Olórin venait de revêtir son accoutrement habituel. Proprement vêtu il attrapa son bâton et sortit de l'atelier familial où il venait de terminer une nouvelle sculpture de bois. D'un geste habile de la main droite il envoya virevolter les quelques copeaux de bois qui étaient restés attachés à sa robe de mage. Il prit naturellement la direction de la forêt Silfaën, bien qu'il devrait passer d'abord dans la végétation banlieusarde d'Endorial, il n'avait ce jour aucune destination spécifique. Une simple promenade pour se retrouver en harmonie avec la terre qui l'avait vu naître. Il se laissa bercer par les sons des animaux sauvages, le vent fouettant par moment la dense et verdoyante couverture végétale de Silfaën à mesure qu'il s'enfonçait en écartant les feuillages qui pouvaient obstruer sa vision. Après une bonne dizaine de minutes, une petite chose s’interposa.

Tu l'as senti, toi aussi ?

L'esprit protecteur tournait autour de l'elfe, lentement, tout en crépitant un peu plus qu'à l'accoutumée. Les deux promeneurs avaient repérés une présence mais à ce jeu là l'esprit qui l'accompagnait avait toujours un coup d'avance. Malgré leurs multiples voyages ensemble Olórin n'avait jamais cherché à comprendre son compagnon spirituel. Rien ne le retenait d'avoir une conversion enrichie avec ce dernier, mais par respect, ou par crainte, il n'avait jamais osé poser ses questions.

N'ayez crainte, maître de la glace. Ils sont deux. Mais il n'y a pas de menace ici bas.

C'était typiquement le genre d'échanges qui était le plus fréquent entre ces deux là. Ni trop long, ni trop court, juste la pointe d'information nécessaire à la sécurité du mage. Cet esprit portait décidément bien son nom. Et jusqu'à maintenant il ne s'était jamais trompé. Le mage continua a progressé à l'aveugle mais pas sans précaution. Un bouclier magique l'entourait désormais, et bien qu'il soit invisible pour quiconque ne maîtrisait pas le flux magique, sa proximité laissait aux plus curieux des sensations de picotements désagréables. Pour les plus téméraires, ceux qui s'approcheraient au point de le toucher, c'est une répulsion magique qui les attendrai. À travers la frondaison épaisse il pu apercevoir deux silhouettes qui apparurent très nettement une fois sortit des fourrés.

– Heu … Bonjour ? Vous cherchez quelque chose ?

Un moment de silence s'installa pendant que le mage dévisagea les deux individus devant lui, un sourcil levé. Restant à bonne distance de ces deux là, et sans commodités, il leur demanda.

– Je ne cherche rien, non. Mais, je me demande bien ce qu'on font un lycan et un loup aux abords d'Endorial ?

Il soutint le regard de son interlocuteur, sans rien ajouter de plus.

La question d'Olórin laissa de marbre l'aventurier qu'il lui faisait face. L'elfe leva un sourcil voyant la gêne occasionnée et les bégaiements de son interlocuteur. Il n'avait souhaité l'effrayé, simplement clarifier sa présence en ces lieux, mais le lycan sembla perturbé outre mesure par cette demande imprévue. Il cachait quelque chose, le cryomancien n'en doutait pas. Comme s'il avait été surpris au mauvais moment. Pourtant, on pouvait écarté rapidement la piste du braconnage lorsque l'on voyait le loup paisible à ses côtés, mais également celle d'un être mal intentionné envers la nature. Malgré une hésitation certaine, il posa toutefois une question.

– Vous … vous êtes un gardien de la forêt ? Vous … vous faite partie de la garde ?

Olórin laissa dériver son regard sur le petit foyer que s'était constitué les deux voyageurs. De nouveau il regarda le loup qui semblait n'en avoir rien à faire, serein. Et laissa traîner ses yeux sur les alentours, du moins ce que la dense végétation permettait d'observer, avant de revenir toiser le lycan. Ses deux mains se rejoignirent presque, s'élevant vers son propre visage afin d'attraper les bords de sa capuche et ainsi de la rabaisser sobrement. Dès lors, son bouclier cessa d'exister, ainsi que ses effets secondaires. Il sourit légèrement, sans bouger. 

- Effectivement, je suis bien membre de la Garde Zéphyr.
Ayant senti une présence inconnue, je suis venu voir ce qui se tramait dans le coin.

Olórin laissa en suspens dans son esprit le reste de ses paroles, commençant à se déplacer lentement et avec précaution, comme formant un cercle autour des deux êtres inconnus. Il n'était pas spécialement en mesure de les voir, non, mais sans problème il savait exactement où chacun d'eux se trouvait sur le plan spatial. Nul doute qu'une attaque serait infructueuse. Continuant sa ronde lentement tout en se caressant la barbe, il ajouta.

