Se racheter une conduite auprès des veilleurs était une priorité. Si jamais les enfants de la Lune décidaient de mettre un contrat sur sa tête, elle ne pourrait pas faire face à deux fronts en même temps. Elle trouva alors une mission très peu rémunérée. Il s’agissait d’une sorte d’expédition organisée par une école de Stellaraë B. La situation étant plutôt urgente, elle parvint à décrocher son contrat après avoir un passé un bref entretien en ligne. « Nourrie, logée, payée. Ils ont de la thune dans cette école ». Pensa-t-elle. Mais tant mieux pour eux et pour son compte en banque.

    Assise au cockpit de son vieux vaisseau veilleur volé, elle parcourut du doigt les cartes stellaires et suivit l’itinéraire qu’emprunterait la corvette. Il y avait peu de zones à risques mais elle marqua une pause sur une en particulière. Les abords de Dùralas V étaient loin d’être sûrs. Le vaisseau passera en hyperespace non loin du secteur des mines qui regorgeait de pirates. Il y avait peu de chance que la corvette soit intéressante pour eux, à moins que ce ne soit pour réclamer une rançon d’éventuels otages. De cela, elle en parlerait au capitaine. Faire un détour rallongerait le voyage de plusieurs heures mais si c’était le prix à payer pour la sécurité du convoi, le jeu en valait la chandelle.

    Elle arriva près de la Corvette, située sur l’une des immenses stations orbitales de Dùralas II. Un ascenseur spatial la reliait à la planète et des centaines de cabines allaient et venaient pour transporter des passagers et des marchandises. Les coms radios émirent un son strident.

-Vaisseau classe dartique, ici station Alpha. Veuillez envoyer votre code de transpondeur et indiquez destination.

    Sholma s’exécuta, attendit que ses codes piratées fassent leur travail  et expliqua se rendre sur l’une des corvettes Stellaréenne.

-Vous pouvez procéder à l’arrimage.

    Elle souffla de soulagement. Son vaisseau se dirigea alors vers celui qui allait la transporter pendant plusieurs jours. Une jolie corvette dont Sholma avait déjà vue le modèle par le passé. Excessivement polyvalentes elles servaient plutôt au transport de passagers diplomatiques ou de marchandises et parfois même à l’escorte de vaisseaux non armés. Celle-ci avait en revanche de quoi se défendre. Rien de bien extraordinaire mais suffisamment pour abattre des pirates un peu trop téméraires. Cela la rassura un peu. Elle commença alors son approche pour s’arrimer au navire et réitéra la procédure :

-Corvette Stellaréenne, ici Dartique-558, demande autorisation pour arrimage au sas 2.

-Dartique-558, vous avez l’autorisation de vous arrimer au sas 2.

    Autour du sas, une lumière verdâtre apparut pour guider le vaisseau. Mais celui-ci était trop vieux et elle dû tout faire en manuel. A l’aide de ses rétrofusées, elle retourna le vaisseau, dos vers le sas d’arrimage de la corvette et commença son approche requérant beaucoup de doigté. Heureusement, des capteurs et des caméras l’aidaient, néanmoins le processus n’en restait pas moins délicat. Après une minute à retenir son souffle, les deux sas se verrouillèrent l’un à l’autre. Sholma détacha ses sangles puis nagea en apesanteur dans son bombardier léger. Elle rassembla ensuite ses affaires qui flottaient un peu partout dans l’habitacle. Armes, bien sûr, détecteurs et quelques vêtements de rechange. Elle activa ensuite ses bottes magnétiques et marcha sur la carlingue de son vaisseau. Elle ouvrit ensuite le sas situé sur le dessus de son vaisseau et rentra dans la corvette. Là, elle désactiva ses bottes, inutiles grâce à la gravité artificielle installée à bord. Puis elle ferma le sas de son vaisseau et se dirigea vers la dernière porte, une fois la décompression terminée. Elle fut accueillie par un homme en uniforme représentant une société de transport indépendante. Heureusement, ce n’était pas un veilleur.

-Bonjour, Vous êtes en avance.

-Oui, j’aimerais voir le capitaine pour discuter de l’itinéraire. C’est vous ?

-Non, je suis navigateur. Le capitaine est dans ses quartiers, je peux vous y conduire maintenant si c’est urgent.

   Sholma acquiesça alors Ils empruntèrent un couloir d’un blanc immaculé puis un ascenseur qui les mena directement au vestibule du bureau du capitaine. Le navigateur plaça son index sur son oreillette.

-Capitaine. Oui. Sholma, la merc…oui. Elle veut vous parler. Entendu.

    Il haussa les sourcils et ouvrit la porte menant au bureau, puis s’assit sur une des banquettes du vestibule.

-Soyez la bienvenue à bord ! S’écria le capitaine, alors que les doubles portes de son bureau se refermèrent subrepticement.

    Le nain se leva de son petit siège et tendit une main chaleureuse que Sholma serra sans hésitation. Sa barbe brune était taillée de façon méticuleuse. Pas un poil ne dépassait sur ses joues grassouillettes, légèrement roses. Peut-être à cause de la consommation récente d’alcool.

-Merci, répondit Sholma avant de s’assoir.

-Vous vouliez discuter ?

-L’itinéraire passe par Dùralas V, la zone me parait plutôt dangereuse.

-Oui, c’est d’ailleurs pour cela que nous vous avons engagé.

-Je ne pourrais pas vous défendre si une flotte décide de vous attaquer.

-Et pourquoi le feraient-il ma grande ? Il n’y a rien de valeur ici ! Vous n’avez pas idée du coût du carburant nécessaire pour le réacteur d’hyperespace !

-Oh que si, croyez-moi.

-Alors si nous sommes attaqués, vous nous protégez. De plus, nous ne sommes pas dépourvus non plus en armement pour nous défendre. Vous n’avez pas de raisons de vous inquiéter, nous ne sommes pas une cible intéressante pour les pirates.

-C’est mon boulot de m’inquiéter et de limiter les risques potentiels. Répondit-elle sèchement.

