I. La main des Triums

A la lumière d’un feu timide, je me découvre entièrement nu, assis à même le sol dans la panse sécurisante de la nuit, le visage incrédule camouflé dans la pénombre la plus obscure. La poussière dans l’air née de l’érosion des murs abandonnés et des statues de pierre retombent comme de minuscules flocons. La longueur de mes vieux cheveux huileux se lient ensemble dans leur immobilité, paressant le long de mes épaules tachés de sang en suivant la verticalité de mon dos mal nourri.

Où je me trouve est sans importance.
Ce que je suis sur le point d’aboutir est vitale.

Par crépitements, la lumière du feu naturel brille encore jusqu’à mes bras constellés de lacérations maladroites. Vingt-six cavités labourées dans la peau ornent cette chair blanche qui n’est plus la mienne. Une vieille tenaille s’accroche à la peau fine de mon avant-bras avant de la retirer fermement vers le haut. Une fois la viande ouverte, la pince continue de bouger ses mandibules de fer, creusant à l’intérieur comme le ferait un porc dans ses ordures. L’orifice reluit et vomit en prenant de l’ampleur, ses extrémités déchirées par morceaux, alors que le vin écarlate s’en échappe. Plus les minutes s’écoulent, plus le sang se mêle à l’odeur nauséabonde de la sueur de mes infections. Et pourtant, les hurlements profonds de l'âme restent suspendues jusqu'au coin de mes lèvres, ma langue rouge maintenue par les assauts de grandes morsures. Je n’ai plus le droit de proférer la douleur. Car je n’existe plus. Je suis à présent un spectre errant dans la vallée. Je suis devenu un pénitent érigé dans le silence, demeurant équanime devant cette souffrance inépuisable.  

L’instrument en cuivre suffoquant à l’intérieur de ma paume tremblante, ce sont les Triums, divinités du mythe Pricifien, qui guident cette main assassine. Car il est écrit que leur devoir réside dans la destruction entière de la beauté des mondes.

Je dois donc commencer par moi-même.

Et face à la douleur cuisante qui m’accable, à l’équilibre de mon monde qui se disloque en minutes, je mis en lumière ma première prière, une écume sanguine peuplant mes lèvres crevassées :

“Voici mon premier sacrement. Alors de mon sang écoulé, vient naître la chaleur et le feu qui vont submerger la beauté des mondes. Ma colère frappera jusqu’à mon dernier souffle car me voici enfin malade et détruit.”