Une aura de puissance monstrueuse émanait de l'immense dôme de pierre faisant face à la jeune femme. Il n'y avait aucun doute, pas de place au hasard... Ses visions l'avaient guidé ici dans un but bien précis : faire descendre de son piédestal de corail la championne des profondeurs, une bonne fois pour toute. Oooooh, mais la vestale s’en donnerait à cœur joie. Ce duel serait l’apothéose de sa participation au tournoi d’Ynatlatt, l’accomplissement de plus d’un mois d’entraînement concentré dans un face-à-face dantesque au plus profond des mers. Rien ne pouvait lui faire plus plaisir.
Alors qu’elle faisait dorénavant face à une large fissure lumineuse zébrant le monticule rocheux, quelque chose traversa vivement son corps. Interloquée, elle observa la paume de ses mains avant de se rendre compte… qu’elle tremblaient. Quelle était cette sensation à la fois oppressante et délicieuse ? Quelle était cette force qui intimait aux muscles de la vestale de se tendre et à sa bouche de sourire à pleines dents ? Des stimuli électriques envahissaient tout son être… Comme des milliers de fourmis taraudants son corps. Elle ne connaissait que trop bien ces symptômes : le manque d’adrénaline et l’irrésistible appel du combat lui hurlaient de pénétrer dans l’arène afin d’assouvir ses pulsions et satisfaire son addiction. C’est donc avec un rictus carnassier qu’Hevoria s’avança, avant de disparaître dans la faille éblouissante.
Lorsque le rideau de lumière aveuglant son regard se leva enfin, la vestale pu contempler avec émerveillement ce qui serait pour un moment indéterminé le lieu de l’affrontement. Une vaste étendue de sable recouvrait le sol de ce qui semblait être une arène, délimitée sur ses pourtours par d’innombrables aspérités rocheuses faisant office de gradins. Incrustés dans les murs et sur la face intérieure du dôme faisant office de plafond, une quantité effarante de cristaux lumineux étaient présent, éclairant la salle d’une lueur surnaturelle. Enfin, à l’opposée de la faille par laquelle elle venait d’entrer, se trouvait un large escalier de marbre. Hevoria leva alors les yeux vers son sommet tout en s’avançant vers le centre de l’arène, tandis qu’un large sourire se dessinait sur son visage.
Sur un trône fait de multiples sédiments marins se tenait Karâ, la guerrière dont les légendes abyssales chantaient les louanges et vantaient les innombrables faits d’armes. Cette dernière, avachie et appuyant sa joue droite contre son poing dévisageait la vestale d’un regard à la fois arrogant et moqueur. Parée de son armure de corail et affublée d’un cimeterre effilé dans son dos, quiconque croisait le regard de Karâ savait immédiatement qu’elle n’était pas un adversaire à prendre à la légère. La cultiste pouvait sentir d’ici l’incroyable aura de l’abyssale… et elle s’en délectait d’avance. Elle faisait face à une femme coriace, forte et indépendante, qui ne comptait clairement se faire marcher sur les pieds (ou les palmes). En fait... Hevoria se retrouvait assez dans ce portrait.
C’est donc toi que je vais devoir écraser cette fois-ci ? Une voix hautaine, sortie de nulle part, résonnait dans le cortex de la vestale.
Tu m’as l’air assez robuste… C’est bien.Hum… Une télépathe hein. Ça te prend souvent de t’incruster dans la tête des gens comme ça ? Sans permission ? Rétorqua alors Hevoria par esprit interposé.
C’est mon domaine ici, j’y détiens tous les droits...Ah oui ? Pourtant, tu sais... J’aurais pu penser à des choses… Ses pommettes rougirent, son regard devint fuyant, comme si elle était gênée…
des choses osées.Quoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ? Rétorqua la championne perplexe en se levant de son trône.
Et bien… J’aurais pu m’imaginer en train... de te fracasser le crâne contre ton trône par exemple. Répondit la jeune femme avec sa voix la plus adorable.
À ces mots, Karâ inspira un grand coup tandis qu’une large veine apparaissait sur son front.
Je vois… Une petite effrontée, hein ? Tu as du culot… Ça me plaît.Bon allez. Et si chacun arrêtait de faire perdre du temps à l’autre… Nous savons toutes les deux pourquoi nous sommes ici.J’acquiesce… Fit l’abyssale en descendant lentement les marches de l’escalier.
D’ordinaire, les organisateurs d’Ynatlatt m’interdisent de tuer les participants. Mais exceptionnellement… Pour toi, je vais faire une exception. Acheva-t-elle en faisant craquer les os de son cou.
