Le thérianthrope titubait nonchalamment au bord des eaux d’Ishtar, une bouteille de Rhum partiellement entamé dans sa main droite et une petite chansonnette au bout des lèvres. Il manqua à plusieurs reprises de perdre l’équilibre et de finir sur le sol, mais ses réflexes félins lui permettaient de maintenir une posture presque bipède à chaque fois. L’homme observa au loin la demi-lune qui se reflétait sur l’infinie étendue d’eau venut lui titiller les orteils à chaque allée et venue sur le sable fin. Il porta difficilement la bouteille jusqu’à ses lèvres en ratant sa bouche à plusieurs reprises avant de prendre une grosse gorgée de son breuvage pour ensuite envoyer son poing en direction du ciel en bafouillant :
“
Zoyeu’Niverzaire !!”
Cet élan explosif fut l’acte de trop et son corps rompu alors l’équilibre en s’écrasant sur le dos dans le sable froid de la plage d’Ishtar tandis que ses pieds se retrouvaient frappés par la mer lors de ses passages sur terre. Les yeux de Kellen s’émerveillaient en face d’une nouvelle mer bien plus infinie et bien plus lumineuse composée cette fois-ci des milliers d’étoiles qui parsemaient le ciel. Ces milliers d’étoiles s’étendaient à perte de vue et rendaient la froideur de la nuit sombre, bien plus chaleureuse et apaisante. Le lynx tendit sa main libre autant qu’il le pouvait et espéra réellement se saisir d’une étoile tandis qu’il fermait l’emprise de sa main pour la rapprocher de lui avant de jeter un coup d’œil à la recherche de la fameuse étoile. Sa main était bien entendu vide et sa déception était quant à elle grande, il laissa souffler quelques syllabes avec l’intention d’en sortir le mot imbécile, le résultat en était loin.
La nuit était calme, seul le son du mouvement des vagues accompagnait celui des criquets et d’une mouette de temps à autre. Ce silence fut brisé par l’éclat de rire de l’ivrogne, on pouvait sentir qu’il était forcé et qu’il renfermait une certaine tristesse accompagnée elle-même d’une solitude. Il manqua de se noyer avec son rhum en essayant de boire tout en étant étendu et finit par abandonner en laissant sa gorge sèche tandis qu’il fermait les yeux de fatigue et que ses oreilles étaient bercées par la nature.
~~~~~
Rien. Si bruyant, si angoissant. Si oppressant. Aucun son, aucune odeur, aucune sensation et aucune présence. Nul autre mot ne pouvait mieux correspondre que le Néant pour définir cet espace dans lequel je me retrouvais prisonnier depuis... bien trop longtemps. Combien de temps cela faisait-il ? Des années ? Des décennies ? Des siècles ? Des millénaires ? Est-ce que le temps lui-même existait en ce lieu pour qu’il puisse s’écouler ? Cela faisait bien longtemps que je m’étais égaré et m’étais moi-même oublié. Endormi afin de supporter cet assourdissant silence. Sans que je ne sache pourquoi, je me retrouvais à nouveau conscient de ma propre existence et happé par l’enfer qu’était ce lieu de vide absolu. Nulle âme autre que la mienne foulait ce lieu. Une seule pensée se formait en Moi, l’idée même de cesser d’exister afin de retourner dans ce profond abysse où il n’y avait plus rien, même pas de Moi.
Puis vint, pour la première fois, une sensation. Une fluctuation. Quelque chose se passa autour de moi. Il existait quelque chose d’autre que Moi. Ce fut bref et cela ne se reproduit pas tout de suite, mais ceci n’était à la fois rien et pourtant beaucoup. Je ne sais pas si l’on pouvait appeler cela de l’espoir ou simplement une étincelle de vie, mais quelque chose s’éveilla en Moi. Un autre souhait que celui d’une extinction.
*
Encore. Encore. Encore. Encore une fois. Rien qu’une fois. Par pitié, une fois de plus. Une fois. Une... fois... de plus...*
Cette pensée, Ma pensée se répéta à de nombreuses reprises pendant encore une infinité de temps, mais rien ne se passa. Finalement, cette dernière finit par disparaître pour laisser place à tout ce qu’il y avait en ce lieu : rien.
À nouveau, un changement se produisit.
