Shane s'était attendue à beaucoup de chose. Qu'on lui demande de partir, qu'on appelle les garde, qu'on la traîne par le peau du cou jusque dans la boue pour lui inculquer une quelconque leçon.
...
Qu'on lui sourit d'un air confiant et qu'on lui demande d'aller dans l'arrière boutique, ça, par contre, cela la prenait de court. Non seulement elle n'aurait jamais pensé que sa demande aurait put être considérée sérieusement et encore moins de cette façon là.

Le maître sculpteur le mena dans une sorte de petit salon dont Shane n'aurait soupçonné l'existence. Elle y entra avec la plus extrême prudence. Après tout ce temps passé dans le désert, elle avait oublié la sensations de ces espaces si confinés. Elle s'était habituée à pouvoir voir tout ce qui se passait autour d'elle, à pouvoir tout prévoir sur ce qui allait lui arriver dessus. Là, elle avait l'impression qu'un bataillon armé allait débarquer de n'importe quel ombre pour la massacrer.

Les dents serrés, essayant de faire la part entre sa paranoïa et son instinct pour flairer le danger, elle obtempéra, s'asseyant de façon un peu rigide.
"Pas la peine, pour le thé... merci." Un ton poliment gêné. Autant éviter une source d'empoisonnement possible...
Elle n'était clairement pas à l'aise dans cette conversation où elle partait débitrice de son interlocuteur.

"Pas la peine, pour le thé... merci."

La jeune femme ne semblait pas vraiment à l'aise. Peut être ne s'attendait-elle pas à autant d'hospitalité, surtout venant d'un homme inspirant aussi peu la confiance. Dragnizzo haussa les épaules avec un sourire et partit dans la cuisine préparer sa boisson chaude.

Au même moment, la porte de la boutique s'ouvrit une nouvelle fois, mais pas assez pour faire sonner la clochette. Un chat sauta sur le comptoir et observa cette inconnue. Le plus étrange, c'est que ce chat possédait une troisième œil et des bois de cerf, sans oublier son pelage blanc, presque lumineux.

Dragnizzo sortit de la cuisine, croyant avoir entendu la porte s'ouvrir et regarda le chat sur le comptoir. L'homme s'exclama, naturellement.

- Bah ! Qu'est ce que tu fais sous cette forme ?

Le chat répondit tout aussi naturellement.

- J'avais complètement oublié que je pouvais me changer dans la forme d'un animal dont j'ai déjà prit la possession.

- D'accord ! Effectivement, c'était peut être temps.

Au moment où Dragnizzo allait retourner dans sa cuisine, le chat l'interpella.

- Hey ! Tu ne me présentes pas ?

- Ah si ! Voici Slayne, un vieil ami, même s'il pourrait se présenter tout seul !

- Comme si c'était facile pour moi de parler aux inconnus sans qu'ils s'enfuient..

- Et Slayne voici.. Euh, quel est ton nom au fait ?

C'était.
Quoi.
Ce truc ?

Grosso modo, ça avait une forme de chat - si on oubliait les cornes et l’œil en plus. Et ça parlait, en plus. Shane était sidérée par la chose qui se tenait devant elle. Elle l'était sans doute encore plus par le naturel avec lequel son hôte avait accueilli la bestiole.

- Sh... Télys.

Sous la surprise, elle en avait presque de donner le nom qu'elle avait emprunté de sa soeur. Sait-on jamais, pour peu qu'elle soit recherchée même à Ishtar...

Le puzzle de l'identité du sculpteur se dotait de plus en plus de pièces et elles s’emboîtaient de moins en moins. La stryge secoua la tête et lança à l'autre :

- Vous accueillez un vagabond aussi bien qu'un riche associé, vous avez sous votre toit un... truc. (elle jeta un regard désolé à Slayne, elle ne savait vraiment pas comment qualifier la créature) Vous êtes vraiment pas un humain normal.

