Le vent soufflait fort ce matin, il s'engouffrait dans les moindre recoins de la cabane de fortune de l'ermite Komor. Il se réveilla et marcha en titubant jusqu’à la porte, il prit appui sur cette dernière et grommela :

_mlrb.. va falloir commencer à couper le bois..

Il se redressa et cracha par terre, après un temps de concentration la tête dans la main il se dirigea vers le ruisseau qui coulait à côté de la cabane et se frotta le visage afin de se nettoyer et de mieux se réveiller par la même occasion.
Une fois vivifié, Komor saisi sa hache afin de se mettre à la tâche mais se rendit vite compte qu'elle était bien trop émaillée pour couper quoi que ce soit, il entreprit une longue marche vers Stellaraë afin de s'en offrir une nouvelle (voir ici).

Depuis son retour, Komor sentait comme une présence malveillante, de plus Veolvus s'était enfuit peu après avoir pénétré dans la forêt, lui qui n'avait jamais quitté son maitre. L'homme n'avait plus personne pour lui faire savoir qu'il partageait cette sensation d'être épié. Que ce passait-il ? Pourquoi tout lui semblait si étrange subitement ?

Alors qu'il allait se mettre à abattre les arbres il entendit un bruit dans les fourrées, cela ne le rassurait pas mais il se dit que c'était certainement une laie cherchant à manger pour ses petits mais lorsqu'il entendit un craquement de branche derrière l'arbre, il saisit sa hache et l'envoya se planter dans le tronc de celui-ci, il était certain qu'une laie ne se cacherait pas de la sorte, il lança d'une voix rauque, comme pour déstabiliser le voyeur :

_Sors de ta cachette manant, je n'ai rien à t'offrir, je ne suis qu'un pauvre ermite vivant à l'écart du monde. Mais si tu es là pour me voler alors récite ton chant de grâce par avance !

Que lui arrivait il ? Lui qui n'avait jamais parlé à autre personne que Veolvus depuis toutes ces années, serait-ce son voyage vers Staellaraë et avoir côtoyé les hommes qui lui avait fait franchir les barrières qu'il s'était lui-même posé ? Ou bien étais-ce la peur qui coulait en lui ? Il ne le savait guère, il ne se souvint pas avoir déjà ressenti la peur depuis son exil.

Début du combat Komor - Alrun

Sous le couvert obscur des feuillages denses, elle évoluait sans nul bruit, prédatrice en chasse. Son leste pas caressait les tristes feuilles mortes tombées au sol tandis que le tissu de sa robe créait une volute noire sur son sillage. Un sourire s’était esquissé sur ses lèvres. Sinistre, désireux, impatient…
Affamé.
Son regard vermeil scrutait avec attention les alentours en quête de la pitance tant convoitée, depuis plus de deux heures déjà. Cette forêt, elle en connaissait bien des recoins, l’ayant parcourue des années tantôt aux cotés d’Altair. Elle s’y était familiarisée avec ses nouveaux pouvoirs de vampire, et avait pour la première fois gouté au sang ; encore et encore, elle rêvait de cette jouissance que de sentir sur sa langue se verser le sucré breuvage, percevoir sa chaleur se dissiper en s’écoulant dans sa gorge déployée…
Tous ces souvenirs sensitifs lui étaient revenus en mémoire aussitôt qu’elle eut franchi le seuil des bois.
Et avait ravivé sa faim… de manière exponentielle.

Son combat dans le désert de Harena lui avait tant couté en énergie que bientôt sa raison ne suffit plus à brider cette conscience perverse ; à peine l’odeur musquée du gibier lui était parvenue que toutes ses barrières s’estompèrent pour ne plus que laisser en son corps son âme pure, primitive.
Elle chassait ! Peu importe l’être qui croiserait son chemin… Car elle se sentait… invincible. Forte. Aussi imposante que jadis. Siegfried dans sa splendeur d’antan ! Que tous fuient sur son passage, que tous craignent son ire, que tous s’abaissent devant elle !
Et cette sombre aura, la faune la percevait.

Soudain, la femme freina sa course silencieuse : quelque chose, au loin, venait de perturber la quiétude environnante. Une présence ? Une proie ? Elle arbora un sourire encore plus large, presque similaire à un rictus dès lors.
Un homme… Il y avait un humain là-bas !
Elle devrait passer son chemin…
*Tue-le… Qui verrait ton acte ? Personne ! Les animaux sont terrés, les oiseaux se taisent, vous n’êtes que deux : toi, prédatrice, et lui, fragile proie…*
Elle frémit des narines. Son regard prit une lueur écarlate.
*Tu as faim. Lui n’est rien ! Une vie si fugace, qui la regretterait ? Lui est destiné à mourir. Toi à survivre !*
Elle s’avança, lentement, presque timidement. Son esprit tentait de combattre ses pulsions de plus en plus fortes, qui martelaient son crâne incessamment.
*Tue-le.*
Perturbée, confuse, elle ne fit attention et une branche craqua sinistrement sous son pied.