Le capitaine regarda sa grosse montre. Un objet inutile à cette époque si ce n’est de montrer son appartenance à une certaine classe sociale.

-Bien, mademoiselle, j’ai fort à faire. Je vous laisse prendre congé pour rejoindre vos quartiers avant l’accueil des passagers.

Elle hocha la tête et sortit du bureau, les poings serrés et sa queue fouettant nerveusement le sol. Le navigateur la regarda avec une moue sur le visage. Lui non plus, ne semblait pas approuver toutes les décisions du capitaine. Mais c’est lui qui avait le pouvoir de décision auquel tout l’équipage devait se conformer. Le navigateur la conduisit jusqu’à une petite chambre située au cœur du vaisseau et donc n’ayant pas vu sur l’espace. Mieux valait ne pas être claustrophobe dans ce genre de cabine. Heureusement, Sholma était habituée aux espaces confinés et au manque de confort, bien que la cabine qu’on lui avait attribuée était à mille lieues de la rusticité de son propre vaisseau. Le sol imitait un parquet au coloris chaleureux alors qu’un lit double était plaqué contre un mur orné de cadres représentant des nébuleuses. Il semblait l’attendre, l’intimer de s’étaler sur son matelas moelleux et de s’engouffrer dans ses draps soyeux. Mais Sholma avait d’autres chats à fouetter. Elle reçut une autre communication venant de la passerelle. Le navigateur lui indiqua de se rendre au sas 1 afin d’accueillir les enfants et vérifier que personne ne tentait d’entrer à bord de façon clandestine.

Après quelques minutes, elle fut enfin prête pour se rendre au sas d’embarquement et se posta à l’entrée. Plusieurs adultes précédèrent le convoi d’enfants, certains la regardaient du coin de l’œil, d’autre la saluaient plus ou moins chaleureusement. Puis vint les enfants. Certains l’ignorèrent, d’autres la regardèrent, intimidés. Puis son détecteur s’activa. D’un geste, elle saisit l’épaule d’un jeune garçon.

-Hep ! toi ! Ton couteau.

-J…j’ai pas de couteau.

-Donne.

Il sortit de la poche de son pantalon un couteau bien trop long et pointu pour ne pas être un danger.

-Pourquoi tu as ça sur toi ?   Continua la djöllfulin.

-M…mes parents, ils m’ont donné du saucisson d’ours. Ils ont dit que les couteaux à la cantine coupaient pas et que ça serait plus facile.

-Je te le couperai si tu veux. File. Je te rendrai ton couteau à la fin de l’excursion.

    Le jeune garçon fit une petite moue et retourna dans le rang. Le navigateur qui avait accueilli la reptile lui fit un signe de tête approbateur alors qu’elle déplia le couteau dont la lame devait faire bien une quinzaine de centimètres.  Elle écarquilla les yeux. Comment les parents pouvaient confier un tel objet à leur enfant ? Elle replia ensuite l’outil et le garda précieusement dans l’une de ses poches arrière. Une fois les classes enfin dans le vaisseau et s’éparpillant dans les couloirs vers les chambres et les dortoirs, Sholma put respirer un peu. Responsable de la sécurité du vaisseau et de plusieurs classes d’enfants, ce n’était pas la même chose que juste assurer sa propre survie.

    Les sas pneumatiques se fermèrent brusquement, ce qui la fit sursauter. Puis elle entendit un bruit de décompression d’air suivit d’un tremblement, attestant que la corvette avait quitté la station spatiale. Elle se dirigea alors vers ses quartiers en croisant les enfants, collés aux verrières et observant avec fascination la station et la planète bleue s’éloigner. Les professeurs répondaient aux questions des plus curieux et donnaient des informations que Sholma connaissait déjà. Elle ajusta son fusil sur son épaule, salua les professeurs qui daignaient lui adresser un regard et se retira dans ses quartiers. Là, elle déposa son arme dans un petit rack prévu à cet effet et la troqua contre une arme de poing, plus utile dans un vaisseau et surtout ne risquant pas d’endommager sa structure. De plus, elle ferait sûrement moins peur à tout le monde. Elle retira ses lunettes de visée. Parfois elle les oubliait, puisqu’elle les avait quasiment toujours sur le museau. Elle passa une main dans ses cheveux bonds, coupés courts au couteau et sortit à nouveau de sa cabine. Elle était conviée au repas et se dirigea alors vers la cantine. De nombreux plateaux étaient déjà installés alors que les odeurs de cuisine industrielle lyophilisée emplissaient maintenant la pièce plutôt étroite pour un réfectoire. Le service n’avait pas encore commencé mais Sholma préféra manger ses propres rations plutôt que de gouter à la nourriture de la cantine qui lui faisait encore moins envie. Elle sortit d’une de ses poches un sachet de poudre rougeâtre qu’elle secoua avant de vider son contenu dans un petit bol qu’un des membres du personnel lui avait donné. Elle plaça ensuite le tout dans le réhumidificateur qui, pendant quelques minutes, s’occupa de transformer la poudre en une soupe de légumes insipide enrichie en protéines. La djöllfulin grimaça devant le met qu’elle avait ingéré beaucoup trop de fois pour ne pas s’en être lassé puis s’installa à la table la plus petite, contre le mur. Finalement, le repas servi par la cantine ne devait pas être pire. Puis elle entendit les babillages des nombreux enfants qui s’approchaient du réfectoire. La soupe était trop chaude pour être ingérée d’une traite. Même pour elle, qui avait l’habitude de fumer.  Alors, elle devra s’accommoder des bruits des conversations des enfants qui s’exclamaient de temps en temps, voir criaient, et manger dans une atmosphère bruyante. Elle regretta à ce moment précis de ne pas être dans son vaisseau à regarder les étoiles défiler et bricoler quelques systèmes qui avaient besoin de réparations.

