Aux premiers abords, la cité côtière ressemblait ni plus ni moins à un port de pêche ou les pirates sont légions, mais bien plus qu’une ville libre, Ishtar regorgeait de coin tous aussi sympas les uns que les autres, avec leur paysage, leur ambiance et leur activité. Le long de la plage et jusqu’au port, l’on pouvait relever le nombre important de cabane en bois où la plupart des pirates se retirent le soir venu afin de rester avec leur équipage avant les départs en mer. L’endroit y était plutôt festif en soirée, alcool et tabac, mixtures en tout genre, femme et chanson sont autant d’éléments pouvant profiter à ses messieurs pirates d’oublier leur traquas quotidien. La mort n’est jamais loin pour un paria, les hommes libres sont redoutés et crains de tous. Ce n’est pas nouveau.

C’est dans ce genre d’endroit que Morgan se promenait généralement avant de se rendre dans une taverne et finir sa soirée, le temps de s’inspirer de l’ambiance qui régnait ici bas. Durant le jour, l’endroit y était plus calme, mais les jeux et le rhum ne semblait pas vouloir quitter les lieux, tout les moyens sont bons pour se divertir ! Après sa dure journée de labeur dans la forêt ornant le village, Morgan s’était rendu, une bouteille de rhum à la main, sur la plage des coupe-gorges afin d’y dépenser les quelques sous qu’il s’était fait jusqu’à lors. Jeux de dés ou de cartes, d’adresse ou d’alcool, il y avait l’embarras du choix. En tant qu’ancien pirate, l’Abyssal connaissait un paquet de ses jeux là et y trouvait un certain plaisir à y participer, malgré les pertes récurrentes qu’il accumulait.

En passant dans l’une de ces ruelles ou l’animation était au rendez-vous, Morgan finit par apercevoir une petite terrasse en bois surmonter d’un comptoir, une taverne ouverte sur l’extérieur en somme. Les jeux sont souvent accompagnés de bonnes boissons, trouver une taverne signifiait potentiellement y trouver des parieurs, ce qu’il ne manqua pas de relever une fois sur la terrasse. Il vint rejoindre alors la table des joueurs, restant toutefois debout un pas derrière les joueurs pour ne pas les déranger et analyser leur façon de jouer. Trois hommes s’affrontaient dans une partie de dés, tous munis d’un cubilete et de trois ou cinq dés chacun. Le nom de ce jeu échappait encore à l’Abyssal, mais les règles, il les connaissait bien pour y avoir joué longtemps sur le Kraken. Le jeu consistait à parier simultanément sur le nombre total de face présente sur la table en se basant sur ses propres dés, ces derniers cachés sous le gobelet en cuir. Jusqu’à maintenant, le plus jeune de la table semblait perdre la partie, lui restant plus que trois dés sous la main, les deux autres en revanche n’avaient perdus aucun dé et affichaient un sourire niais lorsqu’ils annonçaient les enchères. Bien que la triche soit punis d’un d’une perte de dés, est prit celui qui se fait prendre, un pirate reste un pirate. C’est alors qu’une jolie femme vint se pointer au milieu de tout ceci, l’air furieux et le regard noir.

Jolie femme – Nan mais c’est pas vrai ! Cest pas l’moment de jouer aux dés !

Gamin pirate – He, cap' faut savoir se détendre dans la vie. V'nez posez vos jolies fesses sur ce rondin et v'nez jouer. Dit-il naturellement sans prendre au sérieux l’hostilité de la jeune femme.

Sidéré par autant de désinvolture de la part du jeunot, la demoiselle se rapprocha d’un pas décidé de son interlocuteur et le saisi par le col, le faisant décoller de sa chaise pour atterrir sur le planché de la terrasse. Dans l’action, elle n’avait pas fait dans le détail, renversant tout ce qui s’était trouvé à proximité, la table de jeu entre autre. Tandis que le gamin, littéralement effrayé par la menace qui se tenait devant lui, prit ses jambes à son cou, les deux autres joueurs s’étaient levés, un air renfrogné en coin. Le peu de délicatesse dont elle avait fait preuve n’avait semble-t-il pas plus à ces derniers qui, affichant toujours ce sourire mesquin, comptaient bien lui faire passer l’envi de les déranger.

Trop peu intéressé par les évènements, l’Abyssal s’était emparé des dés de l’un d’eux, passant ses doigts sur les arêtes des dés. Cela ne faisait plus aucun doute, les deux bougres qui se tenaient devant lui, près à en découdre avec cette femme, n’étaient autres que de vulgaires escrocs de bas étages. Bien qu’il ne soit de nature peu querelleuse, Morgan s’interposa naturellement au milieu du conflit et se tourna vers les deux gaillards, le poing fermé tendu vers eux.

