Après un peu de repos dans la ville naine, Arhiann et Manydh avaient pris le chemin du retour vers Sylfaen. Avec tous ces trajets entre les lieux de recherche et avec celui où travaillait Pathacelse, il fallait espérer que le chercheur ne s'impatiente pas trop... Quoiqu'au final, cela importait peu. La blonde avait choisi de l'aider parce que le sujet l'intriguait, elle aussi. Rien de tel qu'un mystère à élucider pour l'envoyer vers de nouvelles aventures. Sauf que cette fois, elle n'avait pu aller au bout des manifestations de la Convergence, avant la fin de la période. Elle regrettait maintenant de s'être acharnée sur Sœur Sierre, et pour rien, au final... Tant pis, elle aurait appris la leçon pour la prochaine fois, s'il y en avait une. Apparemment, une dernière étape aurait pu se dérouler près du lac Fresha, mais malgré la plus grande proximité de ce lieu, ils n'auraient jamais pu y arriver à temps.

Elle avait pris bien soin du "convergeomètre", le conservant emballé dans une épaisse couverture pour qu'il ne s'abîme pas, hormis bien sûr lors des moments où il risquait de se montrer utile. Il était désormais temps de le restituer à son créateur, aussi le couple de faunes se dirigeait-il vers le coin de bibliothèque dont l'abyssal avait fait son antre.
" Maître Pathacelse, voici votre appareil, "
commença Manydh, avant que sa compagne ne prenne le relais :
" Nous n'avons réussi qu'à obtenir deux échantillons. Le premier dans les ruines de la prison des marais, auprès d'un fantôme de prisonnier, qui a évoqué une armée implacable et des hommes de granit. Le second vient d'une autre créature spectrale qui semblait modelée sur un dirigeant, roi ou autre noble, non loin de BaldorHeim. D'après lui, nous transgressions une loi en cherchant à l'affronter. "
Elle consulta son compagnon du regard, pour lui demander si ce résumé lui convenait, et s'il avait quelque chose à ajouter. C'était le cas, même s'il n'était pas certain que l'élément puisse aider, mais savait-on jamais :
" Chacun d'eux était accompagné d'un acolyte de la Convergence, ces êtres à tête de citrouille. Mais aucun des spectres ne semblait prendre cette présence en compte, comme s'ils ne les percevaient pas du tout. "

Arhiann hocha la tête, tout en réfléchissant : y avait-il un autre élément important à rapporter à Pathacelse ? Rien ne lui venait, et le silence se prolongeait, signe qu'il en était de même pour le chamane.
" Nous espérons que vous pourrez tirer quelque chose de tout ceci, "
termina-t-elle donc avec un geste englobant l'appareil, et au-delà,
" et que nous aurons le privilège d'être informés de vos conclusions quand elles arriveront. Et pourquoi pas, de collaborer de nouveau avec vous dans le futur ! "
Sur ce, si l'abyssal ne tentait pas de les retenir, ils prendraient congé pour retrouver leur chère forêt, dans la tranquillité retrouvée après cette Convergence comme toujours chargée en surprises.

Ehawee réapparut dans la bibliothèque de l'Institut, la face transfigurée. Elle n'avait pas écopé de cicatrices sur son visage, mais de toutes évidences, cette recherche sur Veilleur lors de cette Convergence l'avait chamboulé à plus d'un titre. Après tout, pour cette quête de vérité sans fin sur le monde, elle était allée dans trois recoins du continent et était rentrée en contact avec les manifestations, mettant à chaque fois sa vie en jeu. Elle s'approcha néanmoins de Pathacelse qui devait s'impatienter depuis le temps. Peut-être même dirait-il que cela fait huit générations d'araignée qui on vu le jour au dessus de ses étagères. En effet, l'enquête avait traîné, mais à cela l'elfe sylvestre répondrait qu'il fallait le temps au temps pour ce genre...d'analyse, et qu'il ferait mieux de se réjouir qu'elle soit encore un être matériel pour lui rapporter les objets de sa requête.

Ainsi, après lui avoir rendu le Convergeomètre, qui pourra attester de ses dires, l'archère lui parla de la première pierre de rune récoltée. Celle-ci était suite à une confrontation dans les ruines d'Alquateraze avec une veilleuse spectrale qui possédait un chien nommé Lupa. Ehawee doutait que cet indice puisse apporter un quelconque intérêt, mais il valait mieux être le plus précis possible, sait-on jamais. Ce qui était sûr en revanche, était la mention d'une cité de granit, peut-être un endroit de l'Immatériel, en lien avec le Veilleur et qui aurait la faculté de "contaminer" le monde Matériel lors de la Convergence ? L'elfe essaya de ne pas trop divaguer avec ses hypothèses floues et poursuivit.