Elle n'était pas dans l'humeur d'apprécier une aura de mystère semblable à celle dont se drapait Wyrm.

- Vous êtes vraiment pas un humain normal.

Dragnizzo qui était déjà partit dans sa cuisine tout en écoutant les paroles de cette Télys, revenait avec une tasse de thé et une théière. Au moment ou la jeune femme termina sa phrase, le sculpteur lâcha un rire sincère, et s'assit sur l'autre fauteuil.

- Je te remercie pour ce compliment ! Mais bon, j'imagine que tu aimerais bien me connaître un peu plus, alors laisse moi me présenter. Je m'appelle Dragnizzo Crosenth, je suis bien évidemment, sculpteur, alchimiste, et je suis aussi ce qu'on pourrait qualifier d'ensorceleur. Je suis aussi un loup garou, mais ne t'inquiète pas, je maîtrise parfaitement ce "léger problème". Et pour ce qui est de Slayne, c'était un chat normal avant, mais un jour, il a bu un de mes mutagènes, et à commencer à muter et à être doté de parole.

- Et d'intelligence !

- Oui, aussi.. Alors, c'est vrai que tu ne t'attendais peut être pas à tomber sur un mentor aussi "original" que moi, et je comprendrais tout à fait que tu veuilles partir.

Dragnizzo prit une gorgée de thé et reprit.

- Mais sinon, je suis d'accord pour que tu deviennes mon apprenti. Pas que j'en ai spécialement besoin, mais disons que j'aime bien aider les gens, surtout quand ça allège ma dose de travail.

Le sculpteur se remit à rire, aussi bien pour détendre l'ambiance que pour mettre à l'aise Télys.

Shane regarda, bouche-bée la liste d'adjectifs et de titre que possédait le maître sculpteur s'allongeait. Il lui avait tout balancé, d'un coup. Lui qui l'avait rencontrée il y a à peine quelques minutes, il lui déballait tout ça, sans un soupçon de honte, d'hésitation, même pas sur le ton de la confidence.

La stryge n'accompagna le loup-garou dans son rire. Mais un sourire franc se dessina néanmoins sur son visage. Le bien-être de Dragnizzo était étrangement contagieux.

- Je crois au contraire que je suis plutôt chanceuse d'être tombée sur vous plutôt qu'un autre !

Elle s'adossa un peu plus confortablement dans le fauteuil. Si certains se seraient sûrement sentis oppressés, par les révélations du loup-garou, Shane se sentait au contraire limite plus à l'aise. A ses côtés, elle était bien moins monstrueuse, étrangement.

- Si c'est pas indiscret, monsieur Crosenth, je peux vous demander comment vous faites ? Être... comme ça, alors que la moindre parcelle de votre identité serait suffisant à vous faire lyncher par l'Inquisition, sinon pire ?

- Si c'est pas indiscret, monsieur Crosenth, je peux vous demander comment vous faites ? Être... comme ça, alors que la moindre parcelle de votre identité serait suffisant à vous faire lyncher par l'Inquisition, sinon pire ?

Dragnizzo ne s'était jamais réellement posé la question. C'est vrai qu'il n'avait jamais eu de problème avec son identité, donc il avait prit ses aises.

- A vrai dire, les gens ici me font confiance. Les pêcheurs, certains marins et mes voisins n'ont jamais eu à se plaindre de moi et beaucoup viennent pour me demander un service. Et, vu ma tête, mon condition n'est pas simple à cacher. Je ne dis pas que ça a été facile tout les jours, mais les gens se sont habitué et ont apprit à me connaitre.

Le sculpteur vida sa tasse de thé et posa le récipient sur la table.

- Et de plus, l'Inquisition ne vient à Ishtar que pour certaines occasions graves. Les Sincères Rôdeurs remplace bien le rôle de l'Inquisition, mais sont beaucoup moins nombreux. Donc je ne les aient jamais considérés comme un problème. Il faut juste éviter de sortir en ville après le coucher du soleil.

