Une semaine ou deux après sa rencontre disproportionnée l'elfe avoisinait désormais la frontière végétale qui séparait le désert de Harena et les montagnes du Baldor. La Forêt de Sapins. Même avec un climat plus frais et une colonisation massive de sapins, cette masse végétale rappelait tout de même la terre natale de son visiteur. Bien que les senteurs y soient différentes, il était toujours aussi réconfortant pour le demi-centenaire que d'apprécier de telles effluves. Lentement mais sûrement il commença à s'aventurer, un gros livre ouvert dans la main gauche et son bâton dans la droite.

Les heures défilèrent quand il croisa le chemin de champignons comestibles. Il chercha le soleil du regard mais il était trop bien dissimulé par l'épaisse frondaison de conifères. En tous les cas, il se faisait tard et le soleil avait entamé sérieusement sa descente. La nuit ne tarderait plus. Nulle forme de vie aux alentours ? C'était très bien, on ne viendrait ainsi pas l'embêter. Il commença à s'agenouiller, près à cueillir son repas du soir quand il se figea.

Crac !

Sa main, prête à lâcher son bâton il y avait à peine une seconde, se resserra sans hésitation sur ce dernier alors qu'il restait immobile. Quelque chose n'allait pas, il le sentait. Allons allons, de quoi avait-il peur ? Là, en toute saison, les branches craquaient dans les forêts du monde entier. Peut-être bien, cela n'empêche que l'elfe avait perçu quelque chose, le sentiment d'un danger imminent... Ses yeux s'embrasèrent d'un bleu cyan scintillant et lui, le mi-elfe sylvain mi-elfe de glace, était paré à toute éventualité, son pouvoir de cryurgie n'attendant que d'être relâché.

Toujours proche du sol il observa devant lui, à gauche puis à droite, mais il ne bougea pas. Le temps sembla s'arrêter, le décor se figer et sa respiration ralentir. Il entra dans une phase proche d'une méditation profonde, s'acclimatant à l'environnement boisé dans lequel il était. À mi-chemin entre virtualité et réalité, il cherchait une réponse. Le danger était réel mais de quoi s'agissait-il ? Il tendit l'oreille. Bien que son ouïe n'était pas particulièrement développée, ce contrôle de soi-même lui servait à compléter ses sens. Méditer lui servait à deux choses, soit à s'isoler totalement du monde pour réfléchir, soit à isoler certains pans de la réalité pour apprivoiser les autres éléments. Ainsi, il se concentra sur les sons ambiants. En vain.

Songeant un instant à ce qui pourrait faire du bruit et ne plus en faire, il écarquilla les yeux quand il comprit. Une des méthodes les plus répandues au monde et utilisée par la grande majorité des prédateurs était de surprendre la proie convoitée. Le manque de sonorité ne lui laissait aucun doute, il était en présence d'un suceur de sang ; l'approche discrète censée apeurée les victimes était une de leur marque. Ses yeux toujours illuminés par sa nature de glace, il se redressa tout en pivotant sur lui en marmonna : 

Aussi dure soit la vie, de glace est mon âme.

Terminant sa rotation il croisa le regard du prédateur qui bondissait agilement sur lui, à quelques mètres désormais. Le visage ensanglanté, la créature était certainement au summum de sa crise, et il ne parviendrai à aucun contrôle avant la fin de cette dernière. Olòrin avait préparé sa riposte de toute manière. Et tandis qu'il tenait de sa main droite son arme de toujours, il leva la gauche, paume face à l'adversaire avant de relâcher une brume givrante, qui sans nul doute, prolongerai allègrement le vol du vampire.

Croyez-moi, vous ne boirez pas ce soir.

Alors que ses yeux conservèrent leur incandescence bleuâtre, il s'apprêtait à recevoir une contre-attaque.

