Notre homme s'était empressé de quitter les marais d'Hukutav, son esprit n'ayant qu'un attrait réduit envers ces lieux, à contrario de Treize. Mais désormais, c'était lui qui dirigeait. Alphonse Galhaad. Et il n'était pas question de vivre comme un lézard, ou caméléon, ou quoique ce soit. Même si depuis quelques temps, dès qu'une mouche venait perturber son champ sensoriel, il sentait une étrange faim croître en lui. Ce devait être psychologique. En tout cas, il s'en fichait pas mal.

Mais réfléchir à sa condition n'était pas l'activité favorite d'Alphonse. L'exercice ne rend pas riche, ne procure aucune adrénaline, et ne ramène aucune femme dans son lit. Ce qui rapporte, ce sont les plans et combines de roublard; chose que l'on trouve à foison dans les papiers de Treize. En fouillant, l'homme-lézard avait trouvé un journal très particulier, listant toutes les activités de son ancien propriétaire. Ces activités, aussi obscures qu'excitantes, rapportaient en l’occurrence un marché passé avec un certain "Amon Raizyeki", homme d'affaires Ishtarien. Sans doute un trouble personnage, mais quoi de mieux que de se rendre sur place pour en témoigner toute la noirceur? Après avoir fréquenté Styx, plus rien ne le surprenait. Sauf peut-être sa capacité à changer d'apparence, qu'il avait découverte dans une taverne, complètement ivre, après avoir secrètement désiré son ancien corps. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'en s'admirant à la glace, il était redevenu l'Alphonse classieux, musculeux et viril d'antan! Du coup il adorait ce corps reptilien, non seulement il pouvait faire preuve d'agilité et de dons naturels très uniques, mais en plus, ses activités criminelles seraient des succès retentissants! La richesse lui ouvrait ses cuisses, et il n'était pas du genre impuissant.

Son long voyage, qu'il occupa par des sessions de mise à niveau sur les informations qui se rapportaient de près ou de loin à Treize, se déroula sans encombre, et dans un carrosse de transport en compagnie d'une famille d'agriculteurs fort sympathique. Lorsqu'il arriva à Ishtar, ses yeux s'écarquillèrent, en proie à une beauté sans pareille; l'eau y était bleue et transparente, l'air colportait une légère odeur saline qui venait éveiller en lui milles et un rêves de piraterie. Ce fut donc naturellement qu'il se dirigea en direction des docks, ou travaillaient moult matelots au teint hâlé et au corps suant. C'était là un des bémols d'être un reptile, vos sens sont si exacerbés que vous vous en retrouvez noyés sous les informations empiriques. Sang, sueur, larmes, peur, phéromones, tout vous apparaît aussi clairement qu'inopinément.

En suivant les indications du journal, il alla toquer à une Taverne; "le Chat Noir". Lorsqu'il frappa à la porte verrouillée afin qu'on vienne lui ouvrir, deux yeux roses se posèrent sur lui derrière le cache de l'entrée. Une voix féminine, légèrement rauque et très sensuelle lui répondit.
"- Treize, te voilà. Nous t'attendions, enfin Amon t'attendais, ne vas pas penser que je m'intéresse à toi. Tu es beau être le mâle à la plus longue queue que je connaisse, t'es pas mon genre... tu manques de poils. Fit la voix en ayant un petit rire amical.
Ce devait être Moxxi Von Her, la tenancière "la plus sexy des sept mers" selon les écrits de Treize. Une femme au caractère aussi fort qu'irrésistible, et dont la férocité n'était égalée que par la beauté. Sa remarque produisit d'ailleurs un pincement au cœur au jeune nouveau Naga. Ses poils lui manquaient.
Lorsque la porte s'ouvrit il s'engouffra rapidement dedans, tout en dépliant légèrement ses griffes. Par pure précaution.

L'intérieur du bâtiment était tamisé et luxueux. Au milieu d'une vaste pièce richement décoré de murs en papier rouge et noir, trônait une énorme table ronde où dansaient des filles toutes plus ravissantes les unes que les autres, sous la musique d'une sirène aux allures de sulfureuse femme. Treize suivit Moxxi parmi les canapés en velours rouge, slalomant entre les clients, tous affublés à parler affaires, derrière des rideaux en or, où se tenaient de petites pièces particulières. L'endroit lui plaisait énormément.

