[Quarante-et-unième jour d'expédition - Pleine lune]

Les alentours des BaldorHeim. C'est là que se trouvait actuellement Ragnör Lüpusànghrën, l'elfe lycanthrope. Il était sur le chemin du retour en vérité, cela faisait maintenant pratiquement deux mois qu'il avait quitté le domicile familial pour partir à la recherche de Selsya Asa, qui avait pris la poudre d'escampette quelques mois plus tôt. Lorsqu'ils avaient découvert que l'elfe des glaces s'était enfuie, Lomion Asa, oncle de Selsya et père adoptif de Ragnör, avait demandé à ce dernier de partir à la recherche de la demoiselle, de sorte à ce qui ne lui arrive à rien. En bon garçon, le thérianthrope avait naturellement accepter la requête et avait lui aussi décider de prendre la route, mais cette fois pour pister la jeune femme. Mais elle était difficile à suivre : Ragnör peinait à trouver des indices sur ses allers et venues, et la magicienne n'était pas du genre à laisser des traces de son passage -si on excepte la neige du fait de sa cryomancie naturelle- la tâche s'avérait donc ardue.

Finalement, au bout d'une dizaine de jours de recherche, il avait trouvé des pistes du côté de Kastalinn, la cité nordique, où certains racontaient avoir aperçu une femme dont la description se rapprochait de Selsya. Malheureusement, excepté ces dires, les preuves étaient minces et insuffisantes pour que la ville nordique retienne réellement l'intention du loup-garou. La seule chose que Ragnör avait retenu c'est qu'elle aurait eu du contact avec la Milice, l'une des six factions dùralassiennes. C'est à ce moment qu'il apprit l'existence des factions. Il décida de se renseigner pour en savoir plus, et c'est ainsi, qu'après moultes enquêtes, il découvrit l'existence des Kazhariens, une faction qui était proche de la ville naine de BaldorHeim, et qui renfermait des troupes d'ingénieurs. "Près de BaldorHeim", "Ingénieurs", "faction", vous pensez bien qu'avec ces trois critères, Ragnör était obligé de tenter une approche avec les Kazhariens. Tout d'abord à cause de la localisation, puis de son attrait pour la science et les inventions, puis parce qu'intégrer les factions lui aurait permis, peut-être, d'en découvrir plus sur l'aventure de Selsya, qui devait certainement s'en sortir à merveille.

Donc le Lüpusànghrën était sur la route, en cette début de soirée hivernale, à une vingtaine de kilomètres de BaldorHeim, pour trouver des Kazhariens. Et, pourquoi pas le cas échéant, intégrer une faction. Il omettait seulement le fait qu'il n'atteindrait pas la ville cette nuit, et que la pleine lune était de nouveau proche.

L'eau vint l'hydrater en de délicieuses et longues gorgées. La lycan savourait ce plaisir simple après son interminable pérégrination depuis les forêts d'Endorial. Mais lorsque ses supérieurs lui avaient donné la permission de se rendre vers les régions naines, son attention ne s'était pas portée un instant sur la distance à parcourir ; au contraire. Après plusieurs mois à rester patrouiller dans les alentours de la ville, la lycan avait progressivement ressenti le besoin de voyager à nouveau... Surtout depuis que son maître avait repris la route.
Elle espérait trouver dans ces régions ces rares plantes hivernales qui pouvaient constituer les meilleurs des fortifiants contre diverses maladies et faiblesses. Cela pourrait lui fournir de quoi survivre quelques mois sans dépendre de la Garde.

Ese s'étira. Laissa échapper un long souffle chaud vers le ciel crépusculaire. La lune serait pleine ce soir.

Tranquillement, elle montait un camp sommaire à quelques kilomètres de la forteresse. Même si elle contrôlait plus ou moins ses transformations pendant les pleines lunes, elle préférait ne pas encourir de risques -pour elle ou la population. La question n'était pas de conserver la raison mais de mesurer ses désirs. Un simple fumet pouvait se transformer en une invitation à quelque buffet royal par exemple.
Elle chassa de mauvais souvenirs en soufflant sur le feu qui peinait à s'allumer. Bah ! Elle passerait cette nuit à dormir comme une souche, avec une gueule de louve bienheureuse.

Ese étouffa un rot, sa panse satisfaite de son dernier repas. Même si elle préférait la viande, ses longues années à côtoyer les elfes lui avaient appris à apprécier les mets plus légers ; et contrairement à la chair, certaines plantes avaient un effet répulsif sur la plupart des prédateurs. Y compris les moustiques.
Bon en revanche son bivouac puait maintenant et elle aussi. L'odeur -un mélange d'effluves végétales acides- persisterait quelques jours si elle ne se lavait pas. Et hors de question d'emprunter sa forme animale, son nez y survivrait pas.

