Alphonse se laissa pendre du toit d'où il se tenait, capuche sur la tête, et longue veste noire. Bien entendu, tout cet attirail n'était présent que pour la forme, étant donnée sa capacité d'invisibilité; mais il était d'un cool sauvage.
"- Tu as aperçu le Dugril, hein ?
Trois hommes. Celui qui parle est debout face à celui à genoux, et à droite de celui qui sens le poisson. Il frappe un poing sur sa paume et rigole brutalement. Interrogatoire classique. Un hoquet, puis deux, l'homme à genoux est en pleurs, en nage aussi.
- Je vous en prie, laissez-moi ! Si je ne rentre pas mon père ne pourra pas... il doit prendre ses herbes !
Un coup de pied. D'ici je ressens parfaitement l'odeur du sang. Les brutes... mais d'ailleurs de qui sont ces hommes... ?
Le reptile balance son corps à l'aide de son énorme queue et va atterrir sur le toit d'en face, de là la scène ne lui est plus cachée. Les deux gorilles, des orques, portent les vêtements de Vi, la Vicieuse. Une chef de gang aussi redoutable que peu élégante selon les ragots. Elle dirigerait les territoires Est de BaldorHeim d'une main de fer. (littéralement en fait, elle a été amputée et s'est rajoutée des prothèses cybernétiques).
- Tu réponds oui ?!
- OUI. OUI. Je l'ai vu, lui et son énorme marteau, il est comme dans les légendes !
Un grognement, une rafale de coups, un gémissement. Merde ! Les cons ne savent même pas mener un interrogatoire décent !
Alors que le caméléon s'apprêtait à se laisser tomber sur les deux hommes et de poursuivre ce qu'ils avaient commencé, d'autres pas s'approchèrent de la scène. Un pas lourd, puissant, féroce. Mieux valait ne pas bouger. Lorsque la voix gutturale s'éleva, le Naga assista à un véritable bain de sang.
Le nouvel arrivant s'avérait être Greshk, le lieutenant de la pègre de Vi. Un Theriantrope, mi-homme mi-jaguar qui se maintenait volontairement dans un parfait état de semi-transformation. Ses griffes tranchèrent sans problèmes les têtes des gorilles avant de saisir et soulever encore plus facilement l'homme à terre.
- Pardonne leurs manières et leur manque d'expérience. Reprenons; tu l'as vu, mais où? - ... La... grotte tout à l'est dont l'entrée est condamnée ! Il était là dans les galeries ! Je vous jure, pitié, pitié, ne me faites pas de mal !
- Hum... sois plus précis.
- Il, il, était, il était à côté d'une grande statue de lui-même, dans ce qui semblait être de vieux vestiges nains, maintenant laissez-moi je vous en prie !
L'homme puait la pisse fraîche et la peur, ainsi Greshk le laissa s'enfuir avant de se métamorphoser en jaguar et de dévorer ses deux hommes. Alphonse ne bougeait toujours pas, le moindre mouvement représentant sa détection, et, par extension, sa mise à mort. Ses yeux ne quittaient pas l'homme-félin des yeux, plus par peur que par nécessité. Lorsque son nemesis eut fini son repas, la pluie se mit néanmoins à tomber. Et sous la pluie, même le Caméléon devenait visible...
Greshk fut de suite alerté par des gouttes ne tombant pas entièrement par terre au-dessus de lui. C'était... comme un trou sonore dans la masse diluvienne. Il fonça à cette endroit, bondissant de ses jambes ultra-puissantes et eut la surprise d'attraper quelque chose d'invisible. Plutôt écailleux et dru au contact.
- Oh, oh, oh ! Si ce n'est pas Greshk !
Fit Alphonse d'une voix enjouée. Comment ça va depuis la dernière fois ?
- Depuis la fois où tu m'as vendu ta came qui a faillit me tuer ?
- Roooh, les grands mots tout de suite ! Je t'ai laissé y goûter avant d'acheter, j'aurais très bien pu surdoser si je voulais effectivement te tuer mon matou !
Greshk grogna, avant de le lâcher.
- Matou ton cul. T'espionnais là.
- Nooooon...
Le fauve sortit les griffes. Peut-être que je passais effectivement sur les toits. Héhé.
- ...
- Ne me tue pas ?
- Si tu décides de travailler pour Vi je t'épargne. Elle a toujours beaucoup aimé tes pouvoirs bizarres de caméléon, et moi aussi d'ailleurs.