Elle présenta ensuite la seconde pierre de rune, qui avait été captée dans les alentours de BaldorHeim. Les manifestations avaient pris la forme d'une horde spectrale que l'archère avait pu neutraliser flèche par flèche. Tout comme la première rencontre, les entités ne s'étaient pas montrées coopératives. Elles confirmèrent la relation avec une cité de granit, ainsi que ses habitants. Tout portait à croire que les spectres faisaient allusion à un combat qui opposaient ces hommes de granit à des ennemis. Toujours était-il que cette cité paraissait hostile envers les dùralassiens, à moins qu'il ne s'agissait là que d'un malentendu entre ces deux mondes ? Ehawee préférait le croire...

Enfin, l'elfe évoqua la troisième pierre de rune de ce périple. Il s'agissait bien là de la plus troublante des rencontres que la garde sylvestre avait eu avec l'Immatériel. Elle tenta de décrire du mieux qu'elle put ce qu'il était difficile de présenter avec de simples mots. La présence qu'elle avait affronté au lac Fresha était la plus instable de toutes les manifestations. Comme le chaos-même, il avait tenté d'absorber l'âme d'Ehawee qui ne saurait pas non plus expliquer exactement comment elle s'en était tirée. Tout ce qu'elle put dire à ce propos était que sans ses pouvoirs spirituels, elle aurait été engloutie et son corps ne serait plus que des lambeaux de matière. Ce qui différenciait aussi cette troisième rencontre était qu'à la fin la manifestation avait semblé lâché prise, comme acceptant la fin de son existence, ou bien le retour de son éther dans la grande roue du temps. Le plus troublant était qu'il avait même demandé à l'archère de retourner voir le chercheur abyssal ici-même !

La brune baissa la tête pour découvrir ses mains et ses avant-bras. Des sillons partaient de ses paumes et phalanges et remontaient jusqu'à ses coudes, retraçant la marque des brûlures énergétiques de cet affrontement. L'air encore secoué par ce qu'elle avait vécu là-bas pouvait se ressentir dans son regard. Pour autant, elle s'arma d'une résolution et releva les yeux sur l'érudit de l'Institut.

- Pathacelse, voici ma contribution pour votre recherche qui, je le pense, reste fondamentale pour l'avenir de Dùralas. La dernière entité évoqua une voie vers laquelle nous pourrions les guider. J'ignore ce qu'elle entendait par là, mais il est possible qu'il y ait une part d'espoir dans ces découvertes. Peut-même que la cité de granit n'est pas entièrement néfaste pour les dùralassiens.

Après avoir prononcé ces mots, l'archère se dit que le chercheur avait maintenant bien du travail avec ces nouveaux éléments.

- Je garde un oeil ouvert sur l'Immatériel et si vous avez besoin de moi, vous pouvez compter sur moi.

    Le voyage du retour lui parut bien plus long que l’allée. Ce qui était plutôt inhabituel selon l’adage. Mais il faut dire aussi que l’homme lézard était en bien moins bonne forme et fut contraint de s’arrêter de multiples fois dans des auberges pour se reposer. Il ne manquait pourtant pas de volonté mais cela n’était pas suffisant pour étouffer les protestations de son corps qu’il ne pouvait ignorer éternellement. L’une de ses blessures s’était infectée après un combat contre des bandits de grands chemins. Il été parvenu à battre les trois hommes mais au prix de multiples entailles profondes. Il soupçonnait que l’une des lames eut été empoisonnée, mais il n’en avait pas la preuve. Il avait rapidement pansé ses blessures mais cela n’avait pas suffi. Il s’était alors arrêté aux hospices de Stellaraë où il dû vendre une de ses armes forgée afin de payer des soins rapides effectués par un magicien guérisseur. Au moins, cela eut le mérite d’être efficace, bien plus que les méthodes traditionnelles chez les Nagas. Normalement il fallait du temps et du repos pour guérir d’une blessure et encore plus si celle-ci s’était infectée. Avec de la patience, la médecine Naga parvenait presque toujours à guérir les maux. Dans les rares fois où elle n’y parvenait pas, l’âme était offerte en sacrifice pour rejoindre le Basilic. C’était finalement un moindre mal.

    L’aventurier se reposa près d’une semaine à Stellaraë, où, une fois rétabli, il forgea plusieurs armes qui lui servirent à payer sa pitance pour la seconde moitié du voyage. La traversée du désert n’était pas vraiment un problème pour lui. Résistant aux rayons du Soleil et à la fournaise, cela ne l’inquiétait pas de partir en pleine journée. Son espèce était bien plus acclimatée aux fortes chaleurs qu’au froid mordant des montagnes qui avaient mis son corps à rude épreuve. Après avoir fait le plein de provisions, il repartit sur les sentiers en pleine forme et avec une santé financière nouvelle. Il était prêt à retourner à l’académie et faire le point avec le personnage qui l’y avait accueilli. Même s’il n’avait pas récolté toutes les gemmes, il espérait que celles qu’il avait obtenues dans le sang et la douleur suffiraient pour les recherches de la créature et qu’elle lui accorderait enfin le droit de consulter les ouvrages qui l’intéressaient.

