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Le Monde de Dùralas


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Nina-Lou Knywett
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Nina-Lou Knywett

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ÉTREINDRE. (Il se conjugue comme ATTEINDRE.) v. tr.
Embrasser, presser entre ses bras. Il l'étreignit si fortement qu'il lui fit perdre la respiration. Prov. et fig., Qui trop embrasse, mal étreint. Voyez EMBRASSER. Fig., Étreindre les nœuds, les liens d'une amitié, d'une alliance, Les resserrer. Il se dit aussi en parlant des Choses morales. Une grande anxiété, une grande angoisse nous étreignait. Une vive émotion étreignit les spectateurs de cette scène tragique. Il était étreint par le désespoir.

**

Son faciès tourné vers le ciel, Nina-Lou profite de la fraîcheur des environs. Ses yeux se ferment alors que le vent souffle tout autour d’elle amenant dans son sillage poussières diverses et feuilles desséchées. Le vent danse tout autour d’elle, effleurant ici et là les parcelles nues de sa peau recouverte par des lourdes étoffes. Les rayonnements timides de la lune viennent effleurer sa longue chevelure d’ébène alors que sa poitrine se gonfle, la jeune femme inspirant une bonne goulée d’air fraîche. Coupée dans son élan, elle toussote vivement. Un haut le cœur vient secouer son estomac, ébranler son âme l’amenant à se pencher soudainement vers l’avant. Manquant de dégobiller, elle pince son nez à l’aide de son pouce et de son index tentant de ne plus sentir cette odeur nauséabonde qui vient accabler son odorat. En ce joli soir de pleine lune, une odeur tenace, intenable, quasi-inhumaine vient se diffuser tout autour d’elle. Une flaque sanguinolente vient pourlécher ses pieds lui signalant que le danger n’est vraiment plus très loin désormais. Elle tente d’inspirer par la bouche une nouvelle goulée d’air pour se donner du courage mais son souffle se coupe. Elle ne peut plus expirer ses poumons gorgés par l’air capturé se font douloureux, restant gonflés à bloc. Un étau puissant, invisible et probablement imaginaire vient enserrer fortement sa gorge. Comme une main apposée contre son cou, comme cinq doigts enserrant la peau fine de sa gorge, l’air se raréfie, se fait inexistant tandis que les battements de son cœur se font frénétiques, quasi-fous. Tambourinant au sein de sa poitrine, son cœur tente de s’en extirper. Tout n’est que souffrance, douleur. Un violent tremblement vient agiter ses mains, se diffusant le long de ses bras. Un craquement sinistre se fait entendre. Propulsée vers l’avant, son dos s’arcboute. Nina chute lourdement au sol, courbant l’échine face à la lueur de la lune. Ses mains s’enfoncent dans la terre, ses ongles se font griffes. Ses cheveux retombent en cascade devant son faciès défiguré par la douleur. Les craquements s’intensifient, redoublent d’ardeur, agitant aléatoirement le corps de la jeune louve. Pantin disloqué au service de la Nuit, un cri étouffé franchit douloureusement le seuil de ses lèvres. Ses frusques se déchirent, la douleur vient embrasser chacune des parcelles de son corps défaillant. Nina n’existe plus l’espace de quelques minutes.

Projecteur lumineux, la lune met en valeur le combat. Sous son doux rayonnement le combat s’intensifie entre Nina et Lou. Le corps disloqué par la transformation vient embrasser le sol en position fœtale. Ses bras, ses mains, ses doigts se tordent. Ses orteils se crispent, tentent de se rattacher à la terre. Ses poings se referment, se plaquent contre son ventre là où la Bête semble s’être nichée. Là où la Bête semble avoir élu domicile pour la soirée. Paumes ensanglantées par les ongles qui viennent s’y enfoncer, Nina plaque le plat de ses mains contre son faciès. A l’aide de la pulpe de ses doigts, elle tire sa peau, déforme davantage son visage. Elle cède, concède à la Bête du terrain. Peu à peu Nina s’efface et la louve prend place.

Nina s’efface totalement. Ses bras, ses jambes se recouvrent de poils. La louve prend définitivement place. L’animal est frêle, quasi rachitique. Ses pattes sont ensanglantées, une large cicatrice vient barrer ses épaules. Sa truffe vient se porter au-dessus de la marée sanguinolente. Humant l’odeur, les poils du dos de l’animal se redressent, s’hérissent. Un grognement s’extirpe d’entre ses babines retroussées. Ces dernières laissent entrevoir des crocs affutés, prêts à en découdre. Ses oreilles s’agitent, tentent de capter le danger qui court en ses propres terres car l’animal en est conscient : l’odeur de la Mort est tout sauf anodine.

**

Elle officie comme ses tiers au sein de la zone neutre. Nina-Lou accompagne les siens pour troquer, échanger, ce qui constitue aujourd’hui leur principale source de revenus. Elle se tient néanmoins légèrement à l’écart, emmitouflée sous sa cape, scrutant les siens avec une bienveillance quasi-maternelle. Elle note leurs faits, leurs gestes, un fin sourire venant broder ses lèvres. L’amour qu’elle leur porte semble inconditionnel, au-delà de tout entendement. Fière d’eux, fière de ce qu’ils parviennent à accomplir dans l’entraide la plus pure, Nina ne peut s’empêcher d’esquisser un petit rictus narquois. Des propos emplis d’amertume franchissent le seuil de ses lèvres alors qu’elle murmure d’une voix à peine audible :
« Au nom du Pacte de Spelunca »

L’hypocrisie latente des lieux, cette présumée neutralité fait sourire la jeune louve. Esquissant quelques pas pour quitter les hauteurs, la Mère Veilleuse descend à la rencontre des siens. Quelques pierres roulent le long de la butée sur laquelle elle se tenait, amenant quelques regards curieux à se tourner vers elle. Agile, elle ne perd pas en équilibre et arrive aux pieds des toiles tirées à même le sol. Là encore, elle observe, scrute, déambulant les mains croisées dans le dos tout autour du petit commerce ambulant. Ses compagnons d’infortune ont pris soin d’établir un petit étal. Ce dernier met en valeur plusieurs fioles contenant des mixtures pour soigner les gros maux et petits bobos. Aux côtés de ces remèdes, quelques feuilles et fleurs séchées mais aussi tout un tas de cactus cueillis fraichement viennent orner leur échoppe.

Congédiant temporairement les deux jeunes femmes qui tiennent le stand, la Mère les invite à prendre un peu de répit. Elle vient prendre place à même le sol, tirant une étoffe sous ses fesses. Ses jambes se croisent et assise en tailleur, elle ne quitte pas du regard les produits proposés à la vente. Pour en avoir cueilli certains et fabriquer d’autres, Nina maîtrise l’argumentaire de vente mieux que quiconque. Son faciès se détache un très bref instant de tout ce foutoir le temps pour elle de scruter les environs et de sentir son poil s’hérisser à nouveau. La chair de poule vient accaparer la surface de sa peau et Nina ferme un bref instant les yeux pour se concentrer sur le rythme effréné de son cœur. Ses yeux se rouvrent, son menton se relève légèrement, le temps pour elle d’embrasser du regard la Mort qui lui fait face. Elle se tient à quelques mètres tout au plus de leur petit commerce. Nina note la silhouette sombre au masque ensanglanté. Elle note l’écharpe qui vient effleurer son cou. D’un revers de la main. La jeune louve tente de garder son calme, de montrer aucun signe de panique afin de ne pas affoler les siens. Son instinct primaire lui souffle de décamper au plus vite alors qu’elle fait mine de réorganiser ce qui se trouve juste sous son nez. Elle rabat un peu sa cape contre elle alors que le vent semble bien plus mordant : est-ce la peur de l’inconnu qui rend l’atmosphère soudainement glacée ?

Son souffle s’emballe légèrement alors qu’elle ne parvient pas à quitter de son regard l’étrange silhouette. Ne cessant de faire la navette entre l’étal et l’inconnu, Nina le voit esquisser un simple pas en sa direction. Aussitôt, la jeune louve sent son cœur s’emporter. Il tambourine fort, menaçant de laisser la louve en elle s’extirper. Nina se fait violence, tente de refouler son instinct primaire. Ses dents se resserrent, sa mâchoire se crispe. Au même moment une main s’abat sur son épaule et l’amène à sursauter, se redressant aussitôt. Chancelante du fait de s’être relevée trop vite, elle a instinctivement glissé une main vers l’une de ses poches prête à en extirper une lame. La pression retombe lorsqu’elle fait face à l’un des siens. Leurs regards se croisent, Nina laisse retomber ses mains le long de son corps cessant de triturer et farfouiller ses propres poches.