Sa brume givrante avait ralenti l'assaillant bien qu'il avait plutôt espéré qu'elle le projette au loin, en vain. Peut-être qu'il avait sous-estimé la puissance nécessaire pour repousser ce rachitique suceur de sang ? Ce n'était de toute manière pas l'heure de tergiverser car Olórin n'avait pas prévu de servir de dîner cette nuit là. Ne distinguant plus le prédateur, il savait désormais que l'attaque frontale ayant échoué, il s'essayerait à une approche plus subtile, plus mortelle... et la brume qui s'était formée n'aiderai pas le mage.

Lorsqu'il se rendit compte que le vampire l'avait contourné et qu'il chargeait finalement plus vite qu'il ne l'aurait pensé, il était trop tard pour user de son pouvoir. Son bâton constituait le dernier rempart entre sa vie et la soif de sang intarissable de l'ennemi. Il s'empara de son bâton avec sa main gauche, la droite déjà fixée plus bas, et il souleva le tout à l'horizontal. Il n'était plus question de lancer une offensive, cette fois il avait été pris tellement de court qu'il fallait juste dévier l'attaque. Ce qu'il s'empressa de faire, quand l'attaquant s'accrocha sur l'arme, il pivota en utilisant l'élan du vampire pour le projeter au sol un peu plus loin.

Une ouverture se présenta et il pointa l'extrémité de son bâton vers le vampire. C'était là peut-être sa seule chance avant que ce combat ne vire au drame. De nouveau ses yeux s'illuminèrent et un faisceau de glace se projeta vers la cible allant former rapidement un collier de glace, sans toucher la peau mais suffisamment étroit pour éviter la fuite. Le mage de glace resta toutefois sur ses gardes. Il resta à bonne distance, afin de s'assurer que le vampire ne trouve pas un moyen de se défaire de l'emprise glaciale qui le retenait.

L'animal était pris au piège. Il n'était pas inexact d'utiliser ce terme quand on voyait avec quelle véhémence le vampire se débattait, et ce, malgré les brûlures causées par la glace. La crise semblait passer outre la douleur de l'individu. Il grogna férocement tandis que ses yeux meurtriers se braquèrent sur Olórin. À cet instant précis, self-control ou pas, le mage frissonna de tout son être et resserra instinctivement la prise de sa main droite sur son bâton. Il l'observa plus attentivement et à mesure la crise s'étiolait doucement, il en arriva à se convaincre que la crise était bien un état second et non pas la véritable nature de l'individu. Néanmoins, la situation pour l'heure ne lui laissait pas d'autres choix que d'être prudent plus qu'ouvert d'esprit.

Tandis que le vampire reprenait difficilement ses esprits, il s'occupa de ramasser quelques brindilles et autres morceaux de bois afin de préparer un feu. La nuit était tombée, il n'était plus question pour lui de s'aventurer dans la pénombre de la forêt. Quelques efforts plus tard et le feu s'alluma. Ce n'était qu'un petit foyer réconfortant, il ne fallait pas qu'il soit trop visible. Une précaution pour prévenir le débarquement d'autres vampires ? Peut-être... Il jeta un coup d'œil vers le suceur de sang et s'en approcha, à bonne distance toutefois. Fouinant de sa main gauche sous sa lourde cape bleue, il en ressortit une paire de gant en laine qu'il laissa tomber à quelques centimètres de son visage crispé.

Mettez ça. Et ne frictionnez pas vos mains, vous ne feriez qu'empirer les choses, dit-il sur un ton démontrant une certaine autorité. Ses yeux s'illuminèrent à nouveau tandis que le carcan de glace s'éclipsa doucement.

Olórin s'était dirigé vers le foyer ardent, seule véritable source de lumière désormais, tandis que le vampire sembla retrouver peu à peu son humanité. Il resta toutefois embrumé pendant quelques minutes, tentant certainement d'assembler tous les morceaux de l'attaque afin de se remémorer la scène. L'elfe l'observa avec une certaine compassion tant il paraissait perdu et affecté par ce qui venait de se passer, mais il ne laissa rien transparaître à son interlocuteur. Sa première question, énoncée avec une voix exténuée, confirmait d'ailleurs l'hypothèse du mage.