- Comment pourrai-je croire quelqu'un qui n'est même pas certain de ce qu'il m'avance ?
Devrai-je en conclure que vous êtes en train de me mentir, voyageur ?

À l'issue de ces deux questions, le mage s'était arrêté net. Dos à eux. Son esprit protecteur toujours en mouvement autour de lui, comme placé dans une forme de léthargie.

Heu .. Non, non, non, non !! Ce n’est pas du tout ce que vous croyez !!
Je suis un Lycan cherchant à rejoindre Endorial et je n’ai aucune mauvaise intention !!

Olórin resta silencieux, probablement trop longtemps pour son interlocuteur qui devait sérieusement s'interroger sur l'issue de cette situation. Mais le mage n'avait eu à aucun moment la volonté de faire paniquer le jeune lycan. Cette attente avait donc été volontaire, il allait choisir soigneusement ses prochains mots, sa prochaine question, et selon la réponse il déciderait d'une suite plus ou moins agréable à cette rencontre.

La température se rafraîchit sur un petit périmètre autour d'eux, une dizaine de mètre tout au plus. Le petit foyer constitué par nos deux voyageurs vint s'éteindre comme happer de l'intérieur par une bourrasque glaciale, laissant une fumée légère s'en dégager. Le mage avait décidé de comprendre ce qu'il se tramait dans la tête de ses deux là, notamment du seul doué de paroles. Sans se retourner, il continua, avec un ton cordial mais ferme.

Soyez très attentif, mon cher...

Car les prochains mots qui sortiront de votre bouche seront déterminants pour la suite de cette rencontre...

Et si je ne m'abuse, ni vous, ni moi n'avons de temps à perdre avec des mensonges, alors soyez franc !

Olórin n'était qu'un cryomancien. La découverte du mensonge ne tenait qu'à l'analyse d'éléments avec un lien de cause à effets, les actes étant souvent différents des paroles, mais il n'avait pas de don magique pour cela, simplement une intuition naturelle bien que parfois imparfaite. Une chose était certaine, ses derniers mots avaient été prononcés fermement, ne laissant pas de toute à son interlocuteur quant à sa patience ébranlée par une telle situation. Le cryomancien n'était pas impulsif mais sa journée ne faisait que commencer et il était temps de comprendre véritablement si une menace était présente en Silfaën, ou non. C'est à ce moment là qu'il trouva bon de se retourner.

Il est effectivement préférable de n'avoir aucune mauvaise intention envers ma terre natale mais... pour quelles raisons vous terrez-vous dans les fourrées alors qu'Endorial n'est qu'à quelques pas ?

Qu'êtes-vous vraiment venu y trouver ?

Il est normal que je sois sur la défensive également, non ? Mettez-vous un peu à ma place ? Je ne connais pas vraiment les environs, je ne suis pas d’ici, mais mes pas mon guidés jusqu’aux portes d’Endorial dans le but d’en apprendre plus sur la Garde Zéphyr. Je ne suis pas du genre à donner ma confiance et mes objectifs au premier venu, c’est tout à fait normal selon moi, mais si vous faites réellement parti de la Garde Zéphyr alors, j’ai une demande à vous faire !

Olórin écouta attentivement son interlocuteur. Le jeune loup avait entièrement raison, même si le vieil elfe ne l'aurait jamais avoué ainsi. Sa manière d'argumenter ne lui déplaisait guère et son élan de conviction lui arrachait un sourire léger bien qu'il sembla manquer encore d'assurance. Il craignait peut-être de tomber sur quelqu'un de fondamentalement mauvais, mais heureusement pour lui, il ne s'agirait pas du vieux mage, bien qu'il puisse être mortellement dangereux.

J’aimerais intégrer la Garde Zéphyr ! Je suis peut-être un Lycan, je suis peut-être faible et c’est même sûr que je manque d’expérience et de connaissance, mais je n’ai qu’un réel désir, c’est de protéger cette forêt qui m’abrite depuis si longtemps. Si je reste distant d’Endorial … et bien c’est que je ne sais pas si j’y ai ma place en tant que Lycan …

Tandis qu'il croisa le regard du lycan ses globes oculaires s'illuminèrent à nouveau telle une protection instinctive qui s'éveillait en lui, comme si ce regard était inapproprié, impétueux et provocant. Comme si, par son flux magique, il était perçu en tant que menace. Néanmoins, ils reprirent rapidement leur teinte normale, laissant plonger leur intérêt vers le loup à ses côtés, paisible, l'espace d'un instant. Le regard perdu, comme happé par une méditation profonde, il ajouta sobrement.

