La légende des Hommes-Cochons
Les hommes-cochons sont une réalité. Pas un mythe. Tout comme les sanglier-garous. Ou les Rynchotaures.
Tous ne sont qu'une seule et même espèce. Mais s'agit-il d'une mutation aberrante du virus de la lycanthropie ou d'une maladresse de la céleste Magnésie ? Sont-ils des hybrides ou des thérianthropes ?
La réponse à cette question est non. Pour les deux. Il s'agit de victimes. Ni plus ni moins. Les malheureux sont affligés d'une malédiction héréditaire remontant approximativement à six siècles de cela, au début du cinquième âge. C'est Tzengarah lui-même qui dénatura l'essence de leurs ancêtres en représailles de leur défiance. Ils refusèrent son autorité et abandonnèrent leurs terres ancestrales pour éviter son courroux, avant même que le reste du monde ne le connaisse sous le titre de roi-sorcier. Mais cet exode ne leur apporta nul salut comme nous pouvons nous en douter.
Établis à l'Ouest de Kothemba, dans une vallée du nom de Dugohuzo jouxtant le grand marais, les maudits porcins s'isolèrent du reste du monde et n'aspirent qu'à le demeurer. Moqués en raison de leur apparence. Craints pour leur force. Jalousés pour les dons qu'ils se découvrirent. Le reste de Dùralas n'était de toute évidence pas près à la cohabitation et eux ne la désirent pas. Leur seul souhait est de vivre en autarcie sans se soucier de ce qu'il advient du reste du monde.
Les hommes-cochons en général sont très doués pour cultiver la terre. Au sein d'une vallée aride et isolée, ils parvinrent à développer leur engeance, loin des guerres et regards indiscrets du reste du monde, prospérant en autarcie. Également, ce sont d'habiles éleveurs de bétail. Qu'il s'agisse de moutons, volailles ou bovins. Rarement de porc néanmoins pour une raison qui sera abordée ultérieurement.
Les sanglier-garous ont une relation particulière avec les ronces, que leurs mages ont appris très tôt à manipuler et qui sont la raison du succès de leur isolement. La vallée toute entière est cernée d'une épaisse et impénétrable muraille végétale, composée de ronces aux pointes acérées, venimeuses, aussi dures que le fer et résistant au feu, dressées sur presque trois mètres de hauteur. La majorité des explorateurs allant ou venant du marais d'Hukutav se contentent généralement de contourner cette région sans soupçonner sa taille ou l'entière civilisation qu'elle abrite.
Les ronciers ne sont toutefois pas destinés uniquement à cacher leur peuple. En effet, pour une raison inexpliquée, les hommes-cochons éprouvent de terribles difficultés à trouver le sommeil à même le sol. Crainte irrationnelle d'imiter les animaux auxquels ils ont été mêlés, sentiment d'insécurité dût aux horreurs nocturnes contrôlées par le roi-sorcier ou brique plus concrète de leur malédiction, nul n'a jamais pu l'expliquer. Toujours est-il, les tisseurs de ronces apportèrent une solution aux insomnies de leur peuple. Ils développèrent via la magie d'immenses ronces, de plusieurs mètres d'épaisseurs et de dizaines de mètres de hauteur, les enroulant sur elles-mêmes et réalisant des plateaux surélevés où sont construites leurs huttes et habitations. Loin du sol et plus proche des étoiles, les hommes-cochons parviennent à trouver le sommeil à la nuit tombée.
Un pedigree variéLa malédiction divisa les habitants exilés en trois castes distinctes, imposées par des nuances dans leurs altérations physiques.
Les
hommes-cochons communs représentent la majorité des habitants de leur vallée, de très loin la caste la plus peuplée. Ces individus ont des vies très simples, se contentant de suivre les directives de leurs cousins. Ils cultivent la terre - avec beaucoup de savoir faire, c'est à souligner - et élèvent les bêtes, entretiennent les constructions, s'occupent des animaux domestiques, remplissent l'intégralité des tâches et corvées simples. Car en effet, les hommes-cochons de cette caste ont le plus souffert de la malédiction. Leur mental a régressé et continu d'empirer au fil des générations, au point qu'un homme-cochon ne saura généralement faire qu'une tâche ou deux tout au plus. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, ils prennent la vie avec légèreté. Ils ont une confiance naïve envers les autres hommes-porcins et se contentent de ce qu'ils ont avec une innocence candide.