Est-ce que… vous êtes… Vous êtes blessé ?

Pour sûr le buveur de sang n'avait rien vu à cause de la capuche du mage mais ce dernier avait tiqué, son sourcil droit ayant fait un bon, intrigué. Ces derniers siècles de vie n'avaient pas échappés à quelconques rencontres sanguinolentes du même genre, à une chose près, aucun des précédents protagonistes ne furent préoccupés à l'idée d'avoir blessé leur proie...

Ne vous accablez pas. Je suis pour l'heure en excellente santé.

De nouveau un silence s'installa. L'elfe observa attentivement ce jeune vampire rachitique qui ne devait pas avoir plus d'un siècle d'existence. D'un geste lent ce dernier repoussa la paire de gants offerte par le mage. Olórin ne comprit pas cette réaction, puis il vint à émettre l'hypothèse que cette situation était davantage gênante pour le vampire tourmenté. Il refusait son aide par orgueil ? Ou pour une raison encore inconnue ? Quoiqu'il en soit, il n'eut pas le temps de réfléchir bien longtemps car le buveur de sang articula quelques mots.

Ça guérira. Et tandis que le demi-centenaire s'apprêtait à répondre, de nouvelles paroles accompagnèrent la voix vampirique pendant que son corps se recroquevillait sur lui même. Je suis désolé. Il n'en revenait pas. C'était, d'après ses souvenirs les plus anciens, l'unique fois de sa vie qu'un vampire venait lâcher une quelconque forme d'excuse... Il était étonné mais avait obtenu une réponse grâce à cela. Cet individu semblait davantage perturbé par sa "maladie" plutôt que d'en profiter allègrement comme le faisait les autres vampires sans gênes. À première vue, on pouvait dire qu'il ne souhaitait de mal à personne. Relevant sa capuche, toujours distant néanmoins, s'exclama d'une voix légère.

Je refuse sans hésitation vos excuses. En fait, il n'y a pas d'excuses à présenter. J'avoue avoir eu peur en voyant éventuellement la fin d'une belle et longue vie au milieu des sapins.... mais ce n'est point le cas. Je ne suis ni blessé, ni mort.

À cet instant il se rapprocha du foyer et le chargea davantage de bois, histoire d'obtenir une chaleur plus régulière. Il jeta un œil serein en direction du vampire et ajouta.

Je sais combien il est frustrant de ne pas contrôler son propre corps et son esprit dans certaines situations. Les vampires, bon ou mauvais, n'y échappent pas. Mais il n'y a pas de conséquences irréversibles ce soir, alors ne vous blâmez pas ainsi. Un petit sourire en coin prit place sur son visage et il attendit patiemment de voir la réaction du jeune vampire.

Le mage tendit les mains, paumes vers les flammes, afin de jouir de cette accueillante chaleur et pourtant si maigre au milieu de cette nuit fraîche. Il avait beau manier et créer de la glace, il n'en était pas moins frileux, et encore moins immunisé de quelconque façon par sa magie. Sur ce point, il était nettement plus humain que lorsqu'il usait avec véhémence de son pouvoir... Laissant s'évaporer cette idée mal venue, il ferma les yeux afin d'apprécier pleinement le réchauffement qui s'opérait lentement sur ses doigts. Il les ouvra toutefois ces derniers lorsque le vampire se décida à relever la tête. Après sa tirade passée, le suceur de sang haussa mollement ses épaules avant de parler clairement, cette fois-ci. À l'écoute de son soulagement, celui de s'être pris une raclée, le mage leva un sourcil amusé. Il articula, songeur, les yeux rivés sur ceux de Saünee.

