Amarïe, de la famille Kaerendïl, se sentait tout à la fois enthousiaste, un peu confuse et nettement impressionnée.

Elle avait tout d'abord été choquée d'apprendre par sa mère que Melhyndil, son cher Melhyndil, ne faisait pas véritablement partie de sa famille, et qu'il avait été "simplement" adopté. Mais cela n'avait rien changé au profond attachement qui les liait ; et surtout à leur projet commun de découvrir le monde. Puisque son ainé désirait devenir dragonnier et membre de la Garde Zéphyr, la jeune elfe était bien décidée à l'accompagner, sans jamais le perdre de vue - du moins pas pour le moment.

Ils avaient fait leurs affaires, et pour la toute première fois de sa vie, elle était partie du domaine familial, avec la perspective de retrouver une autre elfe, du nom de Ceiwynn Brothaigh, censée les suivre durant quelques années. Il s'agissait sans aucun doute d'une personne de confiance - aussi la jeune adulte ne concevait aucune peur de la rencontrer. Suivie par une domestique qui portait son gros sac de cuir brodé, la damoiselle fortement gâtée n'avait pas spécialement goûté les nuits à la belle étoile et les journées de lente chevauchée qui les avait conduits jusqu'à la grande ville d'Endorial ; et elle n'était pas fâchée de retrouver la des auberges agréables, et surtout un couchage au moins convenables.

Un peu intimidée par la foule hétéroclite et par les autres races qu'elle croisait à chaque détour de rue, ils passèrent plusieurs jours à visiter le marché, les innombrables boutiques et à visiter les environs de la cité ; puis, finalement, les devoirs s'imposèrent de nouveau.
Amarïe, par acquis de conscience, prit soin de déposer plusieurs parchemins dans les auberges de la ville afin de donner rendez-vous à leur fameux guide, dans une excellente taverne où ils servaient des salades de fleurs et des poissons grillés délicatement parfumés, tous les soirs à partir de la nuit tombée.

Ce fut d'ailleurs là qu'elle se trouvait en ce début de soirée, assise à une table en train de déguster un lait chaud aux épices, vêtue d'une longue robe blanche au col et aux poignets délicatement ourlés d'argent. En train d'écouter une chanteuse aux longs cheveux dorés qui récitait de la poésie elfique, elle ne faisait plus guère attention au reste du monde, seulement persuadée que Melhyndil ne tarderait pas à revenir pour souper en sa compagnie.

Le monde semblait fort agréable, en tout cas... pour l'instant !

La représentation se termina. Les joues rosies d'un bonheur entier, réellement admirative d'un tel talent, elle applaudit poliment du bout des doigts ; mais les surprises du jour ne s'arrêtèrent pas là.

Un soudain mouvement sur le côté lui fit tourner la tête, tandis que sa suivante se redressait formellement, et qu'elle l'imitait, afin de ne pas sembler irrespectueuse vis à vis de ce qui semblait une garde de la cité. A son tour, elle s'inclina légèrement, en ployant doucement les genoux tandis qu'elle relevait un brin sa robe dans un geste gracieux et éprouvé.

A la mention du nom de son interlocutrice, les grands yeux émeraudes s'animèrent d'une lueur amicale et confiante. Amarïe était bien aise, pour ne dire soulagée, de trouver enfin la personne qui serait chargée de les escorter à travers le monde. A dire vrai, elle avait commencé à avoir des doutes sur la possibilité de la trouver aisément - et bien que cela signifiait que leur voyage allait commencer, ce qui était une perspective un peu effrayante, la Haute-elfe était soulagée de savoir que quelqu'un de sage et d'expérimenté pourrait veiller sur eux deux.

Cette dernière semblait très réservée, posée et digne, et la damoiselle lui offrit son plus chaleureux sourire, tandis que des nuances écarlates envahissaient ses joues pâles alors qu'elle récupérait la bourse volée sans qu'elle s'en aperçoive. Quelle étourdie elle était ! Comment aurait-elle payé son repas en s'apercevant qu'elle n'avait plus rien ? Rien que l'idée était embarrassante, tout comme l'idée qu'il puisse y avoir des voleurs dans cette belle cité qui semblait si sûre.

Mais elle ne put répondre, alors même qu'elle ouvrait la bouche - son regard fut capté par Melhyndil, son meilleur ami, son roc, et l'être en lequel elle avait sans doute le plus confiance de par ce vaste monde.
Aussitôt, son expression se fit plus douce et enthousiaste, et elle vint lui saisir le bras dans une posture détendue et proche.

