Il était difficile de se promener incognito dans les rues de Stellaraë, beaucoup de monde commençait à connaître les têtes d'affiche du cirque de l'éclipse. Ce fameux cirque ayant élu domicile près de l'oasis à la sortie de la ville~, c'était donc pour ça, le masque bleu et blanc à la forme légèrement canine et la grande cape azure et sa capuche élégante. Mais tout était différent, une fois passé les portes du Canari-Jaune... Ou pas. Une fois capuche et masque retiré, je ne pus que me faire remarquer.

"Mdemoiselle Holy ! Ça fait longtemps qu'on n'a pas vu ta vièle traîner dans les parages ! Qu'est-ce que jte sers ? Tu nous joueras bien un ptit quelque chose nan ?"

M'approchant  du comptoir, je remarquais à peine la présence de Jack déjà attablé, je m'empressais donc de prendre ma commande.

"Hum... Un verre de lait pour l'instant... Merci... Je ne jouerais pas gratuitement dans ton boui-boui tu lsais très bien, Carl. Rétorquais-je à Gràn'Carlidr de son nom complet, un sourire en coin aux lèvres, il me regarda d'un air faussement outré qui fit mouche auprès de la clientèle.

"On l'a fait pas à une menestrelle comme toi hein ? T'as pas perdu la main dla négoce à cque jvois. Que dirais-tu dgouter ma nouvelle recette de pudding en échange ?

-Vendu !" M'exclamais-je alors que l'on partit dans un grand fou-rire, je pris mon verre de lait, sans déposer une seule piécette, évidemment, avant de m'asseoir auprès de Jack. Ignorant les regards furtifs que je sentais sur moi au passage.

"Je ne te cherchais pas. J'aime juste bien cet endroit." Commençais-je simplement en fixant mon verre intensément. Puisqu'il était évident que si je le cherchais, c'était peut-être un des endroits les plus probable où j'aurais pus le trouver, bien que mon idée première était surtout d'échapper à l'agitation bruyante qui régnait au cirque, qui se préparait aux prochains spectacles.

« C’est sûr que si je ne voulais pas que tu me trouve, ce ne serait pas très malin de ma part d’aller me cacher dans une Taverne. C’est bien le premier lieu où tu irais me chercher! »

Je haussais les épaules, amusé par sa remarque, avant de lui rendre son sourire. Le temps sembla se figer et durant quelques secondes je profitais du calme et de l'affection qu'il m'envoyait, de la chaleur de ses mains et de ses prunelles posaient sur moi. Comme si le monde alentour avait totalement disparut. Si bien que je sursautais presque lorsqu'il me questionna.

« Alors ma Déesse des Forêts ? Le spectacle avance bien?

- Oui, je crois. Les Mi sont insupportables et passent leurs temps à tintinnabuler dans tous les sens, c'est qu'on est sur la bonne voie. Pouffais-je.

- T’auras besoin de quoi comme animaux ?

- J'ai besoin de rien de plus, Zorco et Xaya sont parfaitement au poil et Eléonor est satisfaite de ses licornes. Merci... Soufflais-je en buvant une petite gorgée de mon breuvage. Mais ne parlons plus travail, d'accord ? Je me suis lâchement enfuie alors qu'Eléonor me courrait après pour que je répète encore mon passage. Je l'aime beaucoup, mais si ça ne tenait qu'à elle, je répéterais du matin au soir pour, je cite "être certaine de rien oublié, parce que l'oublie, c'est la panique assuré". Terminais-je en levant les yeux au ciel sur mon imitation plus que passable de la dame aux licornes.

Je me rendis compte avoir encore monologué comme le moulin à paroles que j'étais, je fis une pause, faisant mine de chercher quelque chose dans mon verre, la clef du succès peut-être ? Cette pensée m'amusa et je perdis un instant le fil du temps, n'attendant pas vraiment de réponse.

« Oh d’ailleurs j’y pense! »

- Mmh ? Demandais-je en relevant la tête, mettant un terme à mes réflexions. Mais la réponse n'arriva pas puisque le regard de mon cher et tendre se posa sur mon verre.

« Mais? C’est du lait que tu bois? »

- Oui, répondis-je simplement, comme si c'était une évidence des plus logiques. C'est du lait avec du miel. Comme si ça rendait le tout plus spécial.

Mais Jack ne se fit pas prier pour appeler le tavernier.

« Carl! Amènes moi les petites sœurs s’il te plaît! »

Les quoi ? Me dis-je perplexe. Oh très bien, tout s'éclaira alors lorsque Carl déposa deux chopes pleines d'alcool sucré sur la table. Je fis mine de protester lorsque Jack éloigna mon verre de lait dans un petit "mais heu..." Avant d'attraper le rhum au passage dans un grommellement indigné.