Vous êtes unique. Pour un vampire, bien entendu. S'excuser et être soulagé d'avoir été "vaincu" ne sont pas forcément des états d'âmes qui s'accordent avec... votre race, sans vouloir vous offenser.

Olórin le regarda à nouveau. Différemment. Il le scruta de nouveau avec minutie et le toisa avec une telle intensité que certains auraient pris peur. Mais il n'était pas question de ça, ici. Non, l'elfe cherchait autre chose, des informations plus concrètes sur son interlocuteur. Tel un sage parmi les âges, il l'écoutait continuer tandis qu'il songeait intérieurement. Soudain, une question fusa, ce qui le libéra de ses pensées. Un léger sourire se dessina sur les lèvres de l'elfe.

Et vous ? Vous excusez-vous toujours auprès de vos victimes, après une attaque nocturne dans une forêt obscure ?

Bien qu'il avait répondu avec ironie, le mage n'en était pas pour le moins sérieux. Il entendait avoir une réponse à cette question cachée sous le ton détendu que s'échangeait désormais nos amis de la nuit. Après qu'il eut répondu, le mage s'exclama.

Je me nomme Olórin Calen, monsieur l'assoiffé.

HRP:

HRP:

Cet individu s'annonçait prometteur. Pour un vampire, bien entendu. Il semblait en accord parfait avec Olórin lorsqu'il avait énoncé une nature sanguinaire plutôt majoritaire au sein de sa race. Malgré que l'elfe cherchait à dissimuler son étonnement, il n'en était pas moins intrigué de voir un vampire avec une telle vivacité d'esprit et une lassitude particulièrement difficile à cerner. Était-il las de sa condition vampirique, du comportement général des autres vampires, laissant paraître d'eux une image cruelle et sans limites ? Ou peut-être était-ce autre chose, une gêne plus profonde et douloureuse de son propre vécu ? Le mage n'aurait su dire de quoi il en retournait. Soudain, après quelques secondes de réflexion, sans spécialement avoir creusé davantage la chose et même avec si peu d'éléments, il lâcha son interrogation.

Si je ne m'abuse, vous n'avez pas toujours était un vampire ? dit-il, une pointe de compassion dans la voix.

Tandis que désormais il affirmait avoir peu d'occasions de présenter ses excuses, en cela il n'y avait pas besoin d'images, Olórin l'écouta continuer sur sa méprise. Souriant doucement, il continua à songer intérieurement sur cette dernière phrase. En effet, il n'était pas question de seconde chance, mais bien de préserver une vie, au détriment de nouvelles attaques. C'était la philosophie du mage, la vie, quelle que fusse sa forme était précieuse en ce bas monde. Il avait su s'élever mentalement ainsi depuis ces plus jeunes décennies, et il ne cesserait probablement jamais de suivre ce commandement subjectif. Revenant à lui, il observa de nouveau le vampire rachitique. Suite à cette analyse une question surgit.

Votre condition physique est-elle sujette à votre mode d'alimentation ? Vous semblez bien frêle pour un vampire se nourrissant de sang humain. Ou bien cette morphologie vous est-elle due de naissance ? J'avoue qu'il m'a été difficile de déceler votre position exacte avant que ne me sautiez à la gorge... un atout certain, malgré cette légère corpulence.

À lui même, il s'adressa quelques remontrances internes, espérant que ce questionnement ne le fasse pas paraître pour un sujet d'étude. Il croisa les doigts pour que ce manque de tact ne lui fasse pas défaut.

Je… non, en effet. Il n’en a pas toujours été ainsi. Au fait, je m’appelle Saünee Starvation.

Il sourit intérieurement, satisfait d'avoir vu juste. Il n'était pas toujours capable d'une telle analyse de fond lorsqu'il rencontrait des gens, mais ici, l'individu avait dès le départ trahi sa répugnance pour son statut. Et tandis qu'il venait de confirmer ses dires, il sembla épris d'un malaise profond accompagné d'une honte injustifiée aux yeux du mage. Le mage inclina respectueusement la tête, sans plus, étant donné qu'il s'était présenté un peu avant. Tel son cœur serré par l'état d'âme du vampire, il enchaîna, en le fixant.

