Cela faisait plusieurs jours qu'Uskøl avait quitté sa région natale et abandonné les hauts pins enneigés, les vastes plaines recouvertes d'une lourde couche blanche poudreuse, ainsi que les huttes en bois fumant des rondins pour se réchauffer. Bien entendu, il était toujours dans le Nord, accompagné du magnifique esprit de cette zone de Dùralas, mais il était simplement moins embelli. Malheureusement, c'était un luxe que le nordique devait refuser. En effet, le guerrier ne supportait plus son pays natal à cause de ses incessantes guerres de clan. Il en était blasé. Le nordique avait besoin de changer d'air et d'en voir plus sur Dùralas. Sa première destination ? Les plaines d'Aràn, bien entendu. Quitte à voyager en-dehors du Haut-Nord, autant rester dans la même zone : à savoir le Nord !
De toute façon le guerrier n'avait pas l'intention de rester ; il ne faisait que passer dans ces vastes étendues arides pour visiter d'autres contrées. Sa prochaine destination était Sylfaën. Uskøl voulait en savoir plus sur cette région où les arbres s'étendaient à perte de vue. Le nordique savait toutefois qu'il en aurait vite la nausée, mais il se devait d'en voir une bonne partie. Uskøl passerait aussi à Endorial, la cité des Elfes. Leur sagesse et leur prestance étaient à découvrir. Il paraitrait. Le guerrier espérait juste ne pas avoir besoin de leur marteler le crâne, mais il était peu probable qu'il tienne le coup et ne leur fasse aucun mal. Boarf ! Ce n'était pas bien grave.

En attendant, Uskøl suivait le chemin de terre aux galets hétérogènes et irréguliers. Le nordique se permettait de critiquer la tenue de la route, mais chez lui elles étaient dans un bien pire état. Uskøl avait entendu parler de routes pavées fort lisses permettant aux charrettes de glisser et d'atteindre plus rapidement leur destination. Encore une drôle de spécificité étrangère qu'il devait observer. Oh, le nordique se doutait qu'il ne pourrait pas apporter ça dans sa région ; le givre rendrait la route impraticable et aussi glissante que la glace sur un lac. Hors de question d'apporter ça dans le Haut-Nord. Uskøl était juste curieux.

Le guerrier fut surpris de voir gambader divers animaux ne se souciant pas de lui, et encore moins du danger qu'il représentait. Lièvres, daims, chevaux... Toutes ces bêtes ne faisaient pas long feu chez lui quand elles étaient aperçues par les siens. Non seulement elles apportaient de la viande pour nourrir le clan, mais en plus leur sang faisait une superbe mixture pour se réchauffer le gosier. Un sacré luxe ! Le nordique aurait bien tenté une petite chasse, mais cela retarderait son voyage. Tant qu'il avait à manger, Uskøl pouvait se permettre d'avancer. Quand ses vivres viendraient à manquer, le guerrier se chargerait de se trouver de nouvelles réserves. Il y avait diverses façon de faire pour remplir ses besaces de quoi se sustenter.

Le soleil était encore bien haut dans le ciel. Uskøl avait donc pas mal de temps devant lui pour faire connaissance avec ces paysages peu communs, leurs sons et leurs odeurs. Le nordique ne dirait par contre pas non à un petit événement ; il avait besoin de se dégourdir l'esprit et de penser à autre chose qu'à la marche. Rien qu'une petite rencontre lui ferait du bien !

Après de longs moments de marche, Uskøl souhaitait vraiment passer à autre chose et oublier durant quelques instants la monotonie du voyage en solitaire. Rien de bien extravagant n'avait su attiser son attention : buissons épineux et colorés, grands arbres majestueux aux nombreuses feuilles, amas de rochers complètement mis à nu et petites créatures sauvages peu soucieuse des dangers environnants.