Amon l'attendait dans l'un de ces cocons intimes, nid de nombreux assassinats, vols et autres activités de tout intérêt.

- Treize, mon ami, comment vas-tu? Fit-il en lui serrant le bras, geste qu'Alphonse lui rendit fort bien.
- Je vais bien, merci. Trêve de bavardages cependant, on est là pour parler affaires mon ami, je te payerais une choppe à la fin de cette histoire. Tu as eu vent d'une cargaison d'or c'est ça?
- Voilà le Treize que j'admire. Non, pas de l'or, bien plus précieux que ça... Des informations. Avant que tu en m'interrompe, je vais continuer. La liste de toutes les filles de joie de Dùralas et de leurs clients. Tu sais combien de ravage cela peut faire? Cette liste vaut des millions, les têtes les plus influentes rouleraient si elle venait à être dévoilée.
- Intéressant. Mais semer le chaos n'est pas mon activité favorite. Je reste discret.
- Je ne cherche qu'à faire un peu de chantage en utilisant des fornicateurs corrompus jusqu'à la moelle, rien de méchant. Si ça peut te rassurer.
Alphonse fit mine de réfléchir.
- Ma récompense?
- Nous en avons déjà convenu; la carte au trésor que tu désirais tant.
Le lézard acquiesça.
- Bien, dis-moi où aller, et je reviendrais avec ce que tu m'as demandé.
-  Dock numéro 3, le seul navire se trouvant là-bas, la liste sera dans la cale, au milieu des marchandises. C'est tout ce que j'ai.
- Et c'est déjà bien assez. Merci.

Alphonse, devenant invisible, sortit à nouveau dehors, et, sous le soleil couchant, se dirigea en direction de la cible. Toutefois, loin de tomber sur des amateurs, un matelot, à l'allure pourtant banale, lui intima:
- Tu peux pas me tromper.

Le corps luisant de sueur, Artémis s’adonnait à ses exercices physiques quotidiens, pour maintenir la forme et garder sa musculature intacte. Il voulait se tenir prêt au combat à tout instant, et pas prendre du ventre comme certains matelots qui buvaient trop de rhum. Ceci étant, il aimait bien trop cette boisson pour s’en passer. Il était en train de s’étirer à la fin de ses exercices lorsqu’on frappa à la porte. Coups puissants et secs, Ghurtogg à n’en point douter. Comme il s’y était attendu, le vieil orc franchit la porte, l’orc qui lui avait tout appris sur la piraterie, ses codes, car aussi incroyable que cela paraisse, la piraterie comporte des codes sacrés édictés depuis des siècles par les plus grands capitaines de l’époque. A force de le côtoyer, il s’était habitué à sa façon d’être, sa brutalité, il parlait sans détours, mais il avait un sens de l’honneur surprenant. L’orc avait une main manquante, coupé par le vieux Haul (il ne l’appelait capitaine Haul qu’en sa présence.) alors qu’il s’était montré trop rebelle.

« On va accoster bientôt, t’es libre de faire ce que tu veux ce soir, on ne repartira pas avant quelques jours, Haul à des choses à faire par ici. Reste dans le coin, si t’es en retard pour le départ on te laisse ici, et des fois que le vieux ait des choses à te faire faire… »
« Ouais, ouais, merci. Je reste par ici. »

Ghurtogg parti, il se nettoya avec une serviette, faute de pouvoir prendre une douche sur le navire, se rhabilla, et monta sur le pont. Tous les matelots étaient heureux de revoir la terre, rien de plus normal pour eux qui n’avaient plus été dans un bar ou un bordel depuis plusieurs semaines. Il était presque midi, mais entre le temps qu’ils approchent des docks et qu’ils s’amarrent, deux bonnes heures étaient déjà passées. Plus on approchait, plus l’effervescence montait, et les pirates furent heureux d’enfin pouvoir sortir du navire. Artémis ne sortit que plus tard, il devait d’abord aller voir Shalya, la naga qui faisait office de médecin de bord, pour qu’elle examine sa cicatrice. Elle aussi, il avait appris à mieux la connaitre avec le temps, et s’était rendu compte qu’elle était une incroyable nymphomane, ce qui devait expliquer pourquoi elle était si appréciée par les matelots. Artémis ne s’était jamais laissé prendre entre ses griffes, et outre ce trait particulier, elle était sympathique et intelligente. Elle eut vite fait de s’assurer de la bonne cicatrisation de la blessure du bretteur avant de le laisser filer. Il put enfin descendre du navire en fin d’après-midi.