Je ne peux imaginer votre douleur, mon cher Saünee, même si je m'en fais une petite idée. Il n'est pas chose aisée de vivre une vie non souhaitée, si tant est qu'on est la force de la vivre. Mais n'en ayez pas honte pour autant. À défaut de croire en ce que vous êtes... croyez en ce que vous pouvez être. La condition vampirique n'est qu'un obstacle sur la route, rien ne vous empêche d'être bien plus qu'un simple vampire.

Il sourit en coin tel un père laissant le loisir à sa progéniture de vivre sa vie, quand bien même cette dernière sera remplie d'entraves. Il n'était pas question d'une morale à proprement parlé, simplement d'insister sur un fait : les particularités de tout un chacun forment partiellement notre personnalité. Pour le reste, il n'y a qu'un maître à bord... Sauf dans le cas d'esprit corrompu qui contrôle des géants, mais ça, c'était une autre histoire... Au sourire amusé de son interlocuteur, Olórin lâcha un rire étouffé. Ce dernier ne resta toutefois que trop peu avant de disparaître complètement, remplacé par un haussement de sourcils intrigués. Avait-il mal compris ou bien ce vampire perdait de la masse au fil de temps, et potentiellement jusqu'à sa mort prématurée ? La curiosité du mage venait de s'accroître sérieusement.

Comment... Je m'excuse pour mes questions précédentes et celles à venir sur votre condition physique mais... et bien... vous perdez du poids continuellement ? À quelle fréquence et depuis quand ? Je veux dire, comment est-ce possible puisque vous vous nourrissez bien, non ?

Il se retenait de ne pas en poser une bonne dizaine d'autres. C'était un peu brut comme manière d'entamer une discussion. Mais au fond, il était davantage peiné pour Saünee qui pour l'heure n'était qu'un vampire en sursis. Pour l'elfe, il était avant tout un être vivant parcourant Dùralas, sa mort ne pouvait entraîner de réjouissance ; même la fin d'un vampire. Décidément ce continent était doté de surprises, et ce, même après 573 années de vie. Voilà que son interlocuteur lui répondait. Il se concentra sur les mots qui sortaient de la bouche du vampire. Il resta silencieux et serein le temps d'analyser tout cela puis, s'occupa de répondre à la question soudaine de Saünee.

Hmmm... je cherche des ruines dans la Forêt de Sapins. Il existe plusieurs sites à ce que j'ai pu comprendre. Je suis en quête de nouvelles connaissances magiques. Vous savez, on ne devient pas producteur de glace en toute autonomie, ajouta-t-il en ricanant doucement. Quoique c'était possible, tout autant que dangereux d'ailleurs. Ces ruines recèleraient peut-être de certains artefacts, livres et autres objets abandonnés. Le genre de chose qui me permettrai d'obtenir de nouvelles informations sur... un tas de chose.

Il sourit sincèrement, ayant volontairement écourté la partie qu'il ne mentionnait pas ; celle dans laquelle on pouvait l'entendre parler de dragons...

Tandis que le vampire répondait à sa première question, Olórin semblait transporté dans un ailleurs inaccessible au commun des mortels, plongé dans une profonde réflexion suite aux paroles de Saünee. Pour autant, l'elfe était parfaitement conscient de ce qui l'entourait. Une méthode de méditation qu'il avait longuement expérimenté durant ses années de service au corps diplomatique de la Garde Zéphyr. Les âges et son expérience sur la chose lui permettait désormais de compartimenter son esprit pour envisager une intense cogitation tout en étant aux aguets. Reprenant la parole, il n'avait rien manqué des dires du suceur de sang.

