Je m’étais trouvé un petit coin paisible à l’ombre d'un arbre, loin de l'agitation régnant sous le grand chapiteau en ce moment même. En effet, tout le monde courrait en tous sens afin d’être prêts pour le spectacle de ce soir. Evidement, j'avais moi aussi participé aux préparatifs, m'occupant du bien-être des troupes, m'assurant que tout le monde avait ce dont il avait besoin, débriefant sur l’organisation de la soirée afin qu'il n'y ait pas d’embûches dans les loges ou la ménagerie. Mais après l’effort, le réconfort, et maintenant que tout était régler, je pus tranquillement croquer dans une pomme en ouvrant un livre dont le titre promettait une histoire palpitante.

Evidement, c’est lorsque le chapitre devint intéressant qu’un sous-fifre visiblement contrarié se posta devant moi.

« Mi ! S'exclama-t-il alors.

- Oui ? Lui répondis-je en levant le nez de mon livre d’un air suspicieux.

- Mi ! Mi, mi mi mi, mi mi, mi !

- Très bien, j'arrive. »

Je ne pus réprimer un petit sourire amusé devant la créature qui faisait teinter de colère le petit grelot fixé à sa capuche. Traduction, Azriel me demandait et cela faisait un bon moment que le sous-fifre me cherchait. Je refermais ma lecture avant de me lever, pomme en bouche, époussetant ma jupe aux nombreux voilages dans des teintes claires. Elle m'arrivait au-dessus des genoux devant et aux mollets derrière. J'en profitais également pour réajuster mon corset blanc, brodé de fleur rose et bleu dans un style printanier de ma création, qui cintrait un chemisier aux manches exagérément bouffantes de la même couleur que la jupe. Une tenue qu'aucune dame éthiquement constituée ne porterait. Mais une jeune femme aimant le spectacle et les tenues extravagante ? Assurément. Ces couleurs faisaient ressortir mes étranges yeux bicolores et mes cheveux blonds tombant en cascade bouclée dans mon dos.

La louve brumeuse marchait à côté de moi et nous suivions donc la petite créature tintinnabulante jusque sous le chapiteau. Je traversais la piste en évitant les nombreux employés chargés des préparatifs intérieurs avant d’apercevoir notre chef de troupe en grande discussion avec un homme d’âge mur. En m’approchant, je pus entendre des bribes de leur conversation, visiblement, il n’était pas là pour demander des renseignements sur la représentation de ce soir, mais pour le poste à pourvoir au sein du triumvirat. Comment a-t-il pu en entendre parler ? Ce n’était pas vraiment une information facile à se procurer, est-ce Azriel qui lui avait appris ?

J’arrivais à leurs hauteurs tandis que l’inconnu terminait de raconter son histoire. Je n’avais donc pas tout suivi, mais j’avais retenu l’essentiel, ce fut un travail qu’il avait déjà fait et il venait d’une famille de saltimbanque. De prime abord, je ne sentis rien de particulier venant de lui, c’était un humain ordinaire quoique plutôt beau garçon, mais il semblait surtout sincère. Peut-être un peu mal à l’aise en présence du vampire masqué aux yeux d’or, mais n’importe qui le serait à sa place. Si ce dernier m’avait fait venir aussi rapidement, c’est qu’il avait une raison. Mon analyse avait été brève mais efficace, par ailleurs, ce n’était pas un jugement assez fiable pour une telle responsabilité.

« Bonjours, je m’appelle Holy et c’est par moi que passent les nouvelles candidatures avant d’être validée par Azriel. » Me présentais-je, un sourire sympathique sur le visage et ma bonne humeur habituelle.

« Je me suis permis d’écouter un peu votre conversation, j’ai entendu que vous veniez d’une famille de saltimbanque, ce devait être formidable ! Je ne vis pas depuis très longtemps du spectacle et à présent, je n’imaginerais pas ma vie autrement. Je pense que c’est un bon point pour vous en plus de votre longue expérience dans le domaine de la gestion, mais il me semble juste que nous discutions en privée, Azriel et moi, afin de délibérer sur votre candidature, j’espère que vous comprendrez et sachez que je ne doute pas un seul instant de vos capacités. »

Alors nous nous éloignions de plusieurs mètres, hors de portée des oreilles indiscrète.

