C'est une vérité difficile à croire, mais il est né elfe. Quelque part, sous cette aberration de chair, de fourrure et de métal se cache une paire d'oreilles pointues. Par le guide lumineux, son nom signifie littéralement "Cours sur le Vent" dans sa langue natale !


C'est dans l'une des réserves Zéphirienne que Lob a vu le jour, au sein d'une des sectes traditionalistes qui hantent la forêt. Ces irréductibles sauvages, prônant les anciennes voies et rejetant la technologie sous toutes ces coutures. Dès l'apparition des technophiles primitifs du temps du premier Cernnunos ces entêtés étaient mécontents. De par leur longévité, leur connaissance de la forêt et leur maîtrise de la guérilla, nul n'a jamais pu purger la réserve Sylfaënne de leur présence. Il aurait tout bonnement fallu réduire la jungle en cendres, ce que les Zéphyriens préféraient s'abstenir de faire. Et puis, laisser ces sauvages saboter les industries de Marteau-de-Bronze ou les successeurs humains à leur place, lever les bras en prétextant que les responsables étaient des groupuscules indépendants de la Garde Zephyr tout en refusant l'accès aux traqueurs aux sous-bois, l'occasion était trop belle pour la laisser passer.


Cela explique sans doute pourquoi, lorsque les Astro-Kazhariens mirent le grappin sur tout un escadron de terroristes primitifs armés de grenades à oxydes, capable de réduire en tas de rouille les fragiles œuvres mécanique ou d'ingénierie de leurs vaisseaux, ils furent sans pitié. Toutefois, simplement massacrer et exhiber les dépouilles n'aurait pas suffit pour venger les tonnes de crédits perdues rien que l'année de la capture de Lob. Il fallait faire des membres de son unité des exemples. Que le sort qu'ils endurent fasse passer un message clair jusqu'au plus profond de la sylve. Qu'ils sachent qu'en poursuivant leur combat aussi futile que puéril, un sort peu enviable leur serait réservé. Sans pour autant faire des intéressés des martyrs susceptibles d'encourager d'autres escarmouches. Après tout, même le plus arriéré de ces indigènes aux oreilles pointues était doté d'une connexion directe aux réseaux satellites de Duralas I.


La vengeance des Kazhariens fut aussi cruelle qu'atypique. Elle fut aussi très médiatisée. Les prisonniers furent déportés, loin de leur monde natal, jusqu'à la lune de Duralas III. Le satellite dénué d'atmosphère du nouveau monde revendiqué par les conquérants de l'espace. Les prisons de ce monde sont renommées pour leur utilité publique, du moins du point de vue des Astro-Kazhariens : les détenus minent la roche glacée, loin dans les profondeurs d'une montagne extraterrestre, afin d'extraire du minerai précieux tout en agrandissant les complexes souterrains de la colonie. Plus les galeries s'enfoncent sous terre, plus la prison est délocalisée profondément et plus la colonie dispose d'espace, agrandissant sa zone résidentielle sans se préoccuper de développer d'infrastructure en surface là où gérer le vide spatial est une corvée onéreuse.


"Avec les moyens modernes, une seule bonne foreuse creuse en une journée autant qu'une centaine d'esclaves en un mois !" prétendrait un témoin faisant œuvrer son cogitateur cérébral. Et il aurait entièrement raison. Toutefois, c'est un mensonge bien mieux toléré par l'union Stàralas que des combats à mort entre détenus sur lesquels les matons génèrent des tonnes de crédits à partir des rediffusions en temps réel à travers tout le territoire Kazharien. Ce qui nous amène au cœur de cette biographie : tant qu'ils n'auraient pas généré des bénéfices équivalents aux dégâts engendrés, en se basant sur une symbolique commission par pari effectués prélevés, les détenus étaient condamnés à combattre. Ou mourir en tentant de décrocher une liberté de toute évidence impossible à atteindre.


Dans un environnement aussi hostile, Lob ne mit pas longtemps à être catapulté dans des combats improbables, luttant pour sa vie dans l'arène ainsi que dans les geôles avec les autres détenus. La mort et les maladies rôdent parmi les détenus. Tout comme des choses moins reluisantes encore. Vampirisme. Lycanthropie. Tout survivant finissent tôt ou tard par être infecté par l'une de ces deux calamités. Généralement, la seconde, les suceurs de sang ne faisant pas long feu face aux monstres métamorphe déchaînés. Et pour cause. Sur une planète, chaque pleine lune déclenche une métamorphose incontrôlée et généralement synonyme de violence pour un thérianthrope. Sur une lune... ce phénomène est permanent tant que la lumière du soleil illumine la roche stérile en surface. Gagnés par la folie suite à cette surenchère de violence et ces transformations forcées, les prisonniers finissent par oublier pourquoi ils sont là. Pourquoi doivent-ils se battre. Pourquoi des êtres de métal les empêchent de dévorer les dépouilles de leurs victimes et les obligent à regagner leurs cages.