J'admets n'avoir jamais rien entendu de tel. C'est comme mourir à petit feu, finalement. Enfin, mourir une seconde fois. Est-ce réellement possible ? interrogea-t-il son interlocuteur, cherchant véritablement une réponse à une telle situation.

Volontairement il ne demanda aucune précision sur les Alphas et les Omégas. Il n'était pas particulièrement calé sur le domaine vampirique. Il savait quelques petites choses, mais sa connaissance sur ce point était loin d'égaler ses acquis magiques ou même son intellection biologique du monde. Quand bien même il avait certaines informations de longue date sur cette espèce, il se fiait rarement aux rumeurs et autres sottises que les gens effrayés pouvaient scander ici et là. Et pour être totalement franc, les individus capables d'absorber jusqu'à votre dernière goutte de sang n'était pas un sujet particulièrement passionnant pour le mage.

Un sourcil se leva, marquant clairement la curiosité de l'elfe lorsqu'il entendit une chose intéressante. Saünee semblait connaître les environs, mais ce n'était pas tout. Il semblait avoir croisé déjà plusieurs ruines dans la région. Une information banale pour certains, mais essentielle pour Olórin. Voilà qui confirmait déjà un point de son voyage, sa quête était en bonne voie. Il n'avait pas parcouru toute cette route depuis sa région natale pour rien. Toutefois, rien ne garantissait que ces ruines soient une mine de nouvelles découvertes, mais bon, il verrait cela plus tard. En effet, le vampire venait encore d'accroître l'intérêt qu'Olórin lui portait.

Semblable à une bibliothèque, vous dîtes ? Hmmmm... ajouta-t-il pour demander une confirmation tandis qu'il songeait déjà aux potentielles données que pouvait receler un tel lieu. Avec un ton léger et amusé, il lança.

Accepteriez-vous d'être mon guide jusqu'à cette bibliothèque en ruine ? Cela me permettrai d'envisager sérieusement de vous pardonner pour cette tentative de meurtre sur un vieil elfe faible et sans défense. Qu'en pensez-vous ? Le marché est plutôt raisonnable.

Discrètement, un petit sourire en coin faisait son apparition sur son visage.

« Il y a mille et une façons de mourir, une seule et même personne peut en expérimenter plusieurs dans sa vie. Un vampire bien davantage à ce qu’on dit. »

Le mage resta muet, comme suspendu à cette affirmation. Il n'avait jamais opté pour une telle vision des choses depuis que ses pieds avaient fouler cette terre il y a de cela plusieurs siècles... Il faut dire qu'il n'avait pas eu l'occasion de mourir, lui. Et bien que certains puissent le faire plusieurs fois, la seule pensée d'une première initiation ne ravissait en rien l'elfe-mage. Il frissonna légèrement à cette idée. Quand bien même une partie de lui était déjà prête pour ce jour, il avait encore tant de choses à voir, à apprendre et à découvrir, qu'il ne lâcherai rien pour gratter quelques décennies supplémentaires. Et même s'il se faisait vieux pour la plupart des gens, un elfe était immortel, quelle veine ! Enfin...

Ça pourrait se faire. Mais le marché ne me parait pas tout à fait équitable, j’ai quand même tenté de vous tuer. Je pourrais peut-être conduire le vieil elfe faible et sans défense au lieu voulu et lui trouver une canne toute neuve ? »

Sa première réaction se fit entendre quasi instantanément. Il ria à gorge déployée. Une canne ! Comme si son arme ne lui suffisait pas. Il s'illustra intérieurement, une arme dans la main et la canne dans l'autre. À n'en point douter il s'ôterait la vie avant que cela ne devienne réalité ! Il ajouta à son tour avec ironie.

Par Sylfaën ! Une canne ? Certes non, je n'ose songer à ma démarche... Vous me porterez, ce sera bien plus agréable. Vous ressentirez le goût de l'effort et nous serons ainsi sur une entente équitable. Mais ne vous y détrompez-pas, très cher, vous n'avez pas tenté de me tuer, simplement échoué.