« Sors de ta cachette manant ! »

Elle plissa les yeux, gémit doucement.

« Mais si tu es là pour me voler, récite ton chant de grâce par avance ! »

*TUE-LE !*
Elle se fendit d’un grand rire rauque. Puis… avec un cri sauvage, Alrun abandonna le reste de son humanité et s’élança, crocs en avant, vers le cou non protégé de l’ermite si fragile dans cette pénombre verte.

Début du combat Komor - Alrun

La vampire esquissa un large rictus, un sang frais s’écoulant encore de son menton écarlate. Son sourire carnassier considérait l’homme acculé dont la plaie à la gorge laissait s’échappait un délicieux fluide…
Toute à sa folie, elle ne ressentait pour le moment la douleur infime pulsant sous ses côtes, où sa proie l’avait frappée dans un geste dérisoire de défense. Qu’il se batte, ce pauvre hère, il ne survivrait pas… Il périrait sous ses crocs ! Que je le tue, que je déchire le lien entre son esprit et son corps, que j’annihile toute trace de de vie… Le tuer, le tuer…
La voix de sa conscience avait fusionné avec sa raison et embrassé de toute sa folie sa capacité de réflexion, si bien que le chant morbide devenait une pensée propre. Allègre battement belliqueux sur lequel Alrun exécutait sa danse macabre.

Avec grâce mais bestialité toutefois, elle évita la frappe de sa proie d’une pirouette sur le coté. Si… lent ! Elle riait, telle une enfant. Sa robe se déployait autour de son corps tels tant de vagues sombres et éthérées, insaisissables, multiples et liées par leur mouvement. Les bras grands ouverts, elle s’offrait à l’ombre des bois, fuyait les quelques volutes de lumières, dansait encore et encore autour de sa proie. La narguer. La confondre. En jouer… !
Et puis, sans prévenir, elle fondit sur lui, avec une vitesse double à la sienne, la tête en avant… Et parvenue sous son menton, la vampire l’allongea sur le sol d’une violente poussée avant de le bloquer sous son propre poids ; et la seconde suivante, perchée sur son torse, elle d’armait sa dague qui descendit vers le visage de sa proie. Vivement. Cruelle et menaçante.

Après s'être élancé sur sa cible, Komor s'est retrouvé la tête dans les feuilles, quelle vélocité.

L'homme n'eût pas le temps de se relever correctement qu'un violant coup vint lui exploser le menton, si bien qu'il ne sentait plus sa mâchoire inférieure, la vampire s'était élancé d'une vitesse incroyable le crâne en avant.

Komor était étendu là, par terre, le sang coulait sur son épaule et le long de son cou, peu à peu il se sentait dériver le long du chemin de la paix avec lui-même, ses yeux étaient fermés, il ne ressentait pas de douleur, juste un profond bien-être, lui qui avait vaincu la mort par le passé, lui qui avait su survivre au destin, lui-même qui avait provoqué les dieux en personne il y a 14 ans lors de son exil. Aujourd'hui enfin la mort l'avait rattrapée, aujourd'hui il était prêt à affronter ce qu'il a vaincu il y a presque 15 ans, enfin il allait pouvoir s'évader de sa vie macabre, mais surtout il allait revoir enfin Nushen.... Il était prêt, il ouvrit lentement les yeux lorsque la vampire lui sauta sur le ventre, ce qui eu pour effet de lui couper le souffle tout en emportant un filet de sang venu s'étaler le long de sa joue. Lorsqu'il ré-ouvrit les yeux il vit sa prédatrice, les bras levés et tenant sa dague au-dessus de sa tête. Malgré son piteux état il parvint à aligner ces quelques mots :

_Alors c'est toi hein ? C'est toi que la déesse a envoyée afin de reprendre mon âme ? C'est toi la messagère que la mort a choisie ? En tout cas sache que je suis honoré de mourir par ta main, tu es de loin la personne la plus forte qu'il m’ait été donné de rencontrer dans ma vie, maintenant je suis prêt, j'ai perdu alors achève moi !

La dague de la femme fendit l'air et vint se retrouver sur le front de Komor, elle s'enfonça sans mal dans la chair de ce dernier, il laissa s'échapper un léger gémissement mais ne quitta pas son adversaire des yeux, contre toute attente elle ne l'acheva pas, pas tout de suite en tout cas, d'un geste sec et vif elle balafra toute la partie gauche du visage de l'homme étendu au sol, il sentit son visage s'ouvrir sous la fine lame de la vampire. Dans un élan de douleur il saisis le poignet de sa tortionnaire et réussi par on ne sait quel miracle à l'expulser de sur son torse.

*Pourquoi ? Pourquoi ne pas m'avoir tué ? Je n'ai pas le droit d'abandonner, je dois me reprendre, si je n'utilise pas la moindre énergie qu'il reste au fond de moi alors mon âme sera souillée avant de monter.*

Il peina à se relever, il trébucha et retomba deux fois, au fond de lui il savait pertinemment qu'il n'avait plus aucune chance de gagner, mais il tenta le tout pour le tout, il se lança une dernière fois sur l'adversaire en espérant la plaquer au sol et ainsi avoir une chance, même minime de reprendre le dessus.

