- Quand tu veux, vul’sol !

Eyara, perchée au sommet de l’une des plateformes du chapiteau permanent du Cirque avec quelques-uns de ses animaux et en tenue d’entraînement, attendait le signal musical de Petit Tambour pour commencer leur entraînement hebdomadaire. En effet, la maman avait instauré une routine lorsque la famille n’était pas en déplacement : deux jours par semaine, elle et l’adolescent venaient pratiquer leurs prochains numéros pour la tournée. Mivian, son apprentie satyre, restait là également avec les autres enfants. Isobel et Naomi regardaient régulièrement leur mère adoptive avec des étoiles dans les yeux au lieu de jouer. Mais l’arlequine les considéraient encore trop jeune pour participer sur la scène. Damian ne semblait pas vouloir s'intégrer aux différents spectacles, hormis pour donner un coup de main à la préparation des bêtes, mais s’avérait avoir un certain talent à manipuler le bois, alors la rouquine lui gardait quelques retailles de ces œuvres afin qu’il s’exerce à sa façon. Un petit couteau en main, le brunet était donc assis dans les gradins et tentait de sculpter l’un de ces fameux morceaux. Quant aux jumelles, désormais âgées de dix-sept mois, et bien, il fallait dire qu’elles gambadaient beaucoup, voulant explorer les moindres recoins. Heureusement que la maman pensait à leur apporter des jouets pour faciliter la surveillance de la satyre auprès d’elles.

Alors que l’adolescent lui faisait signe qu'il était prêt, l'arlequine eut une quinte de toux somme toute assez violente qui dura quelques secondes. Il fallait dire que depuis qu’elle s'était rendu en Perracie pour filer un coup de main contre la Convergence, la jeune femme en était revenue changée : son teint avait pâlit, son caractère un brin plus agressif, mais surtout, un goût plus prononcé pour le sang … liquide vermeille qu’elle venait de cracher dans un mouchoir au passage. Il était clair que la renarde couvait un sale truc, mais quoi ? Des recherches s'imposaient et, heureusement, Stellaraë possédait une plus grande bibliothèque que l’Institut de magie. Eyara qui repoussait toujours ce genre de sortie familiale, pensa qu’elle n’avait plus vraiment le choix. La rouquine n’aurait qu’à confier les jumelles à leur grand-mère pendant ce temps.

L’harenienne glissa son mouchoir dans sa manche et fit signe à Petit Tambour qu’il pouvait reprendre. Pas question d’inquiéter les enfants plus qu’il ne le fallait, bien que les garçons et Isobel avaient compris qu’un truc clochait. Le flûtiste finit par porter son instrument à ses lèvres et commença à jouer sa mélodie.


Le premier geste de l’arlequine pour ce numéro fut d'utiliser l’un de ses decks spécialement acheté pour le Cirque, invoquant de petites créatures bipèdes jouant de la musique avec l’adolescent, suivant le moindre de ses mouvements de danse également, formant une jolie harmonie musicale. La jeune femme s’élança ensuite dans le vide, accompagnée de sa ménagerie, virevoltant dans les airs avec eux. Le but du jour n’était pas forcément un nouveau numéro complet, mais plutôt de peaufiner leur rythme commun et tenter de nouvelles acrobaties. Sans compter travailler son don d’aéromancie, point essentiel du spectacle. Tandis que Petit Tambour jouait avec passion et précision, la mélodie résonnait dans tout le chapiteau, créant une ambiance mystique et énergique. Eyara, désormais suspendue dans les airs, ferma brièvement les yeux, laissant la musique de l’adolescent l’entourer et l’inspirer. La présence de ses animaux dans les airs lui donnait un regain de force, malgré cette faiblesse étrange qui semblait grignoter peu à peu ses propres forces. Avec un geste habile, l’harenienne invoqua un nouveau courant d'air pour se propulser plus haut et amorça une série de vrilles rapides, ses cheveux flamboyants créant une traînée rousse dans le sillage de ses mouvements. À chaque saut et pirouette, la renarde envoyait de brèves bourrasques pour ajuster sa position, donnant l'impression de glisser avec aisance dans les airs.

