La tempête de sable avait levé un vent d'angoisse dans le coeur de la Stryge. Si Shane n'avait pas les ailes de son peuple, elle en avait néanmoins hérité leur goût pour les grands espaces et les hauteurs. Ce n'était pas assez pour faire d'elle une claustrophobe, mais largement uffisant pour qu'elle ne se sente pas à l'aise dans cette caverne nouvellement close. Le contraste après tout ce temps apssé dans le désert était plus que saisissant. Shane aurait dû célébrer le hasard qui les avait mis à l'abris sans lequel ils seraient piégés sous la colère du désert mais elle ne pouvait s'empêcher de se sentir... oppressée par la caverne pourtant salutaire.

"Cela vous dirait d'aller voir ?"

La question de Wyrm fit sursauter la stryge perdue dans ses pensées. Elle jeta un regard interloqué à son compagnon d'infortune. Il souriait avec un air ingénu, pas troublé le moins du monde par leur soudaine proximité, toute relative, mais forcée. Shane se demanda un bref instant si elle avait déjà vu une telle expression sur la face de Wyrm...
Non. Ca lui allait bien, pourtant.

Elle sourit en retour, sans même y penser. Elle regarda les ténèbres que Wyrm proposait d'explorer.
"Je sais pas, y'a même pas de lumière..."
Puis elle se mit à rire. Elle n'avait râlé que pour la forme. Son ton était aussi espiègle que celui de Wyrm. Le seul à qui cela ne plaisait pas c'était Géri, l'échine basse, qui ne trouvait vraiment pas la caverne à son goût. Alors ils se mirent en marche, un peu à l'aveuglette, chacun se guidant grâce à leur paroi respective.

"C'est marrant... Je n'arrive pas à croire qu'un truc aussi immense soit naturel, mais je ne décèle aucune trace d'un travail humain..." dit-elle au bout d'un moment, songeuse.

HRP:

Wyrm avançait d'un pas léger, presque sautillant. Comme un enfant découvrant un nouveau terrain de jeu. Il avait foutrement du mal à contenir ce mélange de curiosité, d'impatience, de peur et de témérité qui se battaient dans son esprit : au diable la neutralité ! Il était loin de ces tavernes miteuses, loin des oreilles indiscrètes, loin de la congrégation de l'ombre et de ses intrigues... Il n'y avait que Télys et lui et cette caverne mystérieuse.
Il n'avait pas besoin de porter son masque.
Et étrangement, cette pensée le rendit plus léger tout à coup... Il avait toujours craint de se dévoiler à autrui mais à cet instant, il n'en tira non pas une sensation de faiblesse, mais une impression de légèreté. Il agissait spontanément sans plus se préoccuper des conséquences à long terme. Pour peu il en embrasserait la stryge noire.
Pour peu.

"C'est marrant... Je n'arrive pas à croire qu'un truc aussi immense soit naturel, mais je ne décèle aucune trace d'un travail humain...
- Parce que vous pouvez y voir quelque chose ? la taquina Wyrm. Je passerai bien une éternité ici... Imaginez un peu ce qui se trouve sous vos doigts à cet instant ! Peut-être des siècles de travail, de sueur et de sang. Peut-être une seconde de magie."

Il continuait de partager son enthousiasme à renfort d'exclamations puisque gesticuler n'était pas suffisant. Il était nécessaire de parler pour garder un contact dans ces ombres. Puis au bout de plusieurs minutes de marches, alors que flot de son discours s'était doucement tari, il lui demanda :

"Connaissez-vous la légende de la caverne mystérieuse, Télys ?"

Ce disant, il continuait de marcher d'un pas soutenu. Il tentait d'inscrire dans sa mémoire chaque aspérité, le son de sa voix contre la roche, le claquement sourd de leurs pas sur le sol à peine sableux. Sans doute leur voyage trouverait une fin malheureuse dans les entrailles de cette caverne mais pour l'heure, Wyrm ne pouvait qu'être heureux.

L'emballement de Wyrm n'était pas contagieux, mais faisait sourire néanmoins Shane. Elle ne se serait jamais attendue à le voir aussi... passionné par quelque chose. Cela différait tellement de ces semaines moroses ! Il suffisait donc d'un peu d'obscurité pour faire tomber le masque véritable du stryge blanc ? Avec un peu de recul, Shane se serait demandée si ce n'était pas qu'une autre illusion de Wyrm lui laissait voir à ce moment là... Mais, sur le moment, elle s'en fichait carrément. Cette façon d'être Wyrm la chatouillait, faisait naître du rire en elle et la rassurait d'une étrange manière : alors que les ténèbres les entouraient et qu'elle avait toutes les raisons de craindre qu'un danger vienne pointer le bout de son nez... elle écoutait, sans s'en lasser vraiment, les pérégrinations enthousiastes du Stryge.

Puis, soudain, le silence. Comme une respiration. Et les ténèbres redevenaient étouffantes.
"Connaissez-vous la légende de la caverne mystérieuse, Télys ?"