Les docks étaient silencieux, il y régnait une atmosphère étrange, particulière. Il avait une main proche de la garde de son épée, camouflée sous son long manteau. Le soleil déclinait, sa lueur rouge-orangé éclairait la zone, et se reflétait sur le bleu de la mer. Il regarda le navire de loin, embrassant cette vue alors que le reste de l’équipage de son navire devait être occupé à se saouler, à prendre du bon temps en bonne compagnie, ou bien les deux en même temps. Il reprit sa route. Ce fut si subtil qu’il faillit ne pas le remarquer, une forme qui déviait légèrement la lumière, comme invisible, qui marchait vers les docks. Il feignit l’ignorance jusqu’à ce qu’elle arrive vers lui, et alors il souffla presque sans remuer les lèvres.

« Tu ne peux pas me tromper. »

Peut-être prise par la surprise, la silhouette vacilla et redevint visible un moment, devant Artémis se tenait un être des plus étranger. Contrairement à Shalya, qui était une naga belle et désirable au possible, même si elle ne l’intéressait pas, il devait bien le lui accorder, il avait face à lui… un caméléon étrange et plutôt laid d’aspect, du moins pour les standards humains, qui sait, peut-être qu’il était un des naga les plus beaux qui soit. Le bretteur posa une main sur son arme, négligemment, mais assez distinctement pour que le naga comprenne qu’il avait une arme cachée, et qu’il ne lui faudrait que peu de temps pour dégainer.

« Tu peux essayer de fuir, mais qui sait jusqu’où tu irais ? Je connais peu de gens qui se promèneraient en usant d’un subterfuge comme le tien, tu veux rester caché. Dis-moi pourquoi, ça pourrait t’éviter des ennuis, et je te déconseille de tenter quoi que ce soit, en d’autres termes, garde tes mains bien loin de ton corps. »

Alphonse redevint visible de façon aussi soudaine que surprise, s'en voulant de s'être pensé indétectable sous cette forme. Bien entendu, il fallait qu'il tombe sur un matelot moins con (ou moins soûl) que les autres. Bien entendu.

Il demeura quelques instants inerte. Pas qu'il eut peur des paroles de l'humain, après tout, ce vulgaire petit homme ne pourrait pas lui faire grand mal, mais vous savez, rencontrer quelqu'un avec autant d'assurance, et d'un regard aussi déterminé, ça méritait respect. Si l'invisible possédait un certain appât du gain, il jouissait surtout d'une vision impeccable doublée d'un sens de l'observation et de la déduction hors-normes, héritage de sa vie vampirique; ainsi, il déduit de sa nouvelle rencontre plusieurs choses. Premièrement, cet humain venait de s'entraîner, pas qu'il présenta des tâches de sueur, ou de graisse, même si cela semblait une habitude par ici, seulement l'odeur de trompait pas. Ensuite, l'individu venait également d'accoster, pour une durée indéterminée, et quelque chose en lui hurlait une volonté de retour en mer. Un murmure sauvage. Incontrôlable.

Du coup, le caméléon se dit que cet homme ferait un excellent premier ami. 

"Tout doux l'ami! Tout doux! Je ne suis pas un mauvais bougre, juste un pauvre Naga un peu rebuté par le niveau moyen de ses quais. Je me présente, Treize, un homme-lézard tout droit sorti d'Hukutav, ici pour des raisons... oh et puis merde, je connais les gens dans ton genre. Et si on coupait court à tout blabla inutile mon vieux? Je te paye une choppe vite fait, t'explique ce qu'on va piller, t'acceptes, parce que de toute évidence tu préfères l'adrénaline à la quiétude, et puis on partage le magot. Libre à toi de refuser, mais j'ai aussi été libre de continuer mon chemin, et ai préféré m'arrêter, parce que t'as l'air d'en valoir le coup... Alors, qu'est-ce que t'en dis pirate? Tu veux pas t'élever un peu au-dessus de ta condition de simple matelot? Faire des trucs.. amusants?"