Il y avait désormais quelque chose qui était bien là, cette chose inconnue perturbait le vide de ce lieu et ne faisait que s’intensifier. Il n’était plus question que d’une seule fluctuation, elle était désormais accompagnée. Les perturbations tambourinaient de plus en plus fort, le centre de tout cela semblait être Ma propre existence. Ces tambours qui étaient annonciateurs d’un changement – d'un espoir - commencèrent à devenir de plus en plus une source d’angoisse tandis que je sentais que mon âme elle-même s’en trouvait affectée. L’angoisse grandissait, les fluctuations s’intensifiaient, la peur naissait en Moi et puis soudainement... Rien.
Était-ce ce que l’on nomme la folie ? Une hallucination était-elle possible en ces lieux ? Doux rêve ou cauchemar sadique, je ne savais pas quoi choisir face à ce qu’il venait de se passer.
~~~~~
Mon agonie ne semblait pas être arrivée à son terme tandis que je continuais à subir ce silence. Qu’avais-je fait pour mériter cela ? Qui étais-je donc ? Ces questions que j’avais fini par laisser de côté au bout d’un moment revenaient de plus belle dans mon esprit tandis que l’idée de voir mon âme s’éteindre reprenait sa place initiale dans mes pensées. Toutefois, au bout d’un moment, une nouvelle chose changea dans cet abime. Plus précisément, quelque chose s’ajouta. Un son fut audible, un bruit à la fois empli de nostalgie, mais aussi d’inconnu. Je le connaissais, je le savais, mais j’étais incapable de le reconnaître. Une hallucination auditive ? Était-ce possible sans corps ? Peu importe, j’acceptais avec plaisir ce changement. L’être humain naît avec cinq sens : la vue, l’ouïe, le goût, le toucher et l’odorat. Celui que l’on utilise le plus souvent, c’est bien sûr la vue... Mais c’est comme ça qu’on finit par oublier à quel point chacun de nos sens nous est précieux et essentiel pour profiter de ce qui nous entoure.
Après mon ouïe, ce fut mon odorat qui fut frappé par une illusion tandis qu’un fort effluve salé réveillait en Moi le souvenir de mille lieux pour me rappeler ce qu’était ce son : la Mer. Une étendue presque infinie d’eau salée, un paysage que mes yeux avaient contemplé à de nombreuses reprises lorsque la chair et le sang me composaient. La nostalgie renaît au plus profond de mon être tandis que l’image d’une plage au sable froid et à l’eau glaciale frappait mon esprit à chaque illusion auditive et olfactive. Pourquoi attachons-nous autant d’importance à la vue alors qu’une odeur peut vous marquer à jamais et qu’un son peut vous transporter aux confins du monde ? La réponse est si évidente et pourtant si douloureuse dans cette absolue pénombre : ces sens ne sont que secondaires et n’ont de vertu que par le fait de pouvoir sublimer un magnifique paysage perçu par notre vue.
Comme pour répondre à ce caprice, un paysage illusoire se forma devant moi. On aurait pu penser que mon esprit y ferait naître une Mer, mais le résultat fut tout autre et réveilla d’autres souvenirs profonds. Une étincelante voie étoilée parcourait l’océan céleste avec comme point central à tout cela, une demi-lune à la brillance aveuglante. Aussi illusoire que cela fût, je n’avais pas éprouvé un tel bien-être depuis bien longtemps et remerciais mon âme torturée de m’offrir pareil spectacle.
Une gêne commença à se faire sentir, une sensation étrange... comme s'il m’était incapable de respirer... Mais pour respirer, ne fallait-il pas des poumons ? Existait-il même de l’air dans un lieu pareil ? L’illusion était de plus en plus réaliste et semblait tendre à nouveau vers le cauchemar tandis que la gêne m’oppressait et me faisait souffrir. Une toux fut audible et la gêne disparut subitement. Cette toux était mienne. Tandis que le sens du toucher me rappelait ce que c’était d’avoir froid et d’être mouillé, la sensation du sable et de l’eau me fit comprendre une chose : aucune illusion n’était présente en ce lieu. Mon esprit embrumé ne comprenait pas encore tous les tenants et aboutissants de cette histoire, mais une chose était sûre pour le moment : je n’étais plus enfermé dans ce néant infini et il semblait même qu’un corps était désormais mien.