Morgan Barreta – Pas sûr qu’la maison apprécie l’bordel qu’vous allez foutre ici … Le sourire en coin, il ouvrit sa main tendu et laissa tomber les dés des deux hommes. Mais ‘vec vos dés pipés, j’pense qu’vous pouvez décoller d’ici, sait-on jamais, les rumeurs ... ça va ça vient …

Ce genre d’escroquerie était monnaie courante ici, et les roublards dans leur genre ne restaient pas bien longtemps au même endroit pour éviter de s’attirer les foudres de leur victime. Le coin n’était pas bien grand, retrouver quelqu’un y était plutôt facile lorsque l’on connaissait le coin, d’autant plus qu’ici, l’on pouvait être tué ou assassiné sans raison apparente, simplement sur demande de certaines personnes. Des revanchards qui souhaitent faire payer le prix fort à des crapules comme eux, il doit y en avoir un paquet. Passant mon tour ma main à ma ceinture, dévoilant légèrement l’arbalète  qui y pendait, carreau armé, les deux voyous restèrent confus un instant, leur sourire s’était évaporé pour laisser place à un mépris naissant. Après un bref instant d’hésitation, ils se retirèrent, récupérant leur effet personnel tombé au sol. Au regard de l’individu, Morgan comprit qu’il allait devoir se méfier à l’avenir lorsqu’il se promènera dans les parages, mais l’insouciance qui le guidait en permanence ne lui laissait pas le temps d’y penser. Tout en remettant sur pied la table et les chaises associées, il s’adressa alors à la soi-disante capitaine, selon les dire du jeunot, d’un air amusé.

Morgan Barreta – J’aurai bin aimé faire une ‘tite partie d’dés ‘vec vot’e bleusaille, dommage … Mais j’pense qu’il a pas tort non plus, vous d’vriez vous détendre un peu. L’Abyssal posa ses dés sur la table et invita la belle pirate à se joindre à lui. Ça vous dit ? Une ‘tite partie ?

Alors que le silence qu’avait provoqué la jeune femme un peu plutôt s’estompait peu à peu, laissant ressurgir la bavasse habituelle et divers commérages de pirates, l’ambiance festive reprit ses droits. La charmante jeune femme s’était quelque peu apaisée et après avoir laissé passée l’hésitation, elle salua le marin d’un geste de la main et se rapprocha pour étudier la question. Ce genre d’évènement était devenu commun avec le temps, les regards qui s’étaient posés sur eux quelques instant plutôt s’étaient déjà lassé, laissant au demi-sang et à la jeune femme l’intimité de ne pas être écouté d’une oreille malveillante. Croisant les bras en attendant la réponse de la magnifique créature qu’il venait d’invité, il n’effaça pas pour autant son regard plein d’assurance et son sourire en coin. Il était venu ici pour prendre du bon temps, il ne comptait donc pas repartir sans satisfaction.

Roxanne – Et bien, cela aurait été avec plaisir mais, si je peux me permettre, si je dis « non » à l'un, je vais sûrement répondre de la même manière à l'autre !

C’était à prévoir, sa réaction auprès du jeunot avait démontré que son tricorne lui sciait à merveille, sa fermeté et son sérieux laissait penser en revanche qu’elle était sans doute dans l’attente de quelque chose, cachant grossièrement le stress d’un quelconque évènement en approche. Inexpérience et départ important en mer étaient deux raisons qui traversèrent l’esprit de l’Abyssal en la voyant, mais le fait qu’elle ne soit pas reparti aussitôt la joute verbale terminée laissait penser que quelque chose avait su attirer son attention. Saisissant quelques dés dans sa main, Morgan se mit à jouer avec les dés du bout de ses doigts, guettant le moment opportun pour réitérer sa proposition. Son tricorne dans sa main le long de ses jambes, la demoiselle affichait une prestance peu commune, son regard était tout aussi déterminé et tranchant que sa démarche l’était. Ses prunelles azur semblaient me dévisager d’un regard froid sans accord avec l’air curieux qu’elle dégageait. Une contradiction qui semblait bien lui aller. Soutenant son visage d’une main, accoudée sur la table, ses pommettes semblait si douce, faisant ressortir davantage se regard déterminé et azuré presque déstabilisant.

Morgan Barreta – Disons alors qu’c’est une partie d’remerciement, même si sans moi, ils n’auraient pas fait l’poids. Ce s’ra pas long ! Dit-il d’un air amusé et convivial.