« Du lait enfin… ma Déesse des Forêts… tsss »

Je hossais une nouvelle fois les épaules en le regardant, amusé. "Ben quoi, c'est bon le lait !" Rétorquais-je en buvant quelques petites gorgées du liquide ambré. La chaleur de l'alcool ne tarda pas à m'envelopper agréablement.
Au même moment, le tavernier se pencha près de Jack, murmurant à son oreille comme si je n'avais pas une ouïe assez fine pour l'entendre...

« Oh j'comprends mieux pourquoi tu traîne plus dans ltourbier mon gars. C't'une belle prise qu't'as là ! »

J'avais évidemment conscience du passé de Jack, et ça ne me dérangeait pas le moins du monde. Non, ce qui m'agaçait c'était le ton de beunet de ce crétin de tavernier. Mais comme un humain n'aurait pas pu entendre ses mots aussi distinctement, surtout avec le bruit ambiant de la taverne. Je fis mine de rien, sirotant mon verre tranquillement.

« Oh moi je les aime bien les Mis. Ils me font rire ! Bien que je ne comprennes rien à leur Mi, Mi, Mi, Mi, Miii! »

Je pouffais, amusée et surtout contaminée par son rire. Puis prenant un air faussement outré, je répondis à son imitation Mimiesque, car à force d'habitude ou d'une étrangeté mystérieuse, je savais décoder le langage complexe des créatures d'Azriel. Et Jack a pu en être de nombreuses fois témoin car chaque fois, il me regardait mi-douteux, car il pensait que je faisais seulement semblant de comprendre, mi-étonné, car chaque dialogues entre eux et moi semblaient plein de cohérence.

« Comment ? Mais ça va pas de dire des choses pareilles ? Ne répète jamais ça devant un Mi ! » Évidemment, je finis en riant, quittant mon air d'indignation.

« Je me dis depuis longtemps qu’il y’aurait un truc rigolo à faire avec de tout petits chevaux! Mais plein qui débouleraient sur la piste pour semer un peu une discorde maîtrisée bien sûr dans le spectacle. »

Je souris, amusée par l'idée, imaginant un pareil numéro sur la piste du cirque.

« Eh bien, nous n'avons plus qu'à trouver une ribambelle de mini-chevaux alors ! »

« Mais c’est vrai que si tu es en pause, parlons d’autre chose que du Cirque! La vie ne tourne qu’autour du travail! Y’a le rhum aussi! »

J'acquiesçais, suivant son geste en amenant ma propre chope à mes lèvres, je bus à petites gorgées. Moins certaine de l’importance du rhum dans ma vie. Mais j’aimais l’idée.

« Oui… elle est jolie. »

Oh, oh, loup-garou en pétard à douze heures. Je sentis l'atmosphère de la salle s'alourdir en une fraction de seconde et l'Aura de Jack changer du tout au tout. Mon inquiétude grandit.

« Mais les gens changent. Et c’est pas une prise comme tu dis, c’est ma compagne…me force pas à te répéter que j’ai changé s’il te plaît. »

Il était grand temps que j'intervienne alors que le tavernier blêmis face à mon loup-garou de compagnon. Quant à moi, caché derrière ma chope, je montrais le calme le plus impassible possible en fixant tantôt Jack, tantôt le tavernier, avant de poser un peu trop délicatement pour que ce soit naturel, l'alcool ambré sur la table.

« Carl, il vient ce pudding ? » Aboyais-je du ton le plus suffisant que je puisse sortir. Déstabilisé par ma demande, et à priori méfiant, il se détourna enfin des prunelles changeantes qui le fixais encore. Je devais jongler entre éviter un drame diplomatique et mon envie irrépressible de fondre sur mon amant pour le calmer. Après tout, le cirque avait déjà eu du mal à être bien vue de la populace locale, alors si elle voyait quelqu’une animosités que ce soit de l’un de ses membres, sa réputation pourrait en prendre un coup.
Mais les regards déjà braqués sur moi se firent plus insistants et perplexes. Holy ne dégageait pas une Présence hautaine ou agressive d’ordinaire...
Je devais faire diversion, et pour ça, je sortis l'ocarhinarpe de son étui, l'instrument/artefact prit dans mes mains l'apparence d'un luth. Et sans transition, je fis jouer mes doigts sur les cordes, jouant une mélodie simple qui me permettrait d'en placer une.

« Bien, je crois qu'il est l'heure d'une petite chanson. D’aucuns ici ne connaît l’histoire que je vais vous conter… » La magie se mit à vibrer dans l’air qui se chargea de Brume illusoire alors que je m’asseyais directement sur la table pour être vue de tout le monde. Et ce fut toute une aventure qui se dessina dans des couleurs bleutées et sombres. Ma voix enchanteresse transporta la foule dans ces univers fabuleux qui évoluait au fil de la mélodie.