Quelques instants plus tard, les muscles de Mon visage s’étirèrent afin d’y former un sourire tandis que je bougeais mon bras devant moi afin d’y ouvrir et fermer ma main avec une joie nouvellement acquise par ce geste si simple. Que ce soit mon existence sans corps ou simplement ce corps lui-même, une raison faisait que les sensations me revenaient petit à petit sans que je ne puisse mouvoir directement toute l’enveloppe charnelle. En tout cas, j’espérais réussir à mouvoir rapidement mes paupières afin de reposer mes yeux asséchés qui commençaient à picoter...
Ironiquement, le sens du goût fut le dernier à me revenir... malheureusement, c’était loin d’être une expérience agréable tandis que j’essayais difficilement de libérer ma bouche de ce qui s’y trouvait à l’aide de ma langue engourdie. Lorsque ma vue repéra une bouteille, il me fallut quelques essais avant de réussir à m’en saisir pour me nettoyer l’intérieur de la bouche des restes de nourriture à moitié digéré. Ma curiosité me fit alors boire le breuvage, la brûlure qui parcourut ma gorge fut aussi rafraichissante que l’éclair d’énergie qui parcourut mon corps fut vivifiant : de l’alcool. Que ce soit de bons souvenirs, des souvenirs qu’on profèrerait oublier ou des souvenirs qu’on avait vraiment oubliés, cette boisson me rappela l’un de mes plus grands vices.
Plusieurs minutes ou plusieurs heures après... franchement, ce temps était si minime par rapport à ce que j’avais dû endurer, alors je n’en avais que faire. Bref, quelque temps après, j’étais désormais capable de mouvoir ce corps d’une manière plus ou moins correcte et décidais donc de me lever afin de faire mes premiers pas dans ce corps... mais aussi dans ce monde. Aucune chute ne fut à déplorer après une vingtaine de pas. J’observais la Mer face à moi et pensais avec une joie inimaginable :
*
J’existe. Je suis là... vraiment là.*
Je finissais le reste de liquide à l’intérieur de la bouteille et le désir d’en consommer une nouvelle naquit en moi. Une nouvelle épreuve se montrait face à moi : où étais-je ? Qui étais-je ? Est-ce qu’il y avait de l’alcool pas loin ? Toutes ces importantes questions eurent droit à leur réponse d’une manière presque instantanée comme s’il s’agissait d’une réaction à ma demande. La vie de l’ancien propriétaire de ce corps mitrailla mon esprit du début à la fin en un instant. Avec la localisation d’une taverne en mémoire, je commençais mon chemin vers ce lieu en pensant brièvement :
*
Merci, Kellen !*
Ce dernier trouva peut-être que je ne lui étais pas assez reconnaissant, car à ce moment le corps sembla se déconnecter de ma personne et ses jambes lâchèrent brutalement tandis que la tête s’écrasa dans le sol. Quant à la douleur, on dirait bien qu’elle était mienne pour le coup. Désormais, j’étais de nouveau incapable de bouger le moindre muscle de ce corps et cela dura plusieurs minutes. Puis, le contrôle entier fut de retour subitement. Une expérience désagréable qui me fit me demander si tout ceci n’était pas qu’éphémère avant que je ne retourne d’où je venais.
*
Raison de plus pour se dépêcher d’aller boire, pensais-je alors.*
Avec les souvenirs de Kellen, le trajet fut plutôt simple et semblait être très bien connu de ce dernier. Je me retrouvais rapidement à tenter de saisir à plusieurs reprises la poignée de la porte afin d’y entrer, il m’aura fallu que cinq essais cette fois-ci pour réussir à l’atteindre. Je finissais donc par entrer dans ce lieu saint que l’on nomme une taverne. Un brouhaha m’emporta alors tandis qu’une vingtaine de voix s’entremêlaient et se battaient furieusement avec les mélodies proposées par divers instruments à vent et à cordes. Mes narines furent rapidement attaquées à leur tour par différentes odeurs de tabac, d’urine, de vomi, mais aussi de sang. Je ne savais guère combien de temps s’était écoulé depuis ma mort, mais une chose était sûre : les tavernes miteuses existaient toujours. J’avançais jusqu’au comptoir tandis que plusieurs regards se posaient sur moi et que quelques paroles semblaient m’être destinées :
“
- Ouah, c’est qui c’te pantin désarticulé ?! Ah ah ! - J’sais po s’qu’il a bu, mais j’en veux !”