Lob a survécu dans ce cauchemar souterrain, mordu et infecté par plusieurs lycans de lignées disparates. Un mois seulement après son incarcération, il se répétait comme une litanie les noms de ses proches encore à la forêt de Duralas I, lors de ses nuits de lucidité. Il était terrifié à l'idée de devenir la bête qu'on le forçait à incarner. Terrifié que ceux dont progressivement il oubliait les noms le voient uniquement comme ce que les Kazhariens exhibaient : une source de divertissement. Et de revenus faciles. Le temps de la lutte contre les vaisseaux et des manifestations anti-progrès pour communier avec la nature semblait une autre vie. Un autre temps. Un rêve. Après trois mois, Lob ne se souvenait plus des visages de ses parents ni même s'il avait des frères et sœurs. Ne resta que le combat. Le fer des geôles. Le lubrifiant des prothèses de combat. Les éclairs des golems pacificateurs. La crasse, le sang et la mort. Il se rappela malgré tout son nom, gravé à même la peau de son poignet avec un surin d'argent subtilisé à un adversaire.

Les mois devinrent des années. Les années des décennies.

Lorsqu'il s'arracha les griffes sur la carapace d'une bête exotique de Duralas VI, elles furent remplacées par des lames à plasma capable de trancher du plastacier. Lorsque sa moelle épinière fut sectionnée et lui fit perdre l'usage de ses pattes inférieures - ce qui ne l'empêcha pas de broyer le museau du responsable entre ses crocs - sa colonne vertébrale fut chirurgicalement remplacée par un implant de Strygium améliorant son temps de réponse nerveux. Lorsque ses yeux furent brûlés par le crachat acide d'un abyssal vétéran de la prison, on lui greffa des lentilles optiques capables de percevoir les infrarouges et surcouches tridimensionnelles calculées en temps réel. Lorsque son cœur lâcha après une troisième crise cardiaque, il fut remplacé par un modèle synthétique à pile éthérée pouvant alimenter un aéroglisseur lunaire jusqu'à la fin du siècle. C'est approximativement la même année qu'une puce intracrânienne et son support à canon d'épaule emblématique lui furent greffés.

Ses compagnons d'infortune avaient péri depuis bien longtemps. Certains de ses propres griffes. Survivant aussi longtemps dans cet enfer, Lob se tailla une place parmi les célébrités des combats clandestins. Après quelques années de transformations forcées, il avait cessé de recouvrer son apparence elfique. Il en était devenu tout bonnement incapable. À moins que ce fut quelques drogues injectées par ses vertèbres artificielles. Après tout, des implants compatibles entre ses deux formes auraient coûté une véritable fortune. Or, malgré les dépenses liées à ses modifications physiques à la fois pour le maintenir en vie et le rentre plus dangereux, Lob avait rendu les matons riches. Très riche. Il avait généré bien plus de crédits que les pertes initialement causées lors de son activisme. Il cessa d'être opposé aux autres détenus massivement altérés. Chacun d'eux valait une véritable fortune, bien plus que les gains d'un combat à mort entre deux poules d'or pourraient générer. Pour continuer à faire de l'audimat, les combats se firent défavorable, seul contre plusieurs ou bien des bêtes féroces.

Néanmoins, lorsque le monstre de fourrure et d'acier éventra un maton après avoir déchiqueté plusieurs golems derniers cris censés maintenir l'ordre dans les entrailles de la lune... il fut décidé que le prisonnier avait purgé sa peine.

Les logiciels de sa puce crânienne, influençant son libre-arbitre et assurant la liaison neuronale avec son équipement, furent mis à jour. Les tranquillisants injectés intraveineuse par ses implants furent troqués contre des dosages plus élevés. Cela eut pour effet immédiat de calmer la fureur de la machine à tuer qu'il était devenu. Ironiquement, cela lui rendit une part de son ancienne personnalité à défaut de ses souvenirs. Après des années de mutisme, il fut de nouveau en mesure d'articuler des phrases cohérentes.

Victime du capitalisme poussé à son paroxysme, Lob ne fut pas euthanasié. Il fut vendu comme chien de garde. Littéralement recyclé par la colonie lunaire astro-kazharienne pour un ultime profit.

- Je... veux... mourir... furent les premiers mots qu'il prononça à son acquéreur, écran de contrôle en main sur laquelle était affiché le dossier de Lob, depuis le tarmac pressurisé du spatioport.
- Une excellente boutade, s'exclama l'humain en chemise à fleurs et dont les yeux aux rétines parées d'un logo reflétaient les néons tape-à-l'oeil de sa navette, se détournant de sa tablette. On ne m'avait pas prévenu que tu avais le sens de l'humour ! Pour te répondre : pas tout de suite. Tu m'as coûté une petite fortune et ce n'est pas pour me faire défaut si tôt. Après tout, tu es un garde du corps cybernétique qui n'est pas affecté par le passage du temps. Imagine ! Peut-être travailleras-tu un jour pour mon arrière-arrière-petit-fils si tu es aussi doué que je t'ai vu dans l'émission ! Aller, viens, aux pieds ! Nous partons ! Je suis attendu pour le congré des compagnies minières de la ceinture d'astéroïde à Stellaraë C, dans quatre heures. Et je déteste ne pas être ponctuel.