Un combat à mort ? Tu m’en vois flattée. Alors donne tout ce que tu as, trésor.Deux crissements métalliques simultanés résonnèrent dans la salle. Les deux forces de la nature se faisaient face, armes dégainées, marchant lentement en cercle au fond des eaux, tout en attendant la moindre ouverture, la moindre faille dans la garde adverse.
Soudain, Karâ déploya les ailerons présents sur ses bras et ses jambes avant de se propulser, cimeterre en avant vers Hevoria. Cette dernière, voyant l’imminence du danger, bondit immédiatement, esquivant de justesse l’espadon abyssal qui s’apprêtait à l’empaler. La jeune femme parcourue alors quelques mètres, mais due se retourner subitement afin de dévier in extremis une nouvelle attaque de Karâ : une lame frôlant son visage. En une fraction de seconde, la championne des profondeurs avait été capable de porter deux attaques à son opposante. Sa vitesse étaient tout bonnement prodigieuse, mais Hevoria étaient convaincue que l’abyssale n’utilisait même pas le quart de son potentiel.
Il fallait maintenir son opposante au corps-à-corps et lui imposer une pression constante, sans quoi la kalumbréenne ne pourrait jamais anticiper les assauts de son adversaire. Après tout, Karâ était une guerrière avec un millénaire d’expérience martiale. La moindre erreur pourrait s’avérer fatale.
Raidissant ses muscles, Hevoria contre-attaqua par une série de vives passes d’armes. Du choc répété des lames des deux combattantes jaillissaient des filets de vapeur brûlante se dissolvant immédiatement dans l’eau. Revigorée, la vestale enchaîna avec plusieurs brise-garde afin de traverser la défense de son opposante. Sa persévérance fut récompensée puisqu’un bon tiers de l’armure de Karâ se brisa sous les coups de son assaut. Toutefois…
Tu t’en sort pas mal. Mais il va falloir faire mieux que ça si tu comptes passer ma défense. Fit Karâ en souriant.
Qu-est-ce que… La jeune femme stoppa alors un instant son regard sur l’armure de l’abyssale qui semblait…se régénérer à vue d’œil.
À mon tour maintenant. Sa cuirasse reconstruite, la championne des profondeurs recouvrit son bras d’un énorme amas de corail solidifié avant de percuter brutalement l’abdomen d’Hevoria, propulsant cette dernière à travers l’arène, avant de finir sa course contre l’un des murs de pierre de la salle. Un filet de bulle rouge sang s’échappa de son respirateur. Toutefois, bien qu’elle soit en piteux état, un regard amusé, presque extatique, était inscrit sur son visage.
*Tousse* Une maîtrise du corail hein ? C’est pas *tousse* le genre de magie qu’on voit tout les jours héhé. En fait… Elle pencha la tête sur le côté, comme intriguée…
Avec tout cet amas calcaire sur ton dos, tu ressemblerais presque à un gros Bernard-l’ermite.Un silence de mort s’installa suite au propos de la vestale, subitement interrompu par un violent craquement de phalanges de son opposante
Ooooh rassure-toi… Je vais m’assurer que ce soit la dernière chose que tu verras de ton existence petite garce. D’effrayantes formations de corail commencèrent à s’échapper du corps de Karâ avant de se répandre sur le sol de l’arène.
Hum… Ok, je crois que je l’ai énervé. Plan B. Sans perdre un instant, la jeune femme bondit du mur dans lequel elle était incrustée, mur d’où jaillit subitement une excroissance corailleuse hérissé de pointes. Alors qu’elle nageait à toute vitesse à travers le dôme, d’innombrables amas de coraux se dressèrent sur son chemin, tentant de stopper sa progression, ou tout simplement de l’empaler.
Au bout d’une dizaine de minutes, c’est une véritable forêt vivante qui recouvrait dorénavant le champ de bataille, et autant de bosquet coralliens que Karâ pouvait contrôler à sa guise afin de réduire la petite prétentieuse lui servant d’adversaire en charpie. Mais, étrangement, l’abyssale ne ressentait plus sa présence.
Et alors ?! Où est-ce que tu te cache ?! Hurla Karâ, lassée de jouer au chat et la souris.
Ici… Surgissant d’un portail donnant sur l’Immatériel, Hevoria se précipita sur l’abyssale avant d’apposer violemment une main fantomatique sur son sternum. Une marque spectrale en forme de croix hérissée d’épine s’y inscrivit alors spontanément tandis que Karâ hurlait de douleur.
Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu m’as fait ?!Aaaaah... S’extirpant d’un nouveau portail, la représentante de Wystéria s’étira, essuyant les nombreuses plaies ensanglantées que lui avait occasionné sa traversée des bancs de coraux. Elle était mal en point, mais sa stratégie semblait avoir été payante.
J’ai simplement entravé ta magie, trésor. Ça fait un peu mal au début. Tu vas juste t’évanouir pour deux-trois heures. Conclue la représentant de Wystéria en achevant sa tirade d’un clin d’œil provocateur.
Ce… Non. Sous l’effet de la souffrance, l’abyssale, les yeux injectés de sang, se recroquevilla lentement jusqu’à se prostrer sur le sable de l’arène.
Non… Ce n’est… Ce n’est… CE N’EST PAS FINI !!! Puisant ses dernières forces dans sa hargne et sa détermination, Karâ, contre toutes attentes, se releva férocement. Elle déploya ses ailerons, se saisit de son cimeterre puis se précipita vers la vestale, stupéfaite. Cette dernière tenta bien de contrer ses attaques, mais l’abyssale usait dorénavant d’une vitesse et d’une force d’un tout autre niveau. Le kukhri d’Hevoria, arme fidèle l’ayant accompagné durant de nombreuses aventures se brisa au bout de trois déviations de la lame adverse, exposant son corps aux lacérations ennemies. La championne des profondeurs, tournant autour de sa proie tel un requin, avait augmenté sa célérité à un tel point qu’il était quasiment impossible de prédire de quel côté viendrait sa prochaine attaque. Hevoria était à sa merci… Impuissante
Alors… La vestale cessa de contrer les assauts de Karâ. Lentement, elle ferma les yeux. Gracieusement… Elle écarta ses bras dans la direction de son adversaire… Quelques secondes plus tard, une lame parfaitement aiguisée d’un mètre cinquante transperça l’abdomen de la jeune femme qui, après poussé un ultime râle d’agonie, étouffée par les flots, inclina définitivement la tête.
Karâ, essouflée, éreintée, contempla son adversaire pourfendue.
Aaaaaah… Tu… Tu m’as donné du fil à retordre petite garce, mais… Sa respiration était bruyante et douloureuse…
Cette fois, c’est terminé, pour de bon. Son ennemie achevée, Karâ détendit ses muscles souffrants puis commença à retirer lentement la lame du ventre de feu la vestale de Kalumbra. Le fil du cimeterre coulissa le long des entrailles de son réceptacle humain, s’imbibant de l’hémoglobine en jaillissant. Puis, une fois extrait, elle essuya le sang présent sur la lame avant de faire demi-tour… silencieuse.
Passe le bonjour aux défunts de ma part, petite.
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Hum ? Alors qu’elle commençait à s’éloigner, l’abyssale se stoppa, comme retenue par quelque chose. Elle ressentait... comme un contact sur son poignet. Subitement, elle se retourna afin de l’observer, avant d’apercevoir une main sanguinolente apposée à sa surface.
Quoi ? Stupéfaite, Karâ releva la tête vers sa défunte opposante, immobile, mais la retenant. Méfiante, elle commença à vouloir détacher sa main de son avant-bras… mais cette dernière ne bougeait pas d’un pouce, comme soudée à sa prise.
Mais… Elle leva alors sa lame afin de trancher net le bras du cadavre l’immobilisant.
*Crac !* AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!! Un hurlement noyé résonna à travers la caverne engloutie tandis que quelques bulles s'échappaient de la bouche de la championne des profondeurs. Son avant-bras droit venait d’être littéralement broyé par la poigne de la vestale, qui arborait dorénavant un rictus sadique tout en maintenant son emprise sur le membre brisé de son opposante.
Cette fois, je te tiens. Tandis que l’eau commençait à bouillir autour de la cultiste, la totalité de ses tatouages virèrent au rouge écarlate, teintant les fonds marins d’une brume sanguine. Sa magie de destruction chargée, elle releva lentement la tête, dévoilant un regard meurtrier à l’abyssale.
Là… Héhé. Tu vas déguster. Rugissant de plaisir, Hevoria tira Karâ vers elle avant de lui asséner un violent coup de boule. Elle enfonça ensuite son poing dans sa cage thoracique, envoyant s’écraser cette dernière contre le dossier de son trône de corail.
Tu… Tu devrais être morte, humaine. Hurla mentalement l’abyssale tandis qu’elle se redressait péniblement, s’appuyant sur les accoudoirs de son siège.