Shane fronça les sourcils, geste tout à fait inutile au vu de la situation, mais bon. Cela lui faisait encore étrange d'entendre ce nom, Télys, lui être adressé. Mais elle avait décidé depuis quelques jours qu'elle ne donnerait pas son véritable nom. Ce n'était pas par rapport à Wyrm, loin de là... Mais elle se sentait un peu plus en sécurité, derrière ce nom. Il n'empêche, cela faisait bizarre.
Et la caverne mystérieuse ? Le nom ne lui était pas inconnu, elle avait sûrement dû en entendre parler au détour d'une taverne... ou peut-être un conte que Tobias lui avait raconté, un soir qu'ils étaient devant la cheminée, emmitouflés dans une couverture...
Ca n'avait pas la moindre importance. Le nom sonnait familier, mais Shane n'arrivait rien à lui rattacher d'autre.

"Non... Mais quelque chose me dit que vous n'allez pas tarder à m'éclairer à ce sujet !" lâcha-t-elle.

Il sourit.

"Excusez-moi, mon côté ménestrel est quelque peu difficile à réprimer. Puis l'ambiance se prête bien à une petite histoire, ne le pensez-vous pas ? Ces ombres ne laissant que nos voix les percer..."

Il sourit de nouveau, plus pour lui-même que Télys qui ne pouvait le voir. Geri aboya, content sans doute. Wyrm laissa quelques secondes s'étioler pendant qu'il se remémorait de vieux contes : il n'avait depuis longtemps raconté cette histoire-ci et à la simple idée qu'il puisse la vivre... C'en était grisant.
Mais bientôt, le ménestrel reprit le pas sur le stryge blanc. Il hésita encore un dernier instant à partager ces mots. Puis Wyrm calma donc ses ardeurs et dans la caverne revenue silencieuse, sa voix s'éleva, claire et pleine bien que murmurante, comme à chaque fois qu'il déclamait.

"Sous le souffle chaud nourri de sable, quelque part où se perdent les repères, un oasis dégarni se lève, et affable, guette les perdus et les solitaires. C'est seulement aux yeux fatigués que, dans la brume trompeuse, s'esquissera une silhouette déformée, de pierre et de roche affublée... Ni mirage, ni folie : il s'agit de la caverne mystérieuse."

Il reprit sa respiration. Et d'une voix chantante, plus forte, il poursuivit :

"Souris voyageur bienheureux !
En ces gorges oubliées maintes merveilles n'attendent qu'un audacieux ne les arrache à ce décor vermeil."

La musicalité mourut. Le murmure revint peupler les ombres. Un murmure grondant.

"Pleure voyageur malheureux...
Ces terres fourbes et trompeuses d'idéal cachent en leur sein dangereux, mort, violence, agonie et triste râle..."

Un flottement.

"M'enfin, cela ne saurait être pire que ce que nous avons vécu ces derniers jours ! rit-il de bon coeur. Il est surtout dit que la caverne abrite un autre monde en son sein. Une terre d'abondance, pure et préservée des guerres..."

A ce moment, Geri se mit à aboyer plusieurs fois avant de courir. Une lumière pointait son nez au devant. Wyrm n'hésita pas et le suivit, attrapant la main de Télys au passage :

"Allons trouver ces merveilles ma chère, et baigner de lumière notre pauvre chair ! Démons, fantômes, morts vivants, peu importe, passons outre et dansons, courrons, chantons d'une voix forte ♪"

Shane s'était laissée... portée par le conte du Stryge. Prise par les mots, touchée par leur beauté, embrassée par leur poésie... Wyrm avait raison, c'était bien la situation idéale pour narrer : privée de sa vue, son cerveau devenait étrangement libre et créant librement des chimères fantasques sans être arrêté par une vision réelle.
Le stryge pensait donc sérieusement qu'ils avaient trouvé cette caverne mythique ? Que dans peu de temps - ou presque - ils allaient tomber sur un monde nouveau qui n'était offert qu'à une poignée de privilégiés - voire d'élus ?

Dame Fortune semblait, pour la première fois depuis quelques semaines, lui adresser un sourire... Un peu torve, s'il fallait en croire les dangers annoncés.

Geri coupa court à son débat mental quand il se mit à aboyer joyeusement, libéré du joug des ténèbres ! Le cœur de Shane eut des ratés quand elle vit une lumière au loin... et repris de façon frénétique quand la main de Wyrm saisit la sienne. Les deux Stryges avaient évité tout contact physique depuis... le deuxième jour, en fait. Qu'ils se tiennent à une distance amicale était un exploit, le contact était un miracle. En fait, Shane redoutait ce dernier car elle ne savait jamais à quel point la situation pouvait dégénérer à partir de ce moment. Si une flopée d'adrénaline n'allait pas bouleverser son humeur et son calme et les conduire à essayer de s'entretuer une nouvelle fois.
Là...
Il n'en fut rien. La sensation était étrange mais ne déclenchait rien. Enfin... rien de relatif à la violence.

Alors qu'ils se rapprochaient de la lumière, Shane dû se protéger les yeux de sa main libre pour ne pas être éblouie, le temps qu'elle s'accoutume à ne plus être plongée dans l'obscurité. Mais dès qu'elle put voir sans mal elle fut... époustouflée.
Le paysage était irréel tant il était incroyable. La végétation ne ressemblait à rien de que Shane avait pu un jour voir - en vrai ou en dessin. Des oiseaux à la silhouette étrange volaient au loin. Il y régnait une odeur humide mais étrangement fleurie et sucrée... Et c'était vaste. Mis à part le ciel qui était clairement une voute de pierre - d'où venait alors la lumière ?, rien n'aurait pu montrer qu'ils soient sous-terre.

