Grimpant avec difficulté dans le chariot, le stryge noir tentait de faire abstraction de la douleur affreuse émanant de la charpie lui servant d’aile droite. Ce foutu traqueur cornu... Il l’avait pisté depuis les montagnes du Baldor jusqu’ici.
Au cours de sa longue vie de criminel, Nergath (car tel était son nom) avait eu affaire à bon nombre de guerriers téméraires ayant juré de lui mettre la main dessus afin de le punir pour tout ses méfaits. Peu importe ses adversaires, il avait toujours réussi à s’en sortir par divers stratagèmes, jusqu’à simuler sa propre mort il y a quatre ans, lorsqu’un peloton entier de kazhariens prit d’assaut son dernier repaire connu.
Mais ce type… Ce type était un professionnel… Il ne lui avait fallu qu’un instant pour le mutiler gravement ; chose qu’une vie de criminalité toute entière n’avait pas réussi à faire. S’il voulait vivre, il allait falloir foutre le camp en vitesse, car son poursuivant ne le louperait sûrement pas la prochaine fois.
Rampant parmi les innombrables marchandises entassés à l’arrière du chariot, Nergath s’avança vers la tête du véhicule d’où émanait des voix. Ses passagers avaient sûrement dû le remarquer, mais qu’importe. Ces crétins devaient sûrement être des marchands itinérants. Ils feraient d’excellents otages, voir des boucliers humains si jamais l’assassin à ses trousses venait à le rattraper. Soudain, après un violent soubresaut du chariot, le drap sous lequel il s’était dissimulé se souleva, le révélant aux yeux de ses hôtes.
Aaaaahh ! Mais qu'est-ce qu'il fait là ?! Je peux savoir qui c'est ?Un gamin ?! Surprit, le stryge se ressaisit bien vite, un rictus satisfait se dessinant alors sur son visage.
Parfait… D’abord une charrette salvatrice et maintenant une cible sans défense et paniquée. Prendre le contrôle de ce véhicule serait un jeu d’enfant. Visiblement, Marisher lui souriait… Comme toujours. Confiant, Nergath s’apprêtait à saisir sa dague accrochée au niveau de ses reins… quant une deuxième voix résonna alors, interrompant le stryge dans son action.
C'est peut-être son chariot ? Rétorqua la femme située derrière le jeune garçon. S'en suivit plusieurs échanges rapides sans queue ni tête entre les "propriétaires" de l'engin.
Excusez-la Monsieur, elle n'est pas méchante, elle ne réfléchit juste pas avant d'agir. Nous allons vous rendre votre charrette, dès que j'aurais trouvé comment arrêter ce cheval. Arrête-toi s'il te plait, allez arrête-toi !Wow... Ces deux couillons avaient pas l'air d'être des lumières.
Y'as... Pas de mal. Vous en faites pas pour moi. Par contre cette charrette elle est pas... Oh et puis merde ! Ne comprenant pas vraiment ce qui se passait (et s'en foutant allègrement), le criminel reprit sa tentative de prise d'otage. Mais au moment où il s'apprêtait à dégainer sa lame...
Que... il s'aperçut avec stupeur qu'elle n'était plus dans son fourreau. Cherchant par de rapides coups d'oeils tout autour de lui, il ne la trouvait pas. Impossible ! Il était pourtant sûr de l'avoir rengainé lorsque l'autre bonne femme s'était mise à jacass...
Eeeh ! Sympa votre couteau ! Je peux le tester ?
Levant les yeux brusquement, Nergath constata avec une stupeur non dissimulée que la femme lui faisant face tenait son arme entre ses mains.
Euuuu... Et bien... Je... Non euuuuu, j'veux dire oui ! Oui bien sûr. Faites vous plaisir...Super ! S'écria Hevoria en se mettant à jongler avec elle, puis la faisant tournoyer, pointe au bout de son index, avant de faire semblant de poignarder Darrö avec, alors que ce dernier peinait à maintenir la trajectoire du chariot.
De la diplomatie Nergath. De la diplomatie. Songea-t-il.