Les
hommes-sangliers représentent la caste intermédiaire de la société porcine. Plus intelligents, robuste et adroit que leurs congénères, les tâches plus complexes et essentielles leur incombent. La construction des bâtiments que les hommes-cochons entretiendront ensuite. La sécurité de leur vallée et la garde de ses points d'entrée leur est réservée : l'intégralité des porcins ayant une formation militaire sont des sangliers. Soldats, gardes, éclaireurs, explorateurs… Aventuriers.
Les plus grands et robustes des hommes-sangliers sont parfois qualifiés de phacochères, ces imposants porcins qui évoluaient dans la savane qu'ils furent contraint de fuir. Et, en un sens, ils en ont l'apparence. Capitaines et lieutenants compétents, ils dirigent les autres hommes-sangliers en temps de besoin.
Les hommes-sangliers sont les seuls à avoir jamais fait preuve d'affinité avec la magie. Et parmi les élus capables de lancer des sorts, il fut constaté que l'éventail de leurs compétences était particulièrement restreint. Ils ne se révélèrent capables d'exceller que dans deux domaines. La manipulation de la terre et la pierre, appelée géomancie. Et la manipulation des végétaux, tout particulièrement des ronces qu'ils peuvent développer jusqu'à des tailles gargantuesques, d'où le nom de "tisseurs de ronces" qui leur est attribué. Ces deux écoles de magie ne sont pas utiles au combat et justifient l'absence de ces mages parmi les gardes et soldats. Néanmoins ils permettent d'avoir une maîtrise du terrain de leur vallée que de nombreuses contrées leurs envieraient. Niveler une pente, dévier un court d'eau, remonter des profondeurs de la terre fertile ou combler un gouffre ne nécessitent que quelques minutes. Tout comme étoffer la densité des murs végétaux entourant la vallée, ouvrir et refermer ceux-ci pour les expéditions ou développer de nouvelles ronces pour y établir des habitations.
Ces mages et les phacochères brillent au sein de la société des hommes-cochons en général, mais ils se révèlent bien incapables de rivaliser avec la troisième famille de leur espèce.
La caste qui se hissa au sommet de la hiérarchie homme-cochon est celle des
Dos-hérissés. Ceux-ci, pour une raison inconnue, virent la malédiction se développer dans des directions exotiques, les dotant d'un tapis de piquants sans rappeler ceux de hérissons. Ou bien de porc-épics. Régulièrement, des représentants de cette branche parviennent même à projeter ces piquants sur de courtes distances, tels des javelots animés. Tout en étant affublés des autres attributs porcins.
Outre ces différences physiques, ils sont néanmoins peu doués pour la magie au point qu'aucun ne devint jamais ni tisseur ni géomancien. Ce ne sont cependant pas ces défauts qui les hissèrent au sommet de la hiérarchie porcine, mais leur intelligence particulièrement développée. Là où les hommes-cochons devinrent simplets - voire tout bonnement stupides pour la majorité d'entre eux - les hommes-porcs-épics devinrent plus ingénieux et clairvoyants. Ce sont eux qui conçoivent les architectures des cabanes suspendues dans les ronces géantes où logent tous les hommes-porcins. Dans les hauteurs, séparés des animaux qu'ils craignent de devenir. Ce sont eux également qui coordonnent la sécurité et la logistique dans la vallée, s'assurant que nul étranger ne vienne les troubler et que tous mangent à leur faim, mais aussi qu'aucun des leurs ne s'abandonne à la barbarie.
L'entièreté de la famille Guinea, descendante du premier maire de la vallée élu suite à la malédiction et dirigeant aujourd'hui encore les hommes-cochons, fait partie des Dos-hérissés.
art by Akkapoj Thawornsathitwong
SociétéLes hommes-porcins ont une espérance de vie inférieure à celle des humains qu'ils étaient autrefois. Les plus âgés des homme-sangliers et des Dos-hérissés atteignent approximativement soixante ans. Les hommes-cochons en revanche dépassent rarement les trente. Ils ont cependant une croissance beaucoup plus rapide, atteignant la maturité sexuelle aux alentours des sept ans. De plus, leurs portées peuvent atteindre les six nourrissons contre des descendances d'un à deux pour les deux castes supérieures. Lors des rares croisements entre castes, vus d'un très mauvais œil par les Dos-hérissés, la nature des enfants est apparemment aléatoire, mais leur nombre celui de la caste la plus supérieure.
