Après s’être perdu en direction des sombres montagnes de Kanaan et fait une rencontre plutôt … étrange, Ashaisha avait préféré rebrousser chemin, tentant de rentrer dans sa forêt natale afin de chercher de nouveaux indices sur la disparition de son père. Mais voilà, au final, la jeune hybride s’était encore perdue. À croire que son sens de l’orientation, en dehors de sa chère forêt de sapins, était complètement nul. Sur sa gauche se trouvait cependant une immense montagne, la plus haute que la jeune femme n’avait jamais vu. Elle n’avait de base pas du tout prévu se rendre là-bas, mais si au final son père y était ? Après tout, un si grand sommet se rapprochait des étoiles, et donc de Magnésie. Peut-être que Sipi avait voulu tenter l’escalade sans lui en parler afin de rester sous le couvert de la protection des bois. Malgré ses faibles réserves de bois et de nourriture, l’élaphaure guida ses sabots dans la direction du mont Tagne, ne s’attendant pas à y trouver de grands dangers.

Quelques jours passèrent suite à cette idée. Ashaisha commençait à regretter l’idée, au vue de la difficulté qu’elle commençait à avoir à respirer, sans compter la neige qui la ralentissait grandement. Au moins, la blancheur de son pelage et de sa longue chevelure ne détonnaient plus au milieu du paysage. Mais la neige, de l’eau sous forme de flocon de glace, en somme, pesait de plus en plus. Alors, quand enfin son regard se posa sur une petite grotte, non loin de plusieurs sources chaudes, la jeune femme n’hésita pas et s’engouffra dans la petite cavité rocheuse, même s’il était encore tôt dans la journée. Bien vite, elle piocha dans ses maigres restants de bois pour allumer un feu, histoire de sécher ses vêtements et les grandes fourrures qui lui servaient de lit. Rapidement, le sol et les quelques rochers à l’intérieur furent couverts de tissus et morceaux de poils humides, dégageant déjà une petite fumée, signe qu’ils étaient bien en train de sécher près de cette source de chaleur plus que bienvenue. Désormais vêtue de façon légère près du feu, l’élaphaure songeait à se rendre aux sources chaudes à quelques pas afin de s’y prélasser … se à quoi elle décida qu’il s’agissait d’une idée vachement intéressante.

Mais alors qu’Ashaisha mettait la tête en dehors de sa grotte, un mouvement en contrebas attira son regard. En y regardant de plus près, l’hybride s'aperçut qu’il s’agissait là d’un voyageur … et mal en point, qui plus ai. Malgré sa crainte de l’inconnu, son instinct de guérisseuse prit le dessus sur sa décision. Elle prit prestement sa cape, bien qu’encore humide, non loin du feu, après tout, l’étranger était bien plus loin que les sources thermales, et décida de s’approcher doucement de lui.

- Vous avez besoin d’aide, m’sieur ? lui lança-t-elle d’une voix timide.

Visiblement mal en point, ce qui lui semblait être un humain s’écroula, inconscient, dans la neige, après lui avoir lancé un mot dans une autre langue qu’Ashaisha ne comprit pas, mais que l’hybride prit pour une affirmation. De toute manière, même s’il s’agissait d’un refus, la guérisseuse en elle lui donnait l’ordre de lui venir en aide.  La jeune femme se pencha d’abord et vérifia son pouls. L’inconnu était bien vivant, mais pour combien temps ? L’hypothermie semblait très grave. Du mieux qu’elle le pu, l’élaphaure chargea son “patient” sur son dos de biche avant de remonter tout doucement vers la caverne et les sources chaudes. Bien que ses fourrures étaient encore humides, Ashaisha préféra déposer l’humain dessus plutôt que directement sur le sol rocailleux. Une idée aurait été bien entendu de le plonger dans l’un des bassins d’eau chaude, mais voilà, la jeune femme craignait que cela ne cause plus de soucis en créant ce que son père appelait un choc thermique : un changement trop brutale de température corporelle.