Joue le jeu. Ces deux crétins sont probablement ton ticket de sortie. Mais quand même... Comment cette empaffée s'était-elle retrouvée avec sa dague entre les doigts. Et d'ailleurs... Il n'y avait pas que ça qui était étrange. Elle était franchement louche cette gonzesse. Sa tronche était recouverte de tatouages sortis d'un autre monde. Il n'en avait jamais vu de tels... Pendant ce temps-là, la dite étrangetée, elle, contemplait l'objet avec des yeux ronds comme des billes.
Joli modèle, avec des crans et tout ! La classe ! Soudain, elle décida de se lever, puis s'approcha du bord du chariot qui filait comme le vent. Elle tendit alors le bras vers l'un des parois rocheuses défilants à vive à allure, à quelques centimètres du véhicule, avant d'y frotter la lame qu'elle tenait.
Un immonde bruit métallique accompagné d'une gerbe d'étincelles résonna dans la caverne.
Oups ! MAIS QU'EST-CE QU'ELLE FAIT CETTE CONNASSE !?!?! Hurla intérieurement Nergath en s'arrachant les cheveux.
Meh. C'est pas super solide votre truc par contre. Acheva-t-elle en lui rendant la dague, dont la lame avait été rabottée jusqu'à la garde.
Faudra penser à l'aiguiser. M... Me... Put... Merci... Trop aimable. Bafouilla le stryge, réussissant à se contenir à un fil tout en esquissant un sourire difforme, produit de la volonté de ne pas griller sa couverture mélangé au fait de vouloir lui arracher les yeux scéance tenante.
***
Pour la petite histoire, Hevoria avait piqué ce chariot à une vieille marchande ambulante à la sortie d'un petit village qui essayait à tout prix de lui vendre des trucs dont elle se foutait, la vestale désirant seulement se rendre à la caverne mystérieuse pour aller chasser du gros gibier. Certes, elle aurait pu s'y rendre en un instant grâce à ses portails, mais cela lui enlevait le plaisir du voyage et de ses imprévus. Quoi qu'il en soit, l'ancienne insistait lourdement, jusqu'à se montrer menaçante.
Elle prit finalement la mouche quand la jeune femme lui rétorqua que ses marchandises puaient le hareng (ce qui était vrai). La grand-mère, après avoir insulté l'ascendance de sa cliente... elle tenta alors de foudroyer cette jeune impudente. Non content de ne rien faire à la vestale, la mégère pu bientôt sentir le reste de ses vieux os se briser avant de traverser une demie-douzaine de troncs d'arbres. Comment s'appelait-elle déjà cette sorcière ? Olka ? Olgi ? Non... Non ce n'était pas ça... Bah ! Quelle importance ?
Enfin tranquille, Hevoria grimpa sur ledit chariot, se disant que ce type de traversée la changerait... avant de se rendre compte qu'elle ne savait pas piloter cette chose. C'est alors qu'elle aperçu un jeune garçon au visage familier marcher dans les rues du village voisin.
Peut-être pourrait-il l'aider ?
***
Et voilà comment Darrö et Hevoria se retrouvèrent sur une charrette bâchée propulsée par un puissant destrier à travers d'étroites et interminables galeries perdues au beau milieu de nulle part. Le véhicule filait déjà à vive allure, forçant le stryge à se tenir à une caisse de marchandise, mais cela n'allait pas assez rapidement au goût d'Hevoria. Après tout, pour une fois qu'elle empruntait un nouveau moyen de locomotion, elle avait envie d'en profiter.
Dit ? On peut pas aller plus vite ? Lança-t-elle, visiblement en manque de sensations fortes.
Mais vous êtes malade ?! J'arrive déjà pas à la conduire à cette vitesse !Elle a dit "plus vite" ?Roooooh... Boudant quelques instants, la vestale eu soudain une idée brillante. Darrö ayant le dos tourné, elle claqua des doigts. Immédiatement, une salve d'esprits jaillit de son corps, sous les yeux ébahis du stryge noir, puis prit possession des quatre roues du véhicule avant d'accélérer leur rotation. Sous l'impulsion des spectres, le chariot prit brusquement de la vitesse, forçant le destrier à accélérer la cadence afin de ne pas se faire rouler dessus.
Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah ! Mais qu'est-ce qui se passe encore ?!
Tombant à la renverse à cause de l’accélération, Darrö n’arrivaient plus à contrôler le véhicule, qui filait tel un buffle enragé à travers les galeries. Se relevant tant bien que mal, il vit alors Hevoria, penchée sur le rebord du chariot, le corps à moitié dans le vide et la tête à quelques centimètres d’une des parois de la caverne. Ne s’inquiétant pas le moins du monde de la situation, cette dernière s’esclaffait d’un rire dément venant se mêler au souffle assourdissant de la vitesse plaquant ses cheveux en arrière.
ATTENTION MADAME !!! S’écria le jeune mage en se précipitant vers elle. Arrivé dans son dos, il la tira brusquement par la ceinture, lui évitant de justesse de se faire décapiter par une excroissance rocheuse dépassant du mur. Les deux compères s’écrasèrent l’un sur l’autre, les rires de la jeune femme couvrant les craquements de bois du chariot, ballotté dans tous les sens par l’irrégularité du terrain.
Nergath, lui, était cramponné de toutes ses forces aux rambardes du véhicule afin de ne pas en être éjecté. Récitant ses prières à Marisher, il n’entendit pas qu’une caisse de marchandise glissait de sa pile... avant de s’écraser son crâne, l’assommant net.
Bon sang ! Madame ! Occupez-vous du cheval le temps que je me charge de lui ! S’écria Darrö, sa petite voix tentant de couvrir le bruit assourdissant du vent produit par la vitesse qu’avait atteint leur engin.
Chef, oui chef ! Répondit Hevoria, souriante, tout en se mettant au garde-à-vous.
S’approchant du criminel, Darrö examina son front, sur lequel grossissait dorénavant un hématome violacé déjà large comme un œuf de poule. Le jeune mage apposa sa main sur son crâne avant de diffuser une fine brume blanchâtre qui, lorsqu’elle entra en contact avec la blessure, la fit partiellement diminuer de volume. Ceci fait, le jeune garçon poussa un petit soupir de soulagement, s’accordant quelques instants de répit.
Dit donc... Tu fais ça bien !Merci madame. Mais il va lui falloir un long de rep… Mais ! Mais qu’est-ce que vous faites là vous ?! Qui manœuvre le chariot maintenant ?!Ah ? Tu m’as dit de m’occuper du cheval pourtant. Questionna la vestale en se grattant la tête, perplexe.
Oui ! Qu’est-ce que vous n'avez pas compris alors ?!Bah c’est fait. Du coup je l'ai caressé.MAIS ? MAIS NOOOON ! Quand je vous disais « s’occuper du cheval », ça voulais dire manœuvrer le chariot !Ah !Bon. Pas de panique Darrö. Pas de panique. On peut encore… Mais alors qu’autour d’eux, les murs de la caverne sans fin défilaient à une vitesse vertigineuse, les deux mages tournèrent soudain à l’unisson leur tête vers le canasson, au-devant duquel apparaissait une intense lumière blanche.
Oh… Franchissant cette dernière à toute vitesse, le véhicule pénétra alors dans un endroit à couper le souffle : une immense jungle souterraine au cœur d’une cuvette, au-dessus de laquelle volaient d’antiques créatures, le tout baignant dans une lumière exotique provenant d’on ne sait où.
Splendide… Mais l’émerveillement de nos passagers fut de courte durée, car ils se rendirent bien vite compte que la piste sur laquelle leur véhicule était lancé se terminait dans une vingtaine de mètres… par un immense ravin plongeant tout droit dans les entrailles de cette jungle.
Bondissant comme un seul homme, Darrö tenta de se précipiter vers les rênes, mais… Trop tard ! Les roues arrière se brisèrent au contact d’un nid de poule, catapultant le véhicule ainsi que ses opposants par dessus la falaise.
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!!
AAAAAAAAAAAAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAH !!!