    Les professeurs avaient des tables réservées pour eux. Certains se dévouèrent à lui demander poliment s’ils pouvaient emprunter des chaises à la sienne pour s’installer sur une autre, plus éloignée. D’un hochement de tête, elle les autorisa à procéder et les observa se serrer les uns contre les autres, se mettre en bout de table quitte à faire dépasser leurs plateaux jusqu’à leurs genoux ou à moitié dans le vide. Sholma ne pensait pas qu’elle ferait autant peur ou soit aussi repoussante mais après tout, cela ne la dérangeait pas. Elle n’était pas vraiment douée en conversation surtout avec des enseignants qui la trouveraient probablement inintéressante. Un flux continue d’enfants et de professeurs entra dans le réfectoire et s’installait en raclant les chaises sur le sol et en bavardant de manière incessante. Sa queue, enroulée nerveusement autour de sa chaise, se déplia légèrement pour battre l’air de gauche à droite. Et cette soupe bouillante qui refusait de refroidir ! Elle touilla machinalement le contenu en essayant de se focaliser sur autre chose que le vacarme environnant qui lui rappelait les mines de Dùralas V.

Fahima regarda son groupe d’enfants de sa classe. Six d’entre eux, les plus vieux, âgés de onze et douze ans, avaient eux la permission de leurs parents pour un voyage scolaire vers Stellaraë C, sur Dùralas VI. Il y avait d’abord les jumeaux Elfes, Aldaron et Uruyendë, les jeunes humains Yako et Zagh, Brainton, l’enfant géant et Canjan, le stryge noir. C’est ce dernier qui inquiétait le plus la thérianthrope, l’enfant ailé étant un rebel la plupart du temps. "Pense positif, Fahima, pense positif  Tout va très bien se passer, y'aura pas de problèmes. En plus, ils ont logiquement embauché des gens compétents pour la protection …. non ? C'est sur ces mots que sa navette de transport décolla en direction du spatioport, où une autre navette les amèneraient à la corvette.


Lorsque le petit groupe put enfin monter à bord, ils se firent presque aussitôt accoster par une djöllfuline. Celle-ci se dirigea aussitôt vers Canjan.

- Hep ! Toi ! Ton couteau.

- J…j’ai pas de couteau.

- Donne.

Il sortit de la poche de son pantalon un couteau bien trop long et pointu pour ne pas être un danger.

- Pourquoi tu as ça sur toi ? continua la djöllfuline.

- M…mes parents, ils m’ont donné du saucisson d’ours. Ils ont dit que les couteaux à la cantine coupaient pas et que ça serait plus facile.

- Je te le couperai si tu veux. File. Je te rendrai ton couteau à la fin de l’excursion.

-  Pardonnez-le, il ne recommencera pas. N’est-ce pas, Canjan ?

Le garçon fit la moue avant de retourner dans le rang. Après un dédale de couloirs, Fahima et ses élèves furent laissés dans un petit dortoir de quatres chambres, une salle de bain et une salle de repos. Chaque chambre ayant deux lits, elle sépara Uru et Yako, les deux seules filles, dans l'une d'elle. Aldaron et Zagh furent envoyés dans la deuxième, tandis que le stryge et Brainton prenait la troisième. La thérianthrope leur laissa quelques minutes pour s'installer avant de réunir son petit groupe. Prochaine étape, assister au décollage du vaisseau. Hormis Canjan, qui ruminait encore le fait d'avoir perdu son couteau, tous étaient collés aux baies vitrées et regardaient leur planète rapetisser au loin. Fahima se fit un plaisir de répondre à toutes leurs questions, mais également les rassurés, car certains avaient quelques craintes à propos du voyage. Normal après tout, puisque c'était pour tous ses enfants leur premier voyage extra-planétaire.

Alors que la grande salle se vidait, la thérianthrope poussa ses élèves vers la cantine. Après avoir installé son petit groupe à l'une des dernières tables disponibles. Manquant de place pour la jeune femme, cette dernière en chercha une autre non loin. À quelques pas, il restait une seule chaise libre à la table de la djöllfulin qui avait confisqué le couteau de Canjan. Tiens, pourquoi elle était seule ? Fahima se dirigea donc vers la dernière place libre, tourna sa chaise légèrement afin d'avoir son groupe en vue et s'asseya.

-  Bonjour, je suis la professeure Fahima Kilab. Merci encore d'avoir confisqué le couteau du jeune stryge, je n'avais pas du tout remarquer qu'il en avait un avec lui.

Affamée, la louve n'attendit pas la réponse de la cornue pour entamer son repas.

    Elle n’allait pas attendre l’éternité que sa soupe daigne se refroidir. Elle plongea sa cuillère dans le bol, l’apporta doucement jusqu’à sa bouche et souffla sur la soupe rougeâtre. Puis, elle ingurgita le liquide sans saveur avec une texture légèrement âcre.

-Mmmh…c’est vraiment de la mer…

    Elle s’interrompit lorsqu’elle aperçut une professeure chargée d’un plateau, se diriger vers elle. Probablement allait-elle prendre la dernière chaise à sa table pour s’installer avec ses collègues agglutinés sur une autre deux fois trop petite pour tous les accueillir. Alors la djöllfuline voulut anticiper pour lui dire qu’elle pouvait la prendre mais finalement la professeure s’installa en gardant bien en vue son élève à qui appartenait le couteau. D’ailleurs, Sholma l’avait toujours sur elle. Mais le jeune stryge semblait très bien s’en sortir avec son saucisson qu’il coupa sans grande difficulté avec un couteau de la cantine. Le saucisson lui donnait envie et il traversa l’esprit de Sholma de faire du chantage en lui demandant son saucisson en échange de son couteau. Mais racketter des enfants, ou pré adolescents, ça ne se faisait pas. Ou du moins, pas dans le cadre de sa mission de surveillance et d’escorte. Elle se tourna à nouveau vers Fahima qui dévorait une pièce de viande. Finalement, Sholma regrettait de ne pas avoir pris le menu de la cantine. Il ne semblait pas si mauvais que cela. Mais on lui aurait probablement demandé de payer son repas.  

-C’est inutile de me remercier. Je ne fais que mon travail, répondit-elle simplement.