Ce qu'il savait, il le tenait de Styx. Ce psychopathe à moitié cinglé était néanmoins capable de faire tourner la tête à n'importe qui. Mais, à contrario des intentions perfides de son éternel ami, Galhaad se contentait là de proposer une amitié honnête, basée sur le respect, la violence et l'alcool, à ce personnage dont il ne connaissait pas le nom. Parce que le Caméléon était comme ça, pas méchant, et assez cool. Assez pour ne pas se braquer, et puis, si les choses tournaient mal, il disparaitrait aussi vite qu'il n'était apparut.

Toutefois... Il subsistait quelque chose d'indicible en ces lieux. Au-dessus de l'homme nouveau. Il n'était pour l'instant qu'un pauvre bougre, ambitieux et compétent, mais sans reconnaissance aucune. Et Alphonse, fut-ce à force de fréquenter les Esprits, ou par pure intuition reptilienne, percevait des ondes puissantes de son nouvel ami. (Oui, il précipite beaucoup les choses, et croit aisément en l'amitié). Ce matelot... allait devenir grand, et Treize adorait cette vue-là. Une vision de milliers d'aventures et de pillages, une réalité fantasmée, à deux doigts de se concrétiser, et s'il pouvait en devenir l'acteur, ma foi, que les verres scellent le Destin!


Aux nouvelles rencontres!

Le caméléon, d’abord surpris, prit une mine plus sérieuse et s’expliqua. Artémis gardait bien sa main près de son arme, prêt à en découdre si nécessaire, mais espérait qu’il n’aurait pas à le faire. Le meilleur moyen de survivre dans le monde de la piraterie était soit de ne jamais faire de vagues, soit d’être un ambitieux capable de se prémunir de tous problèmes. Il se placerait volontiers dans la seconde catégorie, mais il n’avait pas de pouvoir, aucun poids, son ambition le pousserait à la mort. Alors bien sûr, la proposition du caméléon flatta cette ambition qu’il couvait, mais si cela s’avérait infructueux, il pourrait bien en mourir. Il n’était pas de ceux qui se laissaient trop facilement attirer par l’appât du gain, même si l’idée de posséder plus d’or ne lui déplaisait pas.

« Donc tu es habitué à ce genre de trafic ? Et tu dis connaître les pirates ? Je me nomme Artémis Droskol, de l’équipage du capitaine Haul, sur le Kraken. Je veux bien considérer ta proposition, discutons-en autour d’un bon verre, comme tu le proposes. Passe devant. »

Il laissa le naga lui ouvrir la marche jusqu’à un bar pirate, un peu vieillot, mais tout de même assez fréquenté. Ils s’installèrent à une table à l’écart, loin des regards, Artémis ne comptait pas vraiment qu’on le repère avec cet étrange individu. Une serveuse à l’air assez vulgaire, bien en chair, mais avec des attributs plus que convaincants, vint prendre leur commande. Artémis commanda deux rhums, et fit un léger sourire à la femme pirate. Elle mâchait quelque chose, du tabac peut-être, peu importe. Alphonse semblait la regarder de ses deux yeux étranges, mais à vrai dire, il était difficile d’estimer dans quelle direction il regardait vraiment. Une fois qu’elle fut partie, il retourna le regard vers le caméléon.

« Elle est pas mal pour une pirate de taverne vous ne trouvez pas? Oh! Ce n'est peut-être pas votre genre, vous préférez sans doute les nagas non ? Figurez-vous qu'il y en a une sur notre navire, et pas des plus laides. »

C'était un moyen banal d'entamer la conversation, mais cela lui permettait aussi de tester son interlocuteur, de savoir jusqu'à quel point il comptait tourner autour du pot. Artémis n'aimait pas qu'on essaye de lui forcer la main, encore moins qu'on tente de lui imposer quoi que ce soit, aussi il préférait essayer de garder un certain contrôle sur la situation. La femme revint un peu plus tard, apportant deux rhums. Artémis lui sourit à nouveau et la paya, un peu plus qu'il n'aurait du. La femme lui rendit son sourire, le regardant non sans un certain intérêt, mais Artémis se doutait qu'il n'aurait rien à attendre de plus, a moins qu'il ne pousse plus avant, mais il n'en avait pas l'intention, il préférait la laisser ainsi, peut-être qu'elle lui offrirait un verre, la prochaine fois.