Lors des dernières décennies, le nombre d'hommes-cochons a commencé à croître de façon effarante, menaçant l'équilibre jusqu'alors instauré. La vallée devient étroite tandis que les récoltes ne peuvent produire plus de ressources qu'elles ne le font déjà. Par conséquent, les alentours de Dugohuzo ont commencé à être transformés par les géomanciens, pour assécher la terre à l'Ouest et la fertiliser à l'Est. Les hommes-cochons prévoient de cultiver ces terres afin de subvenir à leurs besoins alimentaires, mais pas de s'y installer. Les travailleurs comme soldats retraversent le mur de ronces, écarté à chaque passage par les tisseurs, pour qu'ils puissent trouver repos derrière les rassurantes épines géantes. Ces changements sont source de tensions. Les mages se plaignent du surplus de travail. Les gardes de devoir sécuriser un territoire plus important que d'autres ethnies pourraient venir leur piller s'ils venaient à réaliser leur présence. Les Dos-hérissé de devoir planifier et chapeauter toujours plus d'hommes-cochons. Seuls ces derniers semblent satisfaits, heureux de travailler la terre et vivre dans l'insouciance, laissant les problèmes plus compliqués aux castes supérieures.
L'un des rares divertissements dans la vallée, autre que manger et l'horticulture, réside dans la musique. Quelle que soit leur caste, les hommes-porcins sont friands de chants et musiques, quels qu'en soient la nature et la complexité. Les artistes de rues pullulent dans chaque village et les auditoriums à ciel ouvert sont les plus gros édifices érigés, ridiculisant les demeures des Dos-hérissés les mieux lotis.
Note de l'auteur : quiconque n'est pas natif de la vallée trouverait leur art abominable, principalement constitué de grognements, couinements et sonorités d'instruments douteuses.
Il n'y a pas de capitale ou cité majeure dans la vallée de Dugohuzo. À la place, une effarante multitude de petits villages, fermes éparses et domaines peu étendus représentent la civilisation des hommes-cochons.
Si la vallée peut être traversée d'Est en Ouest en une journée, il faut presque une semaine pour y voyager du Nord au Sud en suivant la rivière principale - nommée Sonka - qui prends sa source dans une cascade où résident principalement des Dos-hérissés pour aller se perdre en une paresseuse mangrove du marais Hukutav. À noter que cette embouchure est le lieu le mieux gardé de toute la vallée, les ronces des tisseurs ne pouvant totalement y bloquer le passage sans risquer d'ériger un barrage végétal et inonder la vallée. L'eau du Sonka est poissonneuse et tous les hivers inonde les terres proches comme le marais reflue par quelque phénomène encore incompris, fertilisant le sol. Il s'agit d'un cours d'eau tranquille le reste de l'année que nulle embarcation ne vient troubler, les hommes-cochons détestant la navigation.
Malheur et cannibalismeComme si le malheur des hommes-cochons n'était pas suffisant, dès les premiers jours ils furent confrontés à un dilemme. Que faire des porcs domestiques qu'ils avaient emportés avec eux, initialement destinés à finir dans leurs assiettes ? Si dans un premier temps il fut convenu d'éviter leur consommation, lorsqu'il parut évident qu'ils ne parviendraient pas à se débarrasser de leur affliction, le problème revint au goût du jour. Et, considérant que la chair porcine des animaux n'était pas similaire à la leur, il fut tranché de pouvoir la manger.
Très rapidement ils regrettèrent ce choix… Quiconque consommait de la viande porcine voyait son comportement changer, ses valeurs morales fluctuer, ses notions du bien et du mal se brouiller… Les différences entre cochons et hommes-cochons s'effacer. Terrorisant leurs semblables, ils plongeaient dans la folie, n'hésitant pas à massacrer leurs propres familles pour satisfaire leur appétit. Et pour pousser le vice, ces individus ayant perdu la raison voyaient leur morphologie changer. Leur taille et leur force se développaient considérablement. Leur fourrure se décolorait et leurs yeux s'injectaient de sang. Leurs défenses poussaient bien au-delà de leurs museaux pour atteindre des dimensions inédites.