- Et pourtant, ça ne t'empêche pas de te battre contre eux quand tu t'ennuies.

- C'est pas de ma faute si la plupart font leur ronde complètement saoul.. Et ça me donne un prétexte pour m’entraîner et nettoyer un peu les rues.

Tandis que Slayne soupira, Dragnizzo sourit de con côté comme un enfant qui avoua une bêtise. Les yeux du sculpteur croisaient à nouveaux les yeux rouges de la jeune femme, et une question lui brûlait les lèvres.

- Au fait, dis moi si j'ai tord mais, tu es bien une stryge noire ? Tes yeux d'un rouge profond, et tes cheveux de jais.. très peu d'humain possède ce mélange, et encore moins les autres races. Les vampires à l'occasion, mais j'aurais sentit une infâme aura meurtrière au moment ou tu aurais posé un pied dans ma boutique.

Sans même s'en rendre compte, Dragnizzo avait prit un ton sérieux, et arborait une visage sinistre.

- Enfin, je comprendrai que tu veuilles garder une partie de ta vie secrète, désolé si je t'ai mise mal à l'aise !

Shane écouta Dragnizzo avec le sourire aux lèvres. Son assurance presque ingénue était agréable à voir. Il menait son train de vie avec une telle tranquillité d'esprit...
La mention des sincères rôdeurs l'intrigua quelque peu. Elle n'avait jamais connu d'endroits où l'inquisition ou bien la garde royale n'était pas l'autorité la plus respectée. Elle avait très rapidement entendu parler de la secte, mais sans plus. Elle se promit de lui poser plus de question plus tard.

Puis... Le coeur de Shane manqua un battement quand le loup-garou prononça le nom de sa race. "Stryge noir". L'entendre ainsi sans le moindre préavis, Shane ne s'y était toujours pas habitué. Elle se mordit la lèvre inférieure, ne sachant pas quoi répondre. Elle déglutit.

- D'habitude, l'absence d'ailes est suffisante pour leurrer les moins perspicaces...

C'était un demi-mensonge car les ailes de Shane, elle les avaient sur elle, dans le sac à sa ceinture. Elle les portait comme un fardeau qui ne la quittait jamais.

- C'est plus ma vie ignorée que ma vie secrète. On m'a élevée comme une humaine après m'avoir coupé les ailes, cela ne fait que... quelques mois, à peine, que je l'ai découvert.

Les mots sortaient difficilement. Elle n'avait clairement pas l'habitude de partager cet aspect là de sa vie.

- Mais je ne comprends pas. Les stryges ne dégagent pas d'aura meurtrière ? Je croyais que...

Les stryges étaient les pires monstres qui existent sur Dùralas. Qu'il n'y a pas plus sanguinaire et assoiffés de chaos qu'eux. Elle ne parvint pas à finir sa phrase.

Dragnizzo avait vu juste, malgré l'absence d'ailes. Il avait lu beaucoup d'histoire sur ces stryges, noirs ou blancs, qui avaient été punis en leur arrachant les ailes. L'ensorceleur sentait que Télys avait un lourd passé derrière elle. C'était une bonne chose. Cela veut dire qu'elle a l'habitude de combattre aussi bien physiquement que mentalement.

- Mais je ne comprends pas. Les stryges ne dégagent pas d'aura meurtrière ? Je croyais que...

- Hmm, c'est vrai aussi, mais j'y suis moins affecté. Quand je croise un vampire, une odeur de sang et une impression de danger se fait ressentir. Mais j'imagine que c'est à cause de ma condition de lycan.

Dragnizzo laissa s'écouler quelques secondes avant de reprendre la parole.

- Au fait, tu as un lieu ou dormir ? Si tu veux, tu peux t'installer dans l'atelier, j'ai l'impression que tu n'as pas beaucoup de bagages donc tu ne prendras pas beaucoup de place ! Et en plus, je travail rarement le matin, sauf en cas d'urgence, mais c'est très rare.

