Un Stryge Blanc cerné, aux cheveux courts -bruns- souvent en bataille et une mine éternellement blasée. Nombreux sont ceux qui associent à tort Vendredi aux Stryges Noirs, et très peu ceux à qui il s'est donné la peine de corriger. Toujours de noir vêtu, les yeux voilés par quelque pensée mélancolique, l'impression générale qui se dégage de Vendredi n'est ni chaleureuse ni vertueuse. Quelques uns auront très justement commenté son aspect comme maladif ; le teint pâle, la mâchoire carrée, Vendredi manifeste physiquement le manque de sommeil et une certaine anxiété. Haïssant tout effort physique, il ressemble ainsi à un triste phasme.

Il nage cela dit une certaine beauté poétique, noire et magnétique dans cette apparente indifférence. Un charme discret dans l'éclat de ses yeux face aux événements les plus macabres du Monde.

Lorsque ses parents, rare couple de croque-morts de la Tour Blanche, lui offrirent son premier chaton, pour son septième anniversaire Vendredi fut frappé de tristesse. Son désarroi venant du fait que l'animal n'était pas empaillé, sa mère, très fière d'avoir élevé un descendant garant de leurs valeurs, lui expliqua qu'un jour l'animal mourrait. Vendredi pourrait ainsi avoir le loisir de l'empailler. Il retrouva alors dans son expression amorphe, une certaine joie.

Vendredi est d'un naturel mélancolique, profondément bercé de leçons nihilistes et de proximité avec le macabre. Il s'effraye de devoir manifester la cordialité associée aux siens, et ainsi il dissimula très vite ses ailes et son plumage sous des habits les plus noirs possibles. Dire que tout le laisse indifférent serait sa plus grande réussite, mais pour l'heure, les pique-niques au milieu des cimetières, la Convergence, et les exécutions publiques arrivent parfois à lui arracher un franc sourire.

Bien entendu, il évite la compagnie de tout être antropomorphe, voire toute compagnie tout court, et passe ses nuits à étudier en vue d'être reconnu mage diplômé. Car voyez-vous, tandis qu'un jour ses parents parlaient politique avec le reste de leur famille (principalement par séance de spiritisme ou carrément grâce à la nécromancie) il entendit parler de Baldwin Nuusan pour la première fois.

Comme son père décrivait les feux ardents que le Chevalier déversait sur les ennemis du Dragon ; Vendredi s'imagina se trouver mari qui lui passerait la bague au doigt sous l'arche embrasée d'une église déserte.
Pas d'invités, ni de fleurs, seulement un long et silencieux accord entre deux âmes désireuses brûler ensemble. Bien que l'institution maritale, comme toute forme d'ordre que la civilisation aimait à fantasmer, le dégoute, il est prêt à faire quelques concessions pour un pyromane qui se respecte.

Vendredi est donc un jeune homme tout à fait délicieux selon ses parents ; lugubre, morose et antisocial.

Une fois ses affaires déménagées dans la chambre qu'il occuperait désormais en Sylfaën pour ses études des "sciences de l'occulte", Vendredi remercia les Hobgobelins qui attendaient pourboire à la porte en leur adressant un regard vide avant de claquer cette dernière avec une surprenante énergie.

D'après la lettre d'admission provisoire qu'il avait reçue, le temps qui lui était alloué avant qu'on n'attribue son logement de dortoir à un autre plus motivé était d'encore quelques jours. Une certaine urgence était de mise, face à laquelle il choisissait de se laisser choir dans son lit.

Il s'imaginait les lancinantes files d'attente pour les inscriptions et les innombrables justificatifs qu'on lui demanderait, et cela le berça, il s'imaginait aussi combien de ses congénères échoueraient d'emblée leur scolarité face à l'anxiété du début d'année et se surprit à sourire. Peut-être aurait-il l'occasion de troquer les confettis prévus au bal de fin d'année par du sang et des boyaux.
Et ainsi, Vendredi Blaze s'endormit paisiblement.

Le lendemain, au lieu d'aller quérir le tampon qui lui permettrait de séjourner en l'Académie sans encombres, c'était tout naturellement qu'il veilla jusqu'à la nuit tombée pour partir dîner en forêt, panier repas en main et pipe d'herbe dans l'autre. Vendredi s'était habitué à éviter les Hommes, pas seulement car son pouvoir rendait les affects d'autrui terriblement usants à traiter, mais aussi parce que les êtres vivants étaient tout à fait déprimants.
S'il s'était depuis tout petit épris de la compagnie silencieuse de la nature et de plus morbides endroits, comme les cryptes et les temples maudits, il attribuait la cause de cela aux terribles échanges auxquels il devait s'adonner avec les gens qu'il rencontrait.

Là, s'étant volontairement égaré au milieu de bois rachitiques aux feuilles d'automne mourantes, le regard cerné de Vendredi alla se poser sur la Lune. Il lui adressa le vœu silencieux de placer sur sa route quelqu'un qui au lieu de lui demander son prénom lui demanderait de quelle manière il dissimulerait un cadavre. Plutôt que de sonder ses projets post académiques, qu'on sonde plutôt ses tragédies préférées. Vendredi resta un long moment à observer dans la nuit l'allée et la venue des mulots, poursuivis par les chouettes, sans rien dire.

Plusieurs heures s'écoulèrent sans que ne bouge le Stryge. Finalement, lorsque l'obscurité fut la plus totale et qu'au creu des ténèbres la Convergence battait son plein, il trouva ce qu'il était venu chercher.
Au début, ce ne fut qu'un grattement imperceptible, une vibration sourde qui bientôt devenait grouillement immonde juste sous ses pieds.
Vendredi ouvrait donc son panier auquel il n'avait pas touché et déposait au tour de lui plusieurs bouts de viande crue qui bientôt était saisie par des mains à la chaire putréfiée. D'une manière saccadée, pleine arthrose et de décomposition, un zombie s'érigeait bientôt devant lui.

Il avait lu dans le journal la disparition de plusieurs étudiants à même le campus, et, en tant que membre de la famille Blaze, au service des intérêts de la Tour Blanche malgré leur excentricité -et le fait qu'ils détestaient leurs frères, pour la plupart, autant que les Noirs- Vendredi s'était fait pour mission d'élucider ce mystère.

Vendredi soufflait fort du nez, en vue de l'effort à venir, et ses yeux se brouillaient de larmes sans qu'il ne pleure. Il ressentait l'agonie chez le macchabée, la colère et la solitude qui rongent les damnés, et, par vagues, elles tentaient de le submerger pour l'entraîner au fond.
Mais Vendredi Blaze, malgré son appétence à la mélancolie et à toute chose obscure, jouissait d'une âme particulière dont il allait démontrer sa -maigre- maîtrise au mort-vivant. Au fond de lui, en dépit de sa paresse et son apathie, s'était imprégnée une vision haute en couleurs d'un Monde illuminé des incendies purificateurs de Baldwin Nuusian et ses légendes épiques.

L'existence n'avait pas à être morose, si on y mettait le feu. L'âme n'avait pas à être tranquille, si on choisissait la contestation. Son père le lui avait un jour confié, alors qu'ils célébraient le suicide de son oncle ; la voie de tout un chacun n'a de vertueux que ce qui habite le cœur. Et sa mère de renchérir ; même les plus vaillants des héros ont parfois leurs coups de mou. Il fallait ne faire qu'un avec les chagrins de l'âme, car ils étaient bien plus courants que ses joies.

Depuis ce jour, le Stryge avait pleinement accepté les délicats émois qui le taraudaient et envisageait même sa mine épuisée avec moins de sévérité. Les cernes de Vendredi Blaze seraient celle d'un homme qui cherchait à changer le monde, à s'opposer farouchement au dictat des rires et à la joie forcée. Il n'y avait rien de plus éreintant que de nager à contre-courant, rien de plus excitant.

Malgré sa flemme, et son manque d'entrain, Vendredi croyait dur comme fer que même lui pouvait devenir un héros et il s'était juré que son premier pas vers cette direction serait d'arrêter l'assassin qui sévissait chez les étudiants de l'Académie.

D'un geste de la main, il retournait les émotions précédemment absorbées à la créature qui s'affalait, immolé par ses propres chagrins. Son visage creusé par la maigreur était découpé par de vives flammes tandis que ses traits semblaient gagner en vitalité. Petit à petit, sa posture changeait comme il avait usé de son pouvoir.

Son allure voutée et lâche se faisait plus droite, son teint gagnait en éclat et le lendemain ses cernes auraient disparues.

Le jour suivant, alors qu'il haïssait l'excès d'énergie qui affluait encore dans son organisme -ce qui avait failli le conduire à mener à bien une séance de sport matinal- et qu'il franchissait les portes de l'Académie pour se candidater administrativement, Vendredi voyait le résultat de sa magie de corruption retomber dans le même temps qu'il lisait la une de la gazette locale :

NOUVEAU MEURTRE SUR LE CAMPUS !