L'été commençait à s'abattre sur Dùralas, et avec lui une chaleur désagréable. Par chance, dans les alentours de BaldorHeim, un petit vent frais soufflait, permettant de conserver un minimum de fraîcheur. Et de fraîcheur, Azriel en avait besoin. Pour fêter cet événement qu'était la première représentation officielle du Cirque de l'Eclipse, le vampire avait revêtu sa plus belle tenue et son masque le plus élégant, lesquels n'étaient pas forcément les plus aérés. Mais tout ceci valait le coup. Les gradins s'étaient petit à petit remplis, par des gens curieux, des enfants avec leurs parents, mais aussi des adultes seuls, poussés par la curiosité. En même temps, s'il avait pris un chapiteau rouge, ce n'était pas pour passer inaperçu.

Melpohër vint à sa rencontre, visible de loin avec son allure de poisson, et ses grands yeux vitreux.

- Monsieur, ça va être l'heure.

- Très bien. C'est parti.

D'un geste théâtral, Azriel souleva le rideau pour avancer sur la scène, sur une musique entraînante jouée par Octave et Rémi, les jumeaux musiciens. Les spectateurs, d'abord étonnés, commencèrent à applaudir. Ils ne savaient pas trop ce qui allait se passer, mais visiblement, ça semblait divertissant.

- Mesdames, mesdemoiselles, messieurs. Bienvenue au Cirque de l'Eclipse ! S'il existait une porte vers l'imaginaire, le merveilleux et l'étrange, et bien aucun doute, mais vous l'avez trouvé ! Alors, installez-vous confortablement, et laissez-vous emmener vers un voyage que vous n'oublierez pas de si tôt ! Pour le spectacle d'aujourd'hui, Holy, notre Musicienne des émotions vous emportera dans un monde onirique. Mais n'y restez pas trop longtemps, car vous manqueriez le numéro de Zecharel, l'Acrobate fantasque, et soyez-en sûr, ce serait dommage ! Alors, sans plus attendre, que le spectacle commence !

HRP:

Autour de nous s'affairait le personnel, constitué principalement de ses petits lutins qui servaient d'aide de camp et des monstrueux siamois et autres abominations que j'aurais rêvé pouvoir osculter plus en profondeur. Par curiosité, cela allait de soit. Mais tout ceci, c'était les pensées de Valphégas, et actuellement ce n'est pas celui que j'étais. j'étais Zecharel, l'acrobate fantasque.

J'avais eu l'occasion de m'entraîner un peu plus en acrobatie. Car si pour le combat, je maîtrisais plutôt bien le domaine, je devais bien avouer que pour le spectacle j'avais moins de facilité, et j'avais donc dû recevoir l'aide de quelques un de mes camarades caravaniers pour développer un numéro, notamment d'Holy qui passait juste avant moi. L'étrange bouffon que l'on nommait Mélaskholès m'avait aussi un peu aidé, à sa manière, et je trouvais sa personnalité fascinante. Et je devais dire que j'aimais bien toute cette ambiance et cette deuxième vie que je jouais. Personne ne se doutait de ma réelle identité, et cela me permettait ainsi de tester mon jeu, en vue de mes aspirations politiques. Et quoi de mieux pour s'entraîner que de se créer une deuxième personnalité?

J'avais pu discuter avec quelques autres artistes, comme les musiciens siamois ou les autres monstruosités du cirque. J'avais pû glaner ci et là quelques informations sur leur passé, et avait accepté avec ma candeur et mon innocence faussement naturelle de leur réveler l'histoire de Zecharel, fils de fermier en quête de gloire et d'une nouvelle famille après la mort de la sienne, tuée par des bandits. Classique, mais on ne change pas une formule qui marche après tout.

Soudain, alors qu'Holy venait de revenir dans les coulisses et de passer devant moi, je sus que ça allait bientôt être à moi. Par chance, je n'avais pas écouter la représentation de Holy. Elle semblait posséder un réel pouvoir avec la musique, et me faisait parfois ressentir des sentiments que je répugnais, comme la sérenité ou l'amour.

Finalement, Azriel m'annonça enfin, comme "l'acrobate fantasque". Bah, pourquoi pas après tout?