"C'est... magnifique, fit-elle, une fois remise du choc. Et mystérieux, indubitablement." Elle se mis à rire. Outre la découverte d'un endroit aussi étrange que merveilleux, voir de la végétation après ces journées dans du sable et au milieu des roches arides lui faisait tant plaisir... Puis elle se souvint de la mise en garde dans l'histoire du Stryge... et rigola de plus belle tant l'idée lui semblait désormais ridicule.
"Cet endroit, dangereux ? Tu rigolais, j'espère !"

Wyrm n'écoutait plus Télys, dévorant le paysage de ses yeux avides. Son esprit s'efforçait de mémoriser tout le panel de couleur qui s'étendait devant lui, de la voûte de lumière à la végétation luxuriante, jusqu'au moindre brin d'herbe. Tout n'était que volutes et nuances vives... L'allégresse était si puissante en lui qu'il en oubliait son contact avec la stryge noire : ces choses là ne lui apparaissaient plus comme importantes. Il observait avec curiosité ces pierres inconnues, ce tapis de verdure si agréable au toucher, ces étranges animaux peuplant les lieux comme tant d'apparitions féeriques...
Il soupira d'aise.
Il aimerait tant passer des heures, des journées pourquoi pas des années ici... Loin de la civilisation, il lui semblait renaître. Il n'avait plus à se prendre la tête. Simplement profiter, satisfaire sa curiosité vorace.

Télys avait-elle raison ? Toutes ces légendes relatant le côté sombre de la caverne n'étaient-elles que des illusions trompeuses afin de tenir éloignés les cupides de ces merveilles ? Il ne savait pas. Mais imaginer qu'ils puissent trouver en ces lieux leur perte était difficile à concevoir...
Mais ils ne la connaissaient pas encore. Ils se tenaient encore en son seuil ; au loin, ses yeux pouvaient percevoir l'infinie grandeur du souterrain où s'estompait le paysage parmi d'irréelles brumes.

"Allons explorer !"

Si un instant sa joie s'était teintée de doutes, le stryge reprit rapidement du poil de la bête. Il s'avança d'un pas dansant vers les profondeurs de la forêt de fleurs, prenant le temps d'admirer chaque plante. Il ponctuait ses observations de soupirs, de sourires, de rires enfantins. Ah ne voudrait-il jamais s'en aller ? Pour retrouver quoi, une population dépravée et aussi égoïste que superficielle ?

"Regardez ça Télys, n'avez-vous jamais vu de pareilles couleurs ?" fit-il en lui tendant une sorte d'amaryllis irisée.

Un large sourire ornait son visage tandis qu'il lui partageait ses trouvailles. Geri gambadait joyeusement autour d'eux, jouant avec de minuscules bestioles semblables à des souris mais sans les torturer semblait-il.
C'était étrange.
Toute cette scène paraissait au stryge comme fantastique, improbable. Allons. Un stryge noir, un stryge blanc, un chien et une forêt digne d'un conte de fée. On aurait dit un mauvais roman à l'eau de rose. Bon sang.

Wyrm, si heureux, simple... Stupide, il semblerait presque. Comme un gamin en extase, un philosophe en ataraxie ou un drogué parti là où le regard ne porte pas.
Shane se posait une question un idiote.  Qu‘était-ce plus merveilleux : de voir toutes ses choses hors du commun... ou de voir ainsi Wyrm ? C‘était tellement similaire, finalement, qu‘elle ne savait choisir. Les deux avaient le charme de quelque chose d‘absolument candide, à la seule différence que l‘environnement n‘avait nulle conscience d‘être observé (quoique...) et que Wyrm se contentait de s‘en foutre totalement. Toutes deux faisaient partie, sans nulle doute, des grands mystères de l‘univers, que bien peu ont la chance d‘observer et pour qui certains pourraient tuer pour n‘en voir qu‘un voile : c‘étaient des facettes secrète du monde ou d‘un être. Bien peu étaient ceux qui avaient pu un jour fouler le sol de cette caverne qui portait si bien son nom ; sans le moindre doute, seul un nombre restreint avait pu voir un jour cette facette de l‘Informateur, si prompt à cacher son visage derrière son masque et sa vérité derrière son visage.
Pour Shane, c‘était deux miracles qu‘elle avait devant les yeux et ne savait sur lequel jeter totalement son dévolu. Mais cette indécision ne la tourmentait pas, pas plus qu‘elle ne la gênait, finalement. Tout au contraire : elle la faisait sourire. Car c‘était loin de ses tourments passés, dans le déserts, où il était question de vie ou de mort, de survie ou d‘abandon. Car c‘était loin de débats un peu pervers, un peu sans sens, sur son passé, sa vie détruite, son futur effacé. Car ce n‘était pas un dilemme entre Charybde et Scylla, mais entre le Graal et l‘Ambroisie.

Alors Shane se laisser emporter par la bonne humeur un peu folle du stryge, prenant délicatement avec ses doigts torturés et mal guéris une fleur au profil et à l‘arôme si délicat... Se demandant presque si un tel contraste entre la dureté du désert et la perfection de l‘endroit n‘était pas impossible tant il était grand.