L'expérience et la connaissance... ces choses là ne sont qu'une question de temps.

Quant à la faiblesse... Certains choisissent la force de l'esprit, d'autres celle du corps, et pour les plus audacieux et dégourdis, les deux en même temps... mais un fait est irréfutable ; avant ce choix, ils étaient tous faibles.

On ne devient qui nous sommes uniquement par le choix de nos actes.
Et celui que vous vous apprêtez à faire est louable, mais pas sans conséquences.

Il faisait bien entendu référence à son souhait de rejoindre la Garde Zéphyr. C'était une bonne chose pour le mage, rien ne pouvait plus lui donner de joie que de voir de nouvelles têtes avec comme vocation défendre la terre sur laquelle il avait vu le jour. Mais c'était un engagement qu'il allait lui même rompre prochainement, et une telle rencontre le faisait également s'interroger sur la prospérité future de sa faction. Joignant ses mains pour les dissimuler sous ses épaisses manches, il reprit sa marche, plus lente toutefois, tournant doucement autour des deux voyageurs. Et il questionna.

Depuis combien de temps cette forêt vous abrite-t-elle, mon cher ?

Et pourquoi ne pensez-vous pas avoir votre place en tant que Lycan en Silfaën ?

Hmm… J’avais neuf hivers quand j’ai commencé à vivre dans les bois, mais je suis arrivé bien plus tard dans cette forêt.
Je pense que cela devrait faire six hivers avec la prochaine saison froide.

L'elfe continua sa ronde silencieuse tout en écoutant attentivement les dires du jeune loup. Prenant compte de l'information, le cryomancien constata qu'il occupait la région depuis un petit moment déjà, étonnant qu'ils ne soient pas croisés plus tôt. Quoique. Il fallait avouer que le vieux mage était loin d'être sédentaire, et qu'il n'avait plus vraiment beaucoup de chose à découvrir en Silfaën... Il y a un moment où on a fait le tour de la question, comme on dit souvent. De nouveau il porta son attention sur son interlocuteur tandis qu'il continuait à développer le fond de sa pensée.

Et bien les hommes ont peur de ce qui ne leur ressemble pas, je pense que vous savez comment sont apparus les premiers Lycanthropes ? Nous sommes considérés comme des monstres sanguinaires qui se transforment dès la pleine lune.

Il se souvint de ce qu'il avait appris autrefois sur les lycanthropes. Rien de bien spectaculaire, à croire que les divisions communautaires étaient toujours poussées par la rancune et la peur de l'inconnue, de l'incompréhensible, de l’inacceptable. Ces maux ne rongeaient pas seulement les loups-garous et les vampires, non, nombreuses autres races suivaient le même chemin... Une triste histoire.

Bien content qu'il n'y ai pas que des hommes sur cette terre... Même si, fort heureusement, ils ne sont pas tous les mêmes.

Et en effet, je connais votre histoire. L'Est, l'Ouest, les suceurs de sang et les loups-garous.
Les histoires sont toujours différentes, quelque soit la race, mais les problématiques de fond sont très souvent similaires.

Peu importe... N'est sanguinaire que celui qui veut l'être.

Cette fois-ci, il s'arrêta. Constatant l'impatience du compagnon à quatre pattes il n'en dit rien et de nouveau prit le temps nécessaire pour écouter les craintes du voyageur.

Je n’ai jamais vécu qu’auprès des miens dans les cavernes de Spelunca, je … je n’ai jamais vécu à l’extérieur auparavant et je n’ai donc jamais connu autres peuples que le mien. Je ne veux effrayer personne, mais je ne veux pas être chassé pour autant pour ce que je suis. Comment vous verriez les choses de votre point de vue ?

Le vieil elfe s'approcha comme si de rien était, à un ou deux mètres d'eux, tandis que des flammes bleutées s'emparèrent du feu de camp. Zieutant l'un et l'autre un instant, il s'assit sans trop de manière avant d'ajouter.

Pour ma part, je ne fais guère le distinguo sur ce que sont les autres, mais plutôt sur qui ils sont. C'est souvent bien plus utile que de s'interroger sur leur forme naturelle. L'important étant la personnalité d'un individu et ses ambitions, pas l'enveloppe charnelle qui le maintient en vie.

Mais plus sérieusement, que savez-vous exactement de la Garde Zéphyr ? Depuis que vous vivez dans cette forêt vous devriez en avoir accumulé des connaissances sur cette faction, n'est-ce pas ?