Début du combat Komor - Alrun

Fin du combat

Après un ultime plaquage soldé par un échec lamentable, Komor vint s'écraser aux pieds de la femme. Il avait joué sa dernière carte et l'avait loupé, il ne le savait que trop bien. Il usa du peu d'énergie qu'il lui restait pour pousser le sol de sa main gauche afin de se remettre sur le dos. Il regardait la vampire qui se dressait face à lui.

Il n'était pas en proie à la haine, mais plutôt à l'admiration. Il était admiratif devant cette personne qui malgré sa carrure plus chétive venait de le vaincre sans même qu'il puisse donner un coup. Depuis toutes ces années il avait l'impression que l'exil et l'effort avait fait de lui un homme puissant, presque invincible, aujourd'hui la réalité le rattrapait. Depuis toutes ces années il se disait qu'il n'avait que faire de la vie et qu'après tout il avait déjà bravé la mort et en avait réchappé, pourtant aujourd'hui il a bel et bien peur, peur de mourir, peur de se savoir si faible, peur d'être seul sur le chemin qui mène aux enfers.

La vampire se tenait là, elle fixait le pauvre homme un instant tout en méditant puis, les yeux d'un rouge perçant, elle se baissa sur sa victime et vint poser sa bouche sur la plaie.
Le souffle de Komor était faible, son corps fut parcouru intérieurement d'un vent glacial puis, peu à peu la douleur disparue, ses sens s'échappèrent, son esprit s'envola, ses yeux se fermèrent et une larme coula.

Une fois repue de son sang, la vampire se retira et laissa la pauvre carcasse aux charognards. C'est ce qu'il serait advenu de Komor si quelques heures plus tard Veolvus revenait enfin, il avait le poil sale et couvert de sang et il boitait. Il se coucha contre son maitre et resta là, sans bouger durant plusieurs jours.

Un filet de sang maculait sa peau terne, à la teinte similaire à celle de ses pupilles dilatées… Son souffle rauque charriait une odeur âcre, celle de l’haleine des buveurs de sang… Ses narines trahissaient sa respiration rapide, et brève, et saccadée…
Les yeux à demi-los, elle goutait avec délice le parfum sucré de ce sang encore chaud, sentant sur sa langue la pulsation faiblissant de l’humain. Et à mesure que le liquide s’écoulait dans sa gorge avide, elle perçut ses forces lui revenir, sa faim se calmer, apaisant ainsi progressivement ses désirs belliqueux.
Chose logique.
Les envies n’existaient-ils point afin d’être satisfaits ? N’étaient-ils le propre de l’homme raisonnable après tout ? Alors quel mal y avait-il à les assouvir ?
Aucun.
Et pourtant…
Pourquoi éprouvait-elle encore et encore de si puissant sentiment de remords à drainer la vie de ses victimes ?

Elle se détacha subitement de l’humain lorsqu’elle sentit ce dernier relâcher la tension de ses muscles ; c’était le signe avant-coureur de l’agonie. Alrun restait à genoux aux coté de sa victime, le regard sombre et la bouche tremblotante. Elle… elle n’avait pas pu se retenir, n’est-ce pas ?
Encore une fois…
Et ses attaques meurtrières étaient de plus en plus fréquentes. L’âge commençait à faire ses œuvres destructrices – et étouffer tranquillement le peu de raison lui restant. Malgré tout, la vampire s’attachait encore à la vie : Altair avait sacrifié bien nombre de choses afin qu’elle puisse mener ce quotidien loin des nécessités matérielles sans compter ces multiples rencontres faites au cours de son passé. Tant d’êtres qu’elle avait appris à connaitre, apprécier, perdre pour ne plus qu’en garder un souvenir persistant. Et aujourd’hui qu’elle se tenait là, entière ou presque, comme le seul témoin de ces vies d’autrefois, avait-elle vraiment le pouvoir de renoncer à la sienne ?
Qui alors se souviendrait de Wilfried, le fier frère ainé d’Altair qui périt au cours d’une bataille de familles ? Qui se rappellerait de la tendresse de Lloyd ? Qui pourrait narrer les péripéties fantasques de la vielle Nan ?

Alrun se releva, et après un dernier regard vers son œuvre sanglante, s’éloigna d’un pas leste de la scène et de la forêt.
Quelles que soient ses fautes, quel que soit son péché, elle n’avait le droit de tout abandonner : qu’au moins les volontés de ces visages du passé soient honorées dignement, par sa main messagère. Et ainsi, peut-être aurait-elle enfin droit au repos…

Un sourire triste flotta sur ses lèvres rougies lorsqu’elle entendit cette présence revenir vers son maitre. Un soupir, et sa silhouette obsidienne se fondit parmi le couvert des arbres.
La forêt retrouva alors sa quiétude.