Le regard du jeune homme planté dans le sien dévie légèrement en la direction de la silhouette qui laisse planer au-dessus de leurs têtes une épée de Damoclès. En un souffle surement inaudible pour la Mort, il suggère :
« Repli de terrain ? »

Nina opine du chef et sans un mot supplémentaire, vient observer les siens. Tous ont ressenti, tous portent sur elle leur regard et tous ont commencé à rassembler les premières affaires. A nouveau elle acquiesce silencieusement et les cinq personnes qui l’ont accompagné commencent à plier bagage. Ordonnés, méthodiques, ils viennent mettre dans des baluchons tout ce qu’ils ont étalé et proposé au troc ou à la vente aujourd’hui. Nina participe, donne un coup de main et orchestre le départ non sans un dernier regard vers la gigantesque silhouette silencieuse et morbide. Son estomac se tord tandis qu’elle devine avec aisance que cet homme est fou-à-lier : le sang asséché couvre son armure. Elle devine qu’ils sont probablement une dizaine à avoir pu goûter au froid de sa lame sans se douter qu’ils sont en réalité bien plus…  
Aidant à charger le cabrouet, Nina porte le bout de sa botte contre l’une des roues taillées dans le bois semblant en vérifier la solidité. L’humidité ambiante ronge les vêtements, ronge le bois et la louve préfère s’assurer de la fiabilité de leur installation avant tout départ. Bien que ce dernier soit réalisé à la hâte, ils parviennent à s’entendre et en quelques minutes à peine ils se mettent en marche. Nina évolue au centre du groupe avant de ralentir progressivement le pas, constatant que la silhouette de l’inconnu s’est tournée en leur direction.

Rebroussant chemin, ils retournent bien rapidement dans leurs quartiers s’assurant que la Mort n’est pas à leurs trousses. Une discussion s’impose, naturellement, entre Nina-Lou et les siens s’entendant d’un commun accord pour accentuer les tours de garde et accroitre la vigilance lors des sorties seul ou en petit groupe…

C’est pourquoi une fois la nuit tombée, autour du feu, Nina-Lou veille la première. Le crépitement du feu se fait entendre. Les ombres se font dansantes au sein de l’étroite caverne alors que les braises réchauffent l’atmosphère. L’odeur du bois ne parvient pas à masquer l’atmosphère putride qui vient effleurer ses narines. Le cliquetis de l’eau, qui semble rebondir à l’infini entre les murs de la caverne, résonne. Interminable, inlassable, amenant la Mère-Veilleuse à rouvrir ses jolis yeux à chaque fois qu’une goutte vient s’échouer entre les parois vitreuses et moisies de la grotte. Somnoler pour mieux veiller. Assise à même le sol glacé, l’humidité venant pourlécher ses frusques, Nina-Lou se fait violence pour rester éveillée. Autour d’elle une dizaine de personnes se sont assoupies et se laissent aller à un sommeil réparateur. Pour la jeune louve le répit n’existe pas. Elle veille les siens et même si les tours de garde changent, le sommeil dont bénéficie la jeune femme reste toujours aussi cauchemardesque… quasi impossible depuis leur rencontre du petit matin.

Nina a somnolé au retour. Quelques minutes, tout au plus. Suffisamment de minutes pour revoir la Mort : homme grand, dissimulé sous une armure massive. Elle l’a imaginé enserrer et étouffer en silence tout son campement. Elle l’a vu, dans ses atroces cauchemars, planter la pulpe de ses doigts tout contre le cou de chacun de ses alliés. Elle l’a vu se réjouir, l’a imaginé se galvaniser du sang des siens, l’a imaginé festoyer autour du feu avec leurs têtes au bout d’épées et pics tranchants. La peur de perdre les siens est constante. Oppressante, cette peur laisse naître en Nina une paranoïa certaine. Elle oscille perpétuellement entre somnolence, vigilance et bienveillance. Des cernes foncés viennent souligner son regard vairon. Un toussotement s’extirpe d’entre ses lèvres alors que l’humidité vient emplir ses poumons, rendant sa respiration sifflotante. Se relevant passé de longues heures ainsi assise, elle s’étire sous la pâle lueur de la lune. Epuisée, à bout de nerfs, ses poings fermés viennent doucement frotter ses yeux alors qu’elle n’en impose plus réellement, son attention semblant quitter son esprit disloqué elle esquisse quelques pas.

Sans la moindre once de méfiance, elle vient quitter les profondeurs de la grotte. La lune vient guider ses pas et la Mère jette un regard sur les environs. Elle observe le massif sur lequel elle crèche s’étendre sur des kilomètres. Son regard se perd un instant sur les autres cavités imaginant avec aisance les autres créatures qui peuplent ces galeries. Nina le sait, sa place est exactement ici, parmi les siens, entre les bêtes et la nature. A cet endroit, Nina se sent elle-même et sait les siens hors de danger en sa compagnie car ils sont loups avant d’être Hommes. L’évidence naît en son sein, soulignée par l’apparition d’un Alicanto : le gigantesque oiseau vient battre ses ailes dorées pour prendre son envol. Bouche bée, la jeune louve le suit du regard avec une admiration non feinte, fascinée par la beauté de la faune sauvage. Elle se dévisse presque la tête et au dernier battement d’ailes de l’oiseau, la Mort apparaît légèrement en contre-bas. La jeune louve vient étouffer un cri d’effroi contre sa main. Renouant à la réalité avec violence, l’odeur de la Mort vient emplir ses narines. Un haut le cœur vient secouer son estomac. Elle se recule d’un pas puis de deux pas à la hâte, manquant de trébucher sur quelques racines dispersées aléatoirement autour d’elle. La Mort l’a-t-elle seulement remarqué ? Nina-Lou peine à détacher son regard de ce qui se déroule légèrement en contre-bas. L’écharpe rougeâtre de celui qu’elle pense être son ennemi vogue au gré du vent annonciatrice de sa présence dans la quasi obscurité des branchages. Le visage de l’homme se rejette légèrement en arrière et il est impossible pour la louve de voir les traits de son faciès qu’il vient faire baigner à l’intérieur de son casque rempli d’hémoglobine. Il choisit ce moment précis pour se tourner en sa direction, laissant apparaître de longues trainées sanguines s’extirper des orbites de son masque.

La louve en son sein s’agite, menace de dangereusement de resurgir pour lui faire la peau alors que Nina se contente de siffler un juron. Il suffit d’un seul pas en sa direction de la part de la Mort pour que La Mère recule une nouvelle fois de deux pas supplémentaires. Un jeu dangereux, une danse mortelle à laquelle Nina ne s’adonne guère longtemps car un craquement sinistre ne tarde pas à se faire entendre. Deux broches en métal viennent pourfendre le pied du monstre de part et d’autre l’immobilisant sur place. Atteint dans l'étreinte, la Mort semble s'être figée sur place. Nina affiche deux yeux ronds remplit de terreur. L'émotion est vive, sa bouche s’entrouvre sous la stupeur alors qu’elle souffle un « merde » sincère, spontané, impromptu.

ÉTREINDRE. (Il se conjugue comme ATTEINDRE.) v. tr.
Il se dit aussi en parlant des Choses morales. Une grande anxiété, une grande angoisse nous étreignait. Une vive émotion étreignit les spectateurs de cette scène tragique. Il était étreint par le désespoir.

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Dernière édition par Doebroksh le Ven 22 Mar 2024 - 13:16, édité 2 fois (Raison : Ajout du +18.)
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Furius
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MessageSujet: Re: Etreinte [PW Furius] +18 [PAUSE]   Etreinte [PW Furius] +18 [PAUSE] EmptyJeu 14 Déc 2023 - 15:04
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"Hormis vos mains calleuses et blessées,
Hormis le deuil de vos morts,
Je ne sais rien de vous."


Petite et folle,
La lueur mourante d’une bougie danse et transcende dans les ténèbres.


Quelque part loin d’ici, un morceau de pierre couve en silence dans un amas de neige et de cendre. Une mouche trop grasse agite ses mandibules en extirpant la viande d’une carcasse inerte. Le sexe déchiré d’une femme exposée peine à reluire de sève, victime de mains impures et violentes. Le rire brisé d’une sœur détonne comme une bénédiction victorieuse alors qu’elle tient dans ses mains la tête de son jeune frère infirme au fond de l’eau d’un ruisseau. L’ombre d’un enfant brûle dans les briques de sa propre maison en feu, le visage exprimé avec effroi dans l’absence de toute sécurité.

Au-travers des océans et des montagnes,
La mort frappe et s’étend sur toute la terre défraîchie de Dùralas.
Moi, je ne fais que contempler le visage oublié de ma femme, Héra.