« De quelle affaire parlons-nous alors, monsieur Treize ? J’espère que le rhum vous convient. »

« Donc tu es habitué à ce genre de trafic ? Et tu dis connaître les pirates ? Je me nomme Artémis Droskol, de l’équipage du capitaine Haul, sur le Kraken. Je veux bien considérer ta proposition, discutons-en autour d’un bon verre, comme tu le proposes. Passe devant. »

Alphonse regardait cet humain avec un intérêt certain. Fut-ce un temps où le vampire qu'il était aurait sans doute, et de façon spontanée, vidé le garçon de sang, mais désormais Homme-Lézard, il ne ressentait plus ces animosités. Seulement de la curiosité. Ainsi, il décida de lui répondre, tout en omettant quelques détails, il n'était pas né de la dernière pluie non plus.

"Hum.. oui. J'ai eu une histoire assez compliqué, incluant un mage arcanique, mon âme et un corps de singe-ailé. Alors, voyez-vous, maintenant que je suis en mesure de revenir sur le devant de la scène, je ne compte pas m'en priver. J'ai vécu longtemps, Artémis. Très longtemps. Les pirates ont été mes frères durant un temps, avant que je ne décide de voguer seul, mais tu sais ce qu'on dit, on reviens toujours au bercail. En tout cas, ravi de te rencontrer! Allons-y."

Droskol était un tantinet hautain, mais bon, rien de pire que les vampires, alors tranquille. De plus, l'équipage du Kraken lui disait vaguement quelque chose, ils n'étaient pas les plus terribles loups de mers, mais demeuraient compétents, qualité excellente chez des gens qui passaient plus de la moitié de leur temps ivre.
Galhaad s'engagea dans les quais, suivi par son ami matelot qui ne semblait pas vouloir lâcher on épée. (Il ne pensait quand même pas que cela échapperait à sa vision périphérique?). Lorsqu'ils arrivèrent devant une vieille bicoque, sentant la sueur, le vieux mâle et le vomi, le Caméléon n'hésita pas à rentrer dedans; ces odeurs étaient la promesse d'alcool fort! De celui qui vous détartre la gorge aussi bien que les poumons. Aaaaah, que la vie était belle!

Prenant place à une table assez éloignée de la cohue, ils furent bientôt rejoins par une femme assez laide, et pas vraiment digne d'intérêt. Surtout que ce n'était pas ce pourquoi ils s'étaient retrouvés là. Les filles c'est au bordel, pas à la Taverne. M'enfin, ça ce n'est que sa modeste pensée.

« Elle est pas mal pour une pirate de taverne vous ne trouvez pas? Oh! Ce n'est peut-être pas votre genre, vous préférez sans doute les nagas non ? Figurez-vous qu'il y en a une sur notre navire, et pas des plus laides. »

Ces mots dessinèrent un sourire sur le visage de Treize. Cet Artémis était un sacré loupiot! Oh, pas que cette pensée ne concerne sa remarque sur la donzelle. Mais plutôt dans sa façon d'engager conversation. Il passait du froid au chaud, et surement pas à cause des vapeurs d'opium qui venaient régulièrement les caresser. Non, en tant que Pirate, son interlocuteur devait sans doute vérifier de quel bois se chauffait celui qui après tout, était sortit de nulle part, proposant un marché alléchant, pouvant se transformer à tout instant en piège mortel. Surtout qu'en piraterie, un accident est vite arrivé, avec ou sans motif particulier.

"Hum... Bof. Vos paroles sont en plus un peu racistes mon vieux! Peau, écaille, que sais-je, tout est bon à prendre si l'on sait en apprécier la beauté. Surtout que je... (ne pas lui parler du passé. trop dur à expliquer) Je ne suis pas là pour parler sauterie, le temps presse, veux-tu bien m'excuser. Ce que je te propose, c'est de se rendre à bord du navire du quai numéro 3, le "Drapeau Bleu". Son équipage, d'après ce que j'ai pu entendre en rentrant ici, et en parcourant un peu les quais en ta compagnie, n'est qu'une bande de débutants. Des ratés, en somme. Oh? Oui, je suis un homme-reptile, on est plus.. sensibles aux informations auditives, olfactives et sensorielles de manière plus large, ne t'en étonne pas. Et d'ailleurs, je sens que tu sécrète une bonne dose de phéromones en regardant Miss Serveuse, je dois t'attendre dehors un petit moment mon gars?"