    Puis elle se rendit compte qu’elle était un peu froide. Alors elle réfléchit à une question qu’elle pourrait lui poser pour continuer la conversation. Pourquoi ne pas commencer par lui demander ce qu’elle enseignait ? Mais elle ne put s’empêcher de remarquer que le visage de la professeure ne lui était pas inconnu.

-Je m’appelle Sholma. On ne se serait pas déjà croisée, par hasard ?

La Djöllfuline regarda dans la direction de ses élèves avant de lui répondre. Le saucisson que Canjan semblait l'intéresser. Bah, de toute façon, à la vitesse où il le dévorait, le jeune stryge l'aurait sans doute terminé dans peu de temps.

- C’est inutile de me remercier. Je ne fais que mon travail, répondit-elle simplement.

-  N'empêche que c'est un détail somme toute important que j'aurais dû remarquer avant le départ de l'école. Les armes sont interdites pour les jeunes dans l'établissement, et très réglementé pour les adultes afin d'éviter les problèmes.

Fahima se tut, ne sachant pas trop sur quel sujet continuer. Elle jeta un rapide coup d'œil vers les enfants entre deux bouchées. Les garçons faisaient des pitreries avec la nourriture, mais comme ils ne dérangeaient pas les autres tables autour, la louve les laissa faire pour le moment. C'est alors que sa voisine de table lui adressa de nouveau la parole.

-  Je m’appelle Sholma. On ne se serait pas déjà croisée, par hasard ?

Maintenant qu'elle le disait, Fahima était d'accord. Les deux femmes s'étaient clairement vu quelque part avant le voyage.

-  Enchantée, Sholma. J'avoue que votre visage m'est familier. Pourtant, je ne vous ai jamais vu dans l'école auparavant. Peut-être au centre d'entraînement de Dùralas II ? J'ai commencé à mit entraîner récemment. Où sinon nous nous sommes peut-être croisé dans la rue vite fait. Je ne sais pas.

Remarquant Brainton qui s'apprêtait à faire une catapulte avec sa cuillère, la louve ne fit qu'appeler le nom de l'enfant géant et le fusilla du regard. Ce dernier comprit le message et se calma, retournant à son assiette. Fahima reporta son regard vers Sholma, le sourire aux lèvres.

-A mon avis vous avez déjà beaucoup de travail et beaucoup de choses à penser. Ce n’est pas de votre faute.

    Elle sortit le couteau de l’une de ses poches. Il était plutôt de jolie facture. Une manche en corne noire et une lame droite en acier Damas. Un bel objet de collection, probablement transmis depuis plusieurs générations.

-Pour moi, ce n’est pas une arme, mais un outil. C’est à ça que servent les couteaux, normalement. Malheureusement, ils sont effectivement bien souvent détournés de leur utilisation d’origine et deviennent des armes.

    Surtout que l’arme appartenait à un stryge noir. D’expérience, elle savait qu’il fallait se méfier de cette espèce. Au sein des Enfants de la Lune, ils étaient relativement nombreux. C’était également un membre stryge noir qu’elle pensait avoir essayé de la tuer même si elle n’en avait pas le cœur net. Néanmoins, elle était bien placée pour savoir que stigmatiser une race entière pour quelques individus n’entraînait généralement qu’une escalade de haine. Et finalement, les membres de cette race finissaient par être comment le Monde les voyait.

-Dans la rue, c’est peu probable, je suis beaucoup plus souvent dans l’espace.

    Elle plissa des yeux.

-Ah ! ça y est ! Les bestioles mécaniques. Elles m’ont données du fil à retordre.

    Elle eut un léger frisson. D’ordinaire elle ne montrait jamais sa peur, mais s’il y avait une chose qu’elle portait en horreur c’était bien les insectes. La vision de la créature dévorant son armure l’avait hantée pendant plusieurs jours après le combat, si bien qu’au moindre bruit suspect dans son vaisseau elle craignait de la croiser à nouveau. Elle et ses milliers de rejetons qui parcourraient son vaisseau avec leurs petites pattes tels des petites araignées venant de naître et s’éparpillant tout autour de leur nid. Elle préféra ne plus y penser et avala une autre cuillère à soupe de son met peu ragoûtant.

- A mon avis vous avez déjà beaucoup de travail et beaucoup de choses à penser. Ce n’est pas de votre faute.

Elle avait raison, mais la louve se sentait tout de même coupable. L’hybride sortit alors le couteau de sa poche et le fit tourner dans sa main, comme pour l’observer plus en détail. C’était clairement un couteau ancien et de qualité. Mais dans les mains d’un enfant de douze, stryge noir qui plus ai, cela pouvait vite devenir une arme redoutable. Pas que l’enfant était forcément mauvais, mais il fallait dire que le passé de sa race n’était pas très rose.

- Pour moi, ce n’est pas une arme, mais un outil. C’est à ça que servent les couteaux, normalement. Malheureusement, ils sont effectivement bien souvent détournés de leur utilisation d’origine et deviennent des armes.

- Sur ce point, je suis entièrement d’accord.

Sholma sembla se perdre dans ses pensées. Puis, elle revint sur le sujet de leur rencontre précédente.

- Dans la rue, c’est peu probable, je suis beaucoup plus souvent dans l’espace.

Petit plissement de ses yeux. Et puis elle sembla avoir un éclair de génie.

- Ah ! ça y est ! Les bestioles mécaniques. Elles m’ont données du fil à retordre.

Elle eut alors un frisson, ce qui eut pour effet de faire sourire Fahima. Voilà bien une preuve que ses bidules-insectes fonctionnaient, même si elle avait perdu ce jour-là. Elle se rappelait d’ailleurs que la Djöllfulinne lui avait confisqué son livre. Heureusement, elle le lui avait rendu à la fin du combat. Qui sait, peut être qu’un jour, si revanche il y avait, elle gagnerait. Mais la jeune femme n’aurait plus l’effet de surprise. Fahima sortit son livre de cours et le déposa sur la table, tandis que son interlocutrice prenait une nouvelle gorgée de sa soupe.

