Dire que la Caverne mystérieuse, plus particulièrement la région de Dasikon Teràs intéressait le royaume vampire serait un euphémisme.

Au sein du territoire Dúralassien, aucune autre région, Wystéria exclus, n'offrait un tel intérêt scientifique. La raison pour laquelle Faustus Fortuna, archimage et chargé des Laboratoires royaux, avait alloué un pourcentage loin du ridicule à l'endroit était simple ; les dinosaures -en plus de rendre Saint Sobek très joyeux- recelaient en eux des traces de magies préhistoriques.
Êtres énigmatiques au cœur des théories concernant l'évolution des espèces qui agitaient le Monde, les composants récupérables sur ces spécimens étaient aussi précieux à l'analyse qu'à la revente. Qui plus est, le projet d'ériger une collection au musée royal de la capitale vampire nécessitait grande observation des dinosaures.

Le problème était que seuls des individus entrainés à la survie en des conditions extrêmes pouvaient espérer survivre ici. La rareté des espèces présentes s'accordait à leur férocité et capacité à accorder même au plus valeureux des aventuriers un combat inoubliable. Ou une mort atroce.

Ses Frelons, garde royale d'élite comptant les assassins qui avaient déménagé de Lédéhi jusqu'ici pour suivre leur Ombre de cœur, accompagnaient parfois les académiciens et scientifiques de Faust en la caverne. Mais même les drogues et enchantements administrés -excessivement- aux Frelons ne les rendaient pas immunisés à la charge d'un tricératops.

Dans un soucis de diminution des pertes et peut-être de plaisir personnel, Styx convoqua un jour ses troupes d'élite pour leur annoncer que les missions en direction de la Caverne étaient suspendues. Retrouver Bob en purée, avec des vélociraptors qui lui picoraient les entrailles avait été la goutte qui avait fait déborder le vase très peu profond de sa patience.
Lui et Faust se rendraient donc en Dasikon Teràs pour recueillir des données suffisantes à établir une formation adéquate.

- Sous forme de manuel puis d'épreuves écrites, ou de journées de pratique, on sait pas encore Sylvie. D'autres questions ?
- Non parce qu'on m'avait quand même promis deux jours minimum de travail depuis la maison. Et si c'est un jeudi je dois emmener Vladimir chez le précepteur d'escrime.

Après avoir catapulté Sylvie jusqu'à Wystéria, où tout le monde l'espérait grandement, ses ragots de bureau intéresseraient les populations locales et où personne ne la cannibaliserait, Faust et Styx étaient partis.

Sur la route qui les séparait de l'endroit, alors que la calèche en ébène et en or tirée par des étalons Spelunciens allait bon train, Styx interrompit Faust dans sa lecture. Une pipe d'herbe fumante à ses côtés dans la banquette d'en face, il se fendit de mouvements frénétiques joyeux en lâchant des "Oh oh mmmhh".

Tandis qu'un sirupeux liquide rosâtre filtrait d'un des nombreux tuyaux qui arpentaient la tente de Sobek Elpoemer Grey, installée à une distance raisonnable de la caverne mystérieuse, et que Faust, assis à une table parcourait les entrailles d'un utahraptor de mains gantées, Styx fumait la pipe devant son établi alchimique. Diverses notes face à lui représentaient le corps humain, tandis que d'autres détaillaient des formules mathémagiques en des courbes et spirales élégantes. Il y avait là la réponse d'Axe, aussi, sur laquelle était collée un post-it "échec des Styx Kat chez les LG ?".

Lors de sa progressive ascension au trône Speluncien, et avant les temps qui lui avaient fait bénéficier du soutien de Holy Lorca en tant que régente Lycane, le Dévoreur avait employé tous ses moyens techniques au profit de sa future nation. Et vice versa.
Lorsqu'il n'était encore qu'un arlequin bariolé, son âme s'était tournée vers des sphères de conjectures folles, et, par des sabbats d'une violence inouïe la réponse aux interrogations des cabales noires avait peu à peu trouvé forme en le Massif. Styx n'avait jamais dissimulée son affiliation aux groupuscules souterrains qui meuvent la surface de leurs doigts fantomatiques, mais il s'était toujours gardé d'élaborer leur objectif.

D'une mine concentrée, le vampire aux cheveux rouges dont la blancheur de peau accentuait le maquillage coloré mélangeait un sang noir, goudronneux, au distillat préhistorique, et remuait lentement sa fiole.
La réaction stable de la décoction lui arracha un sourire de requin.

Au delà des aspects évidemment sociaux de la science vampire, qui avait permis l'érection d'aqueducs et donc d'un système d'égouts en Château-Rouge, le progrès du royaume, divisé entre diverses entités académiques convergeaient vers la découverte de vérités bien moins scolaires. Au centre de la toile des recherches se trouvaient des sociétés secrètes qui rêvaient de voir se concrétiser de bien sombres prophéties.
Un dévoreur transcendant sa condition par l'ingestion d'un Dieu, par exemple. L'avènement d'un soleil noir, et l'éclatement des principes physiques.
L'âge des Astres, et la mort des vérités terrestres.

Tandis que le roi vampire faisait passer son résultat à son majordome, celui-ci, comme convenu, versa la potion dans l'animal. Au niveau du cœur là où les incisions avaient laissé la cage thoracique vide d'un carré parfait, et le pauvre dinosaure, les membres solidement fixés à des chaînes, avait vu sa peau relevée par un nombre d'aiguilles remarquables. La bête n'était pas tout à fait morte, mais dire qu'elle vivait serait cynique. Une vivisection jusque là bien menée.

