- Nous devrions acheter les peaux de lapin ! Elles sont d’une blancheur impeccable, c’est plutôt rare ! Nous pourrions les coudre pour en faire des gants ou des chausses !
- Nous verrons ça après un bon pichet de bière, Krakha ! Taika, cela vous convient-il ?

Le Sphenia approuvait l’offre de siroter de la bière à l’ombre d’un arbre, en terrasse du fourré à la myrtille, cette auberge si reconnue de BaldorHeim. Nous étions ici pour venir acheter quelques poules au marché des nains. Non, pas pour les manger, évidemment que non. Ces oiseaux sont de redoutables prédatrices des insectes nuisibles, elles grattent la terre afin de déloger les larves et autres bestioles avec une persévérance qui n’a d’égale que leur stupidité. Je comptais également prendre de la poudre de cacao pour faire des chocolats chauds aux petits du clan. C’est un met rare mais exquis dont tout le monde raffole s’il est bien préparé. Pendant que je comptais les pièces d’or après avoir payé le serveur de la taverne, la voix de Krakha s’esclaffe à mes côtés.

- Par Magnésie, que sont donc ces choses volantes dans le ciel ?

Un long moment de silence règne alors que nous regardons tous les trois le ciel qui est parsemé d’objets volant non identifiés. En plissant les yeux, je crois voir des cloches.

- Je sais que la nature a des trésors insoupçonnés, mais de là à voir des cloches volantes ! C’est incroyable !

Il s’agissait bien de cloches qui se balançaient et dont les carillons résonnaient dans l’air à la manière de celles des églises ou des chapelles. Ce surprenant vol en formation rapproché passe au-dessus de la ville en lâchant des cadeaux encore plus insolites ! Des œufs ! Heureusement, la tonnelle sous laquelle nous nous tenions avait un toit dur, nous étions protégés de ses improbables projections. Peut-être que ce sont des trésors délivrés par des divinités inconnues ? Cela reste peu probable….

- Du papier, trois oignons, des carottes et un peu de laurier, du...

S'interrompant au milieu de sa liste de course, Doemino leva les yeux au ciel comme le tintement d'instruments inhabituels à Baldorheim résonnait au-dessus des rues. Secouant la tête, la Kazharienne leva ses petits poings pour se frotter les yeux. Pourtant, elle ne rêvait pas. Ponctuant de brassements d'ailes le tintamarre carillonnant, des cloches traversaient le ciel à tire d'aile.

- Mais... mais c'est quoi ça ? s'interrogea-t-elle haute voix, stupéfaite.

Quel nouveau maléfice le vieil enchanteur avait-il jeté sur le continent ? Après des volatiles géants trois ans plus tôt, voila qu'il lâchait des nuées d'instruments métallique au-dessus des villes ! Des instruments qui d'ailleurs semblaient laisser choir des...

- Qwak ! s'écria-t-elle lorsqu'un des projectile lui éclata en plein visage.

Aveuglée, Doemino s'efforça d'essuyer la matière gluante de ses cheveux, ses yeux et son nez, toussant et crachant. Elle tituba quelques pas, rebondit sur un pan de mur sur lequel elle s'essuya les mains, puis commença enfin à y revoir clair.

Elle avait les doigts couverts de jaune et de morceaux de coquille. Des œufs tombaient du ciel, largués par l'escadrille de cloches ailées et bombardaient les ruelles. Ses vêtements étaient tous tâchés. Sa liste de commissions s'était envolée. Le mur près d'elle venait de bouger.

La demi-gnome leva la tête de côté, réalisant se trouver devant la taverne la plus populaire de la ville. Elle réalisa aussi que le mur la découvrait avec autant d'étonnement qu'elle en éprouvait à constater que ce n'en était pas un.

- Ho pardon je suis désolée j'ai pas fait exprès je vous avais pas vu je suis vraiment désolée ! s'empressa-t-elle de bredouiller en essuyant du coude - ou plutôt en étalant - le jaune d’œuf maculant la jambe de son vis à vis.

Cela faisait plusieurs mois désormais que l'évènement singulier des cloches volantes et jeteuses d’œufs avait survolé Baldorheim et tout Duralas. Littéralement. Pareil phénomène était inédit et nécessitait d'être couché sur papier pour la postérité et les générations futures.

- Pourquoi s'moi qui doit m'y coller, se lamenta la demi-gnome avachie sur sa chaise rehaussée de coussins. J'étais pas la seule témoin de tout s'bazar.

Soupirant, elle trempa dans l'encrier sa plume séchée depuis belle lurette et, pour la cinquième fois au moins, se pencha sur son rapport avant de s'immobiliser. Par où commencer ? Que dire ? Qu'est-ce qui était superflu ?

Des cloches volantes venues de l'Ouest ont réveillé la ville et ont bombardé les habitants et leurs demeures d’œufs, phénomène plus désagréable que préjudiciable.

Meh

Ce n'était pas avec un tel résumé qu'elle remplirait les doubles-pages que comportait son rapport...