- Si vous êtes curieuse de les voir, ils sont à la fin du livre, dans le boîtier qui me sert de quatrième de couverture.

Si Sholma ouvrait son livre, elle verrait des dizaines d’insectes et d’arachnides en tous genres, alignés et retenus par des aimants dans ledit boîtier.

    Sholma avala de travers et se mit à tousser. Elle attira l’attention de quelques élèves avant de se reprendre, les larmes aux yeux.

-Non, ahem. Sans façon. Si je peux éviter. C’est mieux.

    Elle reprit une gorgée de soupe. Hors de question qu’elle les revoie. Même en duel, si elle pouvait choisir ses partenaires de combat, elle préfèrera éviter de recroiser la professeure. Elle regarda le livre avec méfiance tout en repliant le couteau qu’elle avait gardé dans les mains. Puis elle vida son bol en le prenant entre ses mains et en buvant d’une traite le contenu qu’il restait. Après un léger spasme de dégoût elle ajouta :

-Parlez-moi plutôt de ce que vous enseignez. Petite, je n’ai pas eu la chance d’aller dans une école comme la vôtre. Mais ça ne m’empêche pas d’être curieuse sur un peu tout. Et mon métier m’oblige à l’être de toute façon.

     Elle ajusta machinalement l’une de ses oreillettes. Elle s’était branchée sur les canaux environnants, mais en hyperespace il était impossible de communiquer ni de recevoir des transmissions. Si ses anciens modèles lui auraient donnés à entendre que des grésillements à la place, celles-ci se coupaient automatiquement jusqu’à ce que la vitesse du vaisseau passe à nouveau en supraluminique. Ses lunettes lui indiquèrent le niveau de batterie. Il lui restait au moins une semaine avant de devoir les recharger en antimatière. Une dose infime, évidemment, mais permettant de tenir pendant plusieurs mois sans devoir s’en approvisionner. Cela lui fit repenser à son tragique accident qui avait failli lui coûter la vie. Elle se demandait d’ailleurs toujours comment elle avait survécu. Peut-être avait-elle une bonne étoile qui l’avait protégée. Sholma ne croyait pas en la chance mais s’en sortir d’une explosion d’une bombe à antimatière avec seulement quelques greffes relevait du miracle.

Fahima rangea son livre après le commentaire de Sholma. Soit elle avait réussi son coup, soit l’hybride détestait vraiment les insectes. La Djöllfulinne rangea le couteau, prit son bol et bu d’une traite ce qu’il restait de son repas avant de poser une question somme toute intéressante à la professeure.

- Parlez-moi plutôt de ce que vous enseignez. Petite, je n’ai pas eu la chance d’aller dans une école comme la vôtre. Mais ça ne m’empêche pas d’être curieuse sur un peu tout. Et mon métier m’oblige à l’être de toute façon.

Ce qu’elle enseignait ? Bonne question, il y avait tellement de matière à voir.

- En vrai, la matière varie grandement. Bien sûr, y’a les matières de base style le dùralassien, les mathématiques, l’histoire de Dùralas II, les arts, mais on touche aussi à la biologie, l’astrophysique, les sciences de la nature, etc. Les plus vieux ont également des cours d’auto-défense. Mais pas les miens, ils commencent l’an prochain normalement pour cette matière. Après, ça dépend aussi du cursus scolaire. Certains voudront plus de cours de science, alors que d’autres ça sera les langues. Mais je ne m’occupe personnellement que des plus jeunes, soit ceux de sept à douze ans. Les six enfants qui m'accompagnent pour cette sortie sont en dernière année avec moi. Ils arrivent à l’âge de choisir leur spécialisation.

La professeur poursuivit son repas, le temps que l’hybride assimile les informations. La louve en avait dit beaucoup rapidement, et voulait s’assurer que sa voisine de table comprenne bien. Elle jetait aussi souvent un coup d'œil vers la table de ses protégés, afin de s’assurer qu’ils ne fassent pas de bêtises. D’ailleurs, Fahima devrait leur faire la leçon du jour dans leurs quartiers. Ça les occuperait jusqu’au repas du soir au moins. Restait à choisir la matière du jour. Elle reporta son regard sur Sholma. Tiens, peut-être que …

- Dites, cela vous dérangerait-il de m’aider pour mon cours de cet après-midi ? Mes élèves n'avaient jamais vu d’hybride avant vous, peut-être voudraient-ils en savoir plus ? Pour un cours de biologie et de sociologie bien évidemment. Je pourrais demander à l’établissement d’augmenter votre prime en échange.

    Heureuse que la professeur Kilab n’insiste pas plus sur ses insectes mécaniques, elle se détendit et laissa échapper un soupir de soulagement. Puis, après avoir terminé sa soupe, elle but les paroles de la jeune femme emplis de cette passion de transmettre qu’avaient tous les enseignants. Elle sentait son envie de lui en dire d’avantage mais au moins, elle, par rapport aux autres, marquait des pauses et avait peut-être conscience que donner trop d’informations à la fois risquait d’en voir une partie passer à la trappe. Mais heureusement pour elle, Sholma avait une bonne mémoire. Naturellement, oui, mais également grâce à ses implants qui augmentaient la plupart de ses fonctions cérébrales.

    Elle aussi avait appris comment s’exprimer, lire, compter, tout ce qui était à la base d’une éducation digne de ce nom et qui pourrait faire d’elle une bonne citoyenne. L’astrophysique en revanche, elle avait dû apprendre quelques notions sur le tas. Mais elle ne pourrait pas citer les lois de la relativité quantique ni effectuer des calculs de trajectoires sans ordinateur. Elle trouva d’ailleurs cela curieux que les élèves choisissent eux même leur cursus à cet âge. Peut-être étaient-ils de plus en plus mûr au fur et à mesure des générations et considérés aptes à prendre des décisions. Bien que la djöllfuline se doutait bien qu’ils devaient être un peu guidés en fonction de leurs compétences dans les différentes matières.