Un bruit vint briser l‘instant comme une roche fracasserait une glace, en dévoilant ses faiblesses et ses imperfection. Une sorte de mugissement... Mais Shane avait déjà entendu des cris de buffle du désert, et ce n‘était pas aussi... sauvage. Brutal. Fort. Le truc qui avait dû faire ce cri devait être juste... énorme... et donc dangereux, très vraisemblablement. La Stryge pâlit.

« Wyrm... T‘as déjà entendu un truc... comme ça ? »

HRP:

Il scrutait déjà les alentours lorsque Télys lui posa cette question ; son regard fouillait fébrilement la végétation luxuriante à la recherche d'un quelconque danger. L'inconnu ne pouvait provoquer que deux réactions chez Wyrm. La curiosité. Ou la méfiance pour ne pas dire la peur. Et ce cri animal n'était vraisemblablement pas celui d'un gentil petit herbivore prêt à se confondre dans leur joyeux tableau...

"Non. On ferait mieux d'être discrets..." lui répondit-il finalement.

Joignant le geste à ses paroles, le stryge effaça son sourire pour laisser place à son habituelle neutralité faciale, un froncement de sourcils en plus. Sa main quitta les fleurs et alla reposer contre son flanc -là où sa dague était dissimulée sous le couvert de son ample veste. Geri, lui aussi, se fit plus calme.
Wyrm faisait assez confiance à son compagnon pour se fier à son intuition : aussi, en voyant que le chien ne montrait aucun signe de peur, il n'éprouvait pas la nécessité de fuir une quelconque menace. Toutefois, ce cri avait su leur rappeler qu'ils se trouvaient en territoire inconnu. Et que de ce fait, ils devaient à la fois respecter la faune présente et s'en méfier. Qui sait ? En importunant le mauvais animal, ils risquaient gros...
Ces terres étaient trompeuses.
Il ne l'oubliait pas.

"Continuons-nous plus loin ?" lui demanda-t-il.

En ce qui le concernait, son choix était fait. Il voulait plus loin, s'enfoncer toujours plus dans ce mythe qui devenait réalité sous ses yeux, sous ses doigts, sous ses pieds. Mais il n'était seul ; avancer signifiait aller au devant de dangers peut-être mortels. Parce qu'il ne voulait ni l'influencer, ni l'obliger, Wyrm lui avait posé cette question sans trahir ses propres envies. Et pour le peu qu'ils avaient partagé, le stryge ne pouvait ignorer sa compagne de route. Si jamais elle souhaitait rebrousser chemin... Eh bien il se plierait à sa décision.
Mais au final, quel était le pire ? Le désert ou cette vaste étendue inconnue devant eux ?

Il en savait foutrement rien. Enfin... quitte à crever, autant le faire dans un cadre idyllique et l'esprit plein de merveilles.

La menace planante avait rendu l'environnement tout de suite moins attrayant, comme si, d'un coup, la nature semblait prête à se transformer en monstre hostile… Et Wyrm, aussi, avait, d'un coup, perdu une partie de son charme en même temps que son sourire. Soudain sa voix était plus tendue, moins légère… Shane ne pouvait que comprendre sa réaction, mais ne pouvait s'empêcher d'en ressentir un certain pincement au cœur. Qui sait quand le Wyrm qu'elle avait pu voir quelques secondes auparavant osera réapparaitre.

Elle hocha brièvement du chef pour signifier qu'elle avait bien compris le message. La discrétion était forcément de mise, au vu de la situation.

Le calme n'avait jamais été le lot de la stryge. Apprendre à garder un minimum de sang froid avait été un exercice périlleux pour elle, un éternel combat entre sa nature que certains qualifieraient de démoniaque et elle-même, avec son éthique exigeante et ses pensées idéalistes. Mais elle connaissait malgré tout la marche à suivre. Fermer les yeux, un seconde, à peine, et les rouvrir. Ce simple instant de concentration suffisait à Shane de calmer le jeu.

La question de Wyrm la pris au dépourvu : elle lui jeta un regard assez étrange. Le genre de regard que l'on réserve aux demeurés et aux fous. Il ne connaissait rien du danger environnant, il ne connaissait que trop le danger sur patte aux yeux rouges qui l'accompagnait (la mésaventure des requins des sables en avait été la preuve)... Et pourtant sa curiosité ou sa folie prenait le pas, et il lui proposait de... continuer.

Finalement le bruit retentit de nouveau. Et Shane dut avouer que malgré le risque, savoir qu'elle allait peut-être pouvoir voir une espèce totalement inconnue, une autre facette de ce monde merveilleux semblait rendre le danger moindre.
Et puis merde. Mourir dans le désert ou déchiquetée par une bestiole fantasque...

"Allons-y." finit-elle par lâcher après un long moment de réflexion.

Elle ouvrit la marche. Etre discrète tout en traversant la végétation n'avait rien de bien difficile. C'était bien différent que d'évoluer sur un toit, mais cela demandait finalement une concentration semblable qu'elle atteignait avec une facilité déconcertante inhérente de l'habitude.
Et puis à un moment, la végétation devenait moins dense jusqu'à disparaitre, alors Shane s'arrêta, pour rester sous le couvert des arbres. La visibilité était suffisante pour qu'elle puisse voir l'auteur des bruits qui avaient attiré leur attention : une... énorme... betiole. Un espèce de lézard géant trapu, avec des écailles affreusements énormes sur le dos. Qui buvait, tranquillement, au bord d'un lac.