Le Nordien avait fini par se poser contre un rocher sur le bas-côté, les fesses installées dans un creux. Il s'était mis à observer attentivement ce qui se tenait autour de lui et en profita pour réfléchir à la finalité de son voyage. Pour l'instant, Uskøl n'avait rien vu de bien extraordinaire et s'était fatigué de la répétition du même schéma de faune, de flore et de paysages. En fait, il était plutôt déçu de n'avoir vu ni humain - ou tout autre race humanoïde - ni maisons. Cela lui aurait fait des rencontres et le Nordien aurait pu en apprendre plus sur les contrées extérieures au Grand Nord. Certes, Uskøl n'était pas des plus bavards et amicaux, mais avec l'ennui de la marche, il avait besoin de s'occuper.

En étant plus attentif à ce qui l'entourait, le combattant du Nord n'avait pas vu énormément de différences avec ce qui s'était dressé sur son chemin jusqu'à présent.
Sentant un léger creux dans son estomac, Uskøl chercha des yeux de quoi grignoter. Vu l'heure, il n'était pas nécessaire d'allumer un feu de camp pour griller les petites bestioles qui fourraient leur nez à droite à gauche. Le Nordien remarqua des oiseaux planant au-dessus de lui, hélas il n'avait pas de quoi provoquer leur atterrissage. C'était bien dommage, car à la broche ils auraient pu être fort délicieux.

Uskøl soupira, se leva et récupéra des baies du buisson tout proche. Il se piqua les doigts à plusieurs reprises, mais récupéra une bonne dizaine de gros fruits orangés que le guerrier du Nord mangea rapidement en reprenant sa route. Il s'était "diverti" un petit peu, ça lui avait donné un certain plaisir.


Plusieurs centaines de mètres plus loin, le Nordien remarqua un grand rapace blanc tournoyant dans le ciel. C'était bien curieux de trouver pareille créature en-dehors de sa région natale. Enfin... Ça lui semblait curieux à lui puisqu'il s'agissait du premier élément lui rappelant son pays. Même si les Plaines d'Aràn sont le Nord de Dùralas, la région reste très différente du Grand Nord. Pour tout dire, cette zone ressemblait plus à l'étrange Forêt Sylfaën dont le Nordien avait entendu parler plutôt que du pays des Nordiens.

En parcourant des mètres supplémentaires, Uskøl fit sa première rencontre depuis la mort d'un des membres de son clan lorsqu'il avait décidé de partir "à l'aventure".
Il trouva là un magnifique destrier dont le regard semblait être imprégné de l'Esprit du Nord. Coup de chance ? Deuxième élément faisant écho au Grand Nord.
Et pour accompagner la monture, il y avait une fem...

...Une femme.
Elle était de dos, et on ne voyait d'elle que ses longs cheveux tressés d'un blanc similaire à la neige. Elle portait des vêtements simples de voyage : un pantalon sombre un peu moulant remontant à la taille maintenue par un corset cachou bien serré, porté par dessus une fine chemise en lin dont le cou était découvert.
Elle s'était rendue compte de la présence de l'inconnu, mais elle était restée dos à lui, caressant du bout des doigts sa monture et se préparant à accueillir l'individu comme il se devait, si celui-ci s'avérait être hostile. La jeune femme guettait les mouvements de celui l'ayant surprise. Mais lui s'était figé. Aucun mot n'était sorti de sa bouche. L'étranger des plaines d'Aràn était frappé de stupeur.

Ce n'était pas la première fois qu'il croisait une femme - à l'extérieur du Haut Nord, oui - et leur apparence ne l'importait guère. Il était complètement hermétique à la beauté d'une femme, ou d'un homme. Il n'exprimait aucun sentiment affectueux envers l'une ou envers l'autre. Ce n'était donc pas l'amour qui l'avait rendu si stoïque.
Cette femme, Uskøl ne l'avait jamais rencontrée, ni même vue. C'était bien la première fois qu'il posait ses yeux sur elle. Malgré tout, il savait qui elle était. Ce n'était pas parce qu'il avait remarqué qu'elle portait un petit quelque chose particulier, comme une chevalière ou un pendentif royal. À la place du Nordien, personne n'aurait pu déterminer l'identité de cette dame. Mais lui l'avait tout de suite compris.
L'homme du Grand Nord avait ressenti à quel point l'Esprit du Nord débordait d'une abondance rare de son corps, à quel point il l'enveloppait, tel un blizzard. Elle s'était tout de suite illuminée comme le joyau du Nord, la parfaite figure de cette contrée froide de Dùralas. Des êtres comme elle, il n'y en avait qu'une. Les Dieux n'avaient même pas besoin de susurrer à l'oreille du Nordien des indices sur l'identité de cette femme.

