisselant de larmes et son sourire sincère furent des réponses suffisamment convaincantes pour redonner un peu de joie à Hevoria et alléger son cœur peiné. Les adieux achevés, la vestale se détacha alors lentement de son amie qui adressa ses ultimes adieux avant de faire définitivement happer, dans le portail situé derrière elle, par les tentacules du seigneur des tempêtes
Yuli… Elle s’était en allé. Ne laissant plus que l’arlequin et l’ensorceleuse au milieu d’un temple en ruine, fragilisé de toute part. Mais au final, malgré toutes ces péripéties, et ce triste dénouement, Hevoria avait eu l’occasion de la revoir une dernière fois, sourire, rire, pleurer, s’énerver, se battre, souffrir…
Vivre. Des souvenirs heureux de celle qu’elle considérait comme la seule et unique amie qu’elle ait eu en ce bas-monde… Peut-être était-ce ce qui comptait finalement…
Le kraken était vaincu, Yuli était parti, l’esprit totémique était entre ses mains. Dorénavant, la prophétesse de Kalumbra n’avait plus rien à faire en ces lieux.
Vestale, parto... Mais l’arlequin n’eut le temps de terminer sa phrase que d’énormes fissures zébrèrent soudainement le plafond.
J’ai un très mauvais pressentiment là… Un monstrueux craquement retentit. Et alors que nos deux protagonistes levaient leur tête à l’unisson, le plafond de la salle rituelle céda, déversant un torrent fait de larges blocs de pierre sur le sol de marbre. Maintenant qu’il avait récupéré sa protégée, le seigneur des tempêtes avait décidé d’en finir une bonne fois pour tout avec ces parasites en faisant s’écrouler le temple irisé. Cette entreprise serait d’autant plus facile que l’ancienneté du monument couplé à l’intensité du combat face au Kraken avait transformé la bâtisse en un véritable gruyère, menaçant de s’effondrer à la moindre secousse un peu trop violente.
Foutons le camp ! S’écria la vestale tandis qu’elle esquivait habilement le déluge rocheux s’abattant sur eux. Les deux magiciens concentrèrent alors leurs pouvoirs afin de créer leur porte de sortie : deux nouveaux portails menant vers l’Immatériel. Ces derniers créés, ils s’apprêtèrent à échapper au cataclysme en s’engouffrant à l’intérieur.
Voria…Quoi ?ar ici……Troublée par une sonorité étrange venant tinter à ses oreilles, la vestale resta silencieuse tandis que Styx, à moitié engouffré dans son portail l’observait, sceptique quant à ses intentions. Elle ferma les yeux, ouvrant ses chakras afin de capter la nature et l’origine de la signature magique résonnant dans sa tête… Elle écarquilla soudainement les yeux.
Je dois en avoir le cœur net. Contre toutes attentes, la cultiste fit soudain disparaître la faille dimensionnelle qu’elle avait ouverte afin de s’échapper avant de se tourner vers Styx.
Pars sans moi ! J’ai encore quelque chose à faire ici… Le vampire, surpris, la fixa sans dire un mot. Puis, voyant dans son regard qu’il serait impossible de lui faire changer d’avis, il s’engagea dans son portail tout en la saluant d’une petite courbette, avant de disparaître dans l’Immatériel.
Bien… C’est parti. Hevoria se retrouvait donc seule, au beau milieu d’un monument vieux de plusieurs millénaire ayant subi le courroux d’une déité tentaculaire et par conséquent étant sur le point d’être rayé définitivement de la carte. Alors que de nouveaux craquements retentissaient, la vestale se précipita en dehors de la salle rituelle afin de s’enfoncer dans les sombres dédales du temple. Elle avait entendu quelque chose, une voix, familière. Elle l’appelait depuis les tréfonds du monument. Ce ne pouvait être un hasard. Non… C’était un présage. Au fond d’elle, la jeune femme le sentait, il fallait qu’elle suive cette voix, mettre une nouvelle fois sa vie en jeu et prier de tout son être qu’elle ait eut raison de parier.
C’était un véritable séisme sous-marin qui frappait le temple englouti. Hevoria elle, traversait à toute allure une immense salle de réception dont les piliers de soutènement se brisaient uns à uns sur son passage. Accélérant la cadence, elle échappa de justesse à la chute de deux gigantesques statues abyssales qui s’abattirent avec fracas sur le sol tandis qu’elle s’engageait dans un énième couloir aux parois striées de fissures. La voix n’était plus très loin, elle le sentait.
Soudain, une explosion résonna derrière elle. L’un des murs du corridor venait de céder sous la pression aquatique, libérant des trombes d’eau. Ces dernières s’engouffrèrent alors dans cette entrée improvisée avant de déferler à travers le couloir, tel un immense déluge balayant tout sur son passage.
Et merde… Face à la colère des éléments s’apprêtant à s’abattre sur elle, la jeune femme, à bout de souffle, mobilisa la voix du chaos. Jaillissant de son Kaerta telle une fontaine d’adrénaline, une énergie furieuse se diffusa à travers l’ensemble son corps, renforçant temporairement ses capacités physiques.
Investie d’une puissance nouvelle, la vestale jeta alors ses dernières forces dans un ultime sprint vers la voix mystérieuse. Ni les débris s’écroulant du plafond, ni les murs se dressant sur son chemin ne résistèrent à sa charge furieuse, se contentant de voler en éclats sur son passage. Rien ne pouvait l’empêcher d’atteindre son objectif. Il était hors de question qu’elle meurt ici. Trop de choses restaient encore à accomplir.
Après un énième mur fracassé à la force de ses bras, Hevoria s’arrêta brusquement, évitant de justesse de tomber dans le précipice qui s’étendait devant elle. Elle pencha la tête, avant d’observer un spectacle effrayant. Là où le sol s’était effondré tourbillonnait à présent un puissant maelström.
Qu’est-ce que c’est que ça ? À sa vue, la vestale fit un pas en arrière, quand une voix résonna en contrebas…
Il ne me reste que quelques instants avant que mon esprit ne quitte définitivement ces lieux… Alors voici mon ultime présent… en guise de remerciement : la porte d’entrée vers un monde nouveau…Yuli ?! Mais… Je.Votre voyage doit continuer Dame Hevoria…Je dois sauter… là-dedans ? Questionna la jeune femme, sceptique tandis qu’elle observait la puissance des courants à l’œuvre en contrebas.
Bonne chance… Et merci… pour tout. Conclue l’abyssale. Et alors que sa voix s’estompait, un bruit familier résonna derrière la vestale : une immense cataracte fonçait droit vers elle.
Oh et puis merde ! J’ai plus le temps là ! Sans perdre un instant, Hevoria reprit immédiatement sa forme aquatique avant de plonger dans le vide et disparaître à travers le puissant tourbillon.
Fin ?