- Oh.

Il y avait un brin de déception dans la voix de Shane. A quoi s'attendait-elle ? Entendre Dragnizzo parler des stryges noirs en bien n'aurait rien changé à ses problèmes... Mais peut-être aurait-elle eu l'impression d'être un peu moins maudite ? Qu'importe.

Shane sentit brusquement un poids se retirer de sa poitrine tandis que le lycan lui proposait un toit. C'était un souci de moins à gérer. Un soucis moindre, peut-être, mais dans l'état dans lequel Shane était, il lui aurait proposé une gorgée du Graal qu'elle n'aurait pas été plus reconnaissante. Elle se fichait du confort, elle se fichait d'être réveillée aux aurores si le sculpteur devait travailler. Le logis qu'on lui proposait était un abri.

- Merci... Vous pouvez pas savoir ce que ça peut représenter pour moi de rester quelque part en sécurité.

Pour aller jeter un coup d’œil à l'atelier de son hôte, elle se leva. Un peu trop vite. Elle eut un léger vertige qu'elle essaye de masquer en s'appuyant sur la chaise où elle était assise quelques instants au paravent.
Elle aborda un peu précipitamment un autre sujet en espérant que le loup-garou soit dupe sur le délabrement physique dans lequel elle se trouvait.

- Vous avez fait tout le mobilier vous-même ?

- Merci... Vous pouvez pas savoir ce que ça peut représenter pour moi de rester quelque part en sécurité.

Dragnizzo fit un grand sourire à Télys quand il entendit cette remarque. Il était toujours content d'aider les gens. Il savait aussi ce que c'était d'être en difficulté, et il savait que l'aide de quelqu'un était toujours bonne à prendre.
Au même moment, la jeune femme se leva de sa chaise, mais elle tituba et s'appuya un peu contre la chaise. Elle essaya de changer de sujet, mais Dragnizzo avait vu son petit vertige.

- Vous avez fait tout le mobilier vous-même ?

- Presque, les meubles qui était déjà présent on juste été réparé et décoré. Mais vu ton état, j'aimerais d'abord te montrer la table de la cuisine. J'imagine que tu n'as pas mangé depuis longtemps..

Le sculpteur se leva et ouvrit la porte de la cuisine, là ou il avait préparé son thé il y a quelques minutes auparavant.
Dans cette cuisine, des tas de saucissons séchaient, à côté de jambons et d'épices. Posé sur la table de travail, des patates, du fromage, du pain et des petits sacs contenaient de l'ail et des oignons. La pièce n'était pas très grande, ce qui accentuait la bonne odeur de nourriture. Un petit four éteint était aussi présent pour faire chauffer des plats ou de l'eau.
Dragnizzo prit deux couteaux, deux saucissons, du pain et deux choppes qu'il posa sur la petite table de la cuisine.

- J'espère que tu aimes la viande, je suis allé la chercher ce matin au marché ! Sinon je devrais avoir quelques pommes si tu veux !

Le loup garou, qui ne résista pas à arracher un morceau de pain pour le manger, invita la stryge à s'asseoir et à déguster son petit casse croûte improvisé.

Au mot cuisine, Shane eu un sourire un peu faible. Elle n'était pas étonné que le loup-garou ait remarqué son état, mais était presque gênée qu'il propose tout de suite la solution à ses problèmes. L'odeur de nourriture frappa Shane de plein fouet. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas sentit quelque chose de mangeable et de frais. Se nourrir de viande séchée et autres trucs nourrissants mais franchement dégueulasses, ça allait bien, mais de la véritable nourriture, seigneur !