Finalement, peut-être un peu agacée d'attendre qu'il se passe quelque chose, la jeune femme se retourna doucement, faisant face à cet intrus. Ce dernier sentit une flèche le transpercer.
Une peau aussi pâle que l'hiver, de fines oreilles érigées en pointe et des yeux si uniques, d'une infinité splendeur. Celle que l'on surnommait la "Sorcière Blanche" se tenait juste devant Uskøl. Elle que le Nordien soutenait plus que tout, celle dont il désirait être le bras vengeur, celle à qui il voulait offrir la conquête totale du Nord, celle qui ferait s'illuminer cette région si glaciale auprès de toutes les autres à Dùralas.
L'elfe des glaces s'adressa à lui d'un timbre doux et posé. Elle ne faisait que lui demander qui il était, mais le Nordien sentit une seconde flèche le transpercer. Uskøl était charmé par la majesté de la Jarl de Kastalinn. Quelles pouvaient être ses chances de rencontrer ainsi la merveilleuse Selsya Åsa ?
> La Reine du Nord, souffla-t-il.

Le Nordien sentit des sueurs froides glisser le long de sa peau, sa voix se faisait moins forte qu'à l'accoutumée, mais elle avait toujours ce timbre calme, serein et presque désintéressé. Il sentit sa respiration intérieure se déchainer comme un vent glacial. Son corps tenait le coup. Son esprit était complètement bouleversé en revanche.
Uskøl posa son regard sur son visage d'une élégance éblouissante et plongea, durant un très court instant, ses yeux dans les siens. Ce fut comme une explosion de givre en lui. La pression l'envahissait, ses mains tremblotaient et son corps se dérob...
Le calme le remit en état ; l'apaisement circula dans chacune de ses veines.
> Je rejoindrai très bientôt les rangs de la Milice. Je combats déjà pour votre bannière.

Les Dieux lui étaient favorables ; les grands divins nordiques l'avaient conduit jusqu'à la majestueuse Reine du Nord pour s'annoncer à elle. Uskøl était intimidé devant la magnifique elfe des glaces, et il aurait voulu se retirer pour ne pas ternir se splendeur de sa présence, mais il n'y arrivait pas. Apparemment, il était toujours sous le choc de sa rencontre.

Une fois qu'Uskøl eut exprimé son objectif de rejoindre les rangs de la Milice, Selsya changea un peu ses manières et se comporta comme une Jarl, imposant sa présence et montrant l'incroyable pouvoir qu'elle représentait. Elle s'approcha du nordien puis posa son regard sur lui, plongeant ses yeux glacés dans ceux du visiteur. Le combattant du Nord lui adressa un regard attentif et soumis à son autorité ; il était en attente de ses instructions, se mettant ainsi à son service.
D'une voix emplie de la fierté nordique, la puissante Jarl de Kastalinn chercha à en savoir plus sur ce mystérieux inconnu. Elle était perspicace, elle savait déjà certaines choses, mais seulement des informations basiques. Uskøl était prêt à lui fournir tout ce qu'elle désirait savoir :
> Je suis Uskøl, guerrier du Grand Nord. Les conflits sont de plus en plus importants là-bas. De moins en moins de chefs de clan n'acceptent votre présence ici. Beaucoup meurent en fait, les autres se joignent à nos opposants. Nous ne sommes plus beaucoup. (Uskøl faisait aussi allusion au massacre de son clan, mais au lieu de paraître triste et désolé, il demeura passif, comme à son habitude) Tout le Grand Nord n'est pas encore converti à cette impertinence, mais les adeptes sont de plus en plus nombreux. Le Nord va rapidement tourner à la guerre civile.