Comment as… Ne lui laissant le temps de terminer sa phrase, Hevoria expédia un nouveau direct dans son torse, puis un troisième, un vingtième… un cinquantième… Alors qu’elle mitraillait littéralement son abdomen d’uppercuts, l’armure de Karâ, soumise à un déluge de coups et privé de toute régénération magique s’effrita, puis se fractura de toutes parts. Faisant fit de ses phalanges en sang, elle concentra toute sa magie restante dans son poing droit, réceptacle de toute sa fureur et son énergie destructrice, avant d'abattre de toutes ses forces dans le ventre de son adversaire. La puissance du coup fut telle qu’il fit voler en éclats l’intégralité de l’armure de Karâ, la faisant traverser le dossier de son trône puis s’écraser contre l’un pan de mur de l’arène, dorénavant frappé d’un énorme cratère d’impact.
Les yeux révulsés et vomissant une abondante gerbe de sang, la combattante millénaire, au bord de l’inconscience, se décolla de la paroi, puis se laissa tomber lentement jusqu’au sol de l’arène. Alors que son corps hurlait de douleur, et que sa respiration était souffreteuse, Karâ puisa dans ses dernières forces pour s’adresser à son adversaire dont les plaies semblaient se refermer à vue d’œil.
Très bien… Tu as… Tu as gagné. Une nouvelle gerbe de sang s’échappa de sa gorge.
Comme dit l’adage : gloire au vainqueur, malheur au vaincu. Elle usa alors de son poignet encore valide pour saisir son cimeterre puis plaça sa pointe aiguisée contre son ventre.
Hé ! Qu’est-ce que tu fais ?J’ai été faible, je dois en payer le prix.Quoi ? Non ! Ne…Ce dernier combat aura été di… divertissant, petite garce. Alors merci… Et adieu. La lame découpa la chair, faisant lentement ruisseler l’hémoglobine sur sa lame d’acier trempé.
*Soupire* Faut que j’arrête de suivre mon instinct dès fois. Un jour, ça me perdra... Fermement retenue par une main ensanglantée, la lame était immobilisée, la pointe de l’épée ayant juste commencé a entamer la peau de l’abyssale. En revanche, la paume de main d’Hevoria, elle, avait hérité d’une splendide balafre.
Pourquoi… Pourquoi m’avoir retenue ? Questionna Karâ, troublée
N’ai-je même pas le droit de partir honorablement ?Tsss… Tu crois que c’est la solution ? Te foutre en l’air pour une simple défaite ?Ma défaite est... le symbole de ma faiblesse. C’est déshonneur que je dois laver avec mon sang.Quel déshonneur ?! Met ton ego de côté et écoute-moi ! Les défaites font parties de l’existence non ? En 1000 ans de combat, tu as affronté d’innombrables personnes, vécu plus d’aventures que quiconque au fond de ces océans... Et tu voudrais tout perdre sur un coup de tête ?!Et bien… Je...Si comme moi, tu vis pour le plaisir du combat, alors poursuis ta route. Sort et découvre le monde de la surface. Voyage et rencontre de nouveaux adversaires. Et lorsque tu te seras suffisamment entraînée, alors nous nous reverrons et je t’accorderais une revanche, festival d’Ynatlatt ou non. Un long silence s’installa, un silence durant lequel Karâ put observer toute la détermination de celle qui s’évertuait à la convaincre, avant de s’affaler sur le sol, face vers le dôme de l’arène.
*Soupire* Très bien. Très bien, tu m’as convaincue. Acheva finalement l’abyssale en relachant son l’étreinte sur le manche du cimeterre.
Supeeeeeeer ! S’écria la cultiste en s’affalant contre un rocher, éreintée.
Honnêtement, si tu refusais, j’aurais pas su quoi répondre de plus pour te convaincre là. Du coup, je t’aurais probablement laissé te transformer en brochette.Trop aimable...Les deux duellistes restèrent côte à côte au fond des eaux, pendant une bonne dizaine de minutes, avec pour seul spectacle les vestiges de leur combat.
Quand même… Se faire vaincre et sermonner par une gamine. J’ai connu des moments plus glorieux au cours de ma longue vie.Bah… Ton petit ego blessé s’en remettra. Elle se releva puis s’étira, avant de s’approcher de Karâ.
Allez, attrape ma main. On retourne en ville et on va te rafistoler.C’est ainsi que ce dantesque affrontement se termina sur une poignée de main amicale entre nos deux combattantes, tandis qu'un air de défi était inscrit sur leurs visages respectifs.
\o/ Fin \o/