    Contrairement à la première fois, il avait décidé de ne pas faire de détours par la forêt. Il aurait bien rendu à nouveau visite à Lariela mais il n’avait pas vraiment le temps. L’elfe lui avait été tout de suite très sympathique malgré son arrivée chez elle accompagné d’une famille d’arbres ensorcelés. Le combat avait été acharné mais ils s’en étaient sortis victorieux. Depuis le temps, elle avait peut être créé maintes recettes qu’elle testait sur les voyageurs égarés qui venaient à profiter de son hospitalité. Ils ne devaient pas être vraiment nombreux mais la dernière fois, Sslozmek avait été attiré par les odeurs qui émanaient de sa maison. C’était tentant, mais il y avait urgence. Sa fille ne s’en rendait peut être pas vraiment compte, mais elle avait besoin de lui, où qu’elle soit.  

    Après plusieurs jours de marche, il parvint enfin devant l’immense édifice entouré de végétation. Il fut accueilli par le même personnage que la première fois. Un grand elfe vêtu d’une robe colorée et arborant un léger sourire. Devinant la raison de sa venue, il montra le chemin de l’escalier au naga qui le regarda d’un air méfiant. La dernière fois, il s’était retrouvé piégé dans la bibliothèque avant que l’espèce de démon s’adresse à lui avec sa voix insupportable. Mais ce fut bien la bonne direction à prendre. Cette fois-ci, aucune porte ne se transforma en mur. Au lieu de cela, la bibliothèque était bien éclairée resplendissait de mille feux. La première fois, elle ressemblait à une sorte de vieux grenier où s’entassaient des ouvrages plus consultés depuis bien longtemps. Cette fois-ci, l’endroit était bondé d’étudiants en magie, d’érudits et d’aventuriers en tout genre. Il lui faudra bien des jours, ou plutôt des semaines et des semaines avant de trouver ce qu’il cherchait.

-Fasciné par le savoir ?  

    L’elfe au sourire narquois venait de surgir de derrière son dos.

-Plutôt impressionné et presque découragé par l’ampleur de la tâche qui m’attends. Si vous m’y autorisez bien sûr.  

-Donnez-moi les gemmes ainsi que le convergéomètre, je les remettrais à Pathacelce.  

    L’homme lézard fronça les sourcils. Il ne lui faisait pas vraiment confiance. D’après tout, c’était un elfe et utilisateur de magie de surcroit.

-Je préfère le faire moi-même.  

    Il acquiesça sans demander la raison de ce refus et accompagna le lézard jusqu’à un petit bureau où le démon semblait étudier les propriétés de gemmes similaires à la sienne.

-On ne m’aaaaaaavait pas dit que les Naaaaaga avaient coutumes d’être en retaaaaard.  

    Cette fois-ci, l’homme lézard explosa :

-Hé ! Vous êtes sacrément gonflé ! Vo…

    Un des tentacules de Pathacelce s’agita et Sslozmek se retrouva incapable de produire un seul son. Sa bouche s’agitait, ses bras également pour agrémenter son discours mais malheureusement, il ne pouvait exprimer le fond de sa pensée. Il croisa alors les bras en tentant de se calmer face à cette seconde humiliation. Il entendit l’elfe pouffer alors que le démon semblait, lui, être tout à fait sérieux. Ses deux paires d’yeux clignèrent en même temps alors qu’il détaillait le visage de l’homme lézard. Ce dernier lui remis alors ses trouvailles qu’il déposa sur son bureau mais pathacelce ne le quitta pas des yeux.

-Donnez-lui ce qu’il cherche : « l’étude de la magie noire et de ses utilisateurs » par Dalwesdel le pieu. Déclara-t-il finalement.

    L’archimage claqua des doigts et un livre glissa non sans mal d’une des étagères en repoussant ses voisins avec son épaisse couverture. Ceux-ci protestèrent en sifflant entre leurs pages avant que l’elfe ne les fasse taire d’un geste de la main. L’ouvrage convoité voleta jusqu’aux mains tendues de l’homme lézard. Ses yeux s’écarquillèrent sur la couverture du livre épais qui ne semblait pas avoir subi les affres du temps. Il semblait presque récent tant il devait être conservé précautionneusement. La magie l’impressionnait de jours en jours. Lui qui pensait qu’elle était d’abord cause de mort et de malédictions, finalement elle était aussi la source de bien des émerveillements. Mais cette fois-ci, c’était la première utilisation de la magie qui l’intéressait le plus.    

-Ceci est un prêt, précisa l’elfe en constatant que Sslozmek ne manquait pas d’intérêt pour le livre qu’il tenait entre ses mains.

-J’en prendrais grand soin, répondit l’homme lézard qui avait finalement retrouvé sa voix. Merci infiniment.  

    Pathacelce  lui fit à son tour un signe de tête alors que l’archimage elfe le raccompagna jusqu’à l’entrée de l’académie. Qui était cette créature ? Dans tous les cas elle semblait avoir des dons hors du commun. Sslozmek ne serait pas surpris qu’elle vienne d’un autre univers et aurait atterrit dans le leur. Il lui restait encore bien des choses à découvrir. L’homme lézard serra le livre contre son torse et s’en retourna vers les marais, chez lui, là où il pourra feuilleter l’ouvrage en toute tranquillité.