Cela faisait quelques temps qu’Halvard m’avait aiguillé vers Thrynn, l’amateur de frappé glacé. J’avais fait sa rencontre un soir à la taverne, et ce qu’il m’avait confié sur le Grand Nord avait égayer ma curiosité. Alors comme ça certains clans avaient besoin d’aide pour lutter contre des sauvages nordiens ? Désireux de changer un peu de paysage, je m’étais empressé de sauter sur l’occasion, et après avoir cherché dans la plupart des tavernes de BaldorHeim, j’avais décidé de prendre mes fins de semaine pour visiter Kastalinn, la capitale du Nord, où il était plus probable que je trouve le dénommé Thrynn.
Après des heures de recherches, j’étais usé de répéter toujours les mêmes questions et d’avoir toujours la même réponse :

« Thrynn ? Oui, on le connaît bien ! Mais ça fait un moment qu’il n’est pas revenu. En général il arrive plutôt à l’improviste, donc je vous souhaite bonne chance ! »

J’étais exténué de la journée, et avait donc décidé d’aller à une taverne que je n’avais pas encore visitée, le Logis du Chasseur, pour me reposer un peu avant de reprendre mes recherches. J’entrai dans la taverne, et alors que j’allais m’asseoir dans le fond de la salle pour être tranquille, je crus reconnaître quelqu’un. N’était-ce pas le vieil elfe du Donjon de la Liche ?
Le mage qui nous avait épaulé lors de l’assaut du Donjon de la Liche se tenait là, au comptoir, et semblait s’entretenir avec le tavernier. Etant resté non loin, je perçus un mot qui me parut familier aux oreilles : « Thrynn… ».

Je m’approchai donc de mon ancien compagnon d’arme, curieux d’en savoir plus. Si le destin m’avait dit que c’était ce vieux mage dans le Donjon de la dernière fois qui allait me permettre d’accéder à Thrynn et au Grand Nord !
Alors que j’allais arriver à sa hauteur pour lui tapoter l’épaule, une voix se fit entendre et je me tournai pour voir d’où elle venait :

« Je suis Thrynn, dit « Le frappé glacé ». Que puis-je faire pour toi, elfe ? »

Ainsi j’avais enfin trouvé Thrynn, alors même que j’avais arrêté mes recherches ? Ca faisait une belle anecdote à raconter à mes petits-enfants, si j’avais des petits-enfants. Le vieil homme répondit, et je fis le choix de le laisser finir avant de m’introduire à mon tour. Il ne m’avait pas encore remarqué, trop occupé à discuter avec Thrynn pour regarder à sa gauche. Le vieil homme lui répondit donc :

« Je me nomme Olórin Calen. Vous n'êtes pas facile à trouver, malgré une réputation étendue. J'ai ouïe dire qu'une contrée glaciale a récemment été découverte pour nous autres qui ne vivons jusqu'à alors par ici. Le Grand Nord qu'on l'appelle. Vous en seriez aussi originaire d'après les rumeurs, et... comment mérite-t-on le droit de passage en vos contrées ? »

Il avait exactement les mêmes motivations que moi. Peut-être que nous allions finir par recombattre côté à côté si ça continuait sur ce chemin ? Je m’immisçai donc dans la conversation, profitant du court moment de silence :

« Salutations, monsieur Thrynn et monsieur le mage. Je me tournai vers ce dernier. Nous avons combattu ensemble il y a quelques temps dans l’Antre de la Liche, je suis surpris qu’on se retrouve en de telles circonstances. Je me tournai cette fois vers le dénommé Thrynn. Pardonnez moi de vous interrompre, mais j’ai le même objectif que le vieil elfe à côté, donc je préférais m’introduire plutôt que d’écouter discrètement dans mon coin à la manière d’un guetteur. »

J’espérais ne pas trop indisposer mes nouveaux interlocuteurs, mais comprenez mon impatience après ces heures de recherches à BaldorHeim et à Kastalinn.

Le vieux visiteur se présenta et expliqua ses projets pour le Grand Nord. Au moment où il finit de s'exprimer, un gobelin en armure s'annonça à son tour comme suivant les mêmes objectifs que l'elfe. Apparemment, les deux individus se connaissaient ce qui rendait toute cette histoire étrange. Le dénommé Thrynn était méfiant et ne savait pas trop que penser de ces deux personnes ; peut-être qu'elles essayaient de lui tendre un piège. De plus, cette histoire d'accès au Grand Nord ne lui plaisait pas. Si on venait discuter avec lui et partager un frappé glacé, c'était amusant. Par contre, obtenir des informations sur sa patrie, c'était plus délicat.

Je dois reconnaître qu'il y a un certain honneur dans votre démarche, gobelin. Mon pays n'est pas fermé aux visiteurs, il faut juste correctement se préparer pour y aller. La route est longue depuis Kastalinn et le froid se fait de plus en plus pesant. À moins que vous ne sachiez vous enfermer dans une bulle de chaleur en continu, vous n'allez pas vous en sortir de cette manière. Et encore, si ce n'était que le froid...