Alphonse avait toujours songé à intégrer un gang, et aimait beaucoup Greshk. Peut-être parce qu'il lui rappelait l'un de ces animaux qu'il domptait, autrefois, dans son corps vampirique. Mais selon les dires... Vi était une psychopathe et le gros chat venait d'abattre ses camarades... Roh, les risques du métier hein.
- O.K !
- Pas d'entourloupe ?
- Du tout, du tout, le caméléon s'adapte et survit, il ne ruse pas !
- Je comprends pas tout ce que tu dis... mais bon, suis-moi, on va faire ton premier travail pour Vi. Hé, d'ailleurs, j'ai toujours voulu savoir, t'es vraiment un caméléon ? Nan parce que ma cousine avait un gecko, et tu lui ressemble vachement...
- Un... ?! Un Gecko ?! Mais vas-y tranquille, soit malpoli. Et toi tu es un chaton ?
- ... Ouais ok, à l'aise hein, pas besoin d'être fragile comme ça."
Durant le trajet que lui faisait faire Greshk, (on ne sait-où mais on s'en doute bien), Alphonse se rendit compte que le Jaguar était bien plus sympathique que sa réputation ne laissait présager. En fait, en y pensant c'est logique; faire trembler ses ennemis est une technique ancestrale. Ainsi ils sympathisèrent et Alphonse donna à son ennemi une drogue de sa fabrication exacerbant les capacités physiques et décuplant la rage.
Lorsqu'ils arrivèrent à la mine en question l'effet de la drogue battait son plein et le caméléon surprit plus d'une fois un regard sanguin de son ami à son encontre, ainsi préféra-t-il le laisser passer devant. On ne sait jamais.
Greshk arracha les planches de bois utilisées en guise de barrage comme s'il s'agissait de minces brindilles et en un instant les deux compères furent à l'intérieur des mines, Alphonse éclairant le chemin grâce à un petit robot, dérobé à l'atelier des technophiles. le Lumin0-X5.
"- C'est donc toi... Faudra arrêter de piller les technophiles, Vi les protège.
Alphonse ne décela aucune rancune dans sa voix, au contraire il y avait même une once d'humour voir de fierté.
- Sans soucis, j'ai déjà tout ce qu'il me faut.
Greshk lâcha un râle amusé.
La grotte scellée était un véritable bijou; en son sein s'étendaient des diamants à perte de vue et quantité de trésors inestimables; de l'or, des armes rares, et autant de bibelots précieux.
- C'est...
- Notre hangar pour ainsi dire. Même le plus honnête des Gardes n'est pas sans failles, et Vi est redoutable pour en trouver. Ou pour en créer d'ailleurs.
Alphonse se rendit soudainement compte d'énormément de choses. L'une d'entre elles fut que ce n'était pas à Dugril que s'intéressait le gang, mais à sa présence dans son territoire. La mission était donc une élimination plus qu'une chasse.
- Si l'on s'en réfère aux anciens textes Dugril est un ancien roi nain, rendu fou par la quantité faramineuse de richesses dont il s'est entouré... votre stock a du éveiller sa curiosité.
- Rien à foutre, on le descend, on revient, on te fait notre. C'est tout ce qui m'importe.
- J'imagine que simplifier les choses a du bon aussi...
- Soit pas condescendant, Naga. Je comprends bien ce que tu dis, aussi bien que quand les gros professeurs de l'Académie débitent leur savoir, le truc tu vois, c'est que votre savoir je m'en branle sévère. Dis-moi, en situation de vie ou de mort, c'est à dire quotidiennement pour nous, qu'est-ce qui nous sauve ? La tête ou les bras ?
- Pour quelqu'un dans ma condition, j'ai bien peur de devoir répondre par la première proposition. Je ne suis pas un comba...
- Foutaises. T'es juste un flemmard alcoolique et camé, avec un peu d'entraînement ton agilité et ton poison te rendraient plus dangereux que le vampire que tu côtoyais avant.
- Comment tu... ?!
- Tu crois que quelqu'un foule BaldorHeim sans que les grands sachent de qui il s'agit ? Bordel, pour quelqu'un qui se réclame malin t'es bien naïf mon gars.
Le caméléon s'en voulut dans le noir. Il avait encore beaucoup à apprendre.
- J'imagine oui...
- T'en fais pas, une fois cette mission bouclée Vi t'apportera tout ce dont tu as besoin. Entraînement, marché, informations. Au fait, je voulais savoir, simple intérêt personnel, tu ressemblais à quoi avant ?
- Ta carrure, blond, plus grand que toi.
Greshk siffla avant d'ajouter.- Baaah, t'es plus drôle comme ça. Y'en a qui trouvent les Nagas sexy, hein.
