Un léger…battement. C’était ce qui était convenu, en ce qui concernait le projet dont Axe avait débattu à Khanaän.
Peu importait, c’était l’occasion pour la jeune fille d’amasser le plus de ressources possibles ; chassées, minées, tout était bon. Son domaine de prédilection étant la chasse, son choix s’était fait rapidement…Hukutav restait son terrain de jeu favori. Aussi était-elle descendue depuis les sombres montagnes jusqu’au marais, un long trajet qui avait éprouvé sa monture et son équipement, mais la destination en valait franchement la peine.

Là-bas, un grand marché se tenait, qui profitait grandement de la proximité du lieu avec Sylfaën. Des marchands venaient de tout Dùralas pour profiter de la diversité de ce qu'on pouvait y trouver comme y vendre ; leurs échoppe rapidement dressées se massaient non loin du marais, couvert d'une fine pellicule de brouillard.
Axe déambulait à pieds entre les étals, une sourire en coin sur les lèvres. Mais c’est que j’ai eu le temps de garnir ma bourse, depuis la dernière fois…Les prix lui paraissaient plus abordables que lors de son apprentissage de la chasse, il y avait de cela…bon sang, elle avait du mal à se souvenir ; mais enfin, c’était sans importance, elle était une chasseuse accomplie à présent. 
Sa première traque de la journée fut donc celle aux bonnes affaires. Ses oreilles de lycanthrope filtraient les appels des marchands, qui résonnaient dans l’air en une bouillasse de voix incompréhensible pour toute ouïe humaine ; elle commençait à s’ennuyer ferme, les offres étant toutes plus décevantes les unes que les autres, quand une en particulier retint son attention. Un appel à la récolte de ressources, pour une jolie…Oh, très jolie ! récompense. Elle se dirigea vers le gros homme rougeau qui gueulait sa demande à qui voulait – et accessoirement ne voulait pas – l’entendre, debout derrière le comptoir d’une échoppe. Il était à la recherche d’un trappeur, d’un chasseur, de qui que ce soit capable d’abattre une ou plusieurs créatures des marais et de lui ramener les dépouilles, en échange de leur valeur en or, et d’une petite prime de risque. Soit il était mauvais en calcul, soit il souhaitait les revendre bien plus cher, mais le marché était tout à fait profitable au récolteur qui s’en chargerait.
Elle, en l’occurrence.
Axe l’interpela, dégageant la concurrence en jouant des épaules.
« Mon brave ! J’accepte votre demande et vos prix.
- Toi ? Fais pas l’idiote, petite. Qu’est-ce que tu fous là, toute seule ? répondit finalement le marchand, après l’avoir lorgnée un bon moment.
- Je cherche à faire affaire, comme nous tous, siffla la jeune fille. Fiez-vous donc à ceci plutôt qu’à mon âge.
La lycanthrope écarta un pan de sa cape, découvrant son uniforme sombre de la Congrégation, ses armes lourdes comme légères et ses trophées de chasse : une grande défense de sanglier, une serre d’aigle, un lambeau de cuirasse écailleuse et plusieurs poils de rhinocéros laineux, tressés en une large lanière.
- Seule la wyverne m’est inconnue, mais d’aucuns disent qu’en trouver nécessite une expérience bien supérieure à la mienne, reprit-elle. Je viens me faire la main sur vos créatures, marchand.
- Bordel, tu fais peur gamine. M’enfin soit, vendu…En revanche, tu prends quelqu’un avec toi, je fais pas confiances aux gars de la congrégation des ombres. »
Axe répondit par un sourire satisfait, mais un peu amer – partager la tâche signifiait partager l’or - et balaya les alentours du regard, les sourcils froncés. L’homme trapu aux multiples couteaux, juste ici ? Elle le voyait mal déambuler dans les eaux troubles des marécages. Le brun à la lance ? la maigre aux filets ? Le marchand faillit la presser, mais décida de se taire, se souvenant soudainement de l’armement de la petite.
Soudain, le regard d’Axe s’arrêta sur un naga, l’air plus bestial que ceux dont elle avait l’habitude. Une collerette de serpent venimeux, une armure naturelle faite de peau et d’écailles, quatre bras dont les mains se terminaient en griffes acérées, et une queue qui rendait tout déplacement en zone boueuse ridiculement aisé. Ce truc était une véritable machine à tuer…