Lorsque la guerre troublera le Nord de Dùralas, la Reine du Nord pourra prouver sa légitimité et marquera sa place au fer de glace et personne ne pourra plus contester sa position. Uskøl bouillonnait d'impatience à l'idée de voir se jour arriver. Plus personne ne s'opposera à la majestueuse "Sorcière Blanche". Et sinon, Uskøl serait là pour le leur rappeler.
Cependant, le thérianthrope espérait qu'elle n'arrive pas avant plusieurs mois, voire années. Il lui faudrait du temps pour se préparer ainsi que prendre position aux côtés de Selsya Åsa. Pareillement pour mobiliser les troupes du Nord. Le nordien savait aussi que ses frères et sœurs du Haut Nord n'oseraient pas se liguer en faveur de l'elfe des glaces, pas au début. Ils ne voudraient pas prendre position et perdre de nombreuses ressources.

La Reine du Nord semblait songeuse ; ce que lui avait raconté Uskøl semblait la préoccuper quelque peu. Il y avait peu de chances que la Jarl possède autant d'informations sur le Grand Nord, étant une région fermée aux visiteurs, peu d'informations transitaient à ce propos. Le nordien serait ravi de lui fournir tout ce qu'elle désirait : il était là pour la servir et lui rendre compte de la situation dans cette terre inhospitalière et très identitaire. Le combattant aux cheveux rouges trouvait l'état de sa région natale préoccupant. Son monde était en train de s'ébranler et personne ne semblait s'en inquiéter. La guerre civile et l'avarice portaient préjudice à la culture, la religion et la mythologie nordiennes. Tout ce qui tenait à cœur à Uskøl s'effritait peut à peu. Ça lui était insupportable, surtout que Selsya correspondait parfaitement à leur histoire. Tout ce conflit était inutile et n'était qu'une façade pour s'affronter les uns les autres et acquérir les terres du voisin, désirées depuis de longues générations. On aurait pu croire au « Råguøhatr »...

L'elfe de glace semblait être en train de vérifier la selle de sa monture comme si elle s'apprêtait à partir. Il était fort probable que la Jarl souhaite s'entretenir avec ses Huskarl pour rendre compte de la situation dans le pays nordien. La Milice déciderait alors d'une solution pour rétablir l'équilibre et la paix dans le Grand Nord. Peut-être que sa Reine lui demanderait de la rejoindre et de l'épauler. Uskøl était cependant incapable de dire s'il la suivrait ou s'il lui demanderait de retarder son admission. Le nordien avait encore beaucoup de choses à faire avant d'être opérationnel au sein des rangs de la légitime souveraine du Nord.
Finalement, elle lui posa quelques questions afin d'être sûre de sa fidélité et de la véracité de ses propos. Selsya avait raison de se montrer prudente : elle ne savait rien de lui et ne pouvait lui accorder une totale confiance aussi aisément.

> Mon pays s'écroule. Notre culture, nos traditions, notre religion, notre histoire... Tout ça est en train de se briser à cause de l'avarice des clans. Chacun frappe son voisin pour s'accaparer ses possessions sous prétexte qu'il vous est opposant ou partisan. Les nordiens sont aveugles et ne se rendent pas compte qu'ils ne sont plus ce qu'ils devraient être. Les clans veulent conquérir ce que nous possédons déjà et oublient le respect de notre culture.

Uskøl posa sa main sur le cor de guerre qu'il portait à son flan et commença à glisser ses doigts dessus, sans s'en rendre compte. Cet objet était son unique attache à son clan disparu et aux dieux auxquels il vouait un culte. Malgré tout ce que le nordien pourrait dire, ce cor a toujours été pour lui très précieux. Le guerrier du Nord ne le montrera jamais, mais son attache pour cette sorte de relique a toujours été très forte.