- "Melhyndil ! Oui, elle se termine bien, en effet. Il s'agit de Dame Ceiwynn Brothaigh, qui a heureusement retrouvé ma bourse. Figurez-vous qu'elle a été volée, mon très cher... Je ne l'aurait jamais imaginé ! Enfin, tout va bien maintenant."

Son "frère" - du moins son ami - remercia leur interlocutrice en son nom ; mais Amarïe ne put s'empêcher d'en rajouter également. Elle se sentait toujours honteuse d'avoir manqué d'observation, et désirait faire montre de politesse.  

- "Je vous remercie, Dame Brothaigh. J'ai manqué d'attention... Cela ne se reproduira pas. En tout cas, je suis doublement heureuse de vous voir aujourd'hui. Venez vous asseoir, et partagez un repas en notre compagnie... Nous pourrons envisager l'avenir ensemble. Il me semble que vous resterez quelques temps avec nous, n'est-ce pas ?"

Pour donner l'exemple, Amarïe se rassit en premier, suivie par sa servante, toujours silencieuse, avant de reprendre la parole d'une voix douce.

- "Je suis bien rassurée de vous voir. Melhyndil est fort et intelligent, mais je crains que nous ne manquions cruellement de connaissance et de pratique du monde."

La suggestion de leur guide fit réfléchir la jeune femme. A dire vrai, elle n'avait pas vraiment réfléchi à l'avenir, pas véritablement en tout cas.
Ces derniers jours, elle s'était laissée emporter par l'euphorie de la découverte de la ville et de ses habitants, et avait encore du mal à songer au lendemain. Ce ne fut qu'en contemplant songeusement les cartes étalées sur la table qu'elle prit une grande inspiration, en se demandant bien où ils devraient se rendre par la suite.

Elle fut un peu surprise de sentir brièvement Melhyndil se tendre à son contact, et en plissant légèrement, Amarïe vint croiser son regard, soudainement inquiète. Il devait certainement se sentir fatigué, supposa t-elle ; mais il faudrait qu'elle se montre plus attentive à son bien-être. Elle ne supporterait jamais de le voir malheureux, et elle prit soin de lui offrir une tendre caresse sur ses cheveux dorés, comme pour tenter de le réconforter.
 
Ce fut ce dernier qui émit la première suggestion, et la haute-elfe garda le silence durant quelques instants. Partir d'Endorial lui semblait prématuré, mais elle comprenait la soif d'aventure qui animaient ses deux interlocuteurs, et elle finit par esquisser un sourire.

- "Nous diriger vers Stelleraë est une excellente idée. Il parait qu'ils sont célèbres dans la conception d'armures, et je serai curieuse de mieux connaitre leurs techniques, mais l'arrivée par le désert me semble trop dangereux. Je ne connais évidemment pas Khotemba, mais passer par le marais est sûrement plus sûr... Avant ceci, nous pourrions explorer la forêt, comme le propose Dame Ceinwynn... J'aimerai bien rester quelques semaines de plus en ville... Il y a tellement à découvrir, et je pensais aussi proposer mes services au dispensaire. J'aimerai voir comment ils travaillent à guérir les malades. Je sais qu'il y a un autre dispensaire plus loin dans la région... Cela m'aiderait à mieux connaitre les herbes environnantes, et les maladies qui sévissent dans les alentours. Il s'agit de mon devoir, car Mère désire que je lui décrive précisément les conditions de vie des elfes qui résident par ici."

Il ne s'agissait probablement que d'un encouragement à s'ouvrir à l'extérieur, à l'inconnu, et à s'intéresser à la population - ce qui était une réussite.

Les joues roses, elle baissa les yeux, un peu gênée. Elle n'était pas seule à décider - c'étaient à eux trois de prendre une décision conjointe.

- "De toute manière, c'est le voyage qui importe, et non la destination. Nous pourrons faire autant de détour que nécessaire ? Par où désiriez-vous passer, dame Ceinwynn ? Vous êtes la guide, après tout, et j'ai bien conscience que je ne sais pas vraiment me débrouiller seule. Heureusement que vous serez tous les deux avec moi !"

Amarïe eut un instant d'absence. A dire vrai, elle se sentait étrangement submergée par le sentiment d'urgence de ses compagnons à partir à l'extérieur, à s'aventurer à travers bois, marais, et déserts, à découvrir le monde.
Plus que jamais, elle ressentit le poids des années qui les séparaient. Elle était considérée comme adulte par tous ; mais l'elfe ne s'en sentait l'étoffe. Avait-elle vraiment envie de parcourir le monde, de dormir chaque soir par terre, sous une tente, à la lumière frustre du feu ?