« Hé, camarade ! Tu as entendu notre bon marchand, on doit y aller à deux. »

Axe désigna du bras les marécages, qu’on pouvait apercevoir non loin des limites du marché.

« J’imagine que tu as l’habitude des lieux ; accepte et on obtiendra chacun or et ressources, guère difficilement qui plus est. Refuse, et le butin ira à ton voisin… »

Encore une autre journée qui commençait pour Sahryt. Comme à son habitude il était parti faire sa visite quotidienne au marché voisin des marais. Celui-ci regorgeait d'offres toutes plus alléchantes les unes que les autres, mais il fallait les dénicher, le naga avait eu le temps de se faire ses petits coins secrets et sa propre clientèle là-bas.
C’était d’ailleurs son jour de repos aujourd’hui. Il prenait commandes et missions mais ne les réaliserait qu’à partir du lendemain. Son corps imposant lui permettait aisément de se déplacer au milieu de la foule, les gens du coin n’avaient pas vraiment l’envie de barrer la route d’un bestial, dans son habitat naturel qui plus est.
Il observait, scrutait les environs de ses yeux perçants : un étal de tissus d’un côté, un boucher ambulant de l’autre… Bref, rien d’intéressant, il voulait gagner de l’argent, pas en dépenser. Un détail l’interpella, cependant : on s’adressait à lui.

« Hé, camarade ! Tu as entendu notre bon marchand, on doit y aller à deux. »

Entendu ? Bien sûr qu’il l’avait entendu, même un nain sénile n’aurait pas raté le guignol qui raillait son « offre » depuis quelques dizaines de minutes sans trouver de client ayant assez de courage pour réaliser sa requête.
Pourquoi n’avait-il pas suivi cette offre alléchante ? C’était une autre histoire, il avait déjà eu affaire à cet énergumène et il n’en avait pas gardé de bons souvenirs, hors de question de le servir à nouveau.
Mais… Cette fois il sentait que c’était différent. Il observa son interlocuteur… ou plutôt interlocutrice ?
Celle-ci lui semblait tellement jeune, peut-être la quinzaine, il ne savait pas trop comment estimer l’âge humain, ils étaient si faibles et mourraient si facilement… Néanmoins, s’il avait bien appris une seule chose au cours de sa vie solitaire, c’était qu’il ne fallait surtout pas se fier aux apparences.
Il s’approcha doucement et la regarda dans les yeux, il pouvait y voir de la détermination et de la force. Aussi son odorat ne le trompa pas, cette gamine n’avait d’humaine que l’apparence, et encore… Elle cachait quelque chose sous sa cape, c’était évident.

« J’imagine que tu as l’habitude des lieux ; accepte et on obtiendra chacun or et ressources, guère difficilement qui plus est. Refuse, et le butin ira à ton voisin… »

Il réfléchit. Cette jeune fille avait réussi à l’intéresser, c’était rare ! Avait-il quelque chose à perdre en la suivant ? Quelques écailles tout au plus si elle se décidait à le trahir, mais il décida cette fois de rester sur ces gardes, elle n’était pas commune et lui n’était pas d’humeur à courir un risque trop grand aujourd’hui.