Avec tout cela, le risque qu'elle perde le contrôle à cause de la pleine lune serait minime.

Ese s'éloigna un peu du campement sommaire : la nuit était belle et fraîche, propice à aller délier un peu ses muscles engourdis par l'absence d'activité. Elle gémit de plaisir. Cela aurait été parfait sous son autre forme mais elle avait fait le choix de rester raisonnable pour une fois.
Demain...
Demain elle irait en ville. Poursuivrait son voyage. Reprendrait ses exercices.
Mais rien de toute cela pour le moment. Elle se sentait l'âme bien flemmarde ce soir.

Ese éternua au même moment que l'étranger s'en venait, les interrogations au bord des lèvres ; ainsi fut-elle la première surprise à voir un jeune homme se tenir près de son camp, son feu, sa tanière. Elle fronça les sourcils. Elle partait cinq minutes et déjà les squatteurs rappliquaient hein ? M'enfin, songea-t-elle en l'observant à la lisière de sa vision, il était pas si mal le petit gars, bien qu'un peu trop nerveux.
La jeune femme vint ainsi à sa rencontre, un grand sourire amical sur le visage et sans plus se préoccuper d'être discrète. Les feuilles bruissaient sous son pas lourd. Sa voix était claire et tranquille.

"B'soir ! Je vous offre une tisane ?"

Elle l'avait apostrophé sans s'arrêter, se dirigeant avec nonchalance vers le feu. Et sans plus attendre de réponse, elle changea de contenant, s'accroupit, versa dans l'eau bouillante une poignée de feuilles odorantes, remua, versa deux tasses de la préparation.
Ese finit par lever les yeux vers le mystérieux squatteur et lui tendit son verre. C'était autant une invitation à converser qu'une façon de lui signifier qu'elle n'était pas dangereuse. Enfin qu'elle allait pas essayer de le tuer. Le contraire restait possible, aussi n'avait-elle pas poussé la témérité jusqu'à se défaire de ses fauchons accrochés à sa ceinture.

"Je m'appelle Ese. Mettez-vous à l'aise, c'est un peu sommaire mais ça reste confortable !"

"B'soir ! Je vous offre une tisane ?"

C'est ce que lança la nouvelle venue, sûrement la personne à l'origine de ce modeste campement. Ragnör, qui ne sortait pas beaucoup depuis qu'il était né, ne connaissait pas forcément grand chose sur les us et coutumes et, allez savoir pourquoi, il ignorait ce qu'était une "tisane". Aussi fut-il surpris par la question.

- Une tiquoi ?!

Il comprit ce que c'était lorsqu'il vit la nouvelle venue s'asseoir, verser de l'eau bouillante agrémentée de feuilles diverses dans deux tasses, et lui en tendre une d'un geste amical. Elle l'invita par la suite à s'installer et se présenta comme se prénommant Ese, comme à l'aise breizh. Acceptant la tasse, le Lüpusànghrën s'assit sur un rondin de bois qui traînait là et se mit à humer la mixture étrange. Ca sentait plutôt bon, ma foi, et la chaleur que procurait le fait de tenir la tasse était agréable. Mais l'eau était bien trop bouillante pour boire tout de suite.
Il reporta son attention sur la nouvelle venue, laissant un blanc avant de répondre : visiblement, elle n'était pas une naine. Malgré le feu, Ragnör pouvait sentir une odeur familière émanant de la personne, mais il ne comprenait pas exactement pourquoi, son odorat développé lui jouait parfois des tours, cela dépendait des jours.

- Je me prénomme Ragnör Lüpusànghrën, enchanté. Merci bien pour cette ti-sa-ne, je ne connaissais pas le terme. Chez nous, nous appelons ça une décoction, ou une "boisson chaude aux vertus curatives", mais c'est un poil (de loup) trop long, je dirais. Si je peux me permettre, vous êtes une Kazharienne ?

La lycan se fendit d'un sourire amical en le voyant accepter son offre, sourire qui se mua en rire franc face à ses drôles de manières. Pour sûr, c'était ce qu'elle appréciait dans les voyages. Faire des rencontres, partager un repas avec un inconnu, ne pas se prendre la tête.

"Nope, je suis de Wystéria, enfin j'étais."

Elle lui jeta un regard en biais, observateur. Il avait pas l'air trop jeune, m'enfin, certaines races par ici trompaient facilement. Elle aurait bien aimé échanger avec un patriote.

"Garde Zéphyrienne en vacances ! Et vous, Ragnör, vous venez de quel coin lointain pour ne pas connaitre les tisanes ?"

Elle fronça les sourcils sans cesser de le regarder. Sourit.

"Au passage, ça dérange si je tutoie ?"