Wyrm suivit Télys avec une discrétion identique. Après tout, qu’il faille évoluer au sein d’une végétation luxuriante ou dans un labyrinthe de ruelles tortueuses, cela revenait à la même chose pour lui : se faire oublier était un de ses plus grands talents. Que la stryge noire s’en sorte tout aussi bien ne l’étonnait pas d’ailleurs. Ils avaient tous les deux perdu leurs ailes dans de sombres circonstances et ont dû faire face à la nouvelle réalité sans quiconque pour les comprendre. Leur discrétion était donc devenue une vertu cardinale.
Mais le ménestrel ne perdait pas une miette du spectacle pour autant. Sa mémoire se pliait avec plaisir à son exigence et inscrivait tout ce qu’il voyait. Plus tard toutefois, il lui faudra coucher quelques notes pour ce que son esprit n’arriverait à retenir à long terme.

Soudain, Télys suspendit son pas. Aussitôt, sa main raffermit sa prise sur le manche de sa dague. Il jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule de la jeune femme.
Il vit dans un premier temps la grandeur du lac, miroitant sous les lumières étranges de la voûte. Puis il vit l’énorme lézard s’abreuvant sur la berge. Et fit le lien avec le cri qu’ils avaient entendu plus tôt.
Mais était-ce vraiment lui ?
Wyrm avait plutôt pensé à un cri de mise en garde, de défi, comme si la bête allait combattre ; au lieu de quoi elle était là à boire tranquillement… Enfin il ne pouvait avancer plus loin ses doutes. Trop de choses leur étaient inconnues pour formuler des hypothèses plus construites que cela.

Il se positionna aux cotés de Télys. Qu’envisager pour la suite ? Devaient-ils attendre que la bête ne s’éloigne ? Toute autre alternative lui paraissaient trop téméraire, quoique aventureux soit le ménestrel… Alors il restait là, à détailler la créature à saietté.
Ah pourquoi ne sait-il dessiner…
Il aurait aimé pouvoir fixer son image sur le papier, ces reflets irisés sur les plaques qui ornaient son dos, les motifs presque ornementaux sur son dos, cet œil qui captait si bien la lumière…

Puis il réalisa.
La créature les regardait.
Wyrm déglutit.
Et il beugla avant de leur foncer dessus.

Ah c’était donc bien lui qui avait crié tantôt…

Shane mit quelques secondes à se rendre compte que la bête les regardait. Tout d'abord parce qu'elle n'avait pas l'habitude de ce genre de morphologie et qu'elle pensait assez naïvement et à tort que, puisque la tête de la créature n'était pas totalement tournée vers eux, son regard ne pouvait pas être fixé sur eux... mais aussi parce que Wyrm ne réagissait pas et restait là, fasciné, totalement hébété par la beauté de la grosse bestiole.
Puis cette dernière se mit en mouvement vers eux. Shane écarquilla les yeux en voyant le danger ambulant se mettre à courir dans leur direction. Le sol qui semblait juste avant inébranlable s'était mis à trembler sous la lourdeur de ses pattes.

C'est le genre de situations où il est de bon ton de lancer un bon gros "merde" avant de prendre la poudre d'escampette. N'importe qui d'un peu censé aurait fait ça, sans aucun doute, le juron en moins, peut-être. Pas Shane.
Car Shane est stryge noire. Le peuple maudit aux ailes d'ombres. Qui cherche la rixe et la bagarre, mais qui peut s'en échapper en partant vers le ciel. Son instinct est celui d'un stryge noir... même si ses capacités sont celles d'un humain. Mais alors que l'humain, sous l'emprise de l'adrénaline, prendrait ses jambes à son cou sans demander son reste, sur le visage du stryge, bien campé sur ses deux pieds, naîtrait un sourire un peu torve mais sans surplus tandis qu'il s'exclamerait en riant "un ennemi de plus !"

C'est ce sourire qui venait de se poser sur les lèvres de Shane. La peur avait fait fuir toute rationalité de son esprit : elle faisait face au mastodonte qui leur arrivait droit dessus.

Alors, quand l'énorme bête se trouvait à une dizaine de mètres d'elle, elle se mit en mouvement. L'encolure de la bestiole était basse, elle n'avait besoin donc que d'un élan raisonnable... Un peu avant que la tête ne la percute, Shane sauta... elle atterrit sur l'une des plaques du haut du dos du monstre, hors de portée de ses griffes qui semblaient de faites de pierres et de ses charges meurtrières... et avec un peu chance, hors de portée de sa queue, qui semblait tout sauf inoffensive.
Shane se retourna pour poser ses deux mains sur les deux énormes cornes qui ornaient la tête du monstre. Elle imprima un violent mouvement de torsion, grimaçant sous l'effort qu'elle devait en plus refréner pour ne pas détériorer son équilibre déjà précaire.. Si elle pouvait dévier, ne serait-ce qu'un peu la trajectoire de ce dernier pour qu'il ne mette pas Wyrm en danger...

HRP:

Autant le dire sans détours : Télys était le genre de personne à foutre votre vie en l'air, ainsi que tous vos principes.

