Charlotte venait aujourd'hui de prendre une décision difficile. Il s'agissait de renouer des liens avec la partie de son existence la plus douloureuse. Un passage de sa vie qu'elle aurait bien aimé oublier, tant en en tant que Charlotte Roseline II qu'en tant qu'Amélia gamine. Enfin, il fallait penser à l'avenir avant tout et celui-ci se trouvait derrière les portes de la maison close dénommé "Aux Froufrous Effrontés". La devanture sonnait comme le bordel le plus classe du port, pas un endroit pour les mousses.
Malgré les douloureux souvenirs qui envahissaient les souvenirs de notre aventurière, elle prit sur elle et passa la porte qui n'était pas même gardé. L'endroit semblait être respecté malgré son but premier, c'était déjà ça. A l'intérieur, des dorures, des fleurs, des vases quelques croûtes accrochées au mur et des une agressive odeur de parfum qui se mélangeait à celles de sueur des hommes qui terminaient leur journée. Charlotte évita le plus possible de toucher quoi que ce soit, ou qui que ce soit d'ailleurs, et s'aventura un peu plus loin pour quitter le hall d'entrée. Y'avait pas à dire, c'était plus chic que ce qu'elle avait connue de son époque. Au bout de quelques instants, une des hôtesses vint à elle de manière plutôt amicale. Mais elle connaissait le milieu et se demandait bien ce qu'elle devait penser en réalité.
- Hey ma jolie, c'est pas un endroit pour se battre ici! Si tu veux t'faire plaisir, laisse-moi tes jouets tu veux bien?...Mais alors qu'elle s'apprêtait à lui répondre, son oeil se posa sur une gigantesque forme qui descendait le long escalier ouvert qui donnait sur l'étage supérieur. Une ancienne camarade d'infortunes dont elle avait, jusque là, réussi à éviter de recroiser malgré la taille d'Ishtar. C'était elle qu'elle était venue chercher. D'après ses sources, elle avait plutôt bien réussi dans les affaires et, d'après ses souvenirs, cela devait sans doutes faire un bout de temps qu'elle devait songer à quitter le milieu...
- Ce s'rait pas cette grande asperge de Berthe Sorg que j'vois là-bas?! Lança-t-elle alors négligemment, sans se douter que cela pourrait lui coûter la vie.
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Les retrouvailles s'étaient plutôt bien passées. Berthe avait finit par l'accueillir dans son bureau qui ne manquait pas de démonstrations de luxe en tous genre. Alors que les deux femmes s'assirent dans des fauteuils de velours, la géante entreprit de commencer la conversation.
- Alors, Charlotte, dit moi un peu ce que t'as à m'offrir... Comme tu peux le voir, y'a pas grand chose qui m'manque!Tout en disant cela, la géante avait sortit deux verres de son bureau ainsi qu'une bouteille de rhum venant de Guillaëd, histoire de bien montrer qu'elle ne se foutait pas de sa gueule en disant cela. Tandis qu'elle leur versait leur verre, Charlotte répondit :
- Allons Berthe, j'te connais, et sans doutes mieux qu'tu m'as connus! A l'époque j'perdais la boule tu l'sais bien... Merci, dit-elle en récupérant le verre qui lui était tendue.
- "A l'époque", mouais... Si j'me rappel bien, pas trop loin après la dites époque, y'a eut comme qui dirait des disparitions étranges. D'anciens clients à toi étrangement...La matriarche n'avait pas à nier les faits, surtout devant cette femme qui en savait long. Elle s'amusa de sa réflexion et lui répondit après avoir goûter le rhum.
- J'pouvais pas m'permettre de me trimbaler cette réputation là, tu l'sais très bien...Le verre de Sorg se brisa entre ses mains mais pour une fois Charlotte n'eut aucun réflexe défensif, c'était presque la famille.
- Madame Charlotte Roseline est trop bien pour avoir été une pute c'est ça?! C'est pas c'que j'entendais quand j'vous ait sortit l'cul d'la misère à toi et Amélia!Charlotte leva un sourcil interrogateur avant de se rendre compte qu'il faudrait probablement un peu de temps avant que la géante n'accepte le fait qu'elles n'étaient maintenant plus qu'une seule et unique personne.
- Bah quoi, tu vas pas m'en vouloir non plus?! T'es toujours en vie non?!...- Mouais, à l'époque j'étais pas bien sûre de le rester très longtemps... Répondit Berthe l'oeil mauvais.
- Ca m'blesse c'que tu m'dis là, répondit faussement Charlotte et vraiment Amélia.
J'ai pas oublier c'que t'as fait pour nous et c'est bien pour ça qu'j'suis là!- Depuis l'temps quand même, t'aurais put au moins donner des nouvelles... Au moins de la p'tite! Enfin, bref, explique moi un peu pourquoi t'es là exactement...En vérité, toutes les mémoires qui se partageaient ce corps préféraient de loin oublier cette sombre période qui remontait à loin. Alors que la géante se resservait un nouveau verre, Charlotte entreprit d'expliquer son offre.
- Je sais qu'le pognon c'est important pour toi Berthe... Mais t'as pas ce qu'il te faut là? T'es arrivée là où tu voulais arriver... Tu t'souviens de l'époque où on parlait d'te faire voyager un peu? J'pense bien qu'l'heure est venue... Alors que la géante commençait à s'esclaffer, Charlotte continua très sérieusement.
Arrête, écoute moi un peu. Il te reste combien de temps à vivre là? Cent ans, peut-être plus? Tu vas pas m'faire croire que t'as envie de faire ça toute ta foutue existence... Je sais c'que c'est de voir les décennies s'enchaînées et, crois moi, t'as pas envie d'ça, j'dirais même que t'en as sans doutes déjà marre pas vrai?La Charlotte marquait petit à petit ses points. Malgré ce qu'on disait des géants, Berthe en avait dans la caboche et pensait toujours à son avenir. Elle but enfin une gorgée dans le verre qu'elle n'avait pas explosé et répliqua d'un air plus intéresser :
- Et qu'est-ce que tu m'proposes au juste?...La Piratesse sourit comme si elle venait de conclure une bonne affaire avant d'en arriver enfin au but de toute cette conversation.
- Suit moi sur le Ruby, tu seras libre comme jamais, tu pourras faire c'qui t'chantes ou presque et aucun jour ne sera pareil à l'autre! Fini d'devoir se plier aux exigences de ces idiots en rut, fini d'jouer l'rôle de la matrone et d'penser au bien d'tes filles, c'est l'moment d'penser à toi Berthe!... C'est bien c'que tu voulais en v'nant à Ishtar non? Prendre la mer! On manque de rien dans l'équipage, tu s'ras aussi bien qu'ici! J'ai une affaire qui tourne pour renflouer mes pertes.La concernée eut un sourire que notre aventurière n'apprécia pas, de ces sourires nostalgiques qui vous font penser que tout cela n'était qu'un doux rêve innocent. Elle fit tournoyer le rhum dans son verre et, au bout de quelques instants de réflexions répondit :
- Il m'faudrait l'temps de régler mes affaires ici...Charlotte jubila, puis Berthe, et ensemble elles trinquèrent à ce bel avenir. Le reste de la soirée se déroula dans l'alcool et l'explication de tout ce qu'il s'était passé dans leur vie depuis le temps. La matriarche avait bien jouer son coup. S'investir dans la faction était une chose, mais avoir accès aux secrets contenus dans cette maison close en était une autre... Mais en vérité, il n'y avait pas que ça, non, la famille Roseline avait une énorme dette envers cette femme et, si Charlotte s'en fichait royalement, ce n'était pas le cas d'Amélia.