- Ouais si tu le dis, il y a des zoophiles aussi.
- Bah ouais, regarde, j'ai pas mal d'ex.
Ils rirent ensembles. Décidément, Alphonse aimait beaucoup Greshk le gros matou.
En continuant à bavarder, les deux complices traversèrent ladite citée naine (ses restes tout du moins), jusqu'à croiser une statue représentant un affreux nain au nez énorme et au marteau encore plus gros.
De là, son ami félin lui fit signe de s'arrêter avant de pointer ses oreilles droites et dressées sur sa tête.
- Là-bas,
il murmurait, j'entends notre gars. Il est complètement givré. "L'orrrrr des humaaaains serrrra à moiiiiii hinhinhi".
Son imitation complètement réussie du nain avare faillit faire éclater de rire le Naga, qui réussit à se contenir.
Sans un mot de plus, le Naga était devenu invisible et parcourait les ruines, perché sur les hauteurs, suivant silencieusement leur cible.
De son côté, Greshk venait de disparaître dans les ombres, entièrement transformé en énorme jaguar, massif et souple.
- L'orrrrr, l'ooooor, toujouuuurs plus d'oooooor ! J'adooooore, l'ooooor ! Complètement pété le gars. En même temps, si ma conscience pouvait parler elle dirait surement la même chose...
En un instant les muscles de l'homme-lézard se mirent en action; le fauve approchait du nain à l'énorme marteau, tout en discrétion, et Alphonse, de son côté déploya sa langue.
Lorsque l'assaut fut donné, le destin de la pauvre créature fut scellé d'avance. Son marteau récupéré par la langue du caméléon, le fauve se tenait désormais sur le torse du nain, n'attendant que de le réduire en morceaux.
- Héhéhéhé !!! Attends !
Une idée avait germée dans la tête d'Alphonse. Tu aime l'or pas vrai ? Hein mon grand ?
Dugril approuva, une mine réjouie à l'appui. Nous avons des tonnes d'or ! Des tonnes ! Tu imagine ? Et ça te dirait de veiller sur ce trésor pour nous ? On devient copains même. Tu as déjà eu des copains ? Tu en voudrais ?
Deuxième approbation franche. Qu'en penses-tu Greshk ?
- Il est déséquilibré au possible. J'aime.
Donnant un autre marteau (en or), à la créature, les deux amis s'en allèrent. En effet, Alphonse avait reconnu dans la matière de l'arme de Dugril un matériel très recherché par les artisans forgerons, et ils en tireraient un prix formidable.
Les heures qui suivirent furent passées à une Taverne, où l'alcool coula à flot, mais pas assez pour que les hommes de Vi fussent raide morts lorsque leur tête de groupe arriva, entouré de deux humains, plutôt frêles, qu'Alphonse associa de suite à des mages. Il s'avéra que l'un d'entre eux était Virtuose et que l'autre s'agissait d'un Arlequin. Vi était la force de frappe principale du trio.
- Alphonse Galhaad, c'est donc toi. Je serais enchantée si tu me donnes ta parole quand à ta loyauté. Tu vois, j'ai rencontré un homme avant de venir ici. Il m'a offert un cargaison d'herbes du démon et deux tonnes d'or, mais vois-tu, en arrivant chez lui, mes hommes vont le lyncher lui et sa famille, et tu sais pourquoi ?
Le caméléon ne dit rien, se contentant de regarder son interlocutrice, aussi intimidante que décrite, tandis qu'elle parlait, un doigt robotique levé. Parce qu'il aime mon pouvoir et pas ma personne. Je te rassure, je ne suis pas mégalo, par contre, le respect, ça j'aime bien. Rien à foutre des richesses et des contrebandes à foison, je préfère de loin des hommes dévoués et prêt à se battre pour la meute, NOTRE meute.
Des hourra et des tasses s'entrechoquèrent pour célébrer ses mots. Tu me comprends ? Je suis folle pour toi ?
- Non j'ai connu...
- Je m'en fou de qui tu as côtoyé, de ce que tu as vu, fait, ou volé. Je te promet qu'à nos côtés, tu ne seras plus "l'ex vampire, petit singe de Styx", mais Alphonse, Alphonse le Treize, le Lézard Toxique comme on te surnomme dans le milieu.
Devant de telles paroles, le Naga se laissa envahir par l'émerveillement.
- Considère-moi comme un ami, Vi.
- Pareillement !
Sa poigne fut franche et un peu lourde aussi.
Ainsi commencèrent les périples de Treize le Naga.