Elle se tient là, devant moi. Assise avec bienveillance sur le trône d’une réalité fragile, là où jaillit une terre de prospérité au cœur des songes les plus éveillés. Je l’observe avec un sentiment de quiétude. Je prends le temps d’admirer sa nature féminine telle un vestige du passé, un symbole proche du divin, alors qu’une table sublimement décorée par des fleurs tressées nous séparent. Des poussières lumineuses retombent sur ses épaules, sans venir gâcher la moindre vibration de son aura. Elle ne quitte pas mon regard, ses prunelles scintillant avec une tendresse familière. Le cœur plein dans un monde si creux, je me sens rassuré de la retrouver ainsi. Puis, avec la douceur d’une page qui se referme, ses lèvres s’ouvrent comme les portes d’un temple, mais aucun son ne s’y échappe. Aucun mot ne se prononce. Seul le silence est teinté dans sa parole, rempli de vérités évidentes, en annonçant l'éclosion d’une conversation spirituelle.

“As-tu trouvé ta voie, mon amour ?”

Ma gorge déglutit péniblement. Car je considère cette question comme dangereuse. Un raisonnement qui pourrait pousser un être fébrile à se refermer et à errer indéfiniment dans l’oubli de ses pensées.

“As-tu réussi à te pardonner ?”

Les yeux plissés, mon cœur chute au fond de ma poitrine tel un poids en acier. J’observe Héra avec une tristesse communicative alors que mes lèvres tremblent de chagrin à l’intérieur de mon sarcophage d’acier. Manifestement, elle attend une réponse de ma part. Parler est si douloureux. Ma langue si sèche et écailleuse décide enfin de se réveiller et d’honorer sa demande. Formuler des mots à l’intérieur de cette haleine immonde. En inspirant profondément, je vais lui répondre. Je vais …

Puis, en un seul coup de vent, la flamme de la bougie n’est plus.
Les rêveries s’estompent tout comme la vitalité du vieil homme installée sur son lit de mort.


“Ass… assez … P…Pitié …”

Agonisante et brisée, la voix d’un brigand en souffrance s’éveille alors que la lubie s’éteint, laissant les effluves nauséabondes de ses camarades se répandre autour de moi. Ils sont nus. Trop humains. Sur leur peau blanche et fébrile, une ouverture béante se dessine au niveau de leur thorax, le sol écrasé et noyé par la viscosité sanguine de leurs entrailles. Malgré les armes reposant à leur côté, destinées et promises à assurer la protection de leur misérable vie, leurs visages se tortillant avec effroi manifestent une profonde souffrance qui ne connaît aucun juste repos. Avec lenteur, je relève mon visage, concluant ainsi ma méditation. Je respire longuement, alimentant mes poumons de cette énergie spirituelle. La riche odeur sanguinolente évoque en moi de profonds vertiges. Les pierres qui constituent le rosaire autour de mon poignet se manifestent en un cliquetis discret. Mon regard d’acier fixe intensément le visage du dernier survivant, alors que je sens ses yeux apeurés m’éviter devant l’influence de la punition atroce que je représente.

Parmi toutes les créatures imparfaites de Duralas, celles qui ne possèdent aucune goutte d’humanité, l’une d’entre elles demeure encore vivante dans le noir complet. Mes yeux nyctalopes parviennent à voir ce qui ne peut être vu dans la pénombre de la nuit. La tête en bas, les chevilles attachées par une corde autour d’une large poutre, l’urine et les excréments lui sont retombés dessus, glissant sur sa peau pâle comme des serpents rances et putréfiés.

“Je… Je sens plus mes jam…jambes…”

En un claquement sec, un ouvrage s’écrase à plate couture sur la surface de la table. De sa magnifique reliure en cuir cramoisi, le livre du mythe Pricifien s’ouvre à nouveau en dévoilant son ventre rempli de mots et de sens sans jamais apporter un manifeste clair pour ses apôtres. Et pourtant, je reste persuadé du contraire, car je suis devenu à mon tour le plus illuminé. A l’intérieur de mon casque, mes yeux scrutent chaque ligne de ces pages jaunis par une longue vie endurcie. Ma voix rocailleuse résonne dans les parois solides de mon casque d’acier, accompagnés par les plaintes déchirantes de mon invité :

“Au commencement, rien. Ni ténèbres, ni lumière, ni forme, ni essence, aucune notion de vie ou de mort, juste le néant…”

“Pi… Pitié …”

“De ce néant émergea Pricifiem, le commencement et la fin…”

“Laissez-moi… partir…”

“De son premier souffle naquit Tenestia, la bête dans les ténèbres, les ombres et l'inconnu…”

“Tuez-moi… Tuez-moi, je vous …”

“De son premier regard s'ouvrit le néant, alors rempli de ténèbres, s'illuminant, et de ses rayons surgit Perlucem, l'enfant lumière …”

Le livre se referme en un geste décidé, interrompant l’envol de chaque nouvelle parole. Tout en me relevant brusquement, ma silhouette, haute et symétrique, catapulte la table qui nous sépare avant de projeter une ombre massive sur le futur défunt. Malgré la violence naissante dans mon geste, un calme impitoyable se maintient dans la vibration de ma voix :

“... Quant à moi, je te le demande : où se trouve ma place ici-bas ?”

“Qu…Quoi … ?”

“Où. Se. Trouve. Ma. Place ?”

“Je c… Non, je ne comprends …”

Le visage relevé, il cherche à s’accrocher à mon regard avec ses prunelles délirantes. Lui non plus ne comprend pas. Il ne voit pas où se trouve ma place. Il n’apporte donc aucune réflexion, ni substance pour me venir en aide, annonçant une nouvelle fois que mon existence suit celui d’un spectre oublié. Un fantôme sans nom. Emprunt d’une douleur cuisante, nous sommes tous les deux condamnés à suivre le continuum de cet instant malpropre aux odeurs de larmes et de sueur. L’espoir s’éteint. Il est temps de briser le cycle ; il est prêt à rejoindre mes morts.

“La voie du pardon est couverte d’épines et de dents brisées. Semées sous mes pieds nus, je saignerai, je saignerai abondamment dans cette traversée, jusqu'à ce que mon corps ne puisse plus le supporter.”

Ôtant mon casque massif, celui-ci retombe à mes pieds dans un bruit assourdissant.

“Pardonne-moi."

Mes lèvres aux canines acérées se taisent dans la chair et prennent goût à la mort en un langoureux baiser.

Et par toutes les divinités qui assistent à cette triste scène,
la honte me foudroie sur place.


**

A l'intérieur de mon armure, mes yeux rouges se dévoilent entre les ouvertures de mon visage d’acier. Sortant une nouvelle fois de ma léthargie, je reprends conscience dans un cadre entièrement différent. Je me trouve cette fois-ci devant une vallée caverneuse où la verdure s’étend timidement à l’ombre de la roche et du granit, habités par plusieurs marchands itinérants de toutes espèces. Ils se déplacent tous autour de moi, leur visage affublé d’un faux sourire et les yeux aux aguets sur la moindre négociation. En clignant des yeux, je reconnais l’un d’entre eux. De ses bras maigres et tremblants, Olga l’ancienne tire sa roulotte en avant d’un pas assuré, les poches tintantes de pièces durement acquises. Malgré mon apparence éveillant une inquiétude certaine, elle m’adresse un sourire rassurant qui n’est aucunement répondu. Mon regard se détache du sien comme un morceau de glace sous le visage animé du soleil.

Alors que je suis sur le point de continuer mon chemin dans la négligence, un pressentiment étrange me retient, comme si les racines du sol avaient décidé d’alourdir mes jambières de fonte. En relevant mon visage dans un bruit de mécanisme, je découvre la raison de cet arrêt abrupt. Elle m’observe depuis l’ombre de sa toiture, cette petite entitée aux yeux vairons, pénétrant son regard dans le mien comme un glaive émoussé qui refuse de sortir d’une charogne. Alors que le brouhaha incessant de la foule commence à s’évanouir autour de nous …

... nous existons tous deux dans le silence religieux de ce moment.

Plus son attention se resserre sur moi, plus je me sens exister en elle. Une nouvelle flamme s’éveille. Une chaleur familière se répand en moi alors que l’intensité de nos deux regards copulent entre la peur et le défi. Ma quête identitaire se poursuit. D’anciennes pensées circulent le long de ma matière grise et se recentrent éternellement sur la même question.

Pourra-t-elle me dire où se trouve ma place ici-bas ?