Elle s'assit. Avec un peu de retenue (si elle n'écoutait que son instinct elle aurait déjà engloutit la moitié des choses que Dragnizzo avait posé sur la table), elle coupa une grosse tranche de pain à l'aide d'un des couteaux et commença à la manger à coup de grosses bouchées. Pouvoir manger quelque chose qui avait du gout sans se déboîter la mâchoire en mâchant...
Si Shane avait su à quel point cela lui serait agréable, alors aurait tué pour un bout de pain comme cela !

Elle prit aussi un morceau de saucisson. Un saucisson aux cèpes, remarqua-t-elle avec ravissement. Elle regarda le reste de la cuisine... qui était en faite affreusement... banale. Cela la fit rire.

- Je pense que tout ceux qui racontent des légendes sur les loups-garous tomberaient des nues en vous voyant, monsieur Crosenth. A part l'ail pour repousser les vampires, on dit que vous mangez des enfants comme amuse-gueule ! Alors des patates et du saucisson...

Non pas que cela la dérange, que le loup-garou ne soit finalement qu'un humain avec une... condition un peu étrange. Mais cela rendait le légendes étrangement ridicules.

- Je pense que tout ceux qui racontent des légendes sur les loups-garous tomberaient des nues en vous voyant, monsieur Crosenth. A part l'ail pour repousser les vampires, on dit que vous mangez des enfants comme amuse-gueule ! Alors des patates et du saucisson...

Dragnizzo éclata de rire. Il est vrai que le mythe du grand méchant loup n'était pas vraiment honoré avec un citoyen comme lui. Mais à son humble avis, cela était surement pour le mieux.

- Ce n'est en effet pas vraiment mon genre de manger les enfants. Et puis, quand on peut manger des choses variées, pourquoi s'en priver ? Pas comme les vampires, incapables de manger autre chose que du sang et de la viande rouge.

Le sculpteur engloutit un morceau de saucisson, et continua la bouche pleine.

- Et, tu peux me tutoyer et m’appeler Dragnizzo, j'ai l'impression de prendre vingt ans dans la tronche dès que j'entends monsieur.

Dragnizzo rigola encore et continua à manger. Soudainement, il arrêta et posa une question, toujours sur un ton léger.

- Au fait, tu as déjà travaillé un peu le bois avant ou tu es une novice dans ce métier ?

C'était... étrange. Rire, assise à une table, avec de la nourriture à profusion. Parler de sujet si... étranges, mais qui semblaient tellement banals. Juste converser. Sans se demander si à l'instant d'après il lui faudrait fuir d'un monstre.

- Très bien, Dragnizzo. Je n'ai que quinze ans, tu sais, alors le respect presque révérencieux aux adultes, on me l'a tellement rabâché... J'avoue que j'ai du mal à m'en détacher !

Le "Dragnizzo" avait eu en effet du mal à sortir. Appeler le maître sculpteur par son prénom, c'était comme... le traiter comme un égal ? A Stelleraë, agir ainsi lui aurait valu une grosse taloche ! Autres conditions, autres mœurs ? Il est vrai que ses traits ne laissaient guère transparaître son jeune âge, sang stryge oblige.

- Mes parents avaient... ont un atelier. Ils m'ont appris l’ébénisterie et la marqueterie. Ensuite, travailler des meubles et des ornementations, cela diffère grandement de la création d'arme, je suppose. J'ai cru comprendre que c'était votre spécialité. Mais je pense que j'apprendrais relativement vite.

Elle se mordit légèrement la lèvre, comme si elle venait de dire une connerie, et se reprit, doucement, d'une voix un peu faible :

- Enfin, "mes parents"... les personnes qui m'ont élevée, pour être plus exacte.

Quand Télys finit sa phrase, Dragnizzo comprit que son enfance devait être encore moins joyeuse qu'il pensait. Elle semblait presque mal à l'aise à parler de ça. De plus, elle avait buté sur le temps utilisé pour parler de ses parents. Est ce qu'il étaient décédés, ou est ce qu'elle ne les considérait pas comme des parents ?