Alphonse riait, gaiment, tandis qu'il sifflait son rhum à toute allure. Comme cela faisait longtemps qu'il n'avait pas parlé de choses banales, comme de filles, sans que son interlocuteur ne propose de "se baigner dans son sang", "faire un château de cartes avec ses boyaux en guise de fortification", ou bien "préparer une potion à base de ses larmes". Et puis, merde, que ce rhum était bon! Il finit sa choppe d'une traite et la reposa aussi sec, plantant deux yeux pleins de détermination sur Artémis.

"Une fois sur le bateau, il s'agira de voler un simple bout de papier. C'est tout ce que tu as a savoir, pour ton propre bien. Et pis, vu la façon dont tu garde ta main en permanence sur ta lame, je suppose que tu aime te battre, et tant mieux, je pense qu'on aura besoin de se débarasser d'une ou deux personnes. Mais t'en fais pas, ce corps de Lézard semble posséder des armes non négligeables."

Et sur ces mots, il déploya sa langue, qui, en une fraction de seconde déroba le plat de viande posé sur la table d'à côté, et le ramena dans les mains du Caméléon. Il avala la nourriture d'une traite.

"Alors, Droskol...? Ais-je mentionné le fait que l'objet en question pourrait servir à... je sais pas... un mec qui cherche à s'élever? Au hasard mon vieux, hein! Serveuse? Deux autres, je vous prie."

Le naga cherchait à précipiter les choses, il le sous-estimait peut-être, ou bien voulait-il le pousser à accepter vite. En effet, le temps pressait, sur ce point, il n’avait pas tort. Quoi qu’il en soit, le naga semblait ne pas le prendre au sérieux et cela irritait un peu le pirate qui n’aimait pas qu’on cherche à se moquer de lui. Mais ce n’était pas le moment de faire des manières, le naga avait raison sur le fait qu’un tel coup pourrait lui servir, il fallait toujours peser les risques et les bénéfices que l’on retire de chaque action, pour ne pas mourir de façon tragique, quand on cherchait à s’élever trop vite trop haut, on risquait de se brûler les ailes, mais en revanche, se faire des alliés n’était pas exclu.

"Une fois sur le bateau, il s'agira de voler un simple bout de papier. C'est tout ce que tu as a savoir, pour ton propre bien. Et pis, vu la façon dont tu gardes ta main en permanence sur ta lame, je suppose que tu aimes te battre, et tant mieux, je pense qu'on aura besoin de se débarrasser d'une ou deux personnes. Mais t'en fais pas, ce corps de Lézard semble posséder des armes non négligeables."

Ce naga avait plus d’un tour dans son sac visiblement, et le voir happer un plat délaissé sur une table voisine avec sa langue gluante était intéressant, mais pas très ragoutant. En outre, c’était atypique, mais pour le moment cela ne ressemblait pas à ce que le pirate aurait appelé une arme, cela devait avoir son utilité, mais Artémis ne voyait pas laquelle.  Alphonse venait de commander deux autres verres, et Artémis regarda son curieux allié, désireux de lever la méprise de ce dernier.

« Si je fais de l’œil à cette serveuse, c’est uniquement pour en tirer profit. Tu sais, je ne suis pas un de ces idiots qui bavent dès qu’ils voient une poitrine bien bombée, je vois plus loin, ici, je n’investis rien, je peux gagner un prix plus que modeste… »

La serveuse arriva, et il la gratifia d’un autre sourire. Lorsqu’elle leur demanda de payer, elle n’avait compté qu’un verre, celui d’Alphonse, et fit un clin d’œil à Artémis. Si elle avait été moins laide, Artémis savait très bien où cela aurait fini, mais pas avec elle, il avait assez gagné pour ce soir, nul besoin de tout gâcher. Une fois qu’elle fut repartie, il se pencha vers le caméléon.

« Tu vois Treize, ce n’est pas grand-chose, mais ici, mieux vaut avoir du soutien que des ennemis, cela peut toujours servir. Donc on s’infiltre, on vole un morceau de papier, et voilà tout ? Il doit y avoir de sacrées infos dans ce morceau de papier pour qu’on te paye un petit magot pour le dérober. Mais bon, l’information est le plus sûr des pouvoirs n’est-ce pas ? Bref, je vais t’aider. »

Il but son rhum et souffla après avoir bu une bonne partie de son verre d’une traite, il n’était pas le meilleur alcool qu’il ait bu, mais au moins ça tenait au ventre. Il ne devait pas trop boire, il aurait été dommage d’être saoul alors qu’une mission l’attendait. Il regarda le naga et finit par se lever, l’invitant à le suivre. Il pensa à quelque chose, et un petit sourire étira ses lèvres alors qu’il se tournait vers le caméléon.