De leurs yeux nus, ils purent voir les battements rendus lents par les anesthésiants du cœur de l'utahraptor s'accélérer aussitôt la solution administrée. Faust avait piqué la bête au niveau du cou, là où les plus importantes artères se concentrent et où le cuir est plus facile à pénétrer, pour un résultat immédiatement observable.
Le sang noir se répandait au travers des poumons, transformant sur son passage l'anatomie intérieure d'un dinosaure en jungle effrayante. Un chaos de couleurs hallucinées remplaça le rouge habituel des organes, et à divers endroits, comme l'estomac, on pouvait observer des mouvements lents. Les parasites d'un dévoreur qui se frayaient un chemin jusqu'à l'essence même de leur hôte.

La gueule maintenue par des crochets émettait alors un râle fatigué, tandis que les yeux clos par les drogues s'ouvraient brusquement. Les iris jaunes viraient au noir, et comme on retenait sa respiration en observant les battements cardiaques, on constata avec une joie silencieuse que celle-ci retrouvait sa normalité après le choc initial.

Ce fut l'ouverture précipitée de la tente royale, toute de soie noire, qui fit basculer l'expérience. Comme entrait un des Frelons dans son armure lourde d'acier noir serti d'or, le bruit sembla déclencher une frénésie absurde chez le sujet qui se mit à hurler. Ses membres commencèrent à remuer ses entraves, et il battit par deux fois des crocs avant que Styx ne lui enfonce les griffes au niveau de l'œsophage.
Les sujets devaient donc incuber dans un environnement sans aucun stimuli extérieur.

Le chevalier resta impassible face au spectacle, n'émettant qu'une respiration inquiétante de l'intérieur de son casque dissimulant son visage, et attendit que le dinosaure fut silencieux pour parler :

Ils prirent la route, sans monture car il ne disposait d'aucune bête capable de rester attelée sans servir de repas aux espèces locales, et arrivèrent peu avant la lycane aux abords de la jungle intérieure de la Caverne. Cet écosystème était absolument incroyable, pensa-t-il comme il attrapait de la main un scarabée plus gros que son poing pour l'observer.

Ce fut en regardant ses chevaliers, au nombre de quatre, prendre congé pour retourner à leur campement avec des instructions très précises quant à comment détruire leur dernière tentative de développer les larves de dévoreur, qu'il aperçut au loin la Manticore de son ancienne partenaire de crime.

Tandis qu'il rendait le regard fixe à sa monture dont la magnificence le laissa imaginatif quant à ce qu'il en ferait si elle était sienne, Styx sautilla sur place en agitant le bras vivement en direction d'Axe.

L'herbe aidant, Styx qui lévitait à présent -ayant décidé que la position debout était trop éreintante- plongea toute son attention dans les yeux vides de miséricorde de l'animal. Pendant un court instant des bribes d'une autre existence, la sienne ou celle de la bête il ne saurait le dire, se déployèrent en de fulgurantes images.

La gueule de lion, aux traits félins exagérément menaçants, dégoulinante de bave comme le goût âpre du métal se répandait sur ses papilles. Une geôle de colère sourde, un enfer de privations.

L'énumération des ingrédients entamée par sa camarade venait s'échouer en des échos disparates parmi ces songes bestiaux ; griffe d'utharaptor,  dent de smilodon, lame de faucheur, plume d'archéoptéryx, boule d'ankylosaure. Une liste qui, au cours de ses itinérances alchimiques, s'était présentée à lui en la version opposée du fameux remède au poison le plus puissant qu'il existe. Pour ceux qui convoitaient la recette du Crachat de l'infecté, connaître les composants de son remède était naturel.

Axe avait donc été blessée, pire, infectée par une lente et douleureuse agonie. Dans certaines pièces de Château-Rouge, loin des ailes principales et profondément enterrées sous la demeure royale, les cabales s'essayaient à reproduire le fameux crachat. Sobek Elpoemer Grey n'avait que peu de temps pour témoigner la souffrance des cobayes, mais il lisait attentivement les rapports scientifiques a propos des dosages et de l'évolution séquentielle liée aux expérimentations.  
Nécrose des tissus, gangrène des muqueuses, assèchement des rétines, cécité, perte des repères spatio-temporels, septicémies, et autres joyeusetés avaient été des termes consignés de manière récurrente.

Quittant ce regard qui l'apaisait, par ces fentes d'où semblait se déverser un enfer de bestiales extases, Styx alla de la Manticore jusqu'à Axe, puis d'Axe jusqu'à la Manticore. Posé en tailleur à un bon mètre au-dessus du sol, comme ses vêtements pourpres, pleins de losanges rosés, laissaient flotter leurs luxueux satins au vent de la caverne, il tapotait un ongle acéré sur son menton.

Axe avait peut-être disparue depuis trop de temps pour que Sobek Elpoemer Grey ne puisse exactement mettre ses griffes assassines sur ce qu'il ressentait vis à vis d'elle auparavant, mais, au cours de ses aventures personnelles, le Dévoreur avait développé une certaine vision du Monde.

Les oppositions, comme les amitiés, sont de fluctuantes et sensibles structures. Assujetties au temps et aux humeurs elles ne sont que des variables pour tout esprit prudent ; aimer, haïr, vont de paire. Ce qui en revanche revêt un caractère enfantin, agréable, est -à la manière d'une bonne pipe chargée d'herbe- de se souvenir d'avoir jadis partagé la camaraderie.

Elle l'avait tué, et cela lui procurait ce sentiment éphémère de joie et de camaraderie. Quiconque désire évincer la louve devait soit comploter avec lui (et le laisser porter le coup fatal) ou aller se faire foutre.
Le cas échéant, Sobek Elpoemer Grey se chargerait personnellement d'envoyer quelque projectile en direction du coupable. Physique ou métaphorique. Pourquoi pas les deux ?