Soudain, une main se pose précipitamment sur l’épaule de la jeune femme, interrompant ainsi la dualité dans notre regard. Clignant des yeux à mon tour, l’agitation des marchands revient, certains me poussant de leur épaule comme si ma présence était de trop. Je n’existe plus à nouveau. Le vent glacial des cavernes me comble de morsures alors que je ne ressens absolument rien. Attisé par le désarroi de ma solitude, j’essaye de retrouver son visage parmi les multiples faciès qui lorgnent dans ma direction. Je souhaite à nouveau étreindre son regard dans le mien. Exister. Vivre un instant de plus. Mais je ne la retrouve plus parmi cette nuée de profanateurs qui m’étouffent et me resserrent contre eux. Le cœur engorgé par la panique, je commence à repousser les gens de mes bras en essayant d’avancer contre la vague des marchands. La main accrochée fermement à l’épée, je me résous donc à tuer massivement tout ce qui rôde autour de moi afin d’atteindre mon but. Mais en relevant les premiers centimètres de ma lame, je devine son dos et sa chevelure d’ébène aux mèches un peu folles, accompagné par son entourage proche portant des baluchons sur leurs solides épaules.

La surprise suspendue à la gorge,
un sentiment de soulagement parvient à éteindre toute once de colère.


Mes yeux rouges retrouvent une lueur d’apathie, alors que mes pas continuent de fouler le sol verdoyant en suivant les caravaniers de loin. Qu’elle le veuille ou non, une marque est posée sur elle. Et rien ne m’empêchera de la suivre avant de lui avoir posé ma question sur mon existence. Ignorant les besoins primaires de mon corps, je me raccroche à tout ce que la haine peut m’apporter. A marcher alors que mes pieds sont jonchés de crevasses écarlates. A déglutir alors que ma gorge est aussi douloureuse et sèche que le désert d’Harena. À grimper les pentes qui s’opposent à moi alors que ma colonne vertébrale manque à tout moment de sortir de ma nuque comme la pointe d’une lance trop étroite. Et pourtant, je reste absolument stoïque. Une véritable machine froide transportée dans la détermination la plus pure.

La traque commence.

Alors que la marche se poursuit, une lune entière dévoile son halo lumineux. Au moment où l’obscurité commence à régner, un hurlement court et vrai détonne. Les poumons en feu et la vision brouillée par la fatigue, mes pas s’arrêtent brusquement, mon visage pivotant avec une lenteur mesurée à la recherche de cette voix. Et en gardant le visage par-dessus mon épaule, je devine sa position dans les hauteurs. Cette entité gesticulante où un étrange collier se repose sur le flanc de sa poitrine. Alors que ma trajectoire diffère, un piège malicieux s’active en transperçant mon armure, et en perforant mon pied avec une force certaine. Le souffle immédiatement coupé par le choc, je ne permet aucun gémissement empoisonner mes lèvres gercées. Seul mon dos commence à se raidir abruptement par la tension brûlante qui m’accable. Malgré cette punition atroce, je suis indigne d’exprimer ma propre souffrance. Depuis que Gorthol Herumor a péri dans les limbes, je n’en ai plus le droit.

Car ceci est ma pénitence.

En soufflant par saccade, je relève lentement mon visage masqué en déposant sur elle un regard constellé de blasphèmes vindicatifs. Mais au lieu de me munir de ma lame à deux mains, c’est le livre du mythe Pricifien qui s’exhibe sous ses yeux comme une armée redoutable. De la première main, je tiens la couverture rouge sous la paume. De la seconde, j’adresse ainsi ces écrits en lui jetant un doigt accusateur dans sa direction.

“Au comm… ”

La douleur vive ne peut s’empêcher de bousculer la clarté de mon message. La mâchoire du piège continue de déployer sa morsure autour de ma chair, laissant ma cheville en captivité dans l’immobilité la plus totale. Je pourrais décider de planter mon épée au cœur du mécanisme, de me mouvoir avec une hargne certaine en souhaitant me libérer. Mais il n’en est rien. En braquant la mâchoire avec vigueur, je reprends mon souffle avant de poursuivre ma rédaction.

“Au commencement, rien. Ni ténèbres, ni lumière, ni forme, ni essence, aucune notion de vie ou de mort, juste le néant…”

Malgré toute la souffrance cuisante qui m’accable, l’hostilité n’est pas encore construite. Seule sa réponse sera l’élément déclencheur d’un affrontement potentiel.

“... de ce néant émergea Pricifiem, le commencement et la fin. De son premier souffle naquit Tenestia, la bête dans les ténèbres, les ombres et l'inconnu. De son premier regard s'ouvrit le néant, alors rempli de ténèbres, s'illuminant, et de ses rayons surgit Perlucem, l'enfant lumière …”

Par la bise glaciale qui se lève, les tissus morcelés de mon écharpe plane sur la moitié de ma joue.

“... Quant à moi, je te le demande : où se trouve ma place ici-bas ?”

Toi profanatrice, réponds à ma demande.
Déverse de ta panse ta destinée douloureuse.
Montre moi l’éclat de tes promesses brisées.
Avant que tu puisses entendre la dernière symphonie de nos armes,
Le chant du Protecteur et de ses larmes.







“Que votre soif de violence ne tarisse jamais, que le sang sur votre épée ne sèche jamais, et que nous n’ayons plus besoin de vous, Ôh pénitent pleine de grâce.”


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Nina-Lou Knywett
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MessageSujet: Re: Etreinte [PW Furius] +18 [PAUSE]   Etreinte [PW Furius] +18 [PAUSE] EmptyMar 19 Déc 2023 - 19:51
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Le piège se resserre, embrasse les chairs. Nina voit l’homme suffoquer, faiblir. Perchée dans les hauteurs ses grands yeux viennent scruter avec attention l’inconnu vêtu de son armure si singulière. Son visage reste dissimulé derrière son masque, derrière son casque mais l’audition fine de la louve ne trompe pas : elle l’entend déglutir, elle entend sa respiration qui se fait de plus en plus bruyante, plus difficile. Elle l’imagine suffoquer de douleur sous son casque aux longues trainées rougeâtres et pourtant, pas l’ombre d’un cri ne vient percer la forêt.

La dualité naît au sein de l’esprit de la jeune femme tandis qu’elle perd son regard sur la trainée sanguinolente qui vient pourlécher le pourtour des bottes de l’homme. Le temps presse et pourtant, elle ne bouge pas, ne part pas à sa rencontre. Aucun plaisir sadique ne vient agiter ses sens. Sa peur demeure constante bien qu’il soit cloué et incapable de venir à sa rencontre. Elle l’imagine croupir sur place d’une gangrène ou bouffé par les animaux sauvages. Son esprit un peu disloqué l’imagine mourir de plusieurs façons mais bien rapidement, il met fin à ses réflexions en pointant vers sa personne un doigt accusateur. Elle, terrée dans l’ombre comme le ferait un petit animal sauvage, se contente de le scruter et d’écouter ses paroles. A son tour, sa bouche se fait sèche, sa respiration se fait saccadée. Les émotions de l’inconnu viennent frapper Nina de plein fouet. Leurs âmes se rencontrent comme si elles se connaissaient depuis toujours. Une évidence. Une âme meurtrie comme la sienne. Au sein de son estomac tout se tord, tout se chamboule. Glissant le plat de ses mains contre son ventre, la Mère-Veilleuse ne quitte pas l’étrange scène du regard. Le vent vient faire trembler les feuillages aux alentours, menaçant, soufflant sa colère contre les deux personnages qui se scrutent, sans jamais se quitter du regard. Ses doigts viennent se crisper contre l’étoffe couvrant son ventre. D’une voix hésitante, elle reprend à sa suite :
« … Tenestia et Perlucem s'en prirent à Pricifiem, la blessure qu'ils lui infligèrent, véritable gouffre béant, créa le ciel, le cri qu'il poussa, donna naissance au son et au silence. »

**

Mes yeux se ferment. Les battements frénétiques de mon cœur viennent bercer mes oreilles. Tout devient plus tangible, tout devient plus sensible. Je ressens ce que ressent cet inconnu. J’ai envie de l’aider comme j’aide les miens, de le bercer dans mes bras le temps qu’un tiers s’occupe de soigner sa blessure. J’ai envie de presser son visage tout contre ma poitrine, tout en lui murmurant quelques propos réconfortants. J'ai envie de l'aimer comme une Mère aime son enfant. J’ai envie de prendre soin de lui, de l’aider car sa question fait écho à mes pensées les plus sombres : où se trouve notre place ici-bas ?

Je rouvre les yeux pour l’observer.

Son faciès tourné en ma direction semble attendre des réponses que je n’ai malheureusement pas à lui offrir. Je devine sous son masque son faciès tordu par la douleur. Il reste silencieux, demandeur d’une main-tendue que je n’ai probablement pas à lui offrir. Une main-tendue que je n’ai probablement pas le droit de lui offrir. Son doigt accusateur n’a de cesse que de se maintenir, pointé droit en ma direction, légèrement tremblant. Il faut agir vite, lui venir en aide vite, le soigner vite au risque de le blesser à vie et pourtant je reste clouée sur place par une force qui me dépasse. Je n’ai aucunement confiance en ces suceurs de sang. Nous clamons avec le clan depuis des mois si ce n’est des années qu’il faut se méfier de l’ennemi commun comme de la peste... et me voilà au pied du mur face à mon ennemi le plus redoutable.