Quand je pénétrai sur la piste, les applaudissements de la prestation précédente se turent tout doucement, et je me plantai au centre de la piste, dévisageant le public en faisant mine d'avoir un peu le trac. Après tout, Zecharel n'était qu'un jeune homme innocent qui n'avait jamais réellement goûté au plaisir de la scène. Puis, sans crier gare, je dégainai mes deux dagues et commença simplement à jongler avec, d'une manière assez simple mais qui faisait tout de même l'affaire. Je fis quelques prouesses néanmoins, parvenant à un moment à rattraper une de mes dagues entre les dents, puis à la relancer entre mes mains comme si de rien n'était. Néanmoins, je ne pouvais présenter un spectacle si simple aux clients du cirque. Ceci, ce n'était que l'amuse-bouche, pour qu'ils me sous-estiment et sois réellement impressionés par mon vrai numéro. C'était un conseil que m'avait donné un de mes camarades cirquier, et je comptais bien l'appliquer.

Puis, au bout d'une minute de jonglage, avec quelques moments un peu plus tendus, je changea complètement de numéro. Je me mis à jeter mes dagues, et bandant ma volonté, je les fis traverser les cerceaux accrochés au plafond que les petits lutins m'avaient installé au préalable. Cela demandait un réel effort de concentration, mais l'entraînement m'avait permis de complètement maîtriser mon effet. Les dagues filèrent entre les cerceaux, faisant plusieurs fois des loopings, des virages serrés, et s'arrêtant même à un moment très proche d'un des spectateurs de la première rangée, qui ne put retenir un petit cri de surprise. Tout le monde semblait fasciné par les figures que faisaient mes dagues. Mais ils n'avaient pas encore vu le clou du numéro!

Après une bonne minute à faire faire des godriolles à mes dagues, je rouvris les yeux et les fit revenir vers moi, aussi fluide que ma concentration me le permettait. Déjà la sueur commençait à perler sur mon front à mesure que j'utilisais ma magie et mon énergie. Les dagues commencèrent alors à tourner autour de moi, et je déployai mes ailes, prêt à me propulser en haut devant des hoquets de surprise du public. J'aggripai tout d'abord un des cerceaux de mes mains, alors que les dagues continuaient à virevolter autour de moi. Néanmoins, ma concentration commençait à me faire défaut, et je sentis une des lames me frôler le bras, creusant un léger sillon ensanglanté imperceptible par le public trop loin pour le remarquer. Rah, il fallait que je me ressaisisse! J'avais bossé ce numéro des dizaines de fois auparavant!

Faisant fi de la petite douleur - agréable et excitante - à mon bras, je fis une pirouette artistique de façon à aggriper le cerceau sur lequel je me trouvais avec mes jambes plutôt qu'avec mes mains, puis me balançai dans un mouvement aussi grâcieux que contrôlé, déployant bien fort mes ailes pour impressioner d'autant plus le public silencieux. Un rapide coup d'oeil me permit de voir l'humeur général des spectateurs: ils étaient complètement fascinés et avaient pour la plupart la bouche grande ouverte. Parfait, au moins mon numéro avait-il fit mouche.

Après quelques séries de pirouettes qui me firent aller d'un cerceau à l'autre, avec dextérité et maîtrise, je fis semblant de tomber une fois retourné au cerceau central, et j'entendis l'inspiration d'une bonne partie du public qui retenait son souffle alors que je m'écrasai sur le sable, un genou et un poing à terre. Je laissai quelques secondes la peur que je me sois blessé s'installer, puis clotûra le spectacle en me relevant subitement, déployant bien grand mes ailes pour signifier à tous que c'était contrôlé, et que c'était même le clou du spectacle. Je mentirais cependant en disant que je ne m'étais pas un peu écorché sur le sable froid de la piste, mais ça le public n'avait pas besoin de le savoir.

Je fis quelques courbettes alors que le public applaudissait à tout va, et me força à rougir pour que mes camarades du cirque croient toujours en mon personnage du jeune artiste un peu naïf. L'histoire de Zecharel venait de commencer ici et maintenant.