L’elfe ne se souvenait pas avoir déjà voyagé aussi loin. Il avait quitté la Forêt Sylfaën, traversé ces immondes marais, parcouru les Plaines d’Aràn pour enfin atteindre la frontière du Grand Nord. Sa quête semblait vouloir le conduire jusqu’au bout du monde et aucune précaution n’était assez grande lorsque l’on se confrontait à l’inconnu, ça, il était bien placé pour le savoir. Le Nord était un endroit inhospitalier, la neige et la glace s'étendaient à perte de vue si bien que parfois il devait progresser avec une extrême prudence, observant attentivement le sol avant d’y faire avancer sa monture. La faune était elle aussi un adversaire redoutable car contrairement à lui elle était dans son élément.

Le territoire n’avait rien d’agréable et la population se constituait de différents clans Humains qui avait pour habitude de se faire la guerre pour des raisons futiles, une chose assez pour cette race décadente. Ce peuple que l’elfe avait jadis qualifiait « d’éphémère » était animé d’une volonté d’expansion sans limites, cela avait d’ailleurs engendré des guerres à travers les âges, et aujourd’hui cela causait même des conflits au sein de leur propre peuple. Malgré ce regard très critique, il avouait sans peine que sa propre nation n’était pas exempte de ce genre de problème de société, il suffisait de penser aux Elfes noirs ou aux Elfes des glaces que l’on avait tout simplement bannis, loin des yeux loin des flèches. Le bannissement était une solution que l’on pouvait juger plus enviable à celle de se lancer dans des conflits ouverts. D’une certaine manière son destin était comparable à celui de ces peuples plus ou moins déviants, lui aussi avait été banni, pour des raisons différentes, mais la finalité n’en restait pas moins similaire. Plutôt que de l’affronter, on l’avait envoyé dans un cachot sous-terrain où le soleil lui-même n’osait pas s’aventurer. Depuis son évasion l’elfe n’avait pas encore repris contact avec son peuple, il peinait aussi à quantifier la durée de son emprisonnement, mais avec ce qu’il avait d’ores et déjà pu voir au fil de son périple, l’heure était grave. De toute sa vie, il n’avait jamais croisé autant d’Homme. Au sein même de la forêt de Sylfaën, sa terre natale et celle de ses ancêtres, ils avaient apposé leur marque. Tel qu’il l’avait annoncé par le passé, les frontières de sa nation avaient bel et bien reculé face aux autres.  

Cette pensée fit naître une profonde tristesse en lui, malgré le froid il retira un de ses gants et observa longuement les lignes finement tracés sur sa main et ses doigts. Il avait renoncé à une partie de lui-même pour sauver les siens, toute sa vie n’avait été que dévotion pour son peuple, il avait tant perdu, et tout cela pour quoi finalement ? Rien.  
Il donna une légère talonnade à son cheval et renfila son gant, il avait beau avoir des sensations amoindries, le froid était bien présent, il aurait été dommage de provoquer les éléments en étant si près du but. L’elfe continua sa lente progression le long des Fjords.  

Sa venue n'était pas un hasard, l'orsqu’il fut emprisonné, il avait été ordonné de rassembler toutes ses études sur l’art des ombres, par la suite le tout fut déplacé en secret et mis sous protection magique dans un endroit si reculé du royaume Elfique et si hostile à toute forme de vie que jamais personne ne serait en mesure de remettre la main dessus. Cependant, toutes ces précautions n’empêchèrent nullement O’lendÿl d’emprunter le bon chemin. Il existait un lien très fort entre lui et le livre qu’il avait si longuement étudié, peut-être était-ce dû au sortilège et à ce qu’il avait fait pour tracer les lignes qui parcouraient son corps... Lui-même n’était pas capable de l’expliquer, mais il comptait bien travailler sur ce problème une fois ses “outils” retrouvés. Il était sans doute le premier Elfe à s’essayer aux magies oubliées depuis longtemps, certains effets étaient tout bonnement inconnus, ou peut-être préférait-il ne pas les connaître... Chercher l’ouvrage et ses notes était similaire à suivre un murmure, une complainte lointaine appelant à l’aide, chaque pas en avant rendait le murmure un peu plus perceptible. Le temps était inéluctable, il pouvait dévorer la nature, ronger le fer, mordre l’acier et réduire la pierre en poussière, mais jamais il ne pourrait faire taire un murmure.