De ma voix nouée par l’émotion, je ne peux pas m’empêcher de lui indiquer :
« Furius, Dieu de la guerre et de la rage. »

Au fin fond de mon être, une voix me souffle de lui venir en aide car nous partageons les mêmes croyances même si nous ne sommes pas issus de la même race. Je ne peux pas fermer les yeux sur tant de misère humaine. Je ne peux néanmoins pas l’amener au campement au risque de me mettre les miens à dos. En quelques enjambées, je franchis la distance qui nous sépare. L’odeur des corps en putréfaction vient effleurer mes narines. Un haut de le cœur parcourt mon être tout entier tandis que je l’observe, manquant de me dévisser la nuque pour lui faire face. Les conditions résonnent dans ma tête et franchissent le seuil de mes lèvres en un murmure incertain :
« Si tu m’attaques, m’attrapes, j’appelle les miens avant que tu puisses me briser la nuque. »

Je cherche son regard au travers de son masque tandis qu’avec prudence, je ploie genoux devant lui. Mon regard se porte instinctivement sur le fourreau de sa lame. L’idée brève qu’il puisse planter sa lame et pourfendre mon crâne en deux effleure mon esprit disloqué. Je déglutis et avec prudence extirpe une dague de sous mes frusques. Je viens planter la lame au sein du piège, évitant de lui pourfendre davantage le pied qu’il ne l’est déjà. Je jauge ses réactions, jauge son regard. Je vois dans ce dernier qu’il bascule dangereusement. Une lueur nouvelle vient illuminer ses yeux et je recule aussitôt, manquant de trébucher, en laissant échapper un grognement d’insatisfaction. Je tombe sur les fesses, reculant rapidement, le piège partiellement ouvert : a-t-il voulu m’attaquer ?! Ou est-ce de la paranoïa ?! A nouveau, je cherche son regard et la lueur de colère divine semble s’être évaporée. Je secoue négativement mon faciès et avec prudence, je tends les bras. Mon buste vient épouser le sol. Affalée contre le sol de la caverne, je répète, énième avertissement à son encontre le traitant comme la bête sauvage qu’il est :
« Si tu m’attaques, m’attrapes, je te tue. Obéis-moi et tout ira bien. »

Je relève le menton en sa direction tandis qu’en un dernier coup de dague je parviens à ouvrir le piège. Son souffle rauque témoigne d’une délivrance bien que la douleur vienne surement encore se manifester au sein de son pied. Avec prudence, je me redresse et assise au sol, prête à déguerpir au moindre faux pas de sa part pour m'en aller chercher les miens, je défais le lacet de sa chaussure perforée. L’odeur de la mort vient embrasser mes sens à nouveau. Par relents incertains la Mort vient s'emplanter dans mes nasaux. Je peine à garder mon calme. La louve en mon sein vient bousculer toute once de réflexion. Cloitrée en mon sein, elle se jette et rebondi à l’infini prise au piège dans mon enveloppe charnelle. Elle veut bondir, se battre, le tuer et surtout l'étriper. La réflexion est difficile tant la louve accapare mon attention. Je grogne envers moi-même tandis qu’avec prudence je retire la chaussure à son pied. Le sang vient baigner mes mains et fait tourner légèrement ma tête. La broche semble avoir perforé avec violence sa peau sans pour autant lui déformer le pied, sans pour autant lui briser les os. Un soupir de soulagement franchit le seuil de mes lèvres alors que je me relève, sa botte en main. Je le dévisage une nouvelle fois, l’envisage et avec prudence souffle :
« Un pan de la grotte n’est pas occupé. Viens. »

Maman serait si fière de ma charité et de ma bonne âme.

Je l’observe encore et encore tandis que la louve en moi hurle, tente de me résonner, tente de me faire violence pour ne pas lui tendre la main. Refermant son livre entrouvert, je viens porter mes doigts glacés contre sa main gantée. Je devine aisément que griffures, hématomes et sang séché viennent se dissimuler sous l'épaisseur de ses gants. Sa large paume meurtrière vient cueillir ma main et ensemble, nous avançons main dans la main. Un frisson d’horreur vient se nicher sur le haut de mes épaules tandis que je me mets en marche, l’attirant à ma suite avec la plus grande des prudences. Ne cessant de jeter un regard par-dessus mon épaule pour m’assurer qu’il ne dégaine pas une arme, je tente de soutenir ses pas boiteux jusqu’au dit pan de grotte non occupé. Les miens ne sont qu’à quelques mètres de l’endroit. Il m’est impossible de l’accueillir au sein du campement. Les esprits échauffés et disloqués risqueraient de s’en prendre à lui. Les risques seraient beaucoup trop importants pour une simple vie de sauvée. Avec calme feint, la louve m’oppressant au possible, je viens lui désigner un tronçon d’arbre afin qu'il puisse prendre place, réitérant :
« Obéis-moi et tout ira bien. »

La pleine lune a guidé nos pas jusqu’ici et au moment même où je veux détacher ma main, je sens ses doigts se resserrer contre les miens, manquant de me broyer la main. Mon coeur ratte un battement. Je prends peur et avec un peu plus de force je récupère ma main, comme brûlée à vif. Je lui lance un regard d’incompréhension. Je recule de quelques pas, laissant la distance s’immiscer à nouveau entre nous. Que recherche-t-il ? Souhaite-t-il me piéger ? Faire de moi l’une de ses victimes ? L’odeur qui émane de lui empeste la mort. Le sang n’est pas encore asséché contre ses mains et contre son armure. Je pourrais aisément être la prochaine. Après tout, je ne suis pas très haute et j’ai pour seul avantage de connaître les environs contrairement à lui. Par ailleurs, que faisait-il dans les environs de mon campement ? Je l’observe du coin de l’œil, la dualité est constante. La peur persiste.

Tandis qu’il s’installe, je souffle :
« Désolée. »

Désolée de te traiter comme une bête. Désolée de ne pas entendre tes justifications pour le moment. Désolée de t'avoir attiré, isolé ici, seul avec moi dans la pénombre de la nuit. Et avant qu’il ne puisse se tourner, je viens me saisir des fers rattachés à l’un des murs de la grotte et je boucle les dits-fers sur ses poignets. Le froid mordant du métal vient se plaquer tout contre sa peau en un cliquetis métallique. Un poids s'ôte de mes épaules, le soulagement venant se diffuser en mon sein. Ces fers servent aux nouveaux arrivants les soirs de pleine lune: je les attache afin qu’ils ne se fassent pas de mal et ne fassent pas de mal à autrui. Il faut dire que ce vampire me terrifie et que je le préfère attaché que libre, pouvant à tout moment me briser la nuque ou les clavicules d'un simple coup de pouce. L’avenir me dira si j’ai bien agi ou non en l’accueillant en mes terres et en le maintenant ainsi.

L'avenir me dira si tendre la main à la veuve et à l'orphelin est une bonne ou mauvaise chose.

Détachant brièvement mon regard de sa personne, j’observe son pied ensanglanté : je ne peux définitivement pas le laisser sans soins ici. Si un tiers trouve son corps ou qu’un tiers le retrouve, les loups les plus proches seront accusés, acculés. Hors les loups les plus proches… C’est nous ! Et je ne crois pas au sens du juste à Spelunca. Celui qui règne sur ces terres depuis quelques temps sème la terreur partout où il se rend. Sobek a la réputation d’être un Saint parmi les siens mais je n’y crois guère. Je veille sur mes loups depuis cinq ans désormais et nous n'avons jamais été récompensés pour nos bonnes actions. Ce soir, si le pied de cet inconnu s’est posé dans ce piège ce n'est pas le fruit du hasard. Nous sommes aux abords de mon campement et il est hors de question de laisser courir un risque quelconque à mes loups. Je les aime, je les veille et ce n’est probablement pas de la vermine vampirique qui prendra le dessus sur nous.