Le sculpteur se gratta la tête et répondit, tout en se coupant un autre morceau de saucisson.

- Pour ce qui est de ton expérience, le fait que tu aies déjà travaillé le bois est une très bonne chose. Ça veut dire que tu sais déjà comment le travailler, sans l'abîmer. Après, faire des armes en bois est autre chose, car on doit d'abord penser aux performances.

Dragnizzo mangea son morceau de saucisson rapidement et continua.

- Après, je suis peut être un peu trop curieux, et n'hésites pas à me dire si ça me regarde pas, mais j'aimerais bien te connaitre un peu plus. Disons que j'ai rarement des adolescentes qui viennent dans ma boutique, et encore moins des ados avec des vêtements déchirés et qui ont parcouru le désert pour fuir quelque chose.

Shane jeta un regard en biais à ses jointures qui portaient encore les marques de ses trop récentes blessures. Elle espérait que cela ne limiterait pas son apprentissage... Elle n'avait pas encore pu mesurer à quel point ses contusions avaient limité son agilité... Elle chassa cette pensée. Elle se débrouillerait bien. Elle se débrouillait toujours.

Elle dégluti plutôt violemment. La connaitre un peu plus. Cette phrase sonnait bizarrement. Comme si elle ne l'avait jamais vraiment entendu auparavant. Pas venant d'une personne connaissant ses origines. Ce n'était pas quelqu'un qui voulait la connaitre puis risquait de s'envoler en l'insultant de monstre... C'était... étrangement agréable... Et flippant. Car Shane avait tout sauf l'habitude de parler d'elle.

- Je ne fuyais pas exactement quelque chose...

Elle s'éclaircit légèrement la gorge. Elle ne savait pas trop par où commencer, à vrai dire.

- J'ai grandi à Stellaraë - une famille humaine. Mais assez récemment, on m'a...

Reniée, trompée, trahie, abandonnée, battue, tuée, brisée, effacée... Beaucoup de mots convenait mais Shane ne parvenait à n'en formuler aucun.

- Disons que je n'avais plus ma place là bas. Alors j'ai décidé de partir pour chercher... autre chose. Le convoi avec lequel je voyageais a été attaqué. Il n'y a eu que deux survivants, dont moi... A vrai dire je ne sais même pas comment j'ai réussi à survivre jusqu'à Ishtar.

- Je vois.

Dragnizzo se leva et prit une carafe d'eau et deux choppes qu'il posa sur la table. Après avoir rempli les deux récipients, il continua.

- Tu as du vivre des trucs pas spécialement plaisants à ce que j'entends. Mais bon, tu ne risques pas grand chose par ici. Comme je te l'ai dit, tu peux rester ici aussi longtemps que tu le souhaites.

Le sculpteur se leva s'étira un peu. Depuis le début du repas, il avait une idée qui le tenait à cœur. Il ne savait pas comment la stryge allait réagir, mais il décida quand même de ce lancer.

- Et si tu le souhaite, je pourrais peut être t'aider pour tes ailes. Je ne veux pas te donner de faux espoirs, parce qu'une mutation de ce genre est assez importante. Mais je pense pas que tout soit perdu pour autant.

Shane remercia de nouveau chaleureusement le lycan. Ce n'était pas tout les jours que quelqu'un lui sauvait ainsi la mise. Rester ici aussi longtemps qu'elle le voudrait... L'aventure du désert lui avait laissé un arrière gout amer dans la bouche, il lui faudrait au moins quelques semaines avant qu'elle fasse quoique ce soit d'autre.

Elle resta bouche-bée pendant plusieurs secondes, ne sachant si elle avait vraiment bien entendu ce qu'on venait de lui dire. Récupérer des ailes... Elle en avait souvent rêvé, certes - voler avait été sa plus grande occupation onirique, espéré, peut-être... Mais y réfléchir sérieusement ?

- Wow.