« Évidemment que j’ai l’habitude des lieux, petite. Ta proposition me paraît correcte. »

Puis il se pencha en avant et laissa glisser une de ses griffes sur la joue de la jeune fille :

« Mais n’imagine pas pouvoir me duper si l’envie t’en prenait… Hé… Je n’ai pas pour habitude de faire confiance aussi facilement aux membres de la Congrégation, à l’instar de notre cher ami. D’ailleurs, je n’ai pas pour habitude de faire confiance tout court, ha. »

« Évidemment que j’ai l’habitude des lieux, petite. Ta proposition me paraît correcte. »

Le naga planta son regard dans celui d’Axe. Elle tenta en vain d’y lire quoi que ce soit ; ses yeux de reptile ne semblaient pas laisser transparaître d’émotions, au contraire de la plupart des humains. Un don fort enviable…
La jeune fille fut tentée de répondre à la griffe qui vint glisser le long de sa joue, par une protestation ou un coup de dague à la dérobée, mais n’en fit rien. À la place, elle laissa une expression satisfaite se peindre sur son visage, tandis que le bestial poursuivait.

« Mais n’imagine pas pouvoir me duper si l’envie t’en prenait… Hé… Je n’ai pas pour habitude de faire confiance aussi facilement aux membres de la Congrégation, à l’instar de notre cher ami. D’ailleurs, je n’ai pas pour habitude de faire confiance tout court, ha. »

La jeune fille se saisit du poignet de son interlocuteur avant que la griffe n’atteigne sa gorge ; elle l’écarta calmement de son visage, mais d’une poigne qui n’admettait pas de résistance. Qu’il comprenne, s’il doutait encore… Le naga n’avait pas l’air de se laisser amadouer par son jeune âge, c’était pour le moins agréable – depuis quand cela ne lui était-il pas arrivé ? même le plus fin stratège dont elle avait connaissance s’y était fait prendre. Quant à sa confiance, il avait eu raison de la garder, la lycanthrope avait bien caressé l’idée de le planter une fois le travail fini…
Mais enfin, il avait accepté ; les mots étaient un outil bien pratique, pour peu qu’on sache en tirer ce que l’on voulait. Axe gratifia l’homme-serpent d’une sourire et desserra sa prise, puis se tourna une dernière fois vers le négociateur :

« J’ai trouvé mon compagnon, semble-t-il. Puis, elle s’adressa au naga, tout en lui faisant signe de la suivre. Tu sembles bien méfiant. Qu'as-tu à craindre d'une fillette ?»

Oui, qu'avait-il donc perçu à son sujet qui le mette sur ses gardes ? Axe était curieuse de voir jusqu'où il l'avait percée. Elle fendit la foule, accompagnée par son collègue d’un jour. Un habitué du terrain de chasse, qui allait évoluer dans son habitat ; quel spectacle… La lycanthrope avait terriblement hâte de le voir à l’œuvre. Elle avait déjà assisté à pareille démonstration, sur les plages rouges du Sud, mais la proie visée par le naga de l’époque ne s’était pas laissée faire. Une jeune femme, bien trop rapide et maligne. Dommage.

« Je me demande, naga, d’où viens-tu ? J’ai déjà croisé un de tes semblables à Red Sun Belt, mais il était bien plus humain. Moins impressionnant, surtout...lança la jeune fille en détaillant une fois de plus l’hybride. Elle lui tendit une main gantée de noir. Axe, mercenaire à la solde de l'Ombre. Comment t’appelle-t-on par ici ?»

Le marché laissa soudain place à l'immensité tortueuse des marais. De grands arbres poussaient çà et là, dont les racines émergeaient de l'eau trouble par endroit. Un brouillard fin noyait les lieux, pas assez important cela dit pour handicaper les deux associés dans leur chasse. La végétation était semblable à celle de Sylfaën, mais semblait plus adaptée à l'humidité ambiante ; les mares boueuses au sol semblaient diffuser une brume blanchâtre en permanence, dont l'odeur rappelait les plaines d'Aràn après plusieurs jours de pluie. Axe sourit.

« Les marais d'Hukutav... Elle s'arrêta prudemment, à quelques pas de la rive. Faîtes-moi rêver, mes jolis. »