Tout en me laissant porter par mes pensées je m’agenouille devant mon captif, ne cessant de guetter ses réactions. Son pied à nu, je viens farfouiller dans mes poches pour en extirper quelques feuilles séchées. Je les mâche et les appose à même la plaie espérant ne pas soigner mon ennemi pour qu'il puisse mieux me tuer par derrière. De mes deux mains je viens empoigner son pied, plaquant mes paumes contre la mixture. Je cherche son regard au travers du masque et brisant le silence qui s’est imposé comme une évidence entre nous, je souffle :
« Il va falloir se reposer. »

Je guette ses réactions encore une fois tout en maintenant en place le cataplasme durant quelques instants. Oui, je pourrais le livrer à mes hommes. Dès maintenant. Laisser la louve prendre le dessus, aller chercher mes tiers. La haine qu’ils portent aux vampires dépassant tout entendement je pense qu’ils le démembreraient avant de le crucifier sur place. Ils ne seraient pas véritablement tendres et en même temps s’ils apprenaient mes soins à l'encontre de l'individu, ils m'excluraient probablement de la meute.  Je serais indigne de leur confiance, indigne de ce titre précieux qu’ils m’ont attribué à l’unanimité : cheffe de meute.

Mais que vaut le titre lorsque la situation se dégrade de jour en jour ? La misère, la faim, le froid. Les toiles tirées aux abords des cavernes de Spelunca ne suffisent plus. Je me sens impuissante face à la situation. La joie de vivre semble avoir quitté le faciès de mes Hommes depuis quelques mois. Les feux de joie et moments festifs ont été troqués contre une méfiance qui ne cesse de croître à l’encontre de l’ennemi vampirique. Hargneux, dédaigneux, ils se pressent et s’oppressent d’eux même dans les cavernes. Certains deviennent davantage Bêtes qu’Hommes. Certains se montent le bourrichon au point de devenir presque sectaire, frôlant la dangereuse limitée de la neutralité absolue imposée en Spelunca. J'ai pris le choix, délibéré, de ne pas me comporter comme eux. De laisser une chance à tout à chacun. D'écouter les discours avant de livrer potentiellement les malfrats à la justice de Spelunca.
Relâchant la pression exercée sur son pied douloureux, je viens essuyer mes mains tâchées par l’hémoglobine le long de mes cuisses. Je désigne sa botte d’un geste du menton, l’invitant à remettre celle-ci les feuilles étant désormais placées et pas prêtes de bouger. Avec calme, je ramasse quelques branchages égarés. Je ramasse aussi quelques pierres et entreprend d’allumer un feu au centre du cul de sac où nous nous trouvons. Un petit feu. De quoi le réchauffer mais pas de quoi être repéré. Tandis que je m’affaire je laisse traîner constamment une oreille, la peur au ventre de voir mes loups débarquer car eux seront moins cléments que moi en ce doux soir de pleine lune… La louve en mon sein s’agite toujours autant alors que je souffle, pas certaine d'être prête à attendre sa version des faits :
« Que faisais-tu ici ? »

Mes mains se suspendent au-dessus des branchages: mon campement, mes terres, mes choix. Je lui offre mon attention la plus pure. Je lui offre une unique chance, apportée tout en douceur, de s’exprimer et de me prouver son innocence même si son casque est encore marqué par l’hémoglobine... Car quelque chose me dit, tout au fond de moi, que ses actes ne sont pas répréhensibles vu la docilité avec laquelle mon prisonnier m'a suivi tantôt.

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MessageSujet: Re: Etreinte [PW Furius] +18 [PAUSE]   Etreinte [PW Furius] +18 [PAUSE] EmptyLun 8 Jan 2024 - 15:18
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"Hormis vos mains calleuses et blessées,
Hormis le deuil de vos morts,
Je ne sais rien de vous."




Le vent nocturne se lève à nouveau. Un air glacial s’étend tout autour de nous, simples étrangers où le feu de l’hostilité à su gagner nos cœurs, effleurant le sommet d’une dizaine d’arbres pourvus de feuilles étoffées et de branches brisées. Avec volupté, la brise prend son envol sans être dérangée, caressant un sol rempli de terre et de racines mortes, de sa lame probablement sortie et de la mienne endormie dans son fourreau. La lune, dans sa plus belle vocation, trace un halo lumineux sur ma position, laissant refléter l’éclat sur chaque extrémité de mon armure. Je l’attends ici. Et je ne cesse de l’interroger :

Où se trouve ma place ?

Mon souffle rauque se répercutant en un écho oppressé, je la recherche d’un regard tempétueux. Mon doigt accusateur reste suspendu dans le temps, attendant qu’une réponse vienne briser le sablier de ce moment. Prêt à entendre de sa part un balbutiement maladroit face à mes propos, une réponse façonnant la mienne comme travestie, ou un silence implacable où mon immobilité aurait duré cent cycles de plus. Enfin, la voix de cette petite chose si frêle se révèle avec grandeur. Contre toute attente, sa langue se délie agréablement comme un fil perdu dans le velours, proférant une parole claire et juste. Une langue vénérée dont j’étais convaincu d’en être le seul apôtre.

« … Tenestia et Perlucem s'en prirent à Pricifiem, la blessure qu'ils lui infligèrent, véritable gouffre béant, créa le ciel, le cri qu'il poussa, donna naissance au son et au silence…. »

Oui, ainsi est né le silence. Sans l’ombre d’un blasphème, sans l’avènement d’une hérésie douteuse. Cette langue qui tisse chaque fibre de mes lèvres condamnées. Elle parle en mettant en lumière des louanges interdites, narrant la continuité d’un écrit sacré, l'œil imaginant impassible malgré l’embarras ressenti dans son intonation. Un silence religieux s’installe alors que je m’abreuve de sa réponse comme un oasis de prospérité. Un refuge familier pour celles et ceux qui décident de s’y reposer. De quitter leurs forces et leur hargne guerrière. De sombrer dans la réflexion méditative et la parole divine. A mon tour, je ne m’y oppose aucunement. Mon bras tendu, pourtant autoritaire, se retrouve désormais si alourdi par cette vérité suprême qu’elle cède et ne peut plus être maintenue. Mon gantelet d’acier retombe mollement le long de mon corps comme un membre atrophié. Mais le coup de grâce vient aussitôt m’atteindre de plein fouet.

« … Furius, Dieu de la guerre et de la rage. »

Une dague plongée dans le cœur. Une flèche coincée dans l’orbite. Les sabots d’un cheval énervé martelant le corps. Un poids autour de mes chevilles reliées aux profondeurs de l’océan. Cette réponse me procure l’ensemble de toutes ces violences. Le visage fiévreux, les pensées coincées entre un étau chauffé au fer blanc, mes lèvres se détachent douloureusement entre elles par la béatitude de cet instant, incapable de prononcer le moindre mot.

Cette âme, pourtant singulière, connaît les sacrements du mythe Prificien.

Tel un mécanisme sophistiqué ayant été arrêté par un simple morceau de bois, mon esprit se scinde en deux, incapable de prendre une décision entre arracher sa vie ou la lui rendre. Soudain, en quelques enjambées, elle se dévoile enfin, descendant d’un pas agile la courte pente terreuse qui nous sépare. La terre s’effrite au rythme de sa marche. Un pas après l’autre, elle vient à ma rencontre en se montrant digne et courageuse, feignant l’ignorance sur les effluves écoeurantes qui me gouvernent. Malgré sa détermination, c’est son estomac qui décide de se retourner contre elle. Et pourtant, en me montrant ainsi toute sa vulnérabilité, mon poing d’acier ne vient pas abîmer la jeunesse de son visage. Parfaitement immobile, telle une statue de pierre, je pose un regard sur elle capable de transcender le corps et l’âme. Le sang encore bouillonnant de ce venin de colère, hurlant de la débroussailler de ses membres comme le ferait un jardinier amoureux envers sa rose, elle aussi,  Courbés devant mes pieds, mon visage toujours maintenu à l’horizon, je ne la vois plus. Le pied engourdi par les morsures du piège, j’entends plusieurs cliquetis chantonner ensemble une harmonie rassurante. Et pourtant, je demeure aussi stoïque qu’une pierre sur le sable de l’océan. Aussi vide que l’enfant dépossédé de tout amour lorsqu’il contemple des esclavagistes le séparer de ses parents. Pour la première fois, je m’abstiens de tuer. Et ceci parvient à ébranler toute la fondation de mes croyances. Ce murmure assourdissant évoqué dans les abysses les plus épaisses :

Cette étrangère méconnue vient d’interrompre ma croisade génocidaire vieille de soixante-sept ans.

Ses avertissements fermes et répétés ne sont pas dénués de sens. Ne faire confiance à personne est devenu un crédo à Duralas. Car même notre propre ombre nous quitte aux confins de la nuit. Bornée par la vigilance, elle vient adoucir ma colère insatiable, empêchant chaque rouage émotionnel de s’activer à nouveau jusqu’à atteindre un instant de paix transitoire qui s’amenuise déjà en minutes. Le piège se libère de mon pied, mon corps titubant légèrement en arrière. Les courbes de ma mâchoire se détendent. Les veines saillantes de mon cou se relâchent et se confondent dans la peau. Et pourtant, je n’en demeure pas moins un homme, mais une créature à nouveau perdue dans l’espace et le temps. Un sentiment dont j’essaye de me faire entendre en répétant le seul verset que je puisse connaître d’une voix qui n’a pas perdu de son autorité :

“Au commencement, rien.”