C'était à peu près tout ce que ça lui inspirait pour le moment. Elle eu une léger rire nerveux.

- Je ne saurais pas dire grand chose de plus... Je... Je vais tâcher d'y réfléchir... En tout cas, je ne sais pas comment fonctionne votre alchimie, mais...

Elle posa le sac qu'elle portait systématiquement à la taille. Elle l'entrouvrit et en sortit l'une des ailes qu'on avait coupé à sa naissance. Petite. Rabougrie par le temps, réduite à un squelette orné de plumes.

- Peut-être que cela pourrait vous aider ?

Dragnizzo prit l'échantillon et l'observa minutieusement. L'homme observa ça comme si c'était un fossile rare.

- Même si la structure à mal vieilli, ça ne devrait pas poser de problème. Je ne t'assure pas des belles ailes noires.. En fait, je ne t'assure pas des ailes du tout, mais je pense avoir ce qu'il faut pour que tu aies des ailes fonctionnelle si la mutation réussi.

Le sculpteur posa délicatement l'aile sur la table et réfléchit. Il prit un ton sérieux et regarda Télys dans les yeux.

- Les mutagènes peuvent être très instables, et leurs effets peuvent être très douloureux. Tu peux discuter avec Slayne si tu as quelques questions, mais il me semble que le cœur de mon bon vieux chat s'est arrêté pendant deux ou trois heures avant que les mutations prennent place sur son corps.

Dragnizzo s'arrêta, et reprit brusquement, comme s'il venait de se rappeler de quelque chose.

- Ah, et j'aurais besoin de ton sang aussi. Je sais comment sont constitués les loups garou, les humains, les elfes et les centaures, mais je connais encore très mal vos gènes, donc j'aurais peut être besoin de quelques échantillons pour augmenter nos chances de réussites..

Le ton de Dragnizzo s'adoucit un peu et il se remit à sourire.

- Enfin, si tu es toujours intéressée et que mes histoires de prise de sang et de mutations de t'on pas trop effrayée ! Sur ce, je vais devoir aller chercher du bois et de quoi faire à manger pour ce soir, n'hésites pas à t'installer convenablement, tu es désormais chez toi ici !

Dragnizzo lâcha un grand sourire avant d’appeler Slayne à l'aide pour récupérer les provisions. Ce dernier se transforma un Loup géant, et prit dans sa gueule un sac en toile, tandis que Dragnizzo récupéra son sac en cuir pour la nourriture, et tourna la petite pancarte qui afficha désormais "fermé".

- A tout de suite ! Je ferme à clé, si tu veux sortir, il y en a un double dans le bocal à fruit !

La porte de la boutique sonna et la porte se ferma tranquillement.

Shane s'était contentée de hocher du chef quand Dragnizzo lui parlait. Mutagène. Mutation. PLeins de mots qui ne trouvaient que peu d'écho en elle. Et d'autres qui la faisaient frémir. Le coeur qui s'arrêtait... Prélèvement de sang... Elle coula un regard inquiet à Slayne qui se léchait doucement la patte avec le plus grand dédain. S'il avait survécu à ça...
Etait-elle prête à mourir - même temporairement - pour des ailes ? Elle n'était pas vraiment dans l'état de se poser ce genre de questions. Elle fut presque soulagée que Dragnizzo parte, par peur d'une nouvelle surcharge d'information.

Elle regarda le lycan partir sans mot dire. Leur discution avait été finalement très brève, au vu de ce qu'ils avaient échangé. Il avait créé pour elle des opportunitées dont elle n'aurait jamais osé ne serait-ce qu'espérer, même dans ses rêves les moins modestes. Des ailes, un logement stable... un métier, peut-être ?

Un place dans ce monde, comme taillée sur mesure pour elle... Mais qui lui faisait peur, malgré tout. Elle s'ébroua et se leva, sans vertige, cette fois-ci.
D'abord, dormir. Elle verrait la suite après.