Le nordien porta son gobelet aux lèvres pour en boire une gorgée. Plus il commandait de frappés à Dùralas et meilleurs ils devenaient ; les taverniers faisaient des efforts rien que pour lui, c'était touchant.

Le vieil homme, quand il m’eut reconnu, me serra la main tout en me souriant d’un air bienveillant. Visiblement – et heureusement – ma présence inopinée ne l’embêtait pas. Quand le dénommé Thrynn – qui sirotait son frappé glacé comme on pouvait s’en douter – prit la parole, cela ne fit que soulever plus de questions de ma part et de celle du vieux mage. Mais c’est ce dernier qui mis un mot sur ses questionnements. Je le laissai faire car après tout, c’était moi qui était venu m’incruster dans leur conversation.

« Et comment nous préparer correctement à une telle expédition ? demanda-t’il sur le ton de la conversation. Existe-t’il des objets, provisions et outils à prendre en particulier pour vagabonder dans votre contrée natale ? »

Il avait formulé exactement les questions que je me posais. Comme quoi, nous étions sur la même longueur d’onde. Peut-être même que nos objectifs se rapprochaient ? J’allais bientôt en avoir le cœur net car Thrynn répondit aussitôt, semblant tourner autour du pot :

Il y a toutes sortes de façons pour s'y préparer. Certaines sont bonnes, d'autres non. J'en connais bien une qui donne des résultats satisfaisants, parfois. Par contre... Puisque j'ai sur les épaules une certaine responsabilité vis-à-vis du Grand Nord, grâce à vous, pourquoi exposerais-je mon monde à vos pieds d'étrangers ?

Je commençais à devenir impatient, même si je comprenais tout à fait sa méfiance. Dans mon ancienne tribu gobeline, je me souvenais que la méfiance envers les étrangers était presque une seconde nature, innée. Peut-être qu’à une certaine époque, où j’étais plus fougueux et où mon surnom m’allait comme un gant, je me serais emporté pour faire bouger les choses plus vite. Mais l’âge m’avait apporté, sinon la sagesse, la patience. Je pris donc la parole, d’une part pour répondre à Thrynn et de l’autre pour voir si mes objectifs divergeaient ou convergeaient avec ceux de mon vieux compagnon magicien :

« Je comprends votre méfiance Thrynn. Il est normal que vous vous demandiez la raison de notre venue dans le Grand Nord. Si je ne peux pas parler pour mon compagnon mage, sachez que pour ma part je viens après avoir discuté avec un nordien du Grand Nord. Il était rescapé d’une ancienne tribu, ravagée par des pillards il y a quelques années de cela. Je viens pour voir si je peux aider les tribus les plus démunies à se développer, et à les défendre face aux attaques des tribus de pillards ou autres dangers de vos contrées. Peut-être est-ce présomptueux de ma part de penser que je puisse apporter mon aide à des nordiens rompus pour la plupart au combat et au climat hostile du Grand Nord, mais je me suis toujours promis de veiller sur la veuve et l’orphelin, que ça soit à BaldorHeim… »

Je désignais un bref instant l’emblème des kazhariens qui ornait mon armure, puis repris :

« … ou ailleurs. J’ai une haine viscérale pour ceux qui prennent aux autres simplement parcequ’ils sont plus fort. Et vous, cher ami mage ? »

Je me tournais vers l’elfe, impatient de découvrir si nos destins allaient se croiser à nouveau.

Thrynn semblait un peu pressé car il partit faire son paquetage sans un mot, puis revint pour nous annoncer :

« Je suis un peu en retard sur mon itinéraire, j’aurais déjà dû être en route pour BaldorHeim. Si vous voulez, vous pouvez m’accompagner ? On aura tout le temps de faire connaissance. En tout cas, je sors moi. Dans cinq minutes, je me mettrais en route pour la cité de la montagne. »

Ah ? Ainsi, il allait à BaldorHeim ? C’était exactement ma destination, moi qui était kazharien. Je lui répondis simplement, avec un petit sourire satisfait :

« Je veux bien vous accompagner là-bas, maître nordien. Je suis kazharien, comme vous pouvez le voir. »

Je lui désignai l’emblème qui ornait discrètement mon armure avant de reprendre :

« Et si vous voulez, je peux moi-même vous y amener. Ma partenaire, Feriel, est une griffonne des Baldor. Elle nous emmènera en volant, si vous ne voulez pas perdre de temps. Et, comme vous dites, on fera connaissance sur la route. Je connais une chouette taverne d’ailleurs à BaldorHeim, où ils font des fourrés à la myrtille. Je pense que vous apprécieriez l’enseigne. »

Nous avions encore cinq minutes pour bavarder avant de partir, autant les mettre à profit pour gagner quelques points auprès de ce prudent nordien. Plus le temps passait et plus mon envie de visiter le Grand Nord grandissait. Il y avait sûrement là-bas des âmes innocentes à aider, et des groupes de pillard à éradiquer.