Il ria de nouveau, plus discrètement toutefois. Il s'en amusait intérieurement bien plus qu'il ne le laissait paraître. Il fallait parfois faire preuve d'un peu de relâchement, surtout quand la situation était propice à ce genre de détente. Il retrouva néanmoins très rapidement son calme et demanda. En effet, il gardait les pieds sur terre et il d'abord venu ici pour y découvrir de nouvelles informations avant d'entreprendre quelconque relation amicale.

Alors, dans quelle direction allons-nous ?

Tandis que le rire du vampire resta quelques secondes figé dans l'esprit de l'elfe, ils s'élancèrent tous deux sur le chemin. Bien que bénin ce rire avait innocemment réchauffé le cœur de l'Olórin. La nuit ne laissait guère d'occasions de s'orienter pour un voyageur égaré. La Forêt de Sapins était dense et les variétés de végétaux en ces lieux n'étaient pas nombreuses à cause du climat spécifique de la région. Dans l'obscurité et l'ambiance auditive de la faune nocturne, le vampire semblait savoir où il se dirigeait. Cela dit, il se souvint de l'attaque du vampire ; lui n'avait pas eut besoin de voir pour assaillir sa cible... S'interrogant sur la nyctalopie probable de son compagnon de voyage, il n'eut guère le temps de pousser plus loin sa réflexion qu'on le questionna.

En effet, je suis plutôt tenace quand je cherche à obtenir quelque chose, ou quand je suis contrait d'y parvenir, dit-il d'une voix plutôt profonde, songeant à quelques bribes de son funeste passé.

Et pour vous répondre, non. Je me suis bien sûr grandement appuyé sur des ouvrages, anciens comme plus récents, mais j'ai également cherché à comprendre mon don par mes propres moyens. En expérimentant selon mes envies, et avec prudence bien entendu. Et cela depuis plusieurs siècles, en fait.

Il fit une courte pause, songeur, avant d'ajouter quelques mots.

Vous savez, certains pensent que la magie est malléable comme un jouet avec lequel un nourrisson s'amuse. Sauf qu'il arrive parfois qu'un manque d'information ou d'expérience fasse pencher la balance. Tout comme le jouet peut s'avérer mortel en étouffant l'enfant...

Il sourit doucement en surveillant où il mettait les pieds. Les branches mortes et les pommes de pins craquaient sous ses bottes et la progression dans le bois sembla plus difficile d'un coup. Il espérait que sa métaphore eut été saisi. Toutefois, il ne douta pas de la capacité intellectuelle du vampire. Sa méfiance n'était pas inexistante envers le suceur de sang, mais leurs quelques échanges avait permis au mage de comprendre qu'il était là en présence d'un spécimen plutôt unique dans son genre, qui plus est, se culpabilisant du mal qu'il pouvait faire à ses proies lors de fringales incontrôlées. Pour l'instant, nul besoin de s'en inquiétait davantage, Saünee avait pris les devants offrant toutes prévisions caractérielles à Olórin.

La route ne fut plus très longue avant que l'on puisse apercevoir un petit édifice laissé à l'abandon au creux de la végétation qui, quelque soit les régions du continent, appréciait s'étendre sans contrainte. Passant au travers d'une brèche partiellement dissimulée par un tronc d'arbre qui devait dormir là depuis quelques années maintenant, ils progressèrent sans trop de difficultés. Peu de temps après, ils accédèrent à une pièce de taille moyenne.

Dîtes-moi, très cher, ce lieu a-t-il toujours été à l'abandon depuis que vous l'avez découvert ? C'était à peine s'il s'adressait à son interlocuteur car il était déjà plongé dans sa recherche. Sa paume de main survolait tous les ouvrages présents afin d'en déceler d'éventuelles protections magiques, et d'éviter ainsi de sombrer dans un piège mortel. La grande majorité des ouvrages ici n'était que de vulgaires bouquins religieux sans intérêts. Mais un des livres semblait à ses yeux plus captivant que les autres, et tandis qu'il laissait les pages vides défilées sous ses yeux devenus bleu brillant, le vampire devait probablement en être intrigué.