> Vous voulez savoir pourquoi je vous suis fidèle ? Parmi tous, vous êtes la seule qui correspond à notre façon d'être. Vous êtes aussi nordienne que n'importe lequel d'entre nous et, même si vous ne connaissez pas l'intégralité de notre culture, vous semblez y avoir été plongée toute votre vie. Vous y êtes naturellement liée. Je sais que vous avez été choisie pour gouverner tout le Nord. Mon peuple refuse de le voir parce qu'il tient à une fierté dupée par leur hypocrisie et leur goût du pouvoir.

Les nordiens ont toujours eu des désirs de conquête, mais les pays voisins étaient leurs cibles et non leur propre peuple. Bien sûr, il y a toujours eu des luttes de pouvoir, mais jamais à ce niveau. Le Grand Nord se déchire petit à petit et chacun désire devenir le souverain du Nord, sous prétexte qu'une dirigeante s'impose et fait de l'ombre à ceux ayant déjà du pouvoir. Fimbulvetr n'a pas pris position, surtout parce que le conflit n'est qu'à petite échelle pour l'instant, mais nul doute que l'idée qu'une non-nordienne les dirige ne leur plaît pas du tout...

Après toutes ses explications sur la situation nordienne, la Jarl de Kastalinn expliqua à Uskøl ce qu'elle pensait de tout ça, du comportement des habitants du Grand Nord mais aussi du guerrier aux cheveux rouges. Bien qu'il se soit présenté comme partisan à la cause de la sorcière glaciale, cette dernière n'était pas convaincu de son allégeance. Mais surtout, Selsya critiquait le point de vue du nordien à son propos ; Uskøl agissait comme s'il avait connaissance de l'elfe alors que le guerrier du nord ne l'avait encore jamais rencontrée et ne savait d'elle que ce qu'il se disait. Sur tout ce que Selsya avait vécu, les obstacles qu'elle avait dû surmonté ou éliminer, le nordien n'en savait rien du tout.
> Peut-être n'êtes-vous pas croyante, ma Reine, mais les divins sont très présents sur ma terre natale. Pour certains, ils ne sont que des explications des phénomènes naturels, mais ces ignorants se trompent. Nous, nordiens, connaissons et interagissons avec nos divinités. Nos dieux sont là, et ils nous attendent. Nous devons...

Uskøl repensa à ses relations avec ses anciens camarades. L'homme aux cheveux rouges avait toujours été le plus croyant de tous ceux dans son environnement. Il était toujours là à rendre le meilleur des hommage aux divins afin d'être accepté parmi eux lorsque tout son sang se serait déversé sur le sol. Là, il rejoindrait les grands halls des plus imposantes légendes nordiques et resterait à leurs côtés, comme l'un des leurs.
> Je dois, corrigea-t-il, leur faire honneur. Ils me guident et m'ont informé sur vous. Je ne prétends pas vous connaître, mais je sais ce qui fait de vous la puissante dirigeante de Kastalinn et la reine légitime de tout le Nord. Vous êtes celle que nous n'avons jamais connue. Vous unirez le Nord et le sauverez.