Ashaisha resta un instant immobile, son regard fixé sur l'humain étendu devant elle, respirant à peine. Elle retira rapidement la cape humide qui l'enveloppait encore et la posa sur lui, faisant office de couverture improvisée. Ses pensées s'embrouillaient, mélangeant inquiétude et concentration. Son cœur battait la cadence de l'urgence, mais ses gestes restaient doux et précis, comme ceux de son père lorsqu'il soignait les créatures des forêts blessées par les rudes hivers. Elle observa l'humain quelques instants de plus, cherchant le moindre signe de vie. Son visage marqué par la fatigue, ses lèvres bleuies par le froid, lui rappelaient les contes de Sipi sur les voyageurs perdus dans les tempêtes de neige. La biche se mordit la lèvre, décidée à ne pas laisser ce destin s'accomplir.

"Il semble si fragile", pensa-t-elle, touchée par la faiblesse que représentait cet homme succombant au froid de l'Est. La guérisseuse posa ses mains tremblantes sur lui, concentrant ses énergies. La chaleur familière de sa magie se répandit doucement, illuminant ses mains d’une douce lueur et insufflant une chaleur douce à travers le corps de l'inconnu, veillant à ne pas trop brusquer le processus de réchauffement. Ashaisha sentit la magie pulser doucement sous ses doigts, comme un courant d'eau chaude serpentant dans un ruisseau glacé. Les veines de l'homme semblèrent répondre, lentement, très lentement, au réveil imposé par l’hybride. Mais la fatigue gagnait aussi la jeune femme, chaque seconde ainsi puisant un peu plus dans ses réserves déjà limitées.

La guérisseuse s'arrêta un instant, essuyant quelques gouttes de sueur sur son front. Elle ferma les yeux pour rassembler ses forces. Il lui fallait tenir le coup. En inspirant profondément, la tête pleine des enseignements de son père, la voilà qui songeait à une phrase qu’il lui répétait souvent : "La nature te guidera si tu l'écoutes. Ai confiance." La biche tendit l'oreille, cherchant à ressentir la présence apaisante de la montagne alentour, mais rien ne lui parvint, hormis le silence oppressant de la froideur extérieure.

Poussée par son instinct, Ashaisha se releva et fouilla rapidement dans sa besace, en sortant une petite fiole contenant un breuvage revigorant qu'elle avait préparé le matin-même. L’élaphaure avait eu l’intention de l’utiliser pour ses propres besoins, mais l’heure n’était plus à la prudence égoïste. Avec douceur, elle déposa quelques gouttes sur les lèvres craquelées de l’humain, déposant le reste non loin pour le moment où il reprendrait conscience.

Elle l’observa encore quelques instants, s’assurant qu’il acceptait le liquide, puis se redressa, le dos courbé par l’épuisement. Les sources chaudes pourraient attendre ; pour l’instant, elle devait rester à ses côtés. La jeune femme se pelotonna ensuite contre un pan de la caverne, le regard toujours rivé sur l’étranger. Une vague de tristesse la traversa. La solitude de ce lieu lui pesait plus qu'elle ne voulait l'admettre. S'occuper de cet inconnu lui rappelait douloureusement combien elle-même se sentait souvent perdue, en dehors des forêts qui l'avaient vue grandir, mais aussi sans son père adoptif. Ici, loin de la sécurité de la nature, l’hybride ne savait pas vraiment à quoi se raccrocher.

Elle chassa ces pensées d'un léger mouvement de tête, se concentrant à nouveau sur le bruit de la respiration de l'homme. Il vivait. C'était tout ce qui comptait pour l'instant. Au fond de la grotte, l’eau chaude des sources continuait de murmurer, tandis que dehors, la neige tombait en silence. Dès qu’il reprendrait conscience, un bon bain dans les sources leur ferait du bien à tous les deux. Après avoir utilisé sa magie, la biche sentait d’ailleurs de l’épuisement, et bientôt, le sommeil se fit insistant, mais la jeune femme tint bon, pour le bien de l’humain sur qui elle veillait désormais.