« J’ai découvert ce lieu tel que vous le contemplez, » répondit-il. « Peut-être y avait-il moins de lierres la dernière fois ? Je ne sais plus. »

Olórin acquiesça sans plus de cérémonie, un simple hochement de tête. Il était plongé dans sa lecture, qui à mesure qu'elle progressait, devenait de plus en plus enrichissante. Il lisait attentivement, certes, mais avec une rapidité déconcertante. À croire même qu'il ne pouvait tout retenir. Malheureux celui qui pouvait penser cela du mage plusieurs fois centenaires et surtout détenteur d'un don glacial. Pendant quelques secondes, des minutes peut-être, il en oublia la présence du vampire, qui toutefois ne tarda pas à se manifester.

Je ne suis peut-être pas un expert en magie, mais je suis sûr que vous voyez des choses que je ne vois pas ici.

De retour dans le monde réel, loin des informations qu'il venait de glaner sans retenue, il se tourna vers le vampire et l'observa longuement sans. Puis sous un air détendu, il dit.

Si vous étiez aveugle, vous seriez un redoutable observateur ! En réalité, je lis ici certaines informations au sujet des dragons, ajouta-t-il plus sérieusement. D'après ce que j'ai pu en comprendre, tous comme les mages, il en existait également des élémentaires. Certains crachant un souffle de flammes et d'autres de glace. Ces écrits abordent également le sujet des dragons millénaires ou divins, si ma traduction est bonne, mais ils ne semblent pas en dire davantage sur leur véritable nature, ou en tous cas, ne décrivent pas de caractéristiques précises.

Mais tandis qu'il s'apprêtait à reprendre, un détail l'interpella. Il se détourna doucement du vampire, fixant le mur du fond légèrement fissuré, à peu près comme les autres d'ailleurs. Il voyait encore une chose que probablement le suceur de sang ne pouvait distinguer ; une protection magique. Ce mur devait sans aucun doute donner accès à une crypte ou un soubassement. Entamant une gestuelle spécifique pour supprimer cette défense moyenne, il précisa.

Je désamorce une protection magique. Quelque chose se dissimule derrière. Une pièce ou un accès annexe, que sais-je.

Pendant plusieurs minutes il s'échina à détruire la protection magique. Un calme plat s'était installé, presque aucun bruit ne venait percer les oreilles des deux bipèdes si ce n'était peut-être qu'un grognement agacé de l'elfe lorsqu'il se rendait compte que sa manœuvre avait échoué plusieurs fois. Mais à force de persévérance, il parvint à faire sauter cette barrière magique et soulagé il soupira fortement. Néanmoins, son répit fut de courte durée lorsque deux invocations d'élémentaire d'eau douce vinrent pointer le bout de leur nez derrière les deux voyageurs. Il leva un sourcil en ajoutant au vampire.

Je vous le concède, très cher, ça n'était pas prévu.

Il s'en voulait. Comment avait-il pu être aveugle à cette seconde projection de sort ? Il en avait pourtant étudiés des dizaines jadis, mais celle-ci avait semblé être indétectable, même pour lui... Ou s'était-il simplement laissé avoir par manque de vigilance, souhaitant étaler son savoir aux yeux du vampire en sursis ? La question méritait réflexion s'affirma-t-il, mais pour l'heure il fallait se débarrasser de ces élémentaires.

À première vue, ils n'apparaissaient pas excessivement forts, mais il valait mieux cette fois-ci garder la tête sur les épaules. Une fois mais pas deux ! Il observa Saünee et d'un geste circulaire incanta une rune de vélocité pour le bien du groupe. Nul doute que ce stratagème sembla inutile à souhait mais il permettrait peut-être de clore rapidement ce combat.