Le thérianthrope du nord avait été informé du futur. La gloire éternelle les attendra, mais elle résultera en la destruction de sa région natale et du monde. Dùralas n'est pas capable de se défendre, pas avec ses blessures. La mort les prendra de l'extérieur, mais aussi de l'intérieur. Les Dieux le lui avaient montré à Uskøl. Ça avait déjà commencé et la prochaine frappe sera pour le Nord. La destruction et le chaos surgiront alors des terres gelées du nord. Il n'y aura que désolation. Mais l'espoir est l'hiver qui gèlera le cataclysme et le brisera en mille morceaux.
De cet hiver qu'il avait eu en vison jaillissaient deux aurores boréales provenant de l'ouest et de l'est, l'une verte et l'autre violette. L'énigme avait mis un peu de temps à être élucidée, mais à partir du moment où la réponse vint à Uskøl, elle fut immuable.
> Comme je vous l'ai dit, mon peuple était très attaché à notre culture, nos traditions, notre religion et notre histoire. Kastalinn et le reste du nord sont trop indépendants du Grand Nord. Les nordiens ont jugé qu'il n'était pas intéressant de s'impliquer. Une erreur ou pas, ce n'est pas à moi de juger. Et à partir du moment où une puissance extérieure est arrivée sur Kastalinn, ils se sont agités. Quelques uns vous ont soutenu, plusieurs s'y opposent et tous les autres n'ont pas parlé de leur position, ou se gardent bien de la faire connaître.
Des lâches vous avez dit ? Je suis complètement d'accord avec vous. Ils se cachent et usent de subterfuges pour arriver à leurs propres fins. Ils sont corrompus. Ils ne méritent pas les légendes qu'ils pensent obtenir en grappillant les terres avoisinantes.

Un fléau encore très petit, mais qui avait touché Uskøl directement. Pendant de longs mois, le combattant avait vaincu des clans s'opposant à la Jarl ou cherchant à détruire les siens. Et puis ses frères et ses sœurs s'étaient faits corrompre et étaient revenus sur leur position. Ils voulaient profiter de ces conflits et réclamer les terres désirées par leurs ancêtres. Son clan avait fini par désirer réparer ses pertes en usant des mêmes méthodes des lâches qu'ils avaient vaincus. Une trahison complète, non seulement envers la Jarl de Kastalinn, mais surtout envers leur culture et leurs dieux. En tant que "fanatique" des divinités et légendes nordiennes ainsi que de la Reine Selsya, Uskøl n'avait pu les laisser faire.
Le sang... avait coulé... Énormément coulé...
> Je dois vous apporter mon soutien, ma Reine. Je dois vous aider à conquérir le nord. Usez des moyens que vous voulez, je serai là ; ce n'est pas pour rien que mes cheveux se sont teintés de rouge. Je n'ai jamais accordé d'importance à la "propreté" de mes mains, et je les ai très souvent glissées dans mes cheveux.

Curieusement, tout ceci était vrai ; la couleur du nordien n'est pas naturelle. Uskøl a fait verser beaucoup de sang, et parfois sans l'avoir initialement voulu ; la bête féroce qui dort en lui en est une cause. Le tueur a énormément de sang sur les mains et, comme une sorte de manie - en plus de celle de la soif de sang, il posait une main, voire les deux, sur sa tempe et la glissait dans ses cheveux. Des marques rouges apparaissaient sur son visage et ses cheveux rougissaient. Un phénomène magique ou divin finit par teinter les cheveux du nordique en rouge pour en faire sa couleur régulière. Une théorie avait été énoncée au sein de son clan ; on disait que s'il arrêtait de tuer, ses cheveux redeviendraient gris. Mais Uskøl n'avait jamais donné l'occasion à cette théorie de se vérifier...

