Nom : Nero Vorsiken. Mais il n'utilise que rarement ce nom de famille appartenant à un passé révolu. Quant au prénom sous lequel il est né, il ne s'en souvient plus.

Âge : 102 ans.

Sexe : ♂

Race : Vampire Omega. De ceux à qui le baiser de la mort n'a pas réussi.

Classe envisagée : Après plusieurs années passées dans un monastère, il s'ouvre à la voie des pugilistes.

Métier envisagé : Fabricant de potions, pour soigner vos maux ou les aggrager. Y a pas de quoi.

Capacité magique : Connaisseur en herboristerie.

Mode hardcore : Non.

Mante religieuse, phasme, branche de saule séchée, squelette ambulant, les surnoms s’accumulent dans le sillage de ce vaisseau décharné. Si vous aviez en tête l’idée préconçue du vampire à l’irrésistible beauté ténébreuse, le prince de la nuit à qui personne ne résiste, ôtez-vous ça de la tête. Nero n’est qu’un mètre quatre-vingt de silhouette rachitique. Des os longs recouverts d’une fine couche de chair pâle. Son corps est d’une froideur cadavérique, et le peu de muscles qu’il possède (le minimum requis afin de déplacer sa carcasse) a la rigidité de la mort. Autant dire que n’importe quel contact physique en est particulièrement déstabilisant pour les vivants.

On le voit généralement déambuler dans des vêtements amples afin de dissimuler sa maigreur – de toute façon, tout tissus paraît flottant sur son corps longiligne. Pantalon et chemise de lin, ainsi qu’un manteau ou une cape de voyage. Nero se munit également d’un masque sous forme d’un bandana qu’il noue derrière sa nuque, très utile lorsqu’il doit interagir en gardant sa nature vampirique secrète ; en effet, cela évite à ses longues canines d’être visibles lorsqu’il parle. Ce simple bout de tissu lui a permis d’éviter bien des ennuis et des paniques générales en pleine ville.

Malgré son air maladif, le vampire bouge avec une grâce et une légèreté déconcertantes. Quelque chose à voir avec sa nature ? Son entraînement de pugiliste ? Probablement un peu des deux. Et bouger, il a tendance à le faire beaucoup. Bien qu’ayant une élocution chaotique ou exubérante, ses gestes sont expressifs, et en disent souvent bien plus que ses mots. De la même manière, son visage est la plupart du temps un livre ouvert. Emacié, il est souvent gêné par ses mèches noir charbon, et affublé d’un menton pointu. Ses grands yeux sont soulignés de profonds cernes sombres. Et pourtant², ces prunelles noires abritent encore une étincelle qu’il a réussi à garder de son vivant. Une chaleur qui prend racine dans son humanité perdue, et qui a survécu à sa mort.

Sa voix correspond à peu de choses près à celle d’un jeune homme qui approche de sa trentaine. La sienne est étrangement rauque, légèrement éraillée par moments. A l’image de son corps, elle est fatiguée, usée. Elle s’est brisée et reconstruite plus d’une fois.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Nero casse un mythe – celui des vampires. Si les Alphas devaient avoir une raison de le mépriser, ce serait bien à cause de cela, car en fin de compte, il ne représente pas une menace sérieuse pour eux. C’est un fait plutôt évident au premier abord. Il n’est pas rare de le voir sursauter, balbutier dans ses moments de surprise. Son anxiété se lit facilement dans ses intonations, ainsi que dans ses gestes, ses longues mains décharnées qui se tiennent l’une à l’autre et dont les ongles entaillent parfois la peau. Nero est nerveux, mais il ne se soigne pas. Enfin, un peu quand même : il est herboriste, et vous auriez tort de croire qu’il ne se sert pas de ses talents pour concocter des mélanges… relaxants qui se retrouvent ensuite dans son vieux calumet. Il vous dira que c’est médicinal, ce qui n’est pas totalement faux. De toute façon, c’est lui l’expert, il n’est pas obligé de vous dire le contraire.

Ses apparences craintives ne sont pas que des apparences ; il craint le monde lorsque le soleil brille, il craint la nuit car les vampires en font leur royaume, il se craint lui-même car il en est un. Les fenêtres aux volets non clos peuvent virer à l’obsession, même pendant la nuit, même s’il ne saura jamais vous dire pourquoi avec des mots clairs. Pas plus qu’il ne saura expliquer pourquoi il ne parle de lui-même qu’à la troisième personne, même si dans son élocution hachée, on perçoit également une grande vivacité d'esprit qui sort souvent sous forme d'un humour inattendu. De toute façon, si vous commencez à lui demander pourquoi il fait certaines choses qui paraissent insensées ou dérisoires, vous devriez vous asseoir et prévoir plus qu’une soirée.