Sur le côté de la scène, Mivian observait, les yeux brillants d’admiration et d'envie. L’apprentie espérait qu’un jour, elle aussi serait capable d’atteindre la maîtrise d’Eyara, mais, timide comme elle l’était, la jeune argali n’osait faire le pas vers les numéros d’acrobaties. Naomi et Isobel, quant à elles, ne quittaient pas leur mère adoptive des yeux, fascinées par la grâce avec laquelle la jeune femme virevoltait. La petite cornue s’avança même un peu trop près de la piste, mais sa sœur vampire posa doucement une main sur son épaule pour l’empêcher de trop s’approcher.

Cependant, la fatigue commença à rattraper Eyara. La jeune femme sentit ses forces vaciller alors qu'elle tentait une figure complexe, et une fraction de seconde d'hésitation suffit pour que l’arlequine perde légèrement le contrôle de son sort d’aéromancie. L’harenienne chancela dans les airs, manquant de peu de se heurter à l’une des plateformes. Heureusement, Petit Tambour réagit vite, ayant remarqué son souci. Il ajusta son rythme, jouant une mélodie plus douce et apaisante, pour permettre à Eyara de reprendre son souffle et de retrouver son équilibre. Rassemblant ses dernières forces, la rouquine termina son enchaînement avec grâce, effectuant une ultime pirouette avant de se laisser retomber sur une plate-forme, soulagée de sentir la stabilité sous ses pieds. Le numéro n’était pas parfait, mais la jeune femme avait réussi à maintenir l'illusion d'une prestation fluide, dissimulant ses faiblesses aux enfants.

Le flûtiste lui adressa alors un signe de tête, son regard trahissant une pointe d’inquiétude. Eyara lui répondit par un sourire léger pour le rassurer, bien que son teint pâle trahissait la fatigue. Tandis qu’elle se redressait, l’arlequine vit Damian la regarder avec attention, le regard grave. La maman savait que les enfants s’inquiétaient, même s’ils n’osaient rien dire. Il devenait évident que l’harenienne ne pourrait plus repousser sa visite à la bibliothèque de Stellaraë, et que des réponses s'imposaient pour comprendre ce qui lui arrivait.

Eyara descendit avec souplesse de la plateforme et rejoignit les enfants, essayant de dissimuler sa fatigue sous un sourire rassurant. Isobel et Naomi coururent vers elle, fascinées, tandis que Mivian, plus en retrait, surveillait les jumelles qui exploraient les recoins du chapiteau après avoir à nouveau abandonné leurs jouets.

- Alors, ça vous a plu, mes trésors ?

Naomi hocha vigoureusement la tête, mais son sourire s'effaça vite. Elle leva les yeux vers sa mère avec une moue inquiète.

- Maman, pourquoi tu tousses beaucoup ? T’es malade ?

L’arlequine ressentit un pincement au cœur face à la sincérité de la question. Elle savait que les enfants avaient remarqué ses faiblesses récentes, même s’ils ne comprenaient pas vraiment ce qu’elles signifiaient. Se penchant pour prendre la petite djöllfuline dans ses bras, la jeune femme lui dit doucement :

- Peut-être, ma chérie. Parfois, on ramène avec nous des choses qu'on ne voulait pas vraiment. Mais je vais m’en occuper, d’accord ? Rien ne peut m’arrêter, tu sais bien.

Petit Tambour, qui les avait rejoints, observa la scène avec une expression d’inquiétude mal dissimulée. Il connaissait bien les signes de fatigue de la renarde, et il avait remarqué le changement dans son comportement depuis son retour de Perracie. Un regard échangé suffit à comprendre qu'il la surveillerait de près. L’harenienne inspira profondément et hocha la tête, acceptant le soutien sans mot dire.

Son odorant, bien que plus faible depuis son retour, capta alors une odeur familière. Holy était visiblement ici, mais Eyara ne dit aucun mot à ce sujet. Petit Tambour se trouvant dos à l’entrée du chapiteau, la maman décida de laisser son amie faire une surprise de sa présence au garçon.