Ma démarche semblait être moins bien réussie que selon mes croyances. J’aurais sûrement besoin de travailler tout cela plus tard, mais pour le moment je me concentrais sur le tavernier qui me regarda avec beaucoup de questions dans son esprit.
“
- T’es d’jà d’retour, Kel’ ? C’était du Rhum, hein ! Pas d’l’eau ! T’aurais pu en profiter un peu quand même ! Bon, qu’est-ce que j’te sers ?”
Ce dernier semblait donc connaître l’ancien propriétaire de ce corps. Il venait de me demander ce que je voulais boire, mais les noms des différents alcools existants ne remontaient pas de mes souvenirs et ce Kellen ne semblait pas pouvoir m’aider, car seul le Rhum fracassait ses souvenirs. Alors que je comptais demander la même chose que d’habitude ainsi qu’une chambre, une pensée frappa mon esprit : je n’avais pas encore fait dire un seul mot à ce corps depuis mon arrivée. Cette fonction était plus difficile que dans mes souvenirs tandis que je fixais simplement le tavernier sans prononcer un mot pendant plusieurs très longues secondes. Alors qu’il semblait commencer à manquer de patience, j’eus une idée. Mon doigt pointa alors vers une bouteille de Rhum et ce dernier sembla comprendre.
“
- Ah ah, comme d’hab’ quoi !”
Pour ce qui était de la chambre, je pointais en direction des différents trousseaux de clefs et cette fois-ci, il resta dans l’incompréhension. Le souvenir de Kellen qui obtenait la clef pour la troisième chambre du premier étage me revint alors en mémoire et je baissais rapidement mon doigt avant d’essayer de saisir la bouteille.
“
- T’as déjà bien bu, hein ? Allez, j’te l’offre ! Bonne anniversaire, p’tit !”
J’arrivais finalement à me saisir de la bouteille et lui offrais un signe de la tête en remerciement avant de monter plus ou moins aisément jusqu’en haut des escaliers pour atteindre ma chambre.
~~~~~
Plusieurs jours plus tard, mon esprit embrumé avait fini par s’éclaircir et plusieurs faits étaient désormais devenus compréhensibles tandis que ce vaisseau devenait petit à petit mien. Ce qui s’était passé sur la plage s’était reproduit quelquefois et pouvait être vu comme une sorte de rejet de mon âme de la part de ce corps qui ne me reconnaît pas comme son propriétaire. Il fallait dire qu’il était déjà compliqué de transférer son âme dans un autre corps, alors quand ce dernier possède déjà une âme... c’est bien plus compliqué. Pour ne pas arranger mes affaires, j’ai fini par comprendre que mon errance avait érodé mon âme et affecté mes souvenirs en rapport avec mon passé et ma personne. Heureusement, mon savoir était plus ou moins intact.
Quel corps de merde. C’est génial d’avoir de nouveau un corps, mais comment peut-il être si pourri au point d’être aussi peu réceptif à la magie, bordel... je ressens à peine l’énergie spirituelle qui m’entoure. Lorsque j’étais Moi, l’angoisse de mourir et de cesser d’exister m’avait poussé à agir de la sorte que je ne puis pas réellement mourir. Pour se faire, j’avais appliqué un sceau sur mon enfant le plus doué, Elina, ma fille. Le fonctionnement était simple : ce sceau était lié directement à mon âme et permettait de m’offrir un chemin afin de prendre la place de mon descendant lorsque mon heure serait venue. Je ne m’attendais sûrement pas à me faire trahir et tuer par mon propre apprenti, mais passons. De souvenir, j’y avais mis quelques conditions comme ne jamais m'incarner dans le corps d’une femme ou encore dans celui d’un elfe. Ces conditions étaient respectées, mais l’une de mes autres conditions était tout de même que ce corps soit assez réceptif à la magie, alors comment avais-je fini dans celui-ci ?