Pas de réponse, hormis ses mains soigneuses qui enveloppent ma chaussure en la retirant avec une douceur précieuse. L’odeur de mon propre sang vient enivrer mes sens en provoquant un vertige délicieux, me laissant me repaître alors que mon esprit reste déconnecté. Le mythe Pricifien continue de rester suspendu à mes lèvres comme un miel épais. Pendant soixante-sept années, seul ce verset a été éructé par ma voix comme un symbole d’impiété.

“Au commencement, rien.”

Enfin, elle réapparaît devant moi en refermant la couverture du mythe Pricifien. D’un geste prudent, elle vient s’emparer de ma main trop grande pour elle avant de m’inviter en une faible secousse à marcher sur ses pas. Nous entamons ainsi plusieurs mètres en suivant la direction du vent, son visage alarmé ne cessant de faire des va-et-vient entre l’horizon et mes yeux implacables vociférant un appel à la destruction la plus complète de son être.

“Au commencement, rien.”

Un autre avertissement se déploie en-dehors de sa fine bouche, calmant momentanément mes ardeurs primitives qui ne cessent de copuler entre elles. Elle le sent. Mon désir viscéral de pénétrer cette longue lame au creux de sa poitrine. D’ouvrir la viande saignante en y plongeant ma main gantée jusqu’à caresser l’intérieur ses poumons, son corps convulsant de douleur et ses mains grattant furieusement la surface de la terre comme un crâne que l’on souhaiterait ébraser en deux. Attisée par la beauté de cette poésie funeste, ma main se resserre brusquement dans la sienne car je ne connais que la langue de la violence. Je suis devenu un chien sans honneur vidé de toute identité.

“Au commencement, rien.”

En un éclair, la jeune fauve s’extirpe de mon étreinte avant de se confondre en excuses. Alors que mon pied me lâche en prenant une place assise sur la terre froide, le dos installé contre le tronçon d’arbre, je relève mon visage de fer et l’observe sans la voir. Je l’écoute sans la comprendre. Ses mots perdent toute signification. Plus rien n’a de sens dans ce qu’elle dit. Alors que la solidité des liens solides se resserrent autour de mes poignets, je me laisse ainsi emprisonner sans démontrer le moindre signe de panique. Car ma vie a déjà été enlevée et réduite à survivre dans l’abîme de cette armure, constellée de corruptions, qui n’a jamais été ouverte depuis. Par ce geste, je comprends qu’elle recherche une sécurité que je ne peux lui apporter. Car ma seule présence corrompt tout ce qui nous entoure. Son visage incrédule cherche à s’accrocher à mes yeux une nouvelle fois, le visage tanguant sur le côté afin de mieux apercevoir cette lumière infime briller au-delà de mes prunelles. Ses mains caressant mon pied, je les vois appliquer une curieuse mixture rudimentaire dont je ne connais pas la composition. Mes poignets maintenus paressent sur le haut de ma cuisse. Mon pied reste au repos, recevant les caresses encourageantes de l’étrangère.

L’immobilité parfaite du vénérable sage qui attend,
Et du sociopathe équanime qui médite.


Alors que je deviens toujours un fardeau dénué de mot, elle s’active à présent pour nourrir un feu jeune et mordant, de quoi tout juste éclairer la surface de notre visage. Les ordres se taisent, en laissant une première question apparaître de ses lèvres féminines. La force tranchante qui se dégage de sa voix n’est pas semblable à une tempête, et pourtant elle pourrait faire trembler les troncs boisés qui sommeillent autour de nous. Quel est la raison de ma venue ici ? Cette question me paraît si maigre et désuète. Étrangère en tout point. En me concentrant sur sa question, sur ce sentiment si insignifiant d’attention que l’on me porte, des migraines commencent à me tenailler avec sévérité. Comme un monstre mécanique à qui l’on décide d’implanter une conscience intellectuelle. En ouvrant la bouche, prêt à répondre, je ne parviens qu’à laisser une respiration saccadée dans l’angoisse la plus frêle. Sa question pourtant si primaire est un coup d’assaut dans les rouages de mon fonctionnement. Car elle signifie “Toi, un homme entier et vivant que je reconnais ici et maintenant, les pensées peuplées de valeurs et de principes, je te demande à toi, la raison de ta présence ici”.

“Au commencement, rien.”

Un endoctrinement éternel par les cycles passés. Car la violence de me reconnaître comme vivant est intenable. Tel un coup de fouet sur le dos meurtri de l’esclave, ma langue renonce à la langue des hommes, perforée sans ménagement par mes canines acérées.

“Au commencement, rien.”

Je ne suis que l’instrument de ma colère. La tenaille coupante de mon chagrin Et pourtant, bien que mon monologue se répète inlassablement, sa question implantée dans mon esprit germe peu à peu et prend naissance à chaque seconde qui s’écoule. Enfin, après une longue attente interminable, une goutte de clarté se répand dans mon palais mental, caressant le long de cette matière grise si longtemps oubliée. La voix enrouée, monotone et brisée, j’articule :

“Au commencement …”

Abruptement, mes lèvres s’abstiennent de terminer leur phrase. Oui, Furius. Quand tout cela a-t-il réellement commencé ? Par les moqueries de mes compatriotes des Chevaliers Blancs ? Par le regard impérial de mon roi passé ? Par le visage rassurant de ma femme ? Non, c’était plutôt …

“... j’ai vu le sourire naissant de l’enfant et du vieil homme. Quatre saphirs brillants de larmes au fond de leurs yeux, penchés sur mes afflications cruelles. Des guérisseurs. Tout comme toi.”  

Mes épaules veulent se relâcher de toute forme de tension car l’heure est à la parole. Mais une puissance interne semblable à l’éveil d’un volcan continue de crépiter furieusement au rythme des braises. Le feu, celui se trouvant sous nos yeux, pourlèche chaque paroi de mon armure, reflétant la surface par une lumière vive et orangée, alors que je narre l’histoire du jeune garçon aux cheveux d’or, et de l’homme ancien à la toison cendrée. Tous deux étaient des paysans du Centre à proximité du village de Kothemba. Les premiers innocents dont leur vie a été interrompue par ma nouvelle transformation.

“J’ai vu leur sang entaché sur l’aréole du cactus. Leur cou perforé par ma faim, une langue morte étirée au-delà de l’incision par la trachée. Le ventre florissant de tripes et de viscères répandus sous l'œil ouvert du désert. A ce jour, j’ai compris. Le serpent siffle. Le tigre rugit. Le Protecteur tue. Car ainsi est inscrite la loi des choses.”

Une deuxième goutte de clarté effleure à nouveau mon raisonnement. L’étrangère m’a posé une question. Une interrogation qui nécessite de la répéter par mes lèvres sèches et écorchées, m’habituant ainsi à raisonner par une logique claire en me rapprochant du monde des vivants.

“Que faisais-tu ici, m’a-t’elle demandé …”

En pivotant ma lourde tête sur elle, je la contemple d’un regard glacial, aspirant à engloutir toute effluve de vitalité qui sommeille en elle.

“Je suis ici avec toi. Mais "ici" n’est pas ma place. Car je marche sur la voie de la peine et du tourment en écumant les plaines ombrales. Dans l’ombre et la lumière. Dans le feu et la glace. Au début et à la fin de tout.”

Le marcheur des ténèbres sans avenir. Le prédateur déchaîné à la recherche du châtiment ultime. En poussant un profond soupir, mon visage se met à se secouer de droite à gauche en soulignant toute la négativité de mes pensées.

“Je ne comprends pas …”

Bien que je sois assis au sein de son territoire, mes cuisses reposant sur le sol luxueux de ses terres natales, je l’interroge à mon tour, incrédule de la retrouver sur ma route pavée de souffrances :

“Toi, que fais-tu ici dans ce monde ? Où se trouve le tien ?”

Que fais-tu dans mon monde ?




“Que votre soif de violence ne tarisse jamais, que le sang sur votre épée ne sèche jamais, et que nous n’ayons plus besoin de vous, Ôh pénitent pleine de grâce.”


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Nina-Lou Knywett
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MessageSujet: Re: Etreinte [PW Furius] +18 [PAUSE]   Etreinte [PW Furius] +18 [PAUSE] EmptySam 3 Fév 2024 - 10:58
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La Nuit vient couvrir de son épais manteau les environs de la minuscule grotte dans laquelle ils se tiennent. L’odeur putride et infecte qui émane de ses frusques n’a de cesse de retourner l’estomac de la jeune louve. Pourtant, elle garde la tête haute, fait fit de ses émotions au profit de cet étranger qu’elle prend sous son aile. Pourquoi ? Elle ne l’explique aucunement. Bien d’autres personnes auraient probablement pris leurs jambes à leur cou en voyant tel personnage mais Nina à ce soupçon de folie douce, ce soupçon de naïveté, l’amenant à croire que tout le monde mérite sa chance… Et que tout le monde est bon.