« Oh et tu sais, si je garde la main sur mon arme depuis qu’on s’est rencontrés, ce n’est pas parce que j’aime me battre. On ne sait jamais sur qui on tombe, Quand on joue pour sa survie, quand on cherche à s’élever plus haut, on doit bien faire attention à ne pas prendre un coup dans le dos, parce qu’on ne les voit pas venir. »

Après ces dernières paroles il semblait clair qu'Artémis était de ces personnes un peu donneuses de leçons, et terriblement fières d'elles-mêmes. Trait commun parmi les pirates toutefois, donc ce n'était pas une grosse surprise.

Leur petite escale à la Taverne, loin d'être de courtoisie, lui avait permit de jauger ce matelot, aimant a disserter sur les bénéfices des charmes. Hum, pour un ancien vampire cela en devenait gênant d'entendre de tels propos, évidemment que la séduction était une arme, le simple fait de le dire, lui ôtait cependant toute son délicat pouvoir. Toujours était-il qu'Artémis semblait content de lui exposer ses théories, ainsi Alphonse singea une expression de tout intérêt, et hocha énergétiquement la tête à ses moindres dires.

Lorsqu'ils payèrent, la serveuse ne leur compta qu'un verre. Celui d'Alphonse. Ceci ne plut vraiment pas au lézard, qui, prétextant un appel de la nature, fut plutôt tenté de devenir invisible, sauter au plafond, s'y maintenant habilement grâce à... il ne savait pas trop en fait... mais toujours est-il qu'il déroba la petite bourse dans laquelle la serveuse gardait sa monnaie. Son patron allait peut-être la virer. Mais Alphonse s'en fichait bien, les gens se doivent de rester professionnels en toute circonstances, et les faibles, doivent mourir. Ainsi pensait-il selon la logique implacable des vampires.

Lorsqu'il revint à la table, muni d'un grand sourire, Artémis reprit la parole.

" Oh et tu sais, si je garde la main sur mon arme depuis qu’on s’est rencontrés, ce n’est pas parce que j’aime me battre. On ne sait jamais sur qui on tombe, Quand on joue pour sa survie, quand on cherche à s’élever plus haut, on doit bien faire attention à ne pas prendre un coup dans le dos, parce qu’on ne les voit pas venir. "

Alphonse le regarda, une fois de plus, interloqué.

"Haha Droskol! Voilà une bien bonne pensée mon ami! S'élever, bien sur, bien sur, je ne pourrais imaginer autre chose pour toi. Par contre tu devrais éviter de dire à tous ceux que tu rencontre que tu manipule les gens pour avoir ce que tu veux, et que tu es toujours prêt à trancher des gorges pour devenir plus important. La force de l'effet de surprise est la meilleure alliée de tout le monde, et tu n'y fais pas exception."

Oui, il était comme tout le monde. Légèrement inférieur au Lézard en terme de performances physiques d'ailleurs.

" En ce qui concerne les infos détenues dans le livre des registres que nous cherchons, ouais, c'est une bonne affaire, bien payée, et surtout à même de nous procurer un brin d'exercice physique. Vu que tu es partant, je propose que l'on file sur les docks aujourd'hui même, j'ai envie de rester dans des temps  respectables pour l'exécution du contrat. Le professionnalisme avant tout. Et cache au moins cette lame, tu envois des signaux agressifs à tous ceux que nous croisons. Il y a que cette grosse palourde pour pas être intimidée. Je dis ça dans ton intérêt, t'as pas la tête de celui qui peux gérer une baston. Ne serait-ce que contre le pauvre caméléon que je suis. "

Le caméléon tentait de piquer au vif le pirate, cela était flagrant, il le provoquait et Artémis détestait cela. Mais chaque chose en son temps, pour le moment, il devait rester avec cet étrange naga, même si le fait que celui-ci donne l’impression de se sentir supérieur lui déplaisait. Il éloigna la main de son épée, mais suffisamment près pour pouvoir dégainer si cela s’avérait nécessaire, la prudence avant tout.