Selsya réprimanda Uskøl sur l'utilisation du titre "reine" à son égard. Selon elle, l'elfe des glaces n'avait pas à porter cet honneur, mais le nordien savait très bien que ce titre lui revenait de droit et qu'elle finirait par le porter un jour ou l'autre. Ce n'était qu'une question de temps et d'acceptation ; il fallait que la future reine comprenne qu'elle ne pouvait échapper à ce destin et que la tâche lui incombait entièrement. Uskøl pourrait l'aider à y voir plus clair dans son futur, mais ce n'était pas la priorité actuelle. Quoiqu'elle lui puisse dire, le nordien continuerait à l'appeler ainsi, car c'est ce que la grande Jarl de Kastalinn est, qu'elle le veuille ou non, surtout lorsqu'on porte un tel amour, une telle considération et une telle passion pour le nord. Selsya Åsa règnerait de toute évidence sur le nord tout entier !
Juste après, l'elfe de glace proposa au combattant nordien de rallier Kastalinn avec elle afin qu'il puisse informer les membres de la Milice de la situation dans le Grand Nord. Cette proposition ne signifiait pas qu'elle l'acceptait dans ses rangs ; de toute façon Uskøl aurait des preuves à faire avant de porter les couleurs de la reine du nord. Néanmoins, cette collaboration pouvait lui permettre d'ouvrir une voie vers le Milice. L'homme y réfléchit sérieusement, pesant le pour et le contre ainsi que les possibilités qui s'ouvraient à lui et qu'il s'était mis en tête.
> Je reviens du Niflheim, il s'agit d'un poste de garde situé au plus proche du Grand Nord. Il se rejoint par la Toundra, à la frontière entre celui-ci et les Fjörds. Le froid qui y règne est digne de la banquise, c'est un endroit désolé, où la mer glaciale se jette.

Uskøl n'avait jamais entendu parler de cet endroit, appartenant à la Milice, mais il se doutait que sa présence pouvait porter préjudice à certains clans nordiens. Cette place-forte devait sans doute bien énerver les habitants du Grand Nord, bien qu'elle ait peut-être été érigée depuis de longues années. Ça n'étonnait pas l'homme que des raids de "sauvageons" aient été menés.
Dans sa grande bienveillance, Selsya s'excusa d'employer ce terme qui pourrait qualifier le peuple d'Uskøl, et ce dernier fut ravi d'un tel acte, bien qu'il n'ait pas été offensé par cette appellation. D'après ce ses descriptions, le nordien voyait très bien à quels genres de clans appartenaient ces "sauvageons". Exilés dans des montagnes ou des étendues dangereuses, voire même dans la banquise, ces hommes et ces femmes s'étaient détournés des voies dignes de la culture nordienne. Ils ont embrassés la sauvagerie et le primitif et vouent un culte à des démons et non des dieux. En fait, leurs ancêtres ont choisi de suivre les enseignements d'un dieu brutal, mais dans un sens primitif. Selon les versions, cette divinité serait un demi-démon, ou un démon, qui aurait dupé les dieux pour s'imposer dans leur panthéon. Furieux, ils l'enfermèrent et le condamnèrent à une lente et douloureuse agonie. Ceux que les Dùralassiens appellent des "sauvageons" seraient les adeptes de ce démon.
Ceci est la version adoptée dans le Grand Nord, mais Uskøl est persuadé que Mímir raconte une histoire bien différente. En fait, le nordien ne s'était jamais vraiment posé la question à propos de ce peuple, mais pour lui, ce sont des personnes corrompues par le pouvoir d'une entité "maléfique". Quel pourraient être son but ? Uskøl n'en sait absolument rien et ne comprend pas si cette puissance agit contre le Grand Nord ou pour le changer.
Aussi passionnant puisse être le débat sur ces "sauvageons", il n'en était pas le sujet principal des paroles de la Jarl. Ce que l'elfe des glaces voulait dire à ce propose c'est qu'elle et les siens manquaient cruellement d'informations à propos du peuple d'Uskøl et qu'ils avaient absolument besoin de ses connaissances pour éviter les amalgames et entamer des relations avec les hautes autorités de son pays natal.

Selsya conclut cette rencontre sur une proposition faite à Uskøl : elle pouvait l'abriter à Kastalinn et s'occuper de lui pour qu'il puisse leur parler plus profondément du Grand Nord et de ce qu'il s'y tramait actuellement.
L'homme croisa les bras et réfléchit à l'offre faite. Le nordien regarda en direction de son pays natal, puis laissa son regard s'étendre tout autour de lui. Uskøl savait ce qu'il avait à faire :
> Ma Reine, je me dois de vous servir. Je ne suis pas encore digne de me tenir à vos côtés, habillé de vos couleurs, mais j'aiderais vos hommes à mieux appréhender mon peuple. Dois-je vous rejoindre à Kastalinn ?