C'était la réflexion que Wyrm se faisait en admirant sinon s'effarant des cabrioles de la stryge noire avec l'énorme créature. Il ne pouvait détacher son regard de cet étrange ensemble qu'ils formaient, tant la scène lui paraissait irréelle : allons, une jeune femme aussi frêle que lui, chevauchant un lézard géant au milieu d'une grotte souterraine réputée pour les malheurs qu'elle causait ? Puis il se dit que, quitte à crever ici, personne ne saurait jamais la folle situation qui les aurait amené à la mort. Son honneur serait sauf.
Mais la perspective de mourir ne lui plaisant guère, Wyrm prit quand même ses jambes à son coup en voyant Télys et sa monture lui foncer dessus. Il plongea dans le buisson de tantôt. De leur côté, la folle cavalerie continua sa course dans la forêt, aussi discrète qu'un pet pendant un enterrement...

Wyrm jura.
Et il se lança à leur poursuite.

Le souffle court, le stryge perdait peu à peu la silhouette du lézard dans son champ de vison : ah s'il avait ses ailes, il serait en mesure d'aider sa compagne ! Mais était-elle seulement sur son dos, encore ? Jurant, craquant, le ménestrel accéléra, au risque d'en éclater ses poumons...
Pour constater, quelques minutes plus tard, que les choses s'annonçaient mal. Le mastodonte avait fini par ralentir avant de reprendre un pas normal comme si de rien n'était : donc Télys n'était plus sur son dos.

"Et merde."

Il était de nouveau seul et se trouvait bien loin de leur point de départ... Sans compter qu'il n'avait pas pris le temps de mémoriser le chemin, tout entier concentré sur sa course. Perdu en terre inconnue, avec ce genre de bestioles dans le coin. Charmant.

HRP:

Shane était bien obligée de l'admettre : s'improviser soudainement cavalière d'un espèce de monstre massif, c'était vraiment une mauvaise idée. La bestiole n'appréciait clairement pas la présence d'un corps étranger sur son dos et essayait à tout prix de faire dégager ce dernier à grand coup de ruades d'une violence rare. Néanmoins, il fallait bien avouer que, se retrouver debout, bien campée sur l'encolure d'une bête qui rue et court de partout pour vous en déloger, c'était le genre d'expérience à faire exploser tous les taux d'adrénaline du cerveau et Shane ne pouvait qu'apprécier. Si elle n'avait pas eu tant besoin d'être totalement concentrée sur ce qu'elle faisait pour ne pas tomber, elle se serait sans doute mise à rire de la situation... Mais les remous du monstre qui essayait de la faire déguerpir monopolisait vraiment toute son attention. Corriger ses appuis, éviter les branches qui volaient vers sa figure, s'agripper désespérement aux cornes pour faire face aux pires secousses...

Il n'empêche qu'au bout de quelques secondes, une pensée germa dans l'esprit de la stryge : "Et maintenant ?" A quelques reprises, l'idée de sauter pour mettre pied à tere l'effleura, mais ça aurait été se livrer en pature aux pattes puissantes de la bête... C'est le genre de choses auxquelles elle aurait dû réfléchir avant de se lancer dans une entreprise aussi folle, mais en danger, la stryge n'avait jamais été très portée sur les réflexions...

Et puis, ce qui devait inéluctablement arriver, arriva.

Vous souvenez-vous que, quelques moments avant, la question quant à la capacité du monstre à amener sa queue de pierre jusqu'à son encolure avait été posée ? Eh bien, Shane, scientifique à ses dépends, vérifia ce fait avant tout le monde, sans doute, sur Dùralas : la réponse est oui, et le coup la projeta... loin. Elle même n'aurait su dire exactement où, car en plein milieu de sa trajectoire, le choc et le vol plané lui fit perdre connaissance.


Oh bordel. Shane ouvrit difficilement les yeux. Elle avait rarement eu autant le corps ankylosé. Elle avait l'impression que son crâne avait été broyé et que chacun de ses muscles brûlaient douceureusement. Et il faisait sombre. C'était la nuit ? Combien de temps avait pu donc se passer ?
Elle mit quelques instants pour se remettre les idées en place. Se rappeler les évènements qui s'étaient déroulés auparavant, qui avaient des airs de rêves éthérés tant tout semblait irréel...

Et Wyrm ?
...
La question resta en suspens pendant une petite éternité où Shane ne pouvait se résoudre d'admettre qu'elle était de nouveau seule.

Mobilisant toute son énergie, Shane se releva difficilement. Incapable de reconnaitre la moindre chose dans l'obscurité qui régnait... Crier pour essayer de retrouver le stryge était une idée affreuse, vu ses précédentes intéractions avec la faune locale... Alors... attendre le jour pour espérer le retrouver ? Shane considéra l'alternative. Puis...

"WYRM ?? GÉRI ??" commença à appeler Shane.

On ne peut pas demander à un Stryge Noir d'être patient.

Un aboiement au loin lui rendit un peu d'espoir. Le stryge s'avança donc dans cette direction, non sans quitter le couvert des buissons : il avait d'ailleurs bien fait car il ne s'agissait pas de Geri. A moins qu'il ait soudainement eu une poussée de croissance. Et quelque peu perdu de son flegme. Et ses poils au passage. Wyrm déglutit, se faisant aussi petit qu'un homme de presque deux mètres pouvait l'être. Pas très discret en somme ou du moins théoriquement : parce que dans ces lieux de démesure, l'échelle était devenue tout autre.
Décidément... ce séjour en terres souterraines devenait une infiltration de longue durée. Il avait passé plus de temps à ramper qu'à marcher et profiter du paysage. Il se retourna sur le dos. Quitte à attendre que cet énième prédateur s'en aille, autant admirer le paysage et se reposer.