« Bon d’accord, donc tu veux te lancer aujourd’hui sur ce contrat. Mais dis-moi, si je ne suis pas capable de tenir la comparaison physiquement au lézard que tu es, pourquoi ne pas m’avoir mis hors-combat lorsque je t’ai repéré ? Tu aurais aussi bien pu faire cela, mais tu as préféré me proposer une association, pourquoi ? C’est fort probable qu’avec quelqu’un comme toi, je n’arrive jamais à avoir un coup d’avance, c’est comme ça, certains sont plus forts, mais il n’empêche que j’aimerai connaitre tes motivations vis-à-vis de moi. »

Il savait que le caméléon était le genre de personne qui, comme Haul, le capitaine de Kraken, avaient toujours un coup d’avance sur leurs interlocuteurs. Pour Haul, la force de ses relations, le poids de son influence sur le navire, et la crainte qu’il faisait planer sur l’équipage suffisaient à ce qu’on ne tente pas de le renverser, et avec son réseau de matelots dévoués, les traitres étaient vite repérés. Pour Alphonse, c’était bien plus difficile pour le pirate de jauger ce qui le rendait plus malin, plus intelligent. Il était trop confiant, trop certain de toujours avoir la main dans leur relation, pour que ce soit normal. Il avait un avantage, un large avantage encore inconnu du pirate.

« Et donc, tu veux te mettre au travail de suite ? Où bien tu préfères attendre encore un moment ? Et concernant la récompense, combien j’y gagne ? Je ne perds pas le nord tout de même, tu peux me faire miroiter ce que tu veux devant les yeux, il n’en reste pas moins qu’il faut que j’y trouve moi aussi mon compte…»

« Bon d’accord, donc tu veux te lancer aujourd’hui sur ce contrat. Mais dis-moi, si je ne suis pas capable de tenir la comparaison physiquement au lézard que tu es, pourquoi ne pas m’avoir mis hors-combat lorsque je t’ai repéré ? Tu aurais aussi bien pu faire cela, mais tu as préféré me proposer une association, pourquoi ? C’est fort probable qu’avec quelqu’un comme toi, je n’arrive jamais à avoir un coup d’avance, c’est comme ça, certains sont plus forts, mais il n’empêche que j’aimerai connaitre tes motivations vis-à-vis de moi. »

Et moi qui pensait que cet homme était du genre réfléchit et à la tête froide, voilà que je dois gérer sa paranoïa et son complexe d'infériorité. J'en viens à regretter Styx.


"Oh oh oh, du calme moussaillon, alors avant tout je suis un caméléon, comme le prouvent mes yeux un peu bizarroïdes, et puis tu pars un peu loin. Je t'ai demandé de ranger ton épée, c'est tout, je veux bien que ces docks soient dangereux, et c'est justement ce qui me pousse à te demander de laisser les symboles freudiens compensatoires et ostentatoire hors-jeu.
Fit-il d'une voix calme tandis qu'il regardait Artemis droit dans les yeux. Un problème éclot cependant bientôt dans la tête reptilienne. Si ce gars obtient du pouvoir, personne ne pourra le tenir. C'est évident. Il est trop ambitieux pour ce que son esprit ne peut endurer, la plus vieille histoire du monde. Si jamais les pirates venaient à tomber sous sa coupole, je ne sais par quel hasard, ce serait une catastrophe... hum... oui. Il faudra... Il n'osa pas terminer sa pensée, préférant croire en un changement chez l'homme qui se tenait face à lui.
Et donc, en ce qui concerne le fait que je ne t'ai pas tué lorsque tu m'a démasqué, on va dire que c'est du bon sens. Se battre ne m'intéresse pas plus que ça. Tu plantes tous ceux qui te posent soucis? Honnêtement mon gars je pense que tu devrais boire plus de rhum, ou beaucoup moins, je suis pas ton ennemi. Pour l'instant. Enfin bref, mes intentions vis à vis de toi n'étaient... ne sont qu'amicales, je n'ai pas de plans derrière la tête. Bien sur, j'ai toujours des plans de secours, mais là n'est pas la question. Le travail est simple, on récupère les informations et on se partage le butin qu'on trouvera sur place, ensuite, mon employeur saura me gratifier d'informations, et je ferais de même avec toi. Je sais d'ailleurs quelque chose qui devrait t'intéresser. Tu es partant?"