Ses humeurs du moment (peur, tristesse, mélancolie) sont des mots dans un livre ouvert, mais ses intentions peuvent se dissimuler plus aisément. Il n’était pas comme cela avant, il le sait. A croire que le vampirisme l’a doté d’une certaine capacité à mentir, à tromper, pour survivre. Nero a tendance à attribuer tous ses travers à cette nature sombre, et assimiler ses côtés humains à la bonté et l’honnêteté dont il est aussi capable. Ces côtés humains qui ont survécu à sa mort, à ses cauchemars, puis à sa résurrection.

Pour toutes ces raisons et particulièrement la dernière, beaucoup de vampires ne l’apprécient pas. De toute façon, Nero les déteste, lui aussi. Il ne comprend pas en quoi ils peuvent se sentir si fiers d’être damnés à tuer pour l’éternité sans jamais être rongé par le remord. Porter le vampirisme en couronne, quelle drôle d’idée. Mais après tout, les pires d’entre eux n’ont jamais été humains. Ils vivent, respirent et règnent par le seul moyen qui vaille la peine à leurs yeux : par le sang. Le pire réside peut-être dans le fait que Nero les comprend. Cette sensation de froid et de vide que la mort lui a laissée, et qui ne s’atténue que lorsque le sang coule. Pas le sien, celui des vivants, celui qui détient la chaleur, la paix et le réconfort dont il manque. Ce goût du sang qui lui fait parfois perdre la raison et basculer dans une obscurité qui l'empêche de penser, et ne l'autorise qu'à chasser, à tuer, jusqu'à ce qu'il reprenne enfin contenance. Toujours trop tard pour changer quoi que ce soit au destin de ceux qui ont croisé son chemin cette nuit-là.

3 août de l’an 726

La vie au monastère a été bouleversée. Mes frères et moi avons accueilli les réfugiés de Kastel-Gorm, dont la population aurait été presque entièrement décimée par un éboulement dans l’ouest du Baldor. Seulement, à l’arrivée des survivants, aucune ecchymose, aucun blessé grave. Du moins en apparence. Les symptômes se sont alors déclarés chez l’un des enfants. Puis chez l’un de mes frères. Fièvre, toux, hallucinations, sueurs… La maladie a emporté l’enfant et le vieil homme en quelques jours.

Plusieurs autres cas sont à déplorer. Des réfugiés et moines sont désormais dans un état grave. Les moines encore saints, dont je fais partie, s’organisent pour instaurer une zone de quarantaine. Je sais que je ne devrais pas mais… j’en veux à ces gens de ne pas nous avoir prévenus du mal qui les rongeait, et qui ronge désormais ma communauté. J’espère de tout cœur que nous parviendrons à surmonter cette épreuve.


18 août de l’an 726

La situation nous échappe. Trois de mes frères ont déjà perdu la vie dans cette épidémie. Le monastère est lui-même devenu une zone de quarantaine, notre propre piège, notre propre tombeau. Nous brûlons les corps, mais cela ne suffit pas à endiguer la maladie. Mes connaissances en herboristerie, ainsi que celles de mes confrères, rencontrent leurs limites. Tout semble perdu.

4 septembre de l’an 726

Aujourd’hui, nous avons reçu de l’aide extérieure. Une petite caravane de voyageurs menée par une guérisseuse répondant au nom de Gheata. En cette situation de crise, cela aurait dû m’enchanter. Pourtant, quel est ce sentiment de colère que je ressens envers cette femme qui dirige tout selon ses propres envies ? Bon gré mal gré, j’ai travaillé à ses côtés en gardant en tête le bien-être des réfugiés et de ma communauté.

Elle est excellente. Elle connait son domaine, chaque plante, chaque racine, chaque champignon, et quels maux ceux-ci peuvent guérir si les éléments sont savamment combinés. Ce domaine est aussi le mien, mais l’étendue de son savoir est vertigineuse. Elle me met en rage. Il a suffi qu’elle débarque pour que la situation se stabilise, alors que tous mes efforts ont été vains. Demain, je la laisse s’occuper des enfants et je pars veiller sur les malades installés à l’opposé.