Mon plan était presque parfait, après tout. Ce sceau était magique, mais il ne pouvait pas être infiniment alimenté par ma propre personne. Ainsi, lorsqu’une femme de ma descendance mettait au monde un enfant, sa marque utilisait sa propre énergie vitale afin de l’y inscrire sur son enfant. Mais lorsque la porteuse du stigmate est fragile physiquement et se retrouve à mettre au monde des jumeaux... une faible énergie vitale divisée par deux, ça donne un sceau tout pourri. Surtout pour qu’un des deux finisse par crever quelques mois plus tard. Bon, quand on y réfléchit, ce fut une chance que le sceau s’active... c’est déjà ça. Le sceau devait s’activer à six ans... pas à trente-cinq ans... mais ça reste mieux que soixante-dix ans.
Je finissais par sortir de ma chambre pour descendre afin de rejoindre l’une des tables de jeu et de m’inclure dans la partie nouvellement entamée. L’alcool, c’est cher. Le tabac, c’est cher. La drogue, c’est cher... et ne parlons même pas des femmes... Sans oublier que ce Kellen m’avait offert son corps avec une sacrée dette auprès de plusieurs usuriers du coin. Heureusement pour ma pomme, j’avais récupéré une bonne partie de mon doigté ainsi que mes souvenirs de flambeur. À peine les cartes furent distribuées que je laissais déjà faire mes mains pour manipuler le jeu et y mêler les cartes d’un autre paquet identique. Le plus important, c’était d’y mêler mes cartes tout en les récupérant et en évitant de me retrouver dans une situation où deux mêmes cartes tombaient en même temps. Ma bourse pleine me faisait me dire que je m’en sortais plutôt bien. Même si elle finirait sûrement bien vide après quelques passages au bar et à la maison close.
La partie se finit sur une énième victoire qui ne fut pas au goût des perdants, l’un d’entre eux commença à élever la voix et crier à la tricherie en me pointant du doigt pour réclamer qu’on lui rende ses pièces. Se faire griller était une chose... mais tomber sur ce genre d’énergumène était bien plus déplaisant. Je fronçais les sourcils et fis appel à la légendaire défense de tous les arnaqueurs :
“
Tu as des preuves pour sortir de pareille calomnie ? Tu es peut-être simplement un mauvais joueur, non ? Alors, pourquoi gêner les autres ?”
Dans ces moments-là, le regard réprobateur des spectateurs a tendance à calmer les ardeurs de celui qui nous fait face. Malheureusement, ce n’est jamais sûr à cent pour cent comme dans ce cas-là où l’homme nous montra de magnifiques veines sur son front tandis qu’il gueulait simplement :
“
Va te faire foutre !”
Il passa alors par-dessus la table afin de se jeter sur moi. Ni une, ni deux, je lui jetais une pièce d’or dans un de ses yeux en chutant vers l’arrière. Dès que ma chaise s’écrasa sur le sol, je roulais sur le côté et me dépêchais de me relever. Quelle ne fut pas ma surprise de voir que cette simple pièce l’avait suffisant perturbée pour qu’il tombe sur autrui, une action qui ne sembla guère faire plaisir à cette seconde personne. Alcool, tempérament sanguin et argent... un magnifique mélange souvent présent dans les tavernes et qui causait très souvent de magnifiques bagarres générales. Aujourd’hui était un jour comme un autre et je profitais de cette bagarre dans laquelle l’instigateur originel m’avait oublié au profit de celui qui lui avait collé son poing à la figure, pour récupérer les multiples pièces d’or qui m’étaient dues.
Les poches bien pleines, j’esquivais les différents combats en direction de la porte quand une voix au loin me rappela quelque chose :
“
Enfoiré ! Reviens là, j’vais te tuer !”
Pendant un instant, la pensée “
Si je ne le regarde pas, il ne me voit pas” traversa mon esprit avant que la réalité me fasse comprendre que ça ne marchait pas comme ça. Un coup d’œil valida mes soupçons, il s’agissait du mauvais perdant de tout à l’heure qui s’était finalement souvenu de mon existence. Quand on a ce genre de type en face, on évite de détourner le regard. Ainsi, je marchais à reculons en essayant de calmer ses ardeurs par différentes phrases telles que :
“
Je suis sûr que tu ne veux pas en arriver là, voyons ! On ne t’a jamais dit qu’il ne fallait pas taper plus petit que soi ? Si tu ne me tapes pas, je veux bien te payer pour ça !”