Ainsi, on aurait presque dit qu'il dormait.
Ce qui n'était pas loin de la vérité.

Allons, Geri finirait bien par le retrouver. Et grâce à son flair, chercher Télys serait un jeu d'enfant. Ils s'étaient cotoyés depuis assez longtemps pour que le chien sache reconnaitre leur odeur respective. Ce ne serait l'affaire que de deux jours, peut-être trois si chacun s'éloignait. Alors le stryge blanc restait là, contemplait le paysage -non sans penser que ce serait parfait avec quelques fruits bien frais et pourquoi pas une jolie serveuse sous la main...

Enfin il dut se rendre à l'évidence que les choses ne seraient sans doute pas si simples, une fois que plusieurs heures se furent écoulées. Ou seulement une poignée de minutes. Avec ce plafond, cette absence de ciel, il en perdait toute notion temporelle... Fichtre.
Un soupir, un grattement au flanc et il reprit sa sieste.

Putain, putain, putain... PUTAIN.

Shane aurait crié tout ces jurons si sa gorge éreintée par ses appels incessants était encore capable de produire le moindre son. La stryge devait admettre l'évidence qui en devenait presque oppressante : Wyrm n'était pas là. Et ses chances de le trouver étaient... symboliques. Dérisoires. Shane appuya son front sur un arbre, les doigts posés sur ses yeux. Se calmer. Y aller à l'aveuglette ne servirait pas à grand chose. Si seulement ses ailes ne lui avaient pas été ravies, retrouver le stryge aurait été un jeu d'enfant...

Après une vingtaine de minutes de recherche, à aller ci et là, elle tomba sur la sorte d'allée d'arbres brisés et de terre retournée que le mastodonte avait créé lors de leur rodéo. Elle la longea assez longuement, se disant que Wyrm serait sûrement dans les parages... apparemment non. La solitude était étouffante.
Mais, à un moment, un bruit attira son attention : une sorte de jappement faible, une sorte de gémissement. Une lueur d'espoir s'alluma dans le regard de Shane tandis qu'elle se dirigea vers la source du bruit...
"Géri !" s'exclama-t-elle avec soulagement. Un nouveau aboiement, cette fois-ci plus ragaillardi, lui répondit. C'était bien le chien blanc qui, apparemment blessé, ne pouvait plus marcher, ou sinon à grand peine. Il était dans un assez sale état : l'une de ses clavicules semblait démise et une de ses pattes arrières était étrangement tordue. Il avait dû se prendre un coup de patte ou de queue du monstre dans leur folle course...

Shane mit le chien sur son dos, frêle fardeau par rapport au poids que l'animal venait de lever de son coeur. Géri se laissa faire docilement. Elle se dirigea vers le lac qu'ils avaient découvert auparavant, en espérant qu'il n'y ait pas de monstre comme la dernière fois... Elle avait besoin d'eau, ne serait-ce que pour étancher sa soif, mais aussi pour soigner de façon à peu près convenable le fidèle animal.
Arrivée là bas, elle constata avec un soulagement certain que ce n'était pas le cas. Elle s'approcha avec prudence de l'eau, prête à fuir au moindre prédateur se manifestant... Elle détestait la sensation d'être réduite à l'état de proie.
Elle rinça puis pansa du mieux qu'elle pouvait les blessures du chien, pas très sûre de ce qu'elle faisait, parfois, vu que c'était la première fois qu'elle soignait un animal, elle connaissait mal leur anatomie.
Elle gratouilla la tête de la pauvre bête. "Bon, dans ton état, tu vas pas pouvoir m'aider à retrouver Wyrm, non ?" Au nom de son maitre, Géri eu une petite réaction, une sorte de gémissement plaintif.

HRP:

Un froissement et sa tête émergea du buisson. Il plissa les paupières sous la lumière artificielle de la caverne : combien de temps avait-il dormi...? Sans doute plus de deux heures. Peut-être une journée. Vu son état de fatigue et ses privations, cela ne l'aurait pas étonné.
Apparemment, il devait se résoudre à chercher de lui-même ses compagnons -puisque Géri ne l'avait pas trouvé et Télys... L'avait-elle cherché au moins ? Wyrm soupira. Ah pourquoi rien ne tombait du ciel, sur un plateau d'argent pour une fois ? Ce ne serait pas...

"BORDEL !"

Il se jeta en hurlant sur le côté. Le sol trembla sous l'impact d'un corps solide. Lui tremblait d'appréhension mais passons. Il se releva, le visage plein de terre, curieux de savoir ce qui lui était tombé dessus à l'écho de ses souhaits. Un poulet géant ? Le stryge, prêt à déguerpir à tout moment, s'approcha tout de même. Curiosité oblige. Doucement il rampa vers l'animal. Il ressemblait à un oiseau si on mettait de coté ses dimensions assez... énormes et les griffes qui ornaient dangereusement ses serres.
Il déglutit. S'approcha un peu plus.
Ses plumes ne semblaient pas former le duvet doux et léger de la plupart des volatiles : au contraire, elles semblaient rêches comme de l'écorce et quoique maigre, Wyrm se demandait s'il pouvait ne serait-ce que soulever une de ces ailes. Quant à son bec, il avait tout l'air de servir à broyer plutôt qu'avaler des vers de terre... Cet oeil renforçait le tableau et affirmait la nature prédatrice du volatile en tous cas.