15 septembre de l’an 726

J’ai grandi dans ce monastère, et je n’ai que rarement fréquenté la gente féminine. Sont-elles toutes aussi arrogantes et distrayantes ? Il faudrait que je sorte d’ici pour le savoir. Ce n’est pas faute de le souhaiter. Cela me permettrait de m’accomplir bien davantage en tant qu’alchimiste, tout comme Gheata s’est accomplie en tant que guérisseuse. Un envoûtant effluve de plantes la suit constamment. Elle dit avoir beaucoup voyagé, particulièrement dans l’est et le centre de Dùralas. Elle a connu le péril, l’aventure et la fascination du voyage. J’aimerais en connaître autant.

Cependant, mes confrères sont ma famille. Le monastère et les montagnes sont mon univers connu. Je ne peux leur tourner le dos. La solitude face au vaste monde me fait peur.

26 septembre de l’an 726

L’épidémie s’essouffle, grâce aux remèdes de Gheata et aux nouveaux gestes de prévention qu’elle a transmis à la communauté. J’ai fini par apprécier nos échanges, même si j’ai beaucoup plus appris d’elle qu’elle n’a appris de moi. Elle semble malgré tout heureuse et enchantée de son séjour au monastère. Je ne lui ai pas dit, mais je regrette d’avoir été hautain avec elle à son arrivée. Elle a sauvé plusieurs de mes frères, et ce qu’il reste des réfugiés de Kastel-Gorm. Je trouve d’ailleurs certains moines bien ingrats ; l’hospitalité ne leur fait pour l’instant pas défaut, mais insidieusement, ils font comprendre à Gheata que sa présence prolongée ici est malvenue, et qu’elle devra partir dès que les risques de regain en force de l’épidémie seront écartés.

Durant la journée, nous œuvrons ensemble afin d’aider nos patients à se rétablir. C’est une femme insouciante, joviale, solaire. Lorsque la nuit tombe cependant, elle devient anxieuse, tendue. Je la vois regarder avec angoisse par-delà le mur d’enceinte depuis les fenêtres hautes perchées. Je sens que quelque chose l’effraie dès que le jour commence à décliner. Mais ses craintes fondent comme neige au soleil dès que l’aube refait son apparition.

Elle s’intéresse aux activités de notre communauté : notre routine précative, les plantes que nous faisons pousser, l’hydromel qui fermente dans les caves du monastère… Mais surtout, elle s’intéresse à notre art martial, le pugilat. Elle m’a demandé de lui en apprendre quelques mouvements, mais les règles de la communauté m’interdisent d’enseigner cela à une femme.

2 novembre de l’an 726

J’ai négligé ce carnet durant quelques mois. Les malades sont désormais sur pieds, et Gheata dit avoir achevé sa mission ici. J’ai peur de la voir repartir seule dans les montagnes. La nuit semble toujours la rendre extrêmement nerveuse ; son séjour en ces lieux calmes et dépourvus de la moindre violence n’a rien changé à cela. Malgré mon refus de lui enseigner notre art martial, elle semble désireuse de s’attarder encore un peu en notre compagnie. Enfin, en ma compagnie, devrais-je dire ? Elle ne passe son temps libre qu’avec moi. Je me sens flatté, privilégié. Je me sens bien.

Elle m’a exposé une idée : que je fasse semblant d’être malade pour qu’elle ait une raison de rester. Son audace ne cessera jamais de m’abasourdir. Quelques mois auparavant, mentir ainsi à ma communauté m’aurait paru intolérable. Pourtant, j’accepte de le faire, pour elle, pour qu’elle reste.

18 novembre de l’an 726

Gheata est partie ce matin. Je me rends compte que cela n’est pas seulement lié au comportement ou à la volonté de mes confrères ; elle serait partie quel que soit ce que nous en pensions. C’est un esprit libre. Autant essayer de retenir le vent entre ses doigts.

Elle m’a demandé de la suivre, mais j’ai refusé. Ma place est ici, la sienne est dans le reste du monde. Qu’irais-je y faire ? Réaliser mes ambitions ? L’idée me fait trop peur. Gheata va me manquer. Mais je n’ai pas eu le temps de lui dire cela.

22 novembre de l’an 726

J’aurais dû lui enseigner quelques mouvements de pugilat, comme elle me l’avait demandé. Elle est partie aussi seule qu’elle est arrivée, sans autre défense qu’une dague dans sa botte. Je suis conscient qu’elle ne m’a pas attendu pour vivre sa vie, mais je regrette. Je devrais peut-être partir sur ses traces.

14 mars de l’an 727

Gheata est revenue. Elle a tambouriné aux portes du monastère, qui se sont ouvertes pour l’accueillir. Elle m’a tout avoué : elle est traquée par un vampire. Elle n’a pas été mordue, mais je crains maintenant que ce monstre ne passe nos portes. Je crains pour la vie de mes frères. Je crains pour la vie de Gheata.