    Toujours est-il que la plupart des choses que Sholma connaissait ce n’était pas l’école qui le lui avait enseignée mais bien tous ceux avec qui elle avait passé son adolescence jusqu’à aujourd’hui. Beaucoup étaient détenus dans des prisons en ce moment à moins qu’ils aient été relâchés depuis le temps. Quant aux Enfants de la Lune, ils lui avaient permis de peaufiner toutes les techniques qu’elle possédait déjà en plus de lui apprendre à se battre et à piloter des vaisseaux de petite à moyenne envergure. Elle s’en sortait dans la vie sans les savoirs transmis par l’école. Mais peut-être que si elle avait eu une enfance un tant soit peu normale, elle aurait pu bénéficier d’un avenir plus serein, moins semé d’embûches. Aujourd’hui, elle s’imaginait difficilement travailler dans des bureaux situés dans une des immenses tours de Dùralas II et regardant, de toute sa hauteur, la pègre s’agiter dans les bas-fonds que même la lumière des astres avait peine à atteindre. Pendant ce temps, elle prendrait alors un bon petit café dans son immense bureau vitré et ajusterait ses lunettes haute technologie montrant les évolutions en directe des marchés financiers. Non, décidément, cet avenir alternatif n’était pas fait pour la Sholma d’aujourd’hui qui avait soif d’aventures, de combats, d’adrénaline et de justice.

    La djöllfuline hybride émit un petit rire nerveux à la proposition de la professeure. La demande était des plus inattendue. Elle ne se voyait clairement pas devant des élèves à leur parler de ses origines. Elle-même en savait que très peu, seulement que sa mère était une djöllfuline et qu’elle l’avait déposée à la naissance à l’orphelinat. Quant à son père, au vu de son physique, il n’était pas difficile d’imaginer qu’il s’agissait d’un naga et plus spécifiquement d’un homme lézard. C’est son physique qui lui avait valu son manque de succès auprès des parents adoptants préférant les elfes, les nains ou les humains aux autres races. Ressasser toute cette période pour être étudiée par des pré adolescents la mettait plus que mal à l’aise. Elle essaya de peser ses mots pour exprimer un refus, mais au fur et à mesure, elle se disait que l’exercice pourrait possiblement être intéressant. Elle n’a jamais eu de difficultés pour s’exprimer en public, même en étant enfant. Peut-être saura -t-elle être intéressante.

-Navrée, mais je risque de ne pas avoir grand-chose à leur dire. Je connais mes origines à peu près autant que vous. Ma mère était une djöllfuline, c’est tout ce que je sais. Je n’ai pas eu la chance d’avoir une enfance encadrée par mes deux parents alors en terme de sociologie, je ne suis pas certaine d’être un bon exemple pour eux. Mais, pourquoi pas. Si vous pensez avoir quelques pistes pour alimenter un cours, je veux bien me prêter à l’exercice. A la seule condition, que ma mission première passe avant. Je laisse mes coms branchés. S’il y a la moindre alerte je devrai répondre présente. Surtout lorsque nous sortirons d’hyperespace aux abords de Dùralas V.

L’hybride eut un petite rire nerveux à la proposition de Fahima. La jeune femme avait peut-être touchée une corde sensible. Probablement qu’elle refuserait. Après tout, ce n'était pas tout le monde qui aimait être le centre d’attention d’une classe d’enfant. Et ce n'est pas parce que lesdits enfants avaient un potentiel plus haut que la moyenne parce qu’ils étaient dans une bonne école que cela changerait. Sa réponse surprit donc la jeune femme.

- Navrée, mais je risque de ne pas avoir grand-chose à leur dire. Je connais mes origines à peu près autant que vous. Ma mère était une djöllfuline, c’est tout ce que je sais. Je n’ai pas eu la chance d’avoir une enfance encadrée par mes deux parents alors en terme de sociologie, je ne suis pas certaine d’être un bon exemple pour eux. Mais, pourquoi pas. Si vous pensez avoir quelques pistes pour alimenter un cours, je veux bien me prêter à l’exercice. A la seule condition, que ma mission première passe avant. Je laisse mes coms branchés. S’il y a la moindre alerte je devrai répondre présente. Surtout lorsque nous sortirons d’hyperespace aux abords de Dùralas V.

- Bien sûr, évidemment. Le travail avant tout. Et si vous n’avez pas la réponse à leur question, et que le sujet est trop indiscret pour vous, n’hésitez pas à le leur dire, je les préviendrais de cette possibilité.

La louve termina alors son repas et se leva de table.

- Je commencerai la leçon dans une heure, le temps de faire la demande de financement et de les préparer. Nos quartiers sont au deuxième pont, le B-776 pour ce qui est du numéro de porte. Au plaisir de vous y voir.

La jeune femme salua l’hybride et quitta la cafétéria, non s’en avoir réprimander Aldaron cette fois, qui avait déposer une pelure de banane derrière lui, ce qui avait causé la chute d’un autre enfant qui revenait avec un plateau-repas. La professeur força le jeune Elfe à ramasser son gâchis avant de quitter le réfectoire avec le groupe.

    Sholma fit un petit signe de tête à la professeure. Une heure, cela lui laissait le temps de faire sa ronde afin de vérifier que tout était en ordre. Elle déposa son bol et quitta la cantine. Enfin un peu de calme. Généralement elle était seule dans l’espace ou, lorsqu’elle faisait partie des Enfants de la Lune, accompagnées d’une ou deux personnes relativement peu loquaces. Chacun était bien souvent en train de vérifier ses armes ou piloter les vaisseaux qui les emmenaient en mission. Donc effectivement, elle était peu habituée aux bruits, à part peut-être les vrombissements de ses moteurs poussés à pleine puissance.

