Alphonse Galhaad était actuellement en permanence à Château-Rouge, chargé de veiller sur le cousin du Roi par ordre de ses supérieurs. Il fallait dire que le technophile, noyé au milieu des dizaines de gardiens qui formaient leur escouade, n'avait pas énormément de travail car il semblait que leur Sir n'était -contre toute attente- pas en danger.
Le Naga avait au départ passé son temps à améliorer son armure, entretenant les rouages à l'aide d'huile de baleine d'Insmousse -le meilleur qu'il existe pour la mécanique- et révisant sa construction de pistolame pour des changements à venir ; il comptait bâtir une solide stratégie à partir d'armes et non de tourelles car ces dernières lui semblaient quelque peu compliquées à travailler. Malheureusement, Alphonse avait étudié les anciennes manières de la voie bleue ; les précepts vampires auxquels il avait été formés étaient clairs dans leur but. Il fallait éliminer l'ennemi en combat singulier, isoler la cible, et profiter du pouvoir destructeur de l'électricité pour éradiquer les menaces.
Ainsi, Galhaad devenait chaque jour plus proche d'un projet résultant de son amour pour le combat au corps à corps, mêlé au peu de mobilité qu'offrait son accoutrement actuel. Mais un héros ne naît pas en une journée, et il faudrait au caméléon beaucoup de travail pour accomplir ses rêves de chevalerie.
Voyant dans la surveillance -elle-même peu contrôlée- du Sir Stellarois, le caméléon décida de prendre un court congé dans le but de faire ce qu'il aimait le plus ; voyager.
Il partit de Spelunca par un matin hivernal, juste après les attaques des Frères Loup sur Styx, qu'il vit d'ailleurs d'un regard étrange au vu des capacités qu'il connaissait à l'arlequin, mais il oublia très vite les préocupations à bord d'un transport de fortune apporté par un Marchand itinérant.
Il se nommait Kunchu -ou du moins le Gardien en comprit ainsi l'énoncé- et se dirigeait vers Kothemba pour faire emplettes là-bas.
Sa compagnie hasardeuse se révéla être tout à fait curieuse. Constamment affublé d'un large chapeau pointu, de confection étrangère -Djölfuline à ses dires-, Kunchu expliqua à Alphonse sa quête et entraînement que le Naga reçu avec approbation.
Le pugilisme était une nouvelle chose pour celui qui ne connaissait pas l'art de ce combat à mains nues.
Mais comme ils approchaient des Terres nouvelles, mélange de savane luxuriante et bois primaux, et que le caméléon terminait de raconter son sinueux parcours, Kunchu fit état d'une rumeure murmurée à ses oreilles par ses comparses de vente ; un recruteur des Dragonniers se trouvait à Kothemba et il donnerait ses faveurs à quiconque capturerait Rahkan, une panthère sauvage dont la menace furtive empêchait bien des corvées simples telles la cueillette.
Intrigué quant à tout ceci, le chevalier en armure à rouages demanda à Kunchu s'il savait où trouver Rahkan, ce à quoi son interlocuteur répondit par un hochement d'épaules. Après tout, c'était là une question idiote, reconnut-il, car une bête pareille se déplace continuellement.
Le voyage s'achevant, Alphonse bondit hors du véhicule décidé à trouver le recruteur et amasser renseignements. Mais la voix de Kunchu rattrapa ses oreilles, et le Gardien fit demi-tour, la mine surprise.
- Vous avez l'air brave, Alphonse. Je vous aiderai à trouver Rahkan, ne dérangez pas le dragonnier sans raisons. Laissez-moi juste le temps de faire quelques emplettes, et vous irez chasser ensuite.
Le Naga accompagna Kunchu jusqu'au marché, où il déboursa une bonne somme pour l'acquisition d'une armure abîmée, mais de tout de même bonne qualité, et bientôt, après avoir arpenté le territoire chaud de Kothemba ils revinrent à la voiture sertie de clochettes du Marchand.
Celui-ci servit un verre d'alcool fort -du sake- au chevalier, qui accepta la boisson avec joie, et décrocha la lanterne en papier d'un bâton qu'il avait là. Puis, tout aussi naturellement qu'il n'avait proposé le breuvage, il offrit l'illumination au Gardien.
- Sir Kunchu, je ne puis accepter ! Ce bâton est celui pour lequel vous m'avez décrit votre affection, je ne vous...
- Ah... à vrai dire, vous êtes le premier Naga que j'aperçois, vous savez Alphonse ? Jamais dans ma tribu nous n'avons entendu parler de pareille race, ou apparence. Savez-vous quelle joie me parcours à la simple contemplation de votre différence exotique ? Mon peuple prône l'équilibre, et l'entraide. Refuser ma lanterne serait un affront, prenez la, elle vous guidera jusqu'à Rahkan par sa magie. Si elle tire trop vers une direction frappez-la, délicatement.
- Merci, mon frère.
Suite à ces adieux, qui émurent le caméléon par leur fraternité, comme s'il connaissait Kunchu depuis toujours, Galhaad se dirigea vers les fourrées géantes qui marquaient la fin du village de la savane.
Durant des heures, équipé de son armure complète mais ne suivant que la brillance de la lampe qu'il avait à la ceinture (elle ne tira pas une seule fois), Alphonse marcha. Il marcha au travers des feuillages irisés, des steppes humides, qu'importe le temps, le caméléon marchait allant même jusqu'à relever son heaume de Stellar-Man pour sentir la brise sauvage.
Ce territoire était merveilleux.
En approchant d'une forêt dont les arbres colossaux fendaient avec le précédent décor de verdure variée il fut clair qu'il approchait de quelque antique bout de terre. Dùralas recelait bien des paysages, emplis de merveilles à qui saurait les apprécier -mieux encore ; les décrire- mais il y avait dans cette magnificence des dangers tapis dans l'obscurité.
Des yeux, réduits à deux billes prédatrices guettaient Alphonse Galhaad avec avidité. Une fourrure assortie au manteau nocturne foulait les arbres comme un oiseau voltige dans les courants du zéphyr, et surtout, des pattes puissantes s'alignaient au silence solennel de l'endroit.
Pas une brise, souffle ou craquement ne vint signaler la panthère colossale qui bondissait hors d'une cachette boisée. Non, le silence fut uniquement rompu par son feulement fou et sa rage carnassière exprimée en une jouissance de traqueur lorsque Rahkan renversa le Naga.
Alphonse roula sur le côté, aussi surpris que terrifié, avant de se redresser in extremis pour esquiver une patte de la panthère. Ses griffes rompirent l'air, mais le félin ne daigna pas poursuivre l'Homme qui avait marché sur le mauvais territoire.
Rekhan laissa Galhaad se mettre en garde, jaugeant le technophile de ses deux fentes pleines de violence plutôt que de se fatiguer. Il était bien plus rapide que le caméléon, et le savait, ainsi le supraprédateur prendrait son temps à trouver les failles chez sa proie.
Le chasseur Rakhan, mâle adulte d'une taille impressionnante ne craignait rien ; il ferait de ce Naga son repas, et laissa ses babines gigantesques exprimer ses intentions naturelles.
- Oh ! Belle bête !
- RAAAAAAAAARRRR