Aucune de mes suggestions n’eut un franc succès et finalement, mon dos entra en collision avec celui d’autrui. Mes réflexes n’étaient pas les meilleurs, mais ce n’étaient pas non plus les pires et je me tournais immédiatement en prévoyant d’esquiver l’assaut d’un quelconque individu. Mon regard se porta alors sur une femme à l’inhabituel regard, un sourire charmeur apparut sur mon visage tandis que je scrutais son corps et plus précisément certaines formes. L’image d’un poing en pleine figure frappa mon esprit et me rappela le lieu ainsi que la situation dans laquelle je me trouvais, ainsi je lâchais la créature féminine des yeux pour m’occuper du gorille qui s’opposait à moi. Je devrais véritablement rajouter une règle concernant le fait d’éviter à tout prix de provoquer les gorilles de deux mètres qui peuvent m’utiliser comme décapsuleur.
Il était finalement temps pour moi de montrer de quoi j’étais réellement capable. Rappeler au monde pourquoi les gens m’avaient craint par le passé. Montrer ces compétences qui avaient poussé certains individus à me supplier afin de devenir mes apprentis - même si c’est l’un d’eux qui m’a tout simplement assassiné -.
Mon regard devint bien plus sévère, bien plus sérieux. Je fixais l’homme en face de moi et j’invoquais enfin mon esprit contractant, Uragath, le grand serpent terrorisant les mers. Celui dont les marins prient pour sa clémence.
“
Uragath, montre-toi.”
Une quantité négligeable d’eau commença à se rassembler des quatre coins de la pièce pour fusionner à mes côtés sous la forme... d’une simple boule d’eau avec deux petits yeux. Au tout début, alors que l’eau se rassemblait, la salle fut subitement calme et certains montrèrent des signes de crainte. Puis vint le moment où Uragath prit forme... un éclat de rire général se fit entendre tandis que certains laissèrent s’échapper une petite larme au coin de leur œil... Dans le feu de l’action, j’avais oublié ce qu’il était advenu du grand serpent...
Pas le temps de trop y réfléchir, il en restait tout de même un puissant esprit après tout !
“
Occupe-toi de lui !”
La scène qui suivit fut des plus humiliantes. Une petite quantité d’eau partit de l’esprit pour atteindre le visage du gorille... oui... comme si Uragath avait simplement craché sur l’homme. Je me penchais vers lui et dis :
“
Attends, pourquoi tu lui craches dessus là ?!”
Ceux autour ne pouvaient qu'entendre une sorte de murmure inaudible, mais me concernant... l’Esprit me fit bien comprendre qu’il était le plus vexé de son état et qu’il s’agissait de tout ce dont il était désormais capable. De son côté, le gorille était bien énervé de s’être fait cracher dessus et s’avançait avec le visage crispé de colère. Je regardais ma bourse bien pleine et regrettais déjà ce que j’allais faire en faisant claquer ma langue. Je m’en saisis avant de l’ouvrir pour ensuite la jeter en l’air en gueulant assez fort pour être entendu de tous :
“
Servez-vous !”
Le gorille n’en avait que faire de l’or et voulait uniquement ma tête - et ma vie -, mais même un géant de deux mètres ne pouvait rien devant un mouvement de foules alimenté par une absolue avidité. Je profitais alors de cela pour me glisser vers la porte avant de remarquer la femelle précédemment observée... Je me rapprochais et lui saisissais le poignet :
“
Sauf si tu veux vraiment te battre, viens.”
Je relâchais ma poigne et me glissais à nouveau jusqu’à la porte telle un serpent en esquivant les différents individus pour finir enfin hors de ce tumulte. Je m’éloignais un peu de la taverne sans regarder derrière moi afin d’éviter d’être retrouvé par l’autre enragé. Ma pauvreté me frappa alors et comme promis, je regrettais déjà mes actes.
“
J’aurais mieux fait de lui sauter dessus et de lui trancher la gorge... Remarque, vu la taille de son cou... un couteau n’aurait pas été suffisant... En plus, je n’ai rien d’autre que cet engin sur moi.”
Je sortais le fameux pistolet de l’ancien propriétaire. Je comprenais son fonctionnement, mais j’avais une certaine réticence à en user. J’essayais justement de le vendre depuis quelques jours, mais les acheteurs étaient bien trop peu.