    Elle parcourut les coursives du vaisseau aux couloirs d’un blanc immaculé. Régulièrement, elle voyait un droïde de nettoyage qui s ‘accrochait aux parois et faisait sa petite danse pour retirer le peu de crasse qui s’y était accumulée. L’environnement était très sain. Peut-être avaient ils redoublés d’effort sur ce sujet afin d’accueillir des enfants à leur bord. A moins que ce ne soit la procédure habituelle vu qu’il s’agissait d’un vaisseau ayant également la fonction de faire voyager des délégations diplomatiques de planètes en planètes. Le navire devait alors garder un certain standing. Elle arriva au poste de pilotage. Le capitaine n’était pas présent mais le navigateur qu’il l’avait accueilli était bien là, face un une console de commande. Elle se racla la gorge et il se retourna avec un grand sourire.

- Ah ! Vous voilà. Le vaisseau ronronne comme un chaton, nous devrions arriver vers Dùralas V dans trois heures, comme prévu.

- Lorsque vous y serez, soyez vigilants et déployez tout de suite les boucliers. On ne sait pas ce qui pourrait nous tomber dessus. La zone est vraiment dangereuse.

    Les muscles du navigateur semblèrent se tendre alors Sholma ajouta :

- Simple mesure de précaution, nous ne sommes pas vraiment une cible intéressante aux yeux des pirates, mais mieux vaut prévenir que finir en poussière dans l’espace.

    Les yeux du navigateur se baissèrent jusqu’à ses pieds. Visiblement, la djöllfuline avait un don pour rassurer les gens.  Elle lui donna alors une tape sur l’épaule.

- S’il y a quoi que ce soit, je suis là. Avec l’arsenal que j’ai embarqué, j’ai de quoi détruire un croiseur léger.

    Cela sembla un peu le rassurer. Mais pas suffisamment. Elle vérifia alors les armes du vaisseau et effectivement, il avait lui aussi de quoi se défendre. Si les pirates les attaquaient pour X ou Y raisons, ils auraient fort à faire et ne s’en sortiraient probablement pas sans un bon nombre de pertes.

    Avec elle, elle possédait une clé contenant quelques logiciels permettant de détecter si les ordinateurs avaient été infiltrés par un virus. Après avoir reçu l’autorisation du navigateur, elle l’inséra dans l’une des consoles de commandes. Elle parcourut les fichiers du vaisseau et fit divers analyses mais ne détecta aucune trace d’infiltration par un logiciel malveillant. Cela sembla encore rassurer le navigateur qui la remercia pour son travail.

    Elle continua ensuite sa ronde, vérifia que tous les systèmes étaient branchés, accomplissaient leur rôle et se rendit jusqu’à la salle des machines. Elle croisa quelques techniciens qui s’étaient posé la question de sa présence. Lorsqu’elle leur avait répondu qu’elle était là pour la sécurité, ils eurent l’air un peu décontenancé. Mais Sholma accompli son travail et vérifia tous les systèmes et en particulier les contre-mesures en cas d’IEM. Il était possible de protéger les systèmes en cas d’attaque de ce genre et heureusement, le vaisseau en était pourvu. L’électronique n’allait pas beaucoup souffrir s’ils étaient victime d’une telle arme.

    Finalement, sa ronde dura presque une heure et elle eut juste le temps de prendre l’ascenseur qui menait aux niveaux supérieurs. Pendant l’ascension, elle sortit le couteau du jeune stryge et joua avec machinalement en tentant de trouver le point d’équilibre et en le faisant tournoyer sur son pouce en donnant l’impulsion avec son index. Elle continua lorsqu’elle marchait dans les couloirs, pensive, jusqu’au lieu de rendez-vous donné par la professeure. La menace du système de Dùralas V n’était pas à prendre à la légère. Là où il y avait de l’argent en circulation, il y avait des tensions. Surtout lorsqu’il s’agissait du matériau le plus recherché de tout Stàralas. Elle rangea son couteau lorsqu’elle arriva au lieu de rendez-vous et toqua. En attendant qu’on vienne lui ouvrir, elle vérifia que ses oreillettes étaient bien branchées sur toutes les fréquences, notamment celles internes au vaisseau.

Fahima avait laissé trente minutes de repos à ses élèves. Elle profita de l'occasion pour appeler le directeur de l'établissement scolaire sur son holokit.

- Bonjour Fahima. Y a-t-il un problème avec l'un de vos élèves ?

- Non monsieur le directeur. En fait, j'aimerais savoir s'il est possible d'augmenter les fonds de la mercenaire Sholma ? J'aimerais l'embaucher pour un cours de biologie et de sociologie en attendant notre arrivée à Stellaraë C.

L’hologramme de l’homme dans la cinquantaine démontra qu’il semblait réfléchir.

- Bon très bien, informez-là que 50 000 crédits supplémentaires seront ajoutés à son solde final. Si elle demande plus, faites moi signe.

Le directeur raccrocha directement après sa réponse. Fahima profita du temps restant pour construire un document informatique sur la biologie Naga et Djöllfulin, qu'elle remettrait à ses élèves une fois la séance de questions terminée.

Après la demi-heure promise à ses élèves, la louve les réunit dans la salle commune et leur expliqua le cours du jour. Fahima leur laissa de nouveau trente minutes afin de préparer leurs interrogations. Lorsque Sholma vint toquer à la porte, elle invita l'hybride à entrer et lui présenta ses élèves.

- Sholma, je te présente Aldaron, Uruyendë, Yako, Zagh, Brainton et Canjan, que tu connais déjà.

Chaque enfant saluait l'hybride de la tête en entendant son nom. Aldaron et Uruyendë, les jumeaux Elfes, se ressemblaient comme deux gouttes d'eau, hormis la différence de genre bien évidemment. Les deux avaient les cheveux blonds dorés et les yeux vert forêt. La fillette avait les cheveux plus longs que son frère, seule façon de différencier les deux enfants aux oreilles pointues. Yako était une fillette aux cheveux noirs, rasé d'un côté et long de l'autre. Elle avait les yeux sombres et bridés également. Zagh, lui, était un gamin roux aux cheveux bouclés et aux yeux noisettes. Brainton, un enfant géant, dépassait déjà ses camarades d’une bonne tête et demie. Il avait des cheveux bruns à l’épaule et les yeux bleus. Ne restait que Canjan. Le stryge noir, voyant qui était l’invité du cours, se renfrogna. Certes, Fahima leur avait donné le nom de l’hybride, mais les enfants ne semblaient pas avoir fait le lien jusqu’à son arrivée.

