Le djöllfulin devait avouer, pour avoir déjà visité la région avec la troupe du cirque, que les contrées elfiques ne manquaient pas de charme. Oh, n'allez pas croire que notre illusionniste se laissait bercer par les histoires doucereuses des peuplades magiques, des contes de fées et de tout le baratin qui l'accompagnait. Simplement, redécouvrir les endroits où la nature était présente à son état le plus sauvage se révélait intéressant. Rowtag avait ainsi la sensation de renouer avec une partie ancestrale. Cette rage bouillonnante contenu en son être et qui l'avait extirpé de sa geôle quelques années auparavant, par exemple...

Par ailleurs, puisque nous parlons des instincts meurtriers, le cambrioleur n'avait pas quitté son logis citadin simplement pour respirer l'air forestier. Il travaillait depuis quelques temps sur une arme terrible qu'il se languissait de mettre au point. Les rouages de son génie machiavélique s'étaient mis en branle pour la conception de ce prototype...inspiré tout droit de l'artisanat de son peuple. Urgaal'Mar en serait témoin, cette oeuvre serait des plus mortelles ! Seul bémol, et cela tracassait notre cher cornu depuis des mois : un ingrédient spécial manquait. Une pièce bien particulière, introuvable sur les marchés, pourtant immenses, de Stellaraë, et d'origine insectoïde. Pourquoi diable pas l'un de ces commerçants ne parvenait à dénicher l'objet de sa convoitise alors même que certains étaient prêts à tout pour faire fortune, jusqu'à même braver les interdictions de ces satanés zéphyriens pour dégoter la substance rare ? Ces guêpes "géantes" étaient-elles donc si dangereuses ?

Quoiqu'il en fut, le cambrioleur s'était apprêté sobrement pour ce voyage, car il ne voulait pas que le moindre coupe-jarret ne vienne l'importuné à la vue du premier bout de costume élégant. On ne détrousse pas un détrousseur, cela dit...Ce fut paré d'un simple manteau de cuir et d'un chapeau de même matière (pour camoufler sa nature raciale) qu'il arpentait les bois à la recherche de ses proies.

Sortant un peu du sentier, il s'aventura là où la forêt était plus dense, mais là où les insectes étaient susceptibles de vivre, en se basant sur les informations qu'ils détenaient...Bien, ce n'était que le début d'après-midi, ce qui lui laissait du temps pour effectuer ses recherches qu'il espérait ne pas être éternelles. Muni de sa sarbacane, de son ceste, d'une ribambelle de dagues dissimulées dans sa veste et de plus d'un tour dans son chapeau, il avança, aux aguets.

Elijah était venu, comme prévu, rejoindre la matriarche à Endorial pour le plus grand plaisir de cette dernière. Le jeune homme avait montré son potentiel et la Charlotte comptait bien en profiter. Le plan était aussi simple que l'accord qu'ils avaient passés. En plus d'une part sur le butin, Elijah aurait droit à une compensation pour son déplacement, une très large compensation qui, la vieille âme l'espérait, suffirait à corrompre un peu plus le jeune homme. Afin de servir au mieux cet objectif, la matriarche était partit seul pour cette chasse qui ne méritait qu'on dérange les bonnes affaires du Ruby entier.

Là, dans cette taverne, Charlotte briefa le jeune homme sur leur quête.

- Comme je te l'ai dit à BaldorHeim, nous venons ici récupérer du venin d'guêpe. Bon, t'imagines bien qu'on s'est pas taper Sylfaen pour quelques guêpes, elles sont... un peu spéciales... Elles sont géantes pour tout d'dire, voilà! Ah, mais t'inquiète pas, j'te dis qu'on s'ra assez d'deux! Puis t'es devenu plutôt balèze non?!

Plus tard, ils partirent de la ville, en direction de l'endroit que son informateur avait désigné, mais non sans louer une monture. La matriarche insista évidemment pour avoir une licorne mais, l'espèce étant protégée, finit avec un cerf et laissa le choix à Elijah pour celle qu'il voudrait. Une fois éloignée d'Endorial, la matriarche ne se gêna plus pour se plaindre des elfes.

- Non mais franchement! J'ai du m'taper une malédiction sur six générations pour espérer garder un peu de ma jeunesse et éviter d'crever comme une vielle incontinente, et r'garde ceux là! Si c'est pas dégueulasse... J'en ait même entendu se plaindre en plus! T'en penses quoi toi des elfes? T'es pas dégoûté d'devoir crever aussi vite?

En amazone sur son cerf, Charlotte avait tout l'air d'une riche bourgeoise de Stellaraë qui visitait les lieux accompagnée de son garde du corps, du moins si l'on retirait l'accent de pirate qu'elle prenait volontiers en compagnie d'Elijah.

