Le jour du solstice d'hiver, Sylsilscesth fut rappelé au Temple. Il devait se présenter devant les plus hautes instances. Plusieurs idées lui traversèrent la tête. Il pensa aux possibilités négatives, comme le fait que sa quête deviendrait trop intense ou attirait trop l'attention sur eux et aux positives, comme le fait qu'il devait être félicité et avoir plus de moyens de continuer sa quête. Pour les deux cas, il élabora des plans, soit de poursuite de son œuvre, soit de mieux se cacher pour continuer. Peu importait la raison de cette convocation, rien ne le ferait reculer après tant d'investissement.
Il rentra donc à son foyer la veille de son audience. Il souhaitait se préparer et apparaître dans les meilleures conditions. L'impression ne serait guère favorable s'il se présentait en haillons, couvert de la boue des marais et fatigué de ses périples. Il put ainsi aller prier, rendre hommage au Basilic, se nettoyer de fond en comble dans les catacombes parcourues par une fraîche rivière souterraine et se lustrer les écailles. Lorsqu'on vint le chercher, il était donc aussi rutilant qu'impressionnant, ayant revêtu ses plus honorables robes de prêtre. Sans un mot, la tête haute, glissant dans un silence presque parfait, il suivit le disciple chargé de le guider dans des couloirs qu'il connaissait déjà par cœur. C'était une tradition et une sécurité. Elle apparut ridicule aux yeux de Sylhsilscesth. Il ne comptait pas s'enfuir dans l'enceinte même du Temple et cette distraction privait certainement le jeune Naga d'une leçon nécessaire.
Arrivés devant de hautes portes en bois sombre, gravées et vernies avec un goût exquis, le guide du prêtre se courba et s'en fut, peut-être un peu plus rapidement qu'il n'aurait du. S'il n'avait pas un rendez-vous à honorer, le prêcheur l'aurait repris gentiment. Il attendit alors, immobile comme une statue, les mains dans le dos, la queue enroulée autour de lui. Aucun tressautement, tremblement, signe extérieur ne venait trahir une quelconque nervosité. Dans ce genre de situation, il faisait preuve d'une fatalité bienvenue. Il arriverait ce qu'il arriverait, s'en inquiéter avant n'aurait aucune incidence sur la situation. Il serait bien assez temps d'ourdir des plans quand il aura les informations.
Les portes s'ouvrirent vers l'intérieur, apparemment sans que quiconque n'y ait touché. Le prêtre savait que quelques représentants de sa race étaient doués de magie et se demanda l'espace d'une seconde s'il s'agissait de cela. Toujours selon une tradition qu'il avait appris sur le bout des griffes depuis sa plus tendre enfance, il attendit que les portes, d'une effroyable lenteur, soient totalement ouvertes pour se mettre en mouvement. Il glissa tout aussi lentement, d'un pas de cérémonie, vers une table circulaire derrière laquelle se trouvait différents représentants des Hommes-Serpents. Le meuble attira un moment l'attention du prêtre. Une longue pièce de marbre formant la lettre humaine C, l'ouverture pointée vers lui, posée sur de petits piliers semblables aux pièces les plus faibles de ce jeu ridicule sur un damier où on dirigeait une armée fort peu efficace. Puis il leva les yeux et examina ceux qui lui faisaient face.
Il y avait là un Homme-Lézard à l'air redoutable, un Naga portant capuche mais aux jambes humaines, il semblait avoir tout fait pour pouvoir s'intégrer au maximum parmi les autres races mais dégageait une aura qui mettait même Sylhsilscesth mal à l'aise, puis au bout de la table, une prêtresse à qui il avait déjà eu à faire, Srishti, magnifique et redoutable. Examinant rapidement leurs comportements, il pencha rapidement pour une décision plus bénéfique que pour des remontrances, même s'il restait prudent. Après plusieurs minutes de silence que ni le prêtre ni ses supérieurs ne brisèrent, le Naga à la tête couverte prit la parole d'une voix doucereuse, envoûtante et qui semblait glisser dans les oreilles comme du miel sur la langue. Il provoqua immédiatement l'envie de Sylhsilscesth qui se jura de s'entraîner jusqu'à en être capable.
- Prêtre Sylshilscesth. Vous n'avez eu de cesse de procéder à des rituels, dans et en dehors de ce Temple. D'aucuns rapportent que vous en avez vous-même récolté les fruits tandis que d'autres affirment qu'ils étaient à la gloire de notre Seigneur.Il y eut un moment de silence, le temps pour le Naga de digérer les informations et probablement dans l'intention de le faire réfléchir et angoisser. Quoi qu'il ressentit, il garda un visage inexpressif, focalisant son attention sur la suite de la rencontre qui déterminerait certainement son futur, glorieux ou catastrophique dans son ordre.
- Qu'importe qui a raison, tous ou aucun. Nous vous observons depuis très longtemps.Il aime ses pauses. Je suppose que ça marche sur d'autres esprits plus impressionnables. Il faudra que je m'en souvienne.- Dorénavant, vous ne serez plus Prêtre. Vous serez Haut-Prêtre du Temple du Basilic. Vous êtes des nôtres et l'avez prouvé.Pour la première fois depuis qu'il avait été rappelé, le cœur du Prêtre... Non, du Haut-Prêtre maintenant, avait connu des soubresauts. Il avait cru se faire rétrograder pendant un instant, puis une fraction de seconde plus tard, il s'était senti extatique de sa nouvelle promotion. Des années il l'avait espéré. Jamais il ne l'avait réclamé. Et maintenant, on lui offrait.
- Vous m'honorez. Je m'en montrerai digne.Les premières paroles qu'il avait prononcées depuis qu'on était venu le chercher dans ses appartements. Visiblement les derniers puisque ses sup... Ses collègues repartaient déjà par le fond de la salle. Sans doute aurait-il l'occasion de deviser avec eux plus tard. La cérémonie voulait aussi qu'il reparte par où il était venu afin de boucler cette partie de sa vie et d'entamer dignement la nouvelle après avoir réalisé et s'être fait à l'idée.