20 mars de l’an 727

Le jour de son retour au monastère, nous sommes partis avant l’aube. Rien qu’elle et moi. Je veux la protéger, et je veux protéger mes frères de cœur. Je peux faire cela en m’éloignant d’eux, et en restant auprès de Gheata. Nous sommes actuellement dans un refuge, près de la petite ville de Lodmuri. Gheata veut quitter les montagnes froides pour se rendre à Stellaraë. Elle semble convaincue que le vampire perdra notre trace ou abandonnera la traque si nous mettons assez de distance entre lui et nous. J’espère qu’elle a raison.

11 avril de l’an 727

Nous avons rejoint une caravane de marchands en route pour la grande cité. Nous sommes un peu plus rassurés, désormais. Nous nous relayons tout de même pour dormir. La première nuit, nous avons fait couchette à part. Désormais, Gheata s’endort toujours dans mes bras, sous la même couverture. Sans ce danger permanent qui nous guettait, je me serais endormi à ses côtés, le visage dans sa chevelure de feu. Cela aurait été la meilleure sensation du monde. Je veux tout faire pour que cette paix rêvée devienne réalité.

25 juillet de l’an 727

Stellaraë est splendide. Du moins, de ce que nous voyons de loin. Nous résidons dans les faubourgs de la ville, là où les médecins se font plus rares et où Gheata et moi pouvons jouer leur rôle. Les pauvres âmes n’ont que peu de pièces à donner, et nous faisons partie de cette masse désormais. Parfois, je doute d’avoir pris la bonne décision. Mais je finis par arrêter de douter lorsque je regarde le visage de Gheata. Dévouée, passionnée, forte. Je crois qu’au fond, j’ai toujours voulu lui ressembler.

2 Octobre de l’an 727

Après des mois dans la poussière des faubourgs, tout s’est enchaîné très vite en quelques jours. Le fils d’un riche marchand de passage était extrêmement malade. Ses hommes sont venus nous trouver en catastrophe, alors nous nous sommes rendus à leur caravane. La vie de l’enfant était effectivement en danger. Mais le voilà sauvé. Et nous avons été récompensés au-delà de nos rêves les plus fous.

Cela nous a permis de nous rapprocher du centre de Stelleraë, et d’y acquérir une petite échoppe à rénover où installer notre commerce. Le minuscule étage nous servira de chambre. Je me suis rarement senti aussi fier, satisfait. Aussi heureux. Le vampire n’est plus qu’un mauvais souvenir : nous avons fui suffisamment loin. Et puis, Gheata est à mes côtés. J’ai l’impression de pouvoir tout affronter.

16 novembre de l’an 727

L’échoppe se nomme La Panacée. Gheata voulait une appellation plus longue et fleurie, mais il fallait que cela reste simple et facile à retenir. Encore une fois, beaucoup de choses se passent en peu de temps. Nous en apprenons tous les jours, et nous avons beaucoup à faire. Lorsque je ne suis pas plongé dans mon travail et Gheata dans le sien, c’est avec elle que j’aime passer mon temps, parler de tout, de rien, parfois jusqu’au bout de la nuit. A l’avenir, je pense négliger un peu ce vieux journal. Je ressens de moins en moins le besoin de coucher mes pensées sur le papier. C’est pour le mieux.

3 janvier de l’an 728

J’adore expérimenter dans la pièce nous servant de laboratoire avec Gheata. Nous n’allons certainement pas breveter notre nouvelle création, mais le résultat m’enchante. Un flacon déversé dans les égouts, et tous les rats de la ville sont devenus roses. Ma fiancée est beaucoup trop fière d’elle. Moi aussi.


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Debout dans la pénombre de ce qui semblait être un ancien atelier, Jael fronça les sourcils et continua de tourner les pages jaunies du vieux carnet. Les paragraphes étaient souvent séparés entre eux par des croquis, des dessins plus ou moins élaborés mais toujours d’une justesse et d’une sensibilité touchantes ; des plantes, des paysages montagneux. Et une femme à la longue chevelure caressée par le vent. Il s’agissait sans doute de Gheata. Mais ce ne fut pas ce qui retint le plus l’attention du jeune homme ; Après la date, du 4 mars 732, un flot de taches rouge sombre maculait le papier et noyait les mots. En tant que boucher, le jeune homme était bien placé pour savoir de quoi il s’agissait.