Wyrm retint sa respiration.
Son oeil ?
Le stryge déglutit une nouvelle fois, et se mouva lentement... tandis que l'oiseau le suivait du regard... Et merde. Il avait cru un instant recevoir un cadeau du ciel.

Il jurait encore à propos de sa stupidité tandis que l'oiseau reprenait les hauteurs, un petit butin entre les serres. Il allait donc finir dans le gosier de mini poulets géants, en morceaux épars. Intéressante perspective. Au moins avait-il la possibilité d'observer la géographie des lieux de tout son soûl, depuis un nouveau point de vue : il retrouva le lac de tantôt, ce qui semblait être la voie par laquelle ils étaient entrés... Puis il découvrit une vaste plaine arpentée par d'étranges lézards aux écailles rougeoyantes.
Il plissa les yeux. Hurla.

"TELYS ! GERIIIIII ! AIDEZ-MOI !"

Tant pis pour les formes, il n'avait pas le loisir de formuler sa requête de façon plus belle ni d'épargner sa fierté.

Shane devait se décider à repartir du lac pour chercher Wyrm, si elle voulait le trouver un jour. Elle refusait de se poser la question qui trottait à la lisière de ses pensées : et si elle ne le trouvait pas, qu'est-ce qui se passerait ? Au bout de combien de jours (ou de temps, vu que la lumière ne semblait obéir à nulles règles des astres) devrait-elle repartir de la caverne ? Et même si elle y arrivait, pourrait-elle s'orienter pour arriver à Ishtar ? Dans quel état ?
Mais finalement, coup du sort ou du destin, la stryge n'eut pas plus à se torturer les méninges : un hurlement, lointain, trop déformé par la distance et le ton pour être attribué de façon certaine à quelqu'un, lui parvint.

La seconde d'après, Shane était sur ses deux jambes, scrutant l'orée de l'étrange forêt (était-ce que certains appellent jungle ?) pour chercher à en déterminer l'origine... Puis un mouvement attira son regard. Un oiseau... Elle plissa les yeux pour espérer mieux voir...

Oh le con.

Son cerveau fourmilla d'idées pour essayer de le sortir de ce pétrin, toutes plus folles et débiles les unes que les autres, mais déjà qu'il n'y en avait pas la moindre qui fonctionnait ne serait-ce qu'en théorie, alors en pratique... Il valait mieux ne même pas essayer !

La voyait-il seulement ? Elle fit des grands gestes des bras pour espérer attirer son attention. Pour peu que l'oiseau - un truc aussi gros pouvait-il seulement prétendre à ce titre ? - passe au dessus du lac, si Wyrm parvenait à sauter il pourrait tomber dans l'eau sans trop de dommages.
Ou bien se tuer dans la chute.
Ou encore se faire attaquer par un monstre marin dormant dans les profondeurs.
Ou...

Spoiler:

Wyrm se laissait donc trainer, au bord des pleurs, dans le vaste ciel voûté de la caverne. Il allait mourir. Triste fin pour lui, même s'il aurait pu connaitre pire -se faire bouffer en partie par un bébé crabe géant et laissé pour mort par exemple. Il ferait donc son possible pour garder toute sa dignité, que Télys puisse verser d'amères larmes sur son corps.
Alors qu'il voyait les silhouettes de ses compagnons disparaitre au loin, Wyrm mua son désespoir en détachement. Juste de l'autre coté du lac, un pic rocheux abritait de nombreuses cavités. L'oiseau s'approcha de l'une d'elles avant de le balancer dans le nid et de s'éloigner en croassant.

Wyrm s'ébroua, s'inspectant tout en enlevant les disgracieux morceaux de pailles sur sa tête. Bordel, il s'était foulé la cheville. Son regard bleu observa rapidement les environs. La petite grotte faisait à peu près cinq mètres de diamètre ; le nid où il se trouvait en occupait aisément toute la largeur... Cela mis à part, il faisait actuellement commun ménage avec une paire d'oisillons. Qui devaient faire sa taille.

"Heu. Salut ?"

Il ne savait pas comment réagir ; bien qu'il soit dans de beaux draps, il ne pouvait décidément pas se débarrasser de ces petits. Il n'avait au final qu'une forme un peu plus humaine mais au fond, il restait un oiseau lui aussi. Ah mais, terrible fin que de finir mangé par un semblable.
Il jeta un coup d'oeil par dehors. Il se trouvait bien moins haut qu'il ne le songeait et si son pied avait été épargné, il se serait sauvé sans plus attendre. Ce genre de situation ne le faisait que plus regretter la perte de ses ailes. Eh bien... Il ne pouvait plus que croire en Télys et Geri.

"Voici donc le crépuscule aux volutes sombres
S'immisçant entre joies et rires innocents...
Abreuve-toi sans nul égard de nos jours ambres,
Sustente-toi de nos juvéniles instants!

Embrasse le sein pur de nos âmes enfantines
Et couvre-les de tes méandres versatiles ;
Souffle tes délices en nos pensées chagrines,
Et corrompt notre cœur encore si fragile..."

HRP: