Azriel avait fait apprêter la Roulotte, un vaisseau dernier cri de petite taille, qu'il utilisait pour se déplacer discrètement où bon lui semblait. Il avait évidemment un vaisseau bien plus imposant à sa disposition, le Chapiteau, un Croiseur classe 9 TX-55, le modèle le plus haut de gamme accessible aux civils. Toutes les options possibles et imaginables, avec suffisamment de place pour survivre des années de voyage avec plusieurs centaines d'invités. Idéal pour les voyages officiels, mais beaucoup moins quand il s'agit de s'infiltrer discrètement dans un milieu hostile.

Azriel, accompagné d'Alice-Holy et Linéa, se dirigeaient vers Dùralas VI, où se cachait apparemment la Hiérarchie. C'était tout du moins ce qu'il avait découvert après avoir laissé ses petites mains chercher les origines de l'organisation. Officiellement, le PDG du consortium de médias L1 venait sur la planète pour rendre visite à de la famille éloignée et prendre des vacances loin du tumulte de Dùralas 1. Alice, quant à elle, était une nouvelle assistante en formation.

Le voyage avait bien commencé, la cyborg essayant de rattacher lees derniers fragments dispersés de sa mémoire pendant que le vampire lui racontait ce qu'elle avait raté durant ses millénaires de sommeil. Néanmoins, depuis qu'ils avaient dépassé l'orbite de Dùralas III, la cabine était plongée dans un silence de plomb seulement perturbé par le bruit occasionnel des commandes.

Azriel n'en disait rien, mais il s'inquiétait. Bien sûr, le fait d'aller se battre contre une organisation maléfique n'y était pas pour rien, mais ce qui perturbait le plus le vampire était le conflit. Il fallait être honnête : Azriel n'avait pas combattu depuis plusieurs millénaires. Être multi-milliardaire permettait d'éviter de se salir les mains quelque soit la bassesse de la besogne, une chose qu'affectionnait Azriel. Et dans le monde feutré qui était devenu le sien, celui des médias, l'utilisation de la violence était beaucoup moins fréquente. Arriverait-il à être à la hauteur du Monsieur Loyal du passé ? Il espérait ne pas avoir à le vérifier. Le but était d'être discret, pas de se retrouver entouré d'une armée hostile.

Devant eux, la forme ronde et verdoyante de Dùralas VI s'imposait devant eux. Le bal des vaisseaux spatiaux entrants et sortants animait le vide de l'espace alentours, preuve de l'intérêt croissant pour la planète, ses ressources et son éloignement du reste du système solaire. Le trafic était insignifiant par rapport à celui qui occupait l'espace autour des trois premières Dùralas, aussi les manoeuvres d'entrée en atmosphère étaient elles beaucoup plus folkloriques ici. Mais c'était encore le moyen d'entrer sur une planète de façon discrète.

Perdu dans ses pensées, Azriel n'écoutait que d'une oreille distraite les informations que donnait Linéa.

Les mois, c’était écoulé plutôt tranquillement, depuis qu’Azriel m’avait retrouvé dans les bas quartiers de Duralas II. J’avais l’impression de devoir réapprendre à marcher, dans un corps beaucoup plus grand que le mien. À quoi est-ce que je ressemblais, avant ? À cette époque d’un autre Age, les immortalisations automatiques n’existaient pas… Seuls de vieux parchemins et de pauvres dessins à l’encre fatiguée étaient restés intact, dans les pochettes transparentes que le vampire avait précieusement conservées dans le tiroir du bureau de la chambre bleue.

Lune, le démon-loup sortie tout droit d’un plan mystique et plus vraiment accessible depuis quelques milliers d’années maintenant, m’avait certes transmis de nombreuses images de sa mémoire. Mais tout été si flou que j’avais bien du mal à me faire une idée de mon ancienne apparence. Elle était mon âme et faisait de nouveau partie de moi et par bien des aspects, elle m’ancrait dans la réalité et m’empêchait de m’égarer de nouveau dans les souvenirs artificiels de 4L1C3. Quelques fois, je me réveillais encore la nuit, le visage recouvert de sueur, avec cette horrible impression d’être encore enfermé dans la pièce blanche du laboratoire clandestin de la Hiérarchie. Je pouvais encore sentir les aiguilles sous ma peau, et les scalpels me tailler de toute part.

Dans ces moments-là. Lune m’enveloppait de sa douce présence, et me rappelait qui j’étais et qui je n’étais plus.

Mes ailes biomécaniques repliées dans mon dos, je m’étais blottie dans un siège du petit vaisseau Roulotte. Son nom me rappelait d’agréables souvenirs brumeux, et à son bord, je me sentais en sécurité. Ce voyage, j’en rêvais depuis plus d’un an. Retrouver le siège de la Hiérarchie, les faire payer pour ce qu’ils m’avaient fait subir, à moi et à des milliers d’autres créatures innocentes, les détruire… Les réduire en cendres. J’ignorais si j’en avais la capacité, si seulement je pouvais encore me battre après tout ce que j’avais traversé. Mais ça m’était égal.

On allait les trouver, et on allait faire disparaître mon pire cauchemar.

La dernière partie du voyage avait été bien silencieuse, je pouvais sentir la tension palpable qui se dégageait de la cabine de pilotage et j’en avais finalement profité pour recharger un peu mon corps avide d’énergie. Une prise branchée à mon flanc, j’avais sombré dans un profond sommeil sans rêve jusqu’au moment où une alerte résonna dans le vaisseau, me réveillant avec sursaut.
Inquiète, la panique m’envahit. Non… On ne pouvait pas échouer si près du but ?! Une voix résonna dans l’habitacle de l’embarcation.

« Alors… Qu’est-ce qu’on fait ? Azriel ? » Demandais-je inquiète que notre couverture soit déjà grillée.

Azriel fut tiré de sa rêverie par une alerte qui retentit dans le cockpit.

- Monsieur, nous avons été repéré. Apparemment un vaisseau de la Garde Zéphyr.

- Vraiment ? Comment ont-ils réussi à nous repérer ?

- Il s'agit d'un vaisseau d'une classe similaire au notre. Peut-être le modèle Thêta.

- Si même les pouvoirs publics commencent à avoir du matériel de qualité, où va le monde ? Il faudra que je me penche sérieusement sur les derniers modèles de coques furtives...

Le vaisseau demanda à parlementer, ce que Linéa accepta. Une voix puissante fit vibrer les hauts-parleurs.

Appareil inconnu, vous êtes à portée, veuillez vous identifier.

Azriel fut étonné par la formulation de la demande. D'habitude, les officiels donnent leur identification avant de demander celle des autres. Ils pouvaient parfois privilégier une approche directe, mais c'était plutôt rare. Dans le doute, Azriel inspecta les informations de l'ordinateur de bord, mais tous les indicateurs confirmaient ce qu'avait dit Linéa : il s'agissait bien là d'un vaisseau zéphyrien. Il doutait que la Hiérarchie pousse le vice jusqu'à se faire passer pour des officiels.

« Alors… Qu’est-ce qu’on fait ? Azriel ? »

- Pour l'instant, on s'en tient au plan. Je suis ici en vacances, et toi tu es en formation avec Linéa.

D'un signe de la tête, le vampire demanda à son assistante de répondre. Linéa enclencha le communicateur, et prit une voix d'une neutralité toute robotique.

Identifiant d'appareil : 8008135-507317. Veuillez vous identifier à votre tour.

L'identifiant, bien que réel et dûement enregistré, n'était qu'un des numéros lié au vaisseau, lequel pouvait en changer au gré des besoins. Ce genre de supercherie pouvait s'avérer utile contre certains curieux, mais Azriel avait encore envie de croire qu'il ne s'agissait là que d'un contrôle de routine.

Linéa confia le matricule VPN du vaisseau, mais l’officier de la garde Zéphyr ne semblait pas avoir confiance en notre identification. J’étais restée en retrait, laissant Azriel et Linéa gérer la situation, mais je craignais qu’en continuant de lui balancer des bobards, il finisse par avoir de réels soupçons. Peut-être que la garde zéphyr avait eu vent des agissements de la Hiérarchie, et qu’en découvrant que j’étais à bord du vaisseau, l’amiral Urga croit que nous en faisions partie… De plus, l’explosion du laboratoire sur la planète-ville Duralas II, il y a un an maintenant, avait fait beaucoup de bruit dans toute la galaxie, et beaucoup c’était mis à la recherche du dangereux cyborg disparut, moi.

J’ai soupiré… On avait une chance sur deux pour que cet homme puisse être un allié, ou un ennemi. Et s’il me livrait aux autorités ? Si je me retrouvais enfermée de nouveau… La panique commençait à me gagner et ma respiration se fit plus saccader. Non… Non, non, non ! J’ai, sans le vouloir produit de petites interférences dans le vaisseau, des bruits un peu étranges, perceptibles par les machines de communication, ce qui me valut un regard assassin de la part de Linéa. L’amiral avait-il reçu les interférences ? Alors je me suis enfoncée plus profondément dans mon siège, sans plus oser bouger au risque que ma présence ne soit détecté.

À retardement, peut-être, j'ai pris le temps de réfléchir au nom qu'il avait prononcé plus tôt... Diagoras ? Ce n'était pas banal comme modèle... Il résonna dans l'esprit de 4L1C3 faisant écho dans celui de Holy, réveilla quelque chose, un attachement... Je connaissais ce mot. Et tout à coup, mon instinct me dit qu'on pouvait lui faire confiance.

"Amiral Urga... Avais-je commencé, en prenant le contrôle du micro de communication. Et en usant de ma magie cybernétique pour coupé toute possibilité de chiffrage de ce que j'allais dire. Personne d'autre que lui ne pourrait entendre. Je suis le matricule 4L1C3... Il était étrange d'entendre un robot avec une voix de jeune fille ? Non ? Faites vos recherches. On demande l'autorisation d'atterrir, et si vous n'êtes pas hostile envers nous, on vous expliquera la situation et on vous dira toute la vérité, notre sécurité est entre vos mains. Notre mission est confidentielle et notre présence ici doit rester un secret, j'espère que vous comprenez la gravité de la situation !"

Linéa finit par réussir à reprendre le contrôle de la Roulotte, coupant la communication, me faisant taire. Oups...
S'il n'avait jamais entendu parler de la Hiérarchie, j'espérais au moins qu'il nous laisserait faire nos recherches sur place... Il ne mettrait pas longtemps à découvrir mon identité, et sans doute aurait-il accès aux dossiers biaisés sur l'attaque du laboratoire, un beau ramassis de connerie. J'espérais vraiment ne pas me tromper...

Il existe des moments durant lesquels le temps semble suspendu. Vous êtes dans un tel état de sidération que tout autour de vous semble passer au ralenti, alors que votre crâne bouillonne de mille idées à la fois. Azriel et Linéa vivait un de ces moments.

Alice avait pris le contrôle des systèmes de communication, et avait tout bonnement dévoilé le pot aux roses à leur interlocuteur. Comme ça, le plus simplement du monde, en promettant d'expliquer la situation. Linéa fut plus rapide que son patron, et pianota sur les commandes à la vitesse de l'éclair pour reprendre les commandes, et couper le communicateur. Mais c'était trop tard, le mal était fait.

Un silence gênant s'installa, seulement rompu par le bruit de l'appareil. Azriel, sorti de sa léthargie, ferma les yeux et se passa la main sur le visage, comme pour se réveiller d'un mauvais rêve. Il tentait de tout son coeur de conserver son calme. Ses siècles en tant que chef d'entreprise n'avaient pas eu d'effet positif sur cet aspect de sa personnalité. Bien au contraire, il avait eu régulièrement tendance à lever le ton pour se faire comprendre. Il savait bien que ce n'était pas une bonne chose, et après tout ce qu'Alice et lui avaient traversé, il n'avait aucune envie de l'accabler davantage.

Il pris donc une grand inspiration avant de parler :

- Il me semblait que nous en avions parlé, nous devions faire preuve de discrétion. Il reprit une lente inspiration. Pourquoi est-ce que tu as fait ça ?

Quoi qu'il en fut, le mal était fait. L'équipage n'avait plus d'autre choix que d'attendre la réponse de leur interlocuteur. Azriel n'était pas particulièrement inquiet par rapport aux forces de l'ordre, car après tout, si la fortune lui avait appris quelque chose, c'est qu'un pot-de-vin bien placé pouvait vous tirer de quasiment tous les ennuis. Mais si la Hiérarchie était vraiment aussi tentaculaire que ce qu'il craignait, ils auraient forcément intégré la Garde Zéphyr, et leur plan tomberait à l'eau.

Il n'avait plus qu'à attendre...

Avant même qu'Urga ait le temps d'attendre, une réponse arriva. Le vaisseau étrangement identifié devait être pressé de préciser son identité ou ses intentions. Toutefois, le message qu'ils reçurent désarçonna l'amiral. La voix semblait moins artificielle et la communication était plus claire que les échanges précédents.

"Amiral Urga... Je suis le matricule 4L1C3... Faites vos recherches. On demande l'autorisation d'atterrir, et si vous n'êtes pas hostile envers nous, on vous expliquera la situation et on vous dira toute la vérité, notre sécurité est entre vos mains. Notre mission est confidentielle et notre présence ici doit rester un secret, j'espère que vous comprenez la gravité de la situation !"

Le Löwen fit signe à l'un de ses lieutenants. Celui-ci, tellement habitué à servir sur ce bâtiment n'avait pas besoin de mots pour comprendre ce qui était attendu de lui. Il vérifia les informations et afficha sur les écrans les articles et les avis de recherche concernant ce cyborg qui s'était enfui d'un laboratoire en le faisant exploser. Pourquoi alors annoncer ainsi son identité de but en blanc ? C'était un mystère qui intriguait Urga et sa décision fut vite arrêtée.

- Autorisation accordée. Arrimez-vous au port 2. Sauf-conduit garanti à bord.

Il ne voulait pas risquer de faire du mal à de potentiels alliés. De plus, cette histoire avait l'air plus compliquée qu'il n'y paraissait. Un vaisseau doté de technologies aussi avancées que celles de la Garde Zéphyr, un cyborg en cavale qui se dévoile, une identification de vaisseau suspecte, c'était trop pour lui. Il serait bien temps de les poursuivre lorsqu'ils seraient dans leur vaisseau si la situation n'était pas à son goût. Néanmoins, tant qu'ils seraient sous sa protection, rien ne leur arriverait. Il était un Löwen d'honneur. Tradition familiale.