Progressant avec parcimonie dans les fourrées, Rowtag inspectait le moindre recoins d'ombre afin de discerner un indice sur ce qu'il cherchait. Il fallait dire que plus il continuait à s'enfoncer dans la forêt, moins il était rassuré de cette entreprise. Était-il bien raisonnable de s'aventurer de la sorte, seul, en quête de monstres farouches ? Cette appréhension grandissait également à mesure que son esprit foisonnait des images sur ce que pouvaient être ses cibles. Les nids de guêpes étaient déjà des architectures parfois impressionnantes, alors si elles étaient géantes, allait-il tomber sur de véritables cavernes ? Si c'était le cas, au moins, il n'allait pas passer à côté !

Découvrant une petite zone un peu plus dégagée, où trônait en son centre un vieil hêtre, le djöllfulin se plut à jouer les elfes des bois et grimpa sur ses branches. Ce point de vue en hauteur lui permit d'observer le panorama, afin d'y déceler de précieux indices dans le paysage, du moins, c'était ce qu'il espérait, mais décidément, il ne percevait à l'horizon qu'une masse verte opaque. Déçu, un peu abattu, le cornu commença à se demander ce qu'il faisait bien là. Ce fut alors qu'en levant les yeux au ciel, il aperçut l'un de ces elfes, probablement une sentinelle zéphyrienne, perchée sur la cime à le regarder. Prenant peur une fraction de seconde, il se ressaisit et tenta de briser la glace, malgré le cocasse de cette rencontre.

-Ah!...Bien le bonjour ! Dîtes-moi voir mon brave, à tout hasard, connaîtriez-vous l'emplacement des guêpes géantes en ces contrées ? fit-il avec le plus de courtoisie possible. Mais le garde sylvestre n'eut pas la réaction escomptée et ne donna à l'extravagant qu'une expression dubitative pour réponse. Vexé en son fort intérieur, Rowtag descendit aussitôt de l'arbre pour fuir cette situation des plus gênantes et quitta les lieux en pestant dans sa barbe sur les oreilles pointues. Avait-il dit une bêtise ? Après tout, il supputait que le nettoyage de ces nuisibles pouvaient même leur rendre service ! Bah ! Il ne fallait pas s'étonner que tout le monde trouve les elfes bizarres après ça !

De retour dans la forêt dense, le cornu avait du mal à sortir cet événement de sa tête. Ronchonnant encore, la rencontre avec un cervidé le sortit immédiatement de ses réflexions et il s'immobilisa pour ne pas se faire repérer. Au loin, le quadrupède ressemblait à un étrange petit cerf. Était-il du genre craintif ou agressif ? Impossible de savoir avant d'essayer...Mais pour l'heure, Rowtag restait interdit, à l'épier derrière un tronc. Soudain, d'autres bruits émergeaient de l'autre côté.

- Et comment qu'y'a pire! J'ai une gob'line dans l'équipage, croit moi bien qu'sa vie c'était pas d'la tarte! Enfin, on a tous eut notre misère dans c'bas monde! Et j'dois bien avoué que Pindhuil est bien marrant sur l'Ombre des Côtes, mais bon c't'un elfe noir quoi... C'est qui c'gars là au juste dont tu parles, Kilva?

Charlotte était curieuse d'en apprendre plus sur la vie d'Elijah, ils n'avaient pas eut tant d'occasions de discutés seul à seul. Pourtant, il fallait bien qu'elle en aprenne plus sur la passé du jeune homme si elle voulait espérer s'en servir comme elle le désirait. Un peu plus tard, sur la route, Charlotte marqua un arrêt, faisant signe à son acolyte de faire de même.

- Silence...

La pirate montra une direction à Elijah du doigt puis saisit la carabine derrière son dos avant de mettre en joue ce qui semblait bien être un cerf au loin.  Ajustant, son oeil technophilique à la distance, elle coupa ensuite net sa respiration. L'on entendait plus que les bruits de la foret ainsi les respirations de leurs montures quand le coup partit de son arme. La détonation de l'énergie produit une légère frayeur dans la faune, n'était pas aussi assourdissante que le poudre à canon, tandis que le cerf tomba raide mort.

- Et voilà notre repas! Tu sais cuisiner ces trucs-là dit moi? J't'avoue qu'à part pour le poisson, j'aime autant t'laisser la place, mahahah! Allez, allons-y avant que des charognards n'en profitent!

Ils se dirigèrent vers la proie fraichement abattu sans que Charlotte ne se doute qu'une autre personne était sur le coup.