« Pourquoi qu’est ce que je viens de dire ? Après ils adorent jouer avec Erza et elle aime jouer avec eux, ce qui me permet de m’occuper d’elle sans problème. Faut les voir quand il lui grimpe sur le dos comme ils ont l’air heureux ! Je vais trouver ça! Négocier les prix et je te laisse négocier avec Azriel de ton côté pour qu’il mette sa main à la poche? »

J'acquiesçai, trouver ce genre d'animaux ne devait pas être bien compliqué ni trop coûteux. Je souris d'un air mystérieux, je n'allais tout de même pas traduire tout ce que les Mis disaient ?

Le temps semblait comme suspendu alors que la Brume prenait des formes fabuleuses, tantôt animales, tantôt végétales au fil de la chanson. Elle parlait de Sylfaen, et de la magie qui y vivait en toute chose. Quelques passages étaient en elfique, pour donner ce petit plus qui faisait voyager dans cette immense forêt verdoyante. Un dépaysement total pour tous ces gens qui ne connaissaient que ce désert et quelques oasis.

Alors que les dernières notes de mon luth résonnaient, personne n'osa briser ce silence. Puis évidemment, s'ensuivi une salve d'applaudissement avant que les sons classiques de la taverne n'emplissent de nouveau la salle.
Je pris le temps de ranger l'ocarhinarpe qui changea de forme pour devenir dans mes mains un violon sombre. Il retourna dans son étui sans broncher.

J'avais senti Jack s'apaiser pendant la chanson mais le voir m'apaisa un peu plus, je lui souris, avant de me rasseoir sur ma chaise. Le tavernier déposa deux gros gâteaux encore fumant sur notre table en bredouillant un petit "cadeau de la maison" avant de repartir derrière son bar.

"Géniale ! Je meurs de faim !" M'exclamais-je soudainement en plongeant ma fourchette dans l'un des gâteaux, oubliant d'un coup tout ce qui c'était passé, ne faisant plus attention à rien. Utiliser la magie me creusait toujours l'appétit, la journée avait été longue et j'avais beaucoup fait appel à la Source. De plus, plus les jours passaient, et plus le Contrôle était fatigant à tenir. Aussi, un peu fatiguée et surtout très affamée, je ne me fis pas prié pour dévorer ce pudding. Le tout accompagné par quelques gorgées de rhum par-ci, par-là.

« Tu es vraiment douée. Tu n’as jamais pensé à en faire ton métier? »

Je levais les yeux au plafond, sachant qu'il savait. Mes débuts de ménestrel n'avaient pas été des plus aisés et faire la tournée des tavernes pour vendre mes talents de musicienne n'avait pas été si lucratif que je l'avais espéré en me lançant dans l'aventure. C'était amusant un temps, mais passé une certaine heure, les derniers pochtrons du coin ne déboursaient plus une seule pièce d'or pour écouter quelques chansonnettes que ce soit. En vérité, beaucoup d'hommes cherchaient une compagnie bien différente que celle que je proposais. Et bien que je n'en avais jamais parlé à qui que ce soit, l'idée d'accepter avait bien dû me traverser l'esprit une ou deux fois. A situation désespérée, mesure désespéré. Pourtant j'avais tenu bon. Était-ce l'alcool qui faisait tourbillonner ce genre de pensées ou une soudaine nostalgie du passé ? Une fois de plus je me demandais, quelle serait ma vie aujourd'hui si le cirque n'avait pas croisé mon chemin ?

« Tu sais ma Déesse des Forêts… sauf si PetitTambour est caché sous la table, ton pudding risque rien? Personne ne va te le voler… »

Je sursautais presque, ainsi perdu dans mes réflexions, j'en avais presque oublié ce qui m'entourait. J'en étais à la dernière bouchée de mon gâteau tandis que je relevais le nez perplexe.

« Au moins, tu as de l’appétit. Ça fait plaisir à voir. »

J'attaquais sans me faire prier le pudding qui arriva à mon niveau, avec un peu plus de manière cette fois-ci. Le rhum diminuant également petit à petit.

« Par contre tu as une mine fatiguée… Ça va? Tu es sure? »

Je pouvais lire de l'inquiétude dans ses yeux lorsqu'il capta mon regards, je lui répondis entre deux bouchés.

"Oui cha va... tchu t'chinquiète tchrop... Tu vas finir par avoir des cheveux blancs et des rides chi tu continues comme cha tu chais ?"

« Si tu le souhaites après tes puddings, on ira se reposer un peu. Je veillerai sur toi pendant que tu te reposeras. »

"J'ai dit que ça allait, chje chui pas fatiguée... Articulais-je avant de bâiller. Après, j'irai courir... Pour me dégchourdirch les pattes. Chest bientôt la pleine lune..." Assiette et verre vide, je commençais à me lever avec conviction. Mais "Depuis quand la porte est aussi loin ?" Et puis les sons s'exacerbèrent dans mes oreilles, tant et si bien que je les bouchais avec mes mains. Mes barrières magiques fondaient en même temps que ma sobriété visiblement. "Trop de bruit..." Couinais-je alors que rien ne semblait avoir changer dans la salle. "Jack... Je veux rentrer à la maison...". Demandais-je finalement en me blotissant dans ses bras.