Un frisson remonta le long de son dos. Le sang avait traversé le dernier tiers des pages du carnet, bu par le papier. Mais l’éclaboussure avait aussi rendu illisibles beaucoup de passage antérieurs qu’il avait donc dû sauter. Sans pouvoir détacher ses yeux de cet objet qu’il sentait pourtant maudit, Jael tourna les pages d’un rouge brunâtre. Par-dessus le sang séché, le papier avait parfois été noirci à nouveau par la plume. L’écriture était différente. Moins de courbes, plus d’angles et de lettres serrées les unes contre les autres.

Le goût du sang a changé. L’odeur aussi. Ils sont devenus attrayants. La seule chose véritablement capable de m’apporter la paix dans ce monde. Maintenant qu’elle n’est plus là…

Là, l’encre s’était effacée, rendant la suite illisible. Jael passa au prochain passage clair.

Cette nuit me hante. Son cri résonne encore dans mon esprit. Cet instinct sombre me tourmente. Il me tuera. Je n’y arrive pas.

Plus aucune date. Seules des bribes de pensées qui ne s'inscrivaient plus dans le temps. D’un geste sec, Jael revint au tout début du carnet afin d’y trouver le nom de son propriétaire sur la première page. Darius Vorsiken.

« Jael ? »

Il sursauta de plusieurs centimètres lorsque la voix bourrue s’adressa à lui dans son dos. « Quoi encore ? »

« Combien de temps je devrai encore attendre que tu viennes m’aider à décharger la charrue ? Ça fait bien une heure que t’es là-dedans. Tu te souviens au moins qu’on est là pour emménager la nouvelle boutique ? »

Jael cligna des yeux. Il n’avait pas vu le temps passer, mais il fit à peine attention à la remarque. Son regard froncé bondit du carnet jusqu’à l’encadrement de la porte, plusieurs fois. « Dis… Quand le maire t’a refilé ces quatre murs pour une bouchée de pain, il a précisé quoi que ce soit ? »

« Tu veux qu’il ait précisé quoi ? »

« Ben j’sais pas… Un détail ou deux sur l’histoire de l’échoppe ? Les anciens propriétaires ? »

Son frère aîné éclata de rire. « Qu’est-ce qu’on en a à secouer ? On l’a payé une misère cette échoppe, c’est ce qu’il faut retenir. En même temps j’comprends, c’est un taudis. Mais rien qu’on puisse pas rénover nous-mêmes. »

« Je crois qu’on devrait pas, Odric. On devrait trouver autre chose. »

« Quoi ?! Tu plaisantes ? On l’a enfin, notre commerce ! Tu vas pas te dégonfler maintenant qu’on a saisi l’opportunité ? »

« Non, mais… Je crois qu’il s’est passé quelque chose de bizarre ici. Quelque chose de grave. »

« Ah ouais ? Quoi ? »

« Quelqu’un est mort. »

Un silence plana un moment entre les deux frères. Jael se sentait stupide, mais pas moins mal à l’aise de se tenir dans cette pièce. Odric semblait plus sérieux et enclin à écouter, mais il n’en démordrait pas, son jeune frère le savait.

« Qu’est-ce qui te fait dire ça ? »

Pour toute réponse, Jael lui montra le carnet imbibé d’un vieux sang séché. Odric le fixa un instant, puis releva les yeux.

« Même si c’est vrai, où est le problème ? On va redonner vie à cette échoppe. Faire honneur à ses anciens propriétaires, qui que ce soit. Et puis, de quoi t’as peur ? Des fantômes, des esprits ? Les lieux sont à l’abandon depuis belle lurette, qu’on m’a dit. Personne a rien remarqué. » Il donna une tape virile sur l’épaule de son frère. « Allez va, ne te fais pas de soucis ! Je sais que c’est intimidant d’avoir sa propre affaire, mais je suis là pour t’apprendre à gérer, d’accord ? »

Jael retrouva le sourire, mais pas son entrain habituel. Il repensait à Gheata, et au moine-guerrier féru d’alchimie. Il pensait au monstre que le couple pensait avoir semé. Selon toute vraisemblance, ils s’étaient trompés.

Darius n’est plus. C’est à peine s’il se souvient comment prononcer ce nom désormais. Nero se voue à pousser ses connaissances en alchimie afin de trouver le remède ultime. La véritable Panacée de ce monde : l’antidote contre le vampirisme. Une cause perdue, lui disent ceux qui sont au courant. Mais ceux qui n’ont pas subi le baiser de la mort n’ont pas à lui dire comment mener cette quête.