Roxanne – Bon. Si vous insistez ! Je vous laisse commencer. Par contre, je vous préviens, je n'ai pas vraiment de temps. D'ailleurs, puisque vous m'invitez, j'aimerais savoir qui vous êtes ? Quitte à connaître du « beau » monde, autant le faire bien, non ?

Ravi de sa réponse, Morgan prit place sur la chaise et se rapprocha de la table pour servir les gobelets en cuir de trois dés chacun, tendant l’un d’eux à la jeune femme qui se tenait devant lui. Prenant son temps avant de répondre, il prit soin de déposer son tricorne sur le coin du dossier de sa chaise et s’arma de son cubilete et de ses dés. Posant son regard sur son interlocutrice, tout en secouant son godet avec les dés à l’intérieur, il lui répondit d’un air naturel.

Morgan Barreta – Je n’suis qu’un simple pirate en quête de divertissement. Rien d’plus.

Sa bouteille de rhum toujours à la main, il porta le goulot de ce dernier à son museau pour y sentir les effluves fruités qui s’en dégageait avant d’en soutirer quelques gorgés. Faisant tourner plusieurs fois sa dernière goulotte dans sa bouche, il savait apprécier les bonnes choses et faisait en sorte de ne rien gâcher du moment présent. Posant lourdement la bouteille sur la table, mon regard croisa celui du tavernier. Les tenanciers de boissons alcoolisés n’appréciaient pas vraiment que l’on apporte de quoi se sustenter dans leur établissement, ce qui était compréhensible, mais cette fois-ci il ferma les yeux, certainement en dédommagement du boucan évité tout à l’heure. Content de ne pas déranger, le navigateur revint aussitôt sur la capitaine qui ne l’avait pas quitté du regard. Etait-elle encore méfiante à son sujet ? Le poids de son regard empli de doute le fit détourner du regard avant qu’elle ne poursuive de nouveau.

Roxanne – Que fait un homme de vot' trempe, seul, au beau milieu d'Ishtar ? Où sont vos coéquipiers ?

La question amusa l’Abyssal, lui volant un franc sourire. Non pas qu’il s’était moqué de la question qu’on lui avait posé, mais plutôt qu’il s’était fait une autodérision de ceci. Que faisait-il tout simplement sur ce continent, alors qu’il devrait être à des milliers de lieux d’ici par delà la mer ? Succession de malchance ou d’échec, il se retrouvait seul ici dans un village gouverné par la piraterie et la pègre, loin de ses rêves de découverte et de conquête. Il n’avait plus aucune obligation, plus aucun tracas et son expérience dans le milieu de la piraterie lui était bien utile dans un environnement comme celui-ci. Il s’y était fait à l’idée et avait même déjà songé à rester travailler en tant que bûcheron au village, délaissant le temps de quelques songes ses rêves les plus fous. A nouveau, c’était une femme qui lui posait cette même question le menant à la réflexion. Pourtant, cette fois-ci, son regard ne se perdit pas au fond de sa bouteille, mais dans les deux puits qui se trouvait devant lui.

Morgan Barreta – C’t’une bonne question ça, moi-même j’n’ai pas la réponse. Peut-être la volonté de Melpoména, qui sait ? Morgan, qui continuait à secouer son godet, le posa brusquement sur la table et attendit que son adversaire en fasse autant. Y a un moment que j’n’ai plus d’frère d’arme. Le marin prit un temps avant de poursuivre, adoptant la même posture que la jeune femme et saisissant la bouteille de sa main libre pour la faire tournoyer et perdre son regard dans cette eau trouble. Z’avez d’vant vous un pirate sans pavillon à défendre …

Un goût d’amertume dans la bouche, même si la vérité est parfois difficile à accepter, il avait choisi de ne rien cacher à la belle poussée par la curiosité, au moins pour faire taire les doutes qu’elle devait avoir à son propos. De toute manière, il n’avait pas grand-chose de compromettant à raconter, ni rien de spécial à cacher. Mais désireux d’en apprendre plus sur sa partenaire de jeu, il prit l’initiative de la questionner avant elle, histoire de savoir à qui il pouvait bien parler de tout ça.

Morgan Barreta – Mais à c’que j’vois, c’n’est pas l’cas d’tous ! Vous partez bientôt en mer, j’me trompe ? Le petit s’dirigeait vers le port et vot’e empressement m’indique qu’c’est pour bientôt. Reposant la bouteille délicatement, le marin croisa de nouveau le regard intense de la demoiselle, cherchant à mieux la cerner. Une capitaine dans l’soucis du détail, voilà bin deux choses peu commune dans la piraterie ! L’Abyssal prit un temps avant de reprendre. Et d’quel pavillon êtes-vous l’cap’taine ? Dit-il en passant sa main dans sa barbichette naturellement.