L'air froid frappait le visage d'Azriel, qui affichait un air maussade. Il pouvait compter sur les doigts les fois où il s'était baladé dehors sans masque depuis son arrivée à Kastalinn. La fraîcheur s'infiltrait dans la cicatrice sur son visage qui commençait à le démanger, comme si le vent profitait de la blessure pour s'infiltrer dans son corps. La tête couverte d'une capuche, le vampire marchait d'un pas vif sur les pavés éclairés par la lueur de la lune.

Autour de lui, certains badauds remarquaient sa balafre, et affichaient un air tantôt surpris, tantôt de peur, et parfois même de dégoût. L'absence de masque et d'une de ses tenue habituellement bariolée avait un impact sur l'humeur d'Azriel : lui d'habitude si prompt aux mouvements souples et aux jeux d'esprit, il devenait sombre, hâtif, incisif. Agacé, il était sur les nerfs, et s'il s'écoutait, il se serait jeté à la gorge de ceux qui osaient porter sur son auguste personne un regard qui lui déplaisait.

Il remonta une rue bondée de Kastalinn, le pas toujours pressé. Le vampire gardait malgré tout une certaine fluidité, en zigzaguant entre les passants trop lents à son goût. Alors qu'il tentait de dépasser un vieillard, une femme bruyante et qu'il trouva instantanément vulgaire lui fonça dessus et le bouscula.

- Mais enfin, vous ne pouvez pas regarder où vous mettez les pieds non ? Alors en plus d'être hideux, vous êtes mal élevé ! Vous me dégoûtez...

Azriel avait dû serrer les poings pour ne pas l'égorger comme un porcelet un peu trop gras. Autour d'eux, les gens s'étaient arrêtés, guettant une réaction de l'un ou de l'autre. Conscient qu'il ne pouvait rien faire devant tout ce monde, le vampire se contenta de continuer son chemin, avec dans son dos la femme qui continuait de l'invectiver.

- Mais il ne va même pas s'excuser ce cul terreux ! Vous avez vu ?

Dans sa tête, Azriel ruminait. Oh oui, ils allaient voir, elle pouvait en être sure.

- Mais il ne va même pas s'excuser ce cul terreux ! Vous avez vu ?

Oh-ho-ho.
Du grabuge. Lonn aimait le grabuge. D'une part, c'était bon pour les affaires, de l'autre, c'était tout de même assez amusant.

Il était arrivé à Kastalinn il y a deux jours, et s'était montré discret depuis son arrivée. Il préférait ne pas attiser les soupçons, et même s'il avait passé de longues années à ne sévir que dans de petits villages de campagne, il avait tout de même passé de longues années à apprendre à ne pas attirer les regards des gens.
Ainsi explorait-il la ville de Kastalinn encapuchonné, son masque remonté sur son nez, et en se fondant dans la foule plutôt que de courir sur des toits dont il n'avait pas encore terminé les plans. Méticuleux dans ses préparations, il n'était qu'un citoyen comme les autres ce jour-là, excepté pour ses armes soigneusement dissimulées derrière le pan de toile qui flottait autour de sa cuisse droite.

Une femme de mauvais goût vestimentaire venait de bousculer avec véhémence une autre personne dans la foule devant lui. A dix mètres de là, il pouvait distinguer les deux intéressés, bien que le "coupable" lui faisait dos. Les autres s'étaient écartés et les regardaient, vautours impatients de pouvoir charogner au cas où quoi que ce soit arriverait.

La femme, bruyante, usant de sa langue plus que Lonn ne l'aurait fait s'il en avait toujours une, ne semblait pas vieille, mais elle n'était pas jeune, c'était certain. Un mètre soixante-cinq environ, très ronde. Pas étonnant qu'une boule comme ça ait dévalé la rue pentue aussi vite. Il semblait très peu judicieux pour elle d'oser l'ouvrir si haut face à un homme la dépassant d'au moins deux têtes.

L'homme en question, grand, très mince, dégageait pourtant cette aura inhumaine qui ne collait pas avec le reste des passants. Il avait dépassé Lonn quelques secondes auparavant, d'un pas souple, d'un déhanché expert, sans jamais laisser ses maigres jambes trembler entre les pavés pourtant grossiers de la rue.

Lonn aurait voulu lancer des paris, mais il s'était juré de ne pas se faire remarquer. Du moins, pas en public.
Une demi-seconde lui suffit afin de trouver un moyen de s'amuser sans attirer les soupçons de la foule. Toujours dissimulé en plein coeur de la lourde foule qui s'accumulait autour de la scène, il ferma les yeux et fronça les sourcils.