« Je n’ai rien senti de particulier, il avait l’air sincère et ses précédentes expériences sont un atouts à ne pas négliger. Commençais-je alors, décidant de ne pas y aller par quatre chemins. Mais je ne suis pas sûre que ce soit suffisant pour savoir s’il sera à la hauteur du poste.» Évidemment, j’avais perdu mon sourire joyeux et l’inquiétude me guettait. « Et puis, tu ne trouves pas que s’est un peu précipité ? Après tout, Mélaskholès n’est pas parti depuis si longtemps que ça, et même s’il a toutes les bonnes intentions du monde, ce dont je ne doute pas, on ne connaît pas du tout cet homme. Mais je suis curieuse de savoir ce que tu en penses, une période d'essaie peut être envisageable. »

Si on me connaissait un peu, on pouvait voir que le jeune homme me manquait et que personne ne pourrait le remplacer à mes yeux. Mais je n’en oubliais pourtant pas l’intérêt du cirque, évidemment une hydre amputé d’une tête sera toujours moins efficaces. Les yeux fixés sur ceux d’Azriel, je tentais de déchiffrer ce qu’il pensait alors que j’attendais de connaître son point de vue.

« C'est vrai. Mais nous devons nous rendre à l'évidence, Mélaskholés ne reviendra pas. »

Ces mots sonnèrent creux dans mon cœur, ils étaient durs mais réels comme le départ inattendu du jeune homme avec qui nous avions construit le cirque. Après tout, perdre un membre de sa meute est toujours difficile, son esprit étrange et sa joie naturel me manquait parfois et j’avais passé de longs moments à guetter son retour en vain. Du revers de ma manche, j’essuyais les prémices d’une larme, je pouvais capter les émotions cacher des gens, mais l’étrange et parfois utile faculté d’enfouir les miennes m’échappait.

« Il est vrai que nous ne connaissons rien de cet Oskar. Mais on peut dire la même chose de Zecharel, ou d'Arkos. Et après tout, tu as accepté de me suivre alors que l'on venait de se rencontrer dans une auberge de Kastalinn... Mais je rejoins ton idée de période d'essai, la signature du contrat pourra un peu attendre. Et durant cette période, nous ne serons pas trop de deux paires d'yeux pour le surveiller. »

Je me ressaisis rapidement, un sourire rieur réussit même à se dessiner sur mes traits lorsqu’Azriel évoqua notre première rencontre à Kastalinn. Je compris tout de suite à quoi il faisait allusion, en même temps, il y avait beaucoup d’autres manières plus polies pour se présenter que de demander à la personne pourquoi on avait une envie primitive de lui arracher la tête, mais j’ignorais alors ce qu’était un vampire et les instincts ancestraux avait la vie dure.

Cependant, j’avais toujours eu une très bonne maîtrise de mon côté garou et bien que cela puisse paraître étrange, le vampire était devenu un excellent chef de meute. Je voyais alors où il voulait en venir, nous avions tous été des étrangers au départ et pourtant nous nous étions tous fait mutuellement confiance rapidement et avons appris à se connaître sur le tas.

« Et dire qu’aujourd’hui, je pourrais mourir pour toi … » Murmurais-je alors pensive. « Bien ! Tu as raison, c’est une excellente idée ! Et on ne vous oublie pas messieurs Mi. » Repris-je d’une voix plus forte et d’un ton enjoué tandis que nous nous rapprochions de notre nouvelle recrue.

« Nous avons décidé : nous t'accorderons une période d'essai, et si c'est concluant, tu seras intégré définitivement. Néanmoins, je dois te prévenir : pour un tel poste, nous attendons un certain... engagement. Au niveau du travail, bien sûr, mais aussi à un niveau plus personnel. Es-tu prêt à cela ?

-Merci beaucoup, je ferais tout mon possible pour ne pas vous décevoir. Je suis prêt à faire beaucoup de choses, mais puis-je savoir de quel « engagement au niveau personnel » nous parlons ici ? Non pas que j'ai pas confiance en vous hein ! Mais j'aime juste connaître les détails des tâches qu'on me demande. »

J’eu un petit sourire amusé en voyant le regard perdu d’Oskar, mais je m’empressais de le rassurer, il ne faudrait pas faire fuir notre nouvelle recru …

« Rien de si extravagant, je vous l’assure, mais voyez-vous, et cela ne vous étonnera probablement pas, mais ce cirque n’est pas qu’une simple entreprise à faire tourner, c’est aussi et surtout une sorte de grande famille dans laquelle tous les membres s’entraide. Dans toutes les circonstances. » J’ouvrais grand mes bras en balayant le chapiteau des yeux comme pour lui montrer l’ampleur des liens que formait le cirque tout en prenant soin de bien appuyer ma dernière phrase. Je ne saurais mieux l’expliquer.