Uskøl tendit l'oreille et entendit comme des broussailles secouées tout autour d'eux, mais puisqu'il y avait du vent le nordien s'imagina que ce n'était qu'un courant d'air qui bougeait les feuilles et les branches.

Alors qu'ils allaient se mettre en route pour la cité nordienne, des perturbateurs vinrent leur bloquer le chemin. De très nombreux perturbateurs même. Uskøl n'avait jamais vu de telles créatures : elles n'étaient pas très grandes, avec de grandes oreilles pointues et des peaux verdâtres et brunâtres. Leurs dents semblaient acérées et elles se complaisaient à afficher des sourire carnassiers et moqueurs. Nul doute qu'elle recherchaient les ennuis. Certaines de ces créatures portaient des vêtements en lambeaux, presque similaires à ceux d'êtres humains, ou même d'enfants. D'autres semblaient bien plus pernicieuses et se laissaient supporter par un bâton duquel semblait émerger des étincelles, en plus de porter des tissus bien plus amples et sombres, tels des toges ou des robes. La toute dernière était bien mieux équipée avec son casque, ses épaulières et ses armes. C'était indéniablement le chef de la bande. C'était sûrement la cible à abattre, mais le nordien aux cheveux rouges devait peut-être se rabattre sur une autre cible, comme ces créatures encapuchonnées qui devaient sûrement être des sorciers.
> Sont-ce donc des gobelins ? Je les imaginais mieux équipés et plus... méchants ?

Uskøl dégaina une lourde hache nordienne qui semblait lui conférer plus de puissance. Il était prêt au combat, à les cueillir.
L'homme du nord s'avança lentement vers leurs ennemis, lui faisant face et portant toute l'attention sur lui. Il se mit ensuite à trottiner pour entamer sa charge. Le guerrier pourrait foncer dans le tas et s'enhardir à tous les décimer, mais il préféra jouer du prudence et se contenta seulement de la tête d'un pauvre gnome de rien du tout. C'était déjà ça. Ensuite, il s'occuperait sûrement de ces sorciers, comme il l'avait souhaité au départ.

[Attaque Gnome A]

Uskøl avait entendu parler de la puissance phénoménale de la Jarl de Kastalinn, mais il venait d'avoir sous les yeux la démonstration de sa toute puissance. À vrai dire, le combattant du nord ne savait pas ce qu'il s'était passé. En un fracas, le chef des gnomes fut atomisé par un éclair des plus redoutables et l'un des sorciers fut déchiqueté par un puissant vent lacérant. Des étincelles glissèrent au sol et attrapèrent les autres gnomes, brûlant les trois derniers petits et entravant le dernier sorcier. Le nordien jeta un rapide coup d'œil à la reine du nord et sentit une forte puissance l'entourer, bien plus imposant que quelques secondes plus tôt. Selsya avait désintégré ses opposants et s'était renforcée en même temps. C'était comme si elle souhaitait signifier à ces pernicieuses créatures qu'elles n'avaient rien à faire ici. Uskøl y voyait une condamnation divine.
> L'élue des dieux... murmura le guerrier comme une contemplation.

Il restait encore une créature et le nordien allait devoir s'en occuper s'il voulait prouver à sa reine qu'il pouvait lui être utile. En plus, l'elfe de glace lui avait bien facilité le travail en affaiblissant le sorcier. Il pouvait garder un atout dans sa manche, mais quoiqu'il puisse se passer la créature était condamnée. C'était à Uskøl d'infliger la sentence.
En continuant de trottiner, le nordien s'avança vers sa cible. À quelques mètres d'elle, le combattant du nord chargea, la lame de sa hache prête à s'abattre sur le crâne de la créature. Elle grogna juste avant qu'il ne frappe et semblait préparer un sale coup. Cependant, Uskøl n'allait certainement pas la laisser faire et le nordien accéléra l'allure, puisant légèrement dans son sang bestial pour apporter plus de puissance à son coup.