Son esprit se verrouilla sur celui de la femme.
~~ Cul terreux, cul terreux... Quand on s'habille comme un animal de bât, on essaie au moins d'être incisif sur le bon morceau du sujet...

Lonn rouvrit les yeux en laissant ses pensées arriver vers sa cible.
Lorsque ce fut le cas, elle écarquilla des yeux de poisson mort et avança sa tête vers l'homme qui se tenait en face d'elle.

- Hé ! Non mais j'ai affaire à un ventriloque qui se fout de ma gueule en plus ?

Le muet esquissa un sourire sous son masque, et ses yeux riaient.
La foule se partageait entre les perplexes et ceux qui riaient en chuchotant entre eux.

Oh oui, ça allait être drôle !

- Hé ! Non mais j'ai affaire à un ventriloque qui se fout de ma gueule en plus ?

Azriel faillit ne pas se retourner, tant il n'avait pas saisi que la remarque de la femme lui était adressée. Mais devant le regard des badauds aux alentours, mi effrayés par la réaction du vampire qu'ils espéraient violente, mi attisés par la perspective d'un échange de bon mot qui pouvait potentiellement dégénérer. Mais devant le silence qui avait envahit la rue, il finit par pivoter, surpris.

La grosse nobliaute le fixait, les yeux écarquillés, une veine monumentale palpait sur son front. Dans d'autres circonstances, le vampire aurait pu trouver cela appétissant, mais son humeur, ainsi que l'hygiène visiblement douteuse de la femme lui coupait toute envie. Azriel était partagé entre la volonté de remettre l'impudente à la place qui lui revenait (entre la mouche au stade larvaire et le chien galeux), et le souhait de protéger sa tranquillité.

Mais si le vampire avait appris quelque chose de ses décennies d'exil, c'était qu'il fallait parfois éviter de se faire remarquer. Qui que soit cette femme, elle avait un rang social visiblement important, ou en tous cas bien supérieur au sien. Or, même si cela lui faisait toujours autant mal au cœur de l'admettre, Azriel savait qu'entre les murs de Kastalinn, il n'était pas grand chose. Et sans sa tenue, il n'était personne. Et il n'avait pas spécialement envie de côtoyer de près les membres de la milice. Il tenta une manœuvre de désamorçage, en espérant qu'elle serait suffisante.

- Plait-il ?

Cela paraissait bien plus efficace dans sa tête. Face à cette remarque, la face de son interlocutrice vira au rouge pivoine, alors qu'elle manquait de s'étouffer face à l'arrogance de celui qui avait osé lui répondre sans ramper à ses pieds.

- J'ai tout entendu ! Espèce de vulgaire déchet ! Un vulgaire déchet vulgaire !!

L'énervement semblait bloquer l'oxygénation de son cerveau, elle commençait à parler de manière incohérente. La tension grimpait d'un cran, mais Azriel n'avait vraiment pas le temps pour ce genre de futilité. D'un pas souple et chaloupé, il s'avança pour se retrouver à quelques centimètres de la femme. Doucement, il se pencha, et planta ses yeux d'or dans les siens. Elle ne broncha pas, signe que le manque d'intelligence lui donnait un peu de courage. Mal placé, certes, mais il faut bien faire avec les cartes que la vie vous donne.

Il lui présenta son plus beau sourire vicieux, dévoilant à elle seule ses longues canines. La colère de la femme se métamorphosa en peur. Visiblement, elle savait ce que ça voulait dire. Mais, histoire de bien enfoncer le clou, Azriel s'approcha de son oreille droite, et lui murmura, d'un ton cruel :

- Ecoute moi attentivement ma petite douceur au caramel. Tu vois la cicatrice sur mon visage ? Elle m'a été faite par une créature hautement plus dangereuse que toi. Et pourtant, j'ai réussi à m'en défaire. Et je l'ai dévoré. Alors, il me semble bien plus opportun que nous cessions là cette querelle futile. Dans ton intérêt.

Pendant qu'il lui parlait, le regard d'Azriel croisa celui d'un homme. Il le fixa pendant plusieurs secondes, sans trop savoir pourquoi. Ses cheveux d'un blond presque blanc peut-être ? Il cachait le bas de son visage, mais ici ça n'avait rien d'exceptionnel, surtout en cette saison.

Finalement, Azriel se releva. Face à lui, la femme était devenue blême. Le vampire se contenta d'exécuter une gracieuse révérence, assorti d'un "Madame", et repris son chemin.