Après de sanglants et macabres épisodes, il devint interdit de manger du porc dans cette vallée. Ces animaux ne seraient plus destinés qu'aux travaux de la ferme ou, pour les rares sangliers parvenant à être dressés dans cet objectif, pour le combat. Les hommes-cochons présentant les symptômes de la folie cannibale sont depuis rapidement placés en isolement le temps de retrouver un état normal, s'ils y reviennent un jour, avant d'être jugés avec sévérité.
Peggy la cochonneParmi les Dos-hérissés, une femelle se démarqua et devint particulièrement célèbre sans pour autant faire partie de la famille Guinea. Dotée de capacités vocales exceptionnelles, elle était une simple artiste issue d'une famille aisée mais devint une idole pour l'ensemble de son espèce : Peggy la Cochonne. En quelques années seulement, Peggy est devenue la femme-cochon la plus fortunée de Dugohuzo et s'est produite dans chacun des auditoriums. Sa richesse menace même l'équilibre de la vallée et attire le courroux des autres familles de Dos-Hérissés.
Peggy est dotée d'un caractère exécrable et ne supporte pas que ses choix et la nature de ses dépenses soient critiqués. Son choix d'épouser un humble géomancien de la caste inférieure en est l'exemple le plus connu. Lorsque ce fut rendu public, elle s'attira l'ire de ses propres parents et le mépris de la plupart des autres Dos-hérissés. Mais cela renforça sa popularité auprès des hommes-cochons et des hommes-sangliers, au combien plus nombreux. Ces décisions que plus d'uns jugeraient irresponsables et caractérielles font régulièrement jaser au sein de la caste dominante des hommes-cochons.
La destinée des SangliersLors d'une tentative des géomanciens d'explorer de nouveaux sentiers magiques, ceux-ci s'orientèrent vers la divination. Quel avenir attendait leur peuple maudit ? En avait-il seulement un ? Ces doutes rongeaient les hommes-porcins qui tentèrent d'entrapercevoir leur destin.
À leur propre surprise, ils y parvinrent. Deux fois seulement, mais ils y parvinrent. Suite à cela, aucune de leur tentative ne fut fructueuse, quelle qu'elle soit. Lecture des runes ou des dessins dans le thé, interprétations des rêves ou constellations, observation des entrailles ou des lignes des mains, tirage des cartes…
Ce qu'ils entraperçurent de leur destin présumé indiquait les deux fois le même avenir. Ils devaient trouver la manifestation primale résidant aux pieds des montagnes ou disparaître un jour.
Rapidement, plusieurs expéditions furent dressées pour aller explorer le monde à la recherche de la "manifestation primale" évoquée. Seulement, de quoi s'agissait-il ? D'un élu ? D'un dieu ? D'un avatar ? Et où le trouver ? Aux proches monts de Spelunca ? Les immenses Baldors ? Aux lointaines et chimériques Kanaans ? Nul n'aurait su le dire… Mais nombreux furent ceux à quitter Dugohuzo à la recherche de ce présage.
Ce sont ces Sanglier-Garou expéditionnaires qui révélèrent au reste du monde l'existence de leur peuple sans pour autant indiquer d'où ils proviennent. Ils subirent de première main les regards surpris, effrayés, moqueurs du reste du monde. Rares étaient les personnes à traiter avec respect ces explorateurs ne demandant qu'à voyager en paix. Aussi, rapidement, apprirent-ils à se cacher à l'écart de la civilisation et à voyager de nuit, contribuant à l'aura de mystère les entourant déjà. Ils en vinrent à être traité comme la lie de ce monde, au même titre que les skarniens, accusés de vols et autres crimes bien plus graves. Ils furent persécutés et chassés, parfois comme de vulgaires animaux. Rares furent ceux à revenir à la vallée et plus rare encore ceux à ne pas avoir souffert du reste du monde.
Ce que les hommes-porcins de la vallée ignorent, c'est qu'une unique expédition atteignit son objectif. Elle trouva la manifestation primale des prophéties à la forêt de sapins. Mais plusieurs de ses membres furent blessés et dans l'incapacité de revenir à la vallée. Ils firent le choix de rester tous ensembles, cachés aux pieds des Baldors, attendant une providentielle expédition de secours. Tout en restant proche de l'incarnation porcine géante et furieuse qu'ils découvrirent…
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