- Alors, comme promit, et j’espère qu’ils s’y sont tenus, les enfants ne sont pas censés avoir écrit de questions malaisantes pour toi, mais si tu ne veux pas répondre à une question, c’est ton droit. Ah et ça, c’est ce que t’avais promis. Mais on en reparlera plus tard si tu veux.

La Professeure tendit un papier à l’hybride, indiquant le montant accordé pour le cours. Elle reporta alors son attention vers les enfants.

- Bon, qui veut commencer ?

La fillette Elfe leva aussitôt la main et, avec l’accord de la louve, commença.

- Dites-moi, madame, vos écailles, si elles tombent, est-ce qu’elles repoussent ?

- Moi j’peux ravoir mon couteau … s’il vous plaît ?

Fahima fusilla le jeune stryge du regard.

- Canjan, je te prierais d’attendre ton tour avant de prendre la parole. De plus, Sholma t’as clairement dit que tu ne le récupérerais qu’à la fin du voyage. Et encore, je crois plutôt que c’est moi qui le récupérerais rendu là, parce que je vais avoir deux mots à dire à tes parents. Désolé Sholma, s’il pose trop la question, lança la Professeure en portant son regard sur l’hybride. S’il gène trop, je le retirerais du cours, ne t’inquiète pas.

    Sholma ne s’attendait pas à aussi peu d’élèves. Finalement, cette sortie se faisait en petit comité même si elle avait aperçu d’autres classes se promener dans le vaisseau. Il faut dire que les places étaient limitées. Il avait fallu prévoir des aménagements particuliers pour loger tout le monde alors évidemment, il n’était pas possible d’accueillir tous les élèves de l’établissement du niveau de ceux que gérait Fahima. Elle regarda chaque enfant en mémorisant les noms. Elle avait déjà oublié cependant qui était Aldaron et Uruyendë. Elle en souffla deux mots à la professeure qui lui donna un moyen mémo-technique pour les reconnaître : la longueur des cheveux. Effectivement, c’était l’unique différence entre les jumeaux. Sinon leurs deux visages androgynes se ressemblaient à s’y méprendre, difficile de deviner qui était qui. Par ailleurs, en grandissant les différences s’accentueraient certainement. Mais au vu de la longévité des elfes, ce ne sera pas avant plusieurs dizaines d’années. Elle s’attarda alors sur chacun des enfants, en essayant de mémoriser leurs noms et les associer aux visages. Canjan sera probablement le plus simple à retenir au vu de sa faculté à se faire remarquer. D’autant plus qu’il était un stryge noir, race dont Sholma se méfiait encore plus que les autres et celui-ci ne faisait que confirmer ses préjugés.  

    Elle écouta ensuite les explications de la professeure avant d’en venir au plus intéressant : combien elle serait rémunérée pour cet extra. Sholma contint tant bien que mal sa surprise. Ses yeux s’écarquillèrent en voyant le montant de sa prime qui dépassait largement les honoraires de sa mission. C’était trois fois plus que ce qu’on lui payait pour assurer la sécurité du vaisseau. L’établissement faisait vraiment preuve de générosité, elle ne manquera pas de remercier Fahima lorsque le moment sera venu. Finalement, elle reprit ses esprits lorsque les élèves commencèrent à poser leurs questions. La première était tout à fait intéressante. Cependant, elle n’eut pas le temps de répondre que Canjan lui coupa la chique en demandant à récupérer son couteau. « Au moins, il a dit s’il vous plaît », pensa la djöllfuline. La professeure le recadra et Sholma ne jugea donc pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit, elle répondit alors à la question posée par l’un des Jumeaux :

- Oui, elles tombent régulièrement pour laisser place à des nouvelles. Par ailleurs, je ne suis pas couverte entièrement d’écailles et beaucoup de naga changent complètement de peau.

    Brainton demanda à son tour :

-Les nagas ils sont longs comment ?

    Sholma n’était pas une spécialiste des nagas, néanmoins, elle tacha de lui répondre par rapport à sa propre expérience :

- De ceux que j’ai vu, certains peuvent faire quatre voir même cinq mètres de long je dirais.

    Le jeune géant parut impressionné, cela représentait en termes de hauteur, plus que ses congénères adultes. Canjan leva la main. Finalement, il semblait savoir se tenir lorsqu’il voulait.

-Vos ailes sont toutes petites, comment vous faites pour voler ?

    Sholma s’attendait à une question concernant les petites ailes qu’elle avait dans son dos. Evidemment cela était très intriguant d’autant que ni les nagas ni les djöllfulin n’en possédaient.

- Elles me servent seulement comme impulsion pour sauter ou me déplacer plus rapidement lorsque j’en ai besoin. Elles m’ont été greffées suite aux conséquences d’un accident de vaisseau. Ce sont en réalité des ailes de drachets.

    Sur ces mots, elle les déploya sous les regards ébahis des enfants, hormis Canjan qui sembla souffler un "c'est nul". Zagh, quant à lui, leva timidement un doigt. Sholma se tourna vers lui et fit un signe de tête.

-Est-ce que vous pondez des œufs ?

    La question était assez directe et elle en fut un peu surprise mais finalement elle répondit avec une pointe d’amusement :

- Moi, non. Je tiens de ma mère, majoritairement, qui était une djöllfuline. Alors non, je ne ponds pas d’œufs. En revanche les nagas eux en pondent mais, une fois sortit de leur coquilles, ils allaitent également leurs petits tout comme les mammifères.

    Elle balaya la petite classe du regard. Certains, peut-être un peu trop timides, n’osaient pas poser de questions. En tout cas, la mercenaire se prêtait au jeu et cela s’avérait être plutôt amusant de se confronter aux regards plus ou moins innocents des enfants.