Même au pied du mur, face à la Mort en personne, Nina s’obstine et reste campée sur ses principes. Ses yeux vairons ne cessent de l’observer, prête à décamper si la situation en viendrait à s’envenimer. Mais s’envenimer de quoi ? Il ne cesse de répéter la même chose. Encore et encore, en boucle, comme s’il poussait une chansonnette quelconque sur un rythme que lui seul connaît. Il pourfend l’atmosphère de sa silhouette, bat le rythme à l’aide de ses paroles sacrées peinant à trouver d’autres mots que ces quelques paroles : au commencement rien.

Mais à l’arrivée, tout ?

**

A-t-il connu un traumatisme quelconque pour me répéter en boucle les quelques lignes qu’il semble connaître du Mythe ? Les flammes viennent se refléter à l’infini sur son armure et son casque, mettant en avant les longues trainées sanguinolentes. Je veux me faire violence, me persuader encore et encore de son innocence en nos terres jusque à preuve du contraire. Le sang n’est probablement que le vestige d’un animal tué, son casque lui servant de coupelle pour se sustenter. La solitude le fait plonger dans la négligence et je reste persuadée qu’en le guidant dans le droit chemin l’homme parviendra à se reprendre en mains. Je lui affuble une histoire qui me convient. Je lui façonne et lui attribue une histoire qui me redonne foi envers ceux de sa race tandis que ses propos résonnent en boucle.

Est-il tombé sur la tête ? A-t-il été secoué enfant ou bercé trop près du mur ? L’histoire que je lui attribue est celle d’un homme en détresse qui a vécu un drame familial, le plongeant dans la solitude et la noirceur des grands jours. A l’image d’un personnage de roman pour enfant, je lui attribue des critères de folie douce. Être craint suffisamment pour être respecté mais pas être craint au point d’en perdre la tête. Je le vois veuf, la vie arrachant femme et enfants d’une maladie quelconque. Je ne vois pas l’avenir et jusque à preuve du contraire je suis qu’une louve. La malédiction ne peut pas frapper deux fois au même endroit : louve et sorcière ? Non ! Plutôt m’ôter la vie en y pensant. Néanmoins je le vois souffrir. Je ressens sa souffrance, son être tout entier transpire de cette douleur quasi-malsaine qui s’immisce sournoisement entre les plaques de son armure. Je le vois se reprendre, chercher ses mots. La solitude lui a ôté la parole, lui a ôté la réflexion. Je ne peux décemment pas tourner le dos à cet inconnu à mon tour car s’il a été mis sur mon chemin ce n’est surement pas le fruit du hasard. Je me dois d’apprendre d’Autrui. Je dois cesser de me méfier de ceux qui ne sont pas des miens. Le racisme envers les vampires n’apporte et n’argue rien de bon. Nous devrions être des alliés plutôt que des ennemis et surtout, nous devons cesser de vivre en ermite. Les barrières qui nous empêchent de vivre correctement ont été créées pour tomber. Nous devons cesser de vivre en ermite dans ces cavernes et surtout de cette façon si sommaire, si bestiale… Comment pourrais-je me méfier de lui en prétextant qu’il semble trop inhumain ? Nous dormons sur des toiles tirées. Les soirs de pleine-lune nous hurlons a gorge déployée sous forme de canidé. Lorsque d’autres parviennent à construire des demeures, des châteaux, moi j’offre aux miens que l’ombre des toiles tirées, que la méfiance envers les Autres, que des sentiments confus et néfastes.

Les choses doivent changer et cela passe indéniablement par un remaniement de l’esprit au profit du bien commun.

Je fais retomber les dernières branches au sein du feu et me place stratégiquement au sein de la grotte, prête à décamper si d’aventure le géant face à moi se prendrait d’une folie douce. J’inspire une bonne foulée d’air pour me donner du courage mais aussitôt mon estomac se soulève et je m’interdis de respirer à pleins poumons en sa compagnie. Ses propos vacillent et tanguent et il m’offre les premières confidences. La curiosité est un vilain, très vilain défaut et doucement, je prends conscience que mes questions n’attendaient pas forcément de réponse. Du moins, pas cette réponse. Je prends conscience que j’espérais pouvoir me rassurer, trouver un semblant de logique et de justesse dans ses actes de haute barbarie. Il me narre succinctement l’un des meurtres qu’il a commis. Je ne comprends pas instantanément que les trainées sanguinolentes ne proviennent pas d’un animal. Je lui offre le bénéfice du doute, de la repentance.

Après tout qui suis-je pour juger ?
J’ai moi-même commis le meurtre de Lou.
Une erreur de parcours est si vite arrivée…

Au travers des flammes, je l’observe lui, stoïque, immuable, semblant traverser les décennies sans vieillir, sans sourciller : n’est-ce donc pas de cette peur de mourir dont s’abreuvent les vivants ? Pour mieux cueillir et croquer leur vie comme ils l’entendent tout en sachant pertinemment que le glaive de la mort plane au-dessus de leurs têtes meurtries ? Meurtries par les évènements, les maux que la vie leur offre en un cercle vicieux, vertueux, clamant les louanges d’un tout au service d’un rien ?

Je l’entends lancer un « tout comme toi » et soudainement l’atmosphère se fait insupportable, intenable. Tout vacille et tangue. La louve en moi grogne, rugit, s’égosille en mon sein prenant cette simple comparaison comme une véritable menace. Un doucereux tremblement vient affecter mes mains. Un frisson pourfend mes épaules. Ses propos ne sont qu’un lointain souffle tandis que je sens mes muscles se tendre, mon souffle s’agiter. Je repousse la transformation, je repousse la louve et au sol, je rampe pour venir me glisser contre la paroi glacée de la grotte où nous nous trouvons. J’oppresse, j’opprime dans cette atmosphère insoutenable, intenable. Je rejette mon visage en arrière, inspire une goulée d’air et à nouveau la Mort vient bercer mes pensées, mon estomac, mon corps tout entier. Une convulsion, suivie d’une deuxième. Mon corps se contorsionne comme le ferait une possédée. Mon enveloppe charnelle tente de se faire la malle. Les flammes vacillent et tanguent au sein du brasier ardent que j’ai allumé pour mon invité. Le feu s’élève soudainement au sein de notre abri de fortune.
Le feu vient envahir la caverne, pourlécher mes bottines, mordre mes frusques.

Je suis prise au piège.

**

Peut-être que les esprits se rebellent sur ces terres d’accueil ? Le feu vient se diffuser au sein de la piaule, embrassant les murs, se diffusant sur les hauteurs. Le crépitement rassurant des flammes qui consument le vieux bois n’est qu’un lointain souvenir. Le plafond s’enflamme et craquèle dangereusement au-dessus de leurs têtes. Son regard effrayé ne parvient pas à se détacher des flammes. La Mère tente de se faire violence pour s’extirper du cercueil de feu mais la louve en son sein se fige, grogne et laisse la peur s’adjoindre à la danse.

La stupéfaction cloue la jeune brunette sur place. Le feu vient mordre un peu plus ses bottes. La chaleur lui monte aux joues et une main se tend au travers des flammes. Elle s’en saisit à la hâte, bectant le sol quelques mètres plus loin. Le feu s’éteint aussitôt sur ses frusques au contact du sol trempé.

Extirpée du carcan enflammé, elle toussote vivement et courbe le dos pour reprendre son souffle à la merci de son Sauveur présumé ? Le feu retombe au moment même où la sorcière à en devenir s’extirpe des méandres des flammes. La louve s’égosille en son sein et Nina se redresse à la hâte pour chercher l’inconnu du regard : où est-il passé ? A-t-elle consommé quelques spores de champignon ? S’agissait-il d’une hallucination individuelle ou bien collective ? Au sein de la caverne, le feu est retombé et seules des marques noirâtres viennent marquer le sol, témoignant du feu qui s'est diffusé à la hâte.

Continuant de toussoter, Nina ne prend aucunement la montée des flammes comme un avertissement. Elle esquisse quelques pas au travers des chemins sinueux avant de marquer bien rapidement l’arrêt. Elle reprend son souffle, reprend ses émotions, relevant son faciès vers l’horizon : la plaie béante se dessine au milieu des cavernes. Leur abri de fortune a bien été ravagé par les flammes affamées et quelqu'un ou quelque chose l'en a extirpé de justesse.
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