Elle aimait la civilisation, cette atmosphère grouillante de vie et d'activité. Elle sentait bien que son caractère ne la portait pas à l'instabilité, à des errements sans fins, à l'aventure qui semblait appeler si ardemment Melhyndil ; et elle sentait, en réalité, petite, frêle et apeurée face à ce qui l'attendait. Pourtant, elle ne voulait pas le décevoir... les décevoir. Il n'y avait rien au monde qu'elle souhaitait plus que de briller aux yeux de cet elfe, qui n'était pas son frère, avec qui elle ne partageait pas une goutte de sang en commun ; mais qui, pourtant, était tout à ses yeux.

Alors la haute-elfe releva son regard émeraude sur ses deux compagnons. Elle s'adressait principalement à leu nouveau guide, mais n'oubliait pas pour autant son troisième interlocuteur.

- "L'un n'empêche pas l'autre, c'est vrai, et votre propos me semble sage, dame Ceinwynn. J'ai conscience que je suis la plus novice d'entre nous, et que je dois tout apprendre. Je suis .. réellement admirative de votre travail, Dame : je comprends mieux pourquoi ma famille nous a confié à vous. La dernière question demeure... quand partirons-nous ? J'aimerai passer encore quelques temps ici, pour acheter un livre sur les plantes, et aussi de quoi constituer une petite pharmacopée basique. Je sais panser des plaies, mais malheureusement... j'ai besoin d'en apprendre plus avant de pouvoir vous être utile. Que diriez-vous de partir dans deux, ou trois semaines ?"

Elle leur offrit un sourire doux. Deux semaines, c'était pareil que demain ; mais du moins aurait-elle eu le temps d'apprendre les gestes basiques d'urgence à administrer si jamais l'un deux se trouvaient en situation critique. Elle avait conscience qu'elle serait un poids pour eux malgré tout, mais c'était tout ce qu'elle pouvait faire pour le moment.

- "Je suis très excitée à l'idée de découvrir tout cela... Nous... Nous ferons un magnifique voyage. Croyez-vous que nous croiserons la Garde Zéphyr ?"

Les propos de leur guide, mais également ceux de Melhyndil, étaient plutôt rassurants. Bien sûr, elle n'était pas très enthousiaste à l'idée de commencer son voyage par les marais - elle n'en avait même aucune envie ; mais il était plutôt logique de faire un trajet pénible avant l'arrivée de l'hiver, et de se retrouver dans une zone du monde plus clémente, lorsque la mauvaise saison se déclarerait.

La noble haute-elfe se sentit brusquement mélancolique à l'idée de passer la saison sans la présence de ses chers parents ; mais son meilleur ami, celui en qui elle avait toute confiance, serait toujours à ses côtés, ce qui contribuait grandement à son calme et à son bonheur. Ainsi, calme et souriante, elle vint finir sa boisson aux herbes avant de prendre le temps de réponse d'une voix posée.

- "Alors, qu'il en soit ainsi. Je sais bien, ma chère dame, que vous n'êtes pas là pour m'infliger le moindre mal, et je sais également que je n'ai pas l'âme d'un membre de la Garde Zéphyr, au contraire de Melhyndil."

Amarïe gratifia son interlocuteur d'un regard doux et confiant, où la tendresse se lisait de manière explicite ; et reprit la parole sans trop se presser toutefois. A nouveau, elle se resservit de son thé, emplissant les tasses de ses amis dans la foulée.

- "Puisque Melhyndil le souhaite, nous commencerons donc notre cheminement par le nord, après les festivités du Solstice. Nous passerons par la base de la Garde Zéphyr, afin de mieux nous renseigner sur eux, et aussi par l'Académie de Magie. Je ne croyais pas vraiment que tu tenais à suivre leurs enseignements... il est vrai que je voudrais certainement m'y inscrire, mais après... après avoir passé quelques temps sur les routes. Il me sera difficile de vous suivre si je suis astreinte à participer à des cours réguliers. Enfin... j'imagine, je ne sais comment cela s'y passe. Nous aviserons ! En attendant, dame Ceinwynn, joignez-vous à nous ce soir. Vous pourriez également loger près de nous... cela serait plus pratique, à coups sûr."

La soirée était destinée à continuer de se dérouler fort agréablement ; et la jeune elfe, sans plus se faire de soucis, fit signe à sa servante de commander à manger pour leur nouvelle accompagnatrice. Tout était décidément